samedi 8 mars 2025

Coup d'État en Mauritanie : les tribus ont pris le pouvoir. Par Pr ELY Mustapha

 "Il n'est pas des nôtres celui qui appelle au tribalisme. Il n'est pas des nôtres celui qui combat pour le tribalisme. Il n'est pas des nôtres celui qui meurt pour le tribalisme."

Hadith du Prophète Mohamed que la paix soit sur lui

 (Sunan Abu Dawud 5121, Livre 41, Hadith 133)

 "Ô peuple ! Votre Seigneur est Un et votre père [Adam] est un. Un Arabe n'a aucune supériorité sur un non-Arabe, ni un non-Arabe sur un Arabe ; un blanc n'a aucune supériorité sur un noir, ni un noir sur un blanc, si ce n'est par la piété et les bonnes actions." 

Sermon d'Adieu (Khutbatul Wada) du Prophète Muhammad (PSL)

 (Musnad de l'Imam Ahmad ibn Hanbal (hadith n° 23489) 

Sahih al-Bukhari (partie du long hadith du Sermon d'Adieu)

 

 La mort institutionnelle de l'Etat

La Mauritanie contemporaine offre un cas d'école de la déliquescence institutionnelle : l'État, en tant qu'entité régulatrice, n'existe plus. À sa place s'est imposé un système de gouvernance parallèle, dirigé par des tribus arabo-berbères qui contrôlent les leviers économiques, sécuritaires et politiques du pays.L’État mauritanien fonctionne comme une coquille vide, où les tribus dictent lois, budgets et nominations Ce « coup d'État silencieux » ne s'est pas produit en une nuit, mais résulte d'un processus historique de captation des ressources et de neutralisation méthodique des institutions.

Aujourd'hui, analyser la Mauritanie sans placer les logiques tribales au cœur de l'équation relève de la cécité académique.


I-    Les racines historiques de l'hégémonie tribale

La colonisation française : architecte précurseur du tribalisme mauritanien moderne

L'administration coloniale française a codifié les hiérarchies tribales en s'appuyant sur des chefs tribaux comme relais locaux, marginalisant les Haratines (descendants d'esclaves) et les AfroMauritaniens. Ce système néopatrimonial a survécu à l'indépendance (1960), les élites tribales reproduisant les schémas de domination via le parti unique La réforme foncière de 1983, permettant l'expropriation des terres afro-mauritaniennes au profit des tribus, a marqué un tournant. En 1989, des purges ethniques chassèrent des milliers d'afro-mauritaniens, redistribuant leurs terres à des alliés tribaux du régime.

L'emprise des tribus sur les institutions politiques mauritaniennes est profonde et multiforme. Au cœur du système se trouve un monopole parlementaire et exécutif sans précédent. Les tribus arabo-berbères contrôlent 72 % des sièges au Parlement et 85 % des postes exécutifs. Cette domination n'est pas le fruit du hasard, mais le résultat d'une stratégie délibérée de captation du pouvoir. Les clans Awlad Bu Sba et Smassid, en particulier, ont réussi à s'arroger les ministères-clés tels que la Défense, l'Intérieur et les Finances, leur permettant ainsi de verrouiller l'ensemble des décisions stratégiques du pays. Cette mainmise sur les institutions trouve ses racines dans l'histoire post-coloniale de la Mauritanie. Sous la présidence de Moctar Ould Daddah (1960–1978), le Parti du Peuple Mauritanien (PPM) a institutionnalisé le tribalisme en cooptant systématiquement les chefs tribaux, transformant de facto l'État en un outil de légitimation et de renforcement des hiérarchies traditionnelles.

Le tribalisme comme doctrine d'État

Aujourd'hui, les tribus contrôlent 72% des sièges parlementaires et 85% des postes exécutifs. Les tribus dominantes (Awlad Bu Sba, Smassid, Oulad Delim) ont transformé l'appareil d'État en outil de prédation, utilisant les lois et budgets publics pour consolider leurs fiefs économiques.

Le processus électoral lui-même est devenu un théâtre où se joue la domination tribale. Le parti au pouvoir, El Insaf, alloue 65 % de son budget (estimé à 4,8 millions de dollars par an) à la mobilisation électorale des communautés arabo-berbères. Cette stratégie repose sur un système élaboré de clientélisme, où des concessions de terres et des promesses d'immunité judiciaire sont échangées contre des votes. L'oppression politique des opposants issus des communautés marginalisées est monnaie courante. En 2014, la candidature présidentielle de Biram Dah Abeid, militant anti-esclavagiste, a été systématiquement sabotée. Des partisans subissaient des confiscations de terres, illustrant la collusion entre pouvoir religieux, économique et politique au service des intérêts tribaux.


II-     L'économie capturée : Tribus contre Trésor public

Les secteurs-clés sous contrôle tribal

La captation des ressources économiques par les tribus dominantes illustre de manière flagrante leur influence sur le gouvernement. Dans le secteur minier, stratégique pour l'économie mauritanienne, la tribu Awlad Bu Sba, étroitement liée à l'ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz, a mis en place un système de perception de « royalties informelles » sur l'exploitation du fer à Zouérat. Ce mécanisme opaque permet de détourner entre 8 et 12 millions de dollars par an des revenus de la SNIM (Société Nationale Industrielle et Minière), privant ainsi l'État de ressources cruciales pour son développement. Le secteur des pêcheries n'échappe pas à cette logique prédatrice. 

Les coopératives tribales  basées à Nouadhibou ont réussi à s'octroyer le contrôle de 38 % des exportations de poulpe vers l'Union Européenne, grâce à un système de quotas opaques négociés au plus haut niveau de l'État. Cette mainmise leur assure des revenus annuels de l'ordre de 14 millions d'euros, au détriment des communautés côtières non-arabo-berbères et du Trésor public.
Soit:
•    Pêcheries : Les coopératives tribales de Nouadhibou contrôlent 38% des exportations de poulpe vers l'UE, générant 14 millions d'euros annuels via des quotas opaques-
•    Mines : La tribu Awlad Bu Sba perçoit des «royalties informelles » sur l'exploitation du fer à Zouérat, détournant 8 à 12 millions de dollars/an des revenus de la SNIM (société minière nationale).

Or et drogue : Les tribus Reguibat et Oulad Delim contrôlent 30 % du trafic de cannabis marocain (270 tonnes/an) et 15 % de la cocaïne sud-américaine transitant par le Sahel, avec des complicités douanières (150–300 €/véhicule).

Les systèmes de prédation sont variés et multiples. Parmi ceux utilisés: l'Intégration (Hawala) et la Syndication des ressources.

L'Intégration (Hawala): Des bureaux de change tribaux de Nouakchott ont traité des millions de dollars de dons intraçables du Golfe, tirant parti des liens tribaux pour contourner la surveillance de la Banque centrale mauritanienne.
La Syndication des ressources : Le contrôle sur les collectifs de pêche artisanale permet aux tribus  de rediriger les cargaisons de poulpes à destination de l'UE vers les marchés de Dubaï, capturant des millions de dollars de profits illicites.

La prédation systémique


La structure étatique de Solidarité, destinée à lutter contre la pauvreté, canalise 40% de son budget (6 millions de dollars) vers des «projets» tribaux servant à acheter des loyautés tribales. Parallèlement, l'État perd 220 millions de dollars/an via la contrebande d'or, facilitée par l'absence de scanners financiers à 88% des postes frontaliers.

III. L'effacement de l'État de droit

Justice sélective et impunité tribale

Le Conseil Supérieur de la Magistrature, dominé à 60% par des tribus, bloque les enquêtes visant les élites tribales. En 2011, le président Aziz a gracié 30 trafiquants de drogue condamnés, tous issus de tribus influentes. En 2023, une saisie de 1,2 tonne de cocaïne à Nouadhibou a été étouffée quand les enquêteurs ont découvert des liens familiaux avec un ancien ministre de la Défense.

L'instrumentalisation du système judiciaire

L'instrumentalisation du système judiciaire au profit des intérêts tribaux est un autre exemple frappant de cette influence. 

L'impunité dont jouissent les membres des tribus dominantes est devenue systémique. En 2011, un cas emblématique a choqué l'opinion publique : le président Aziz a gracié 30 trafiquants de drogue condamnés, tous issus de tribus influentes. Cette décision, prise par décret présidentiel, a démontré de manière éclatante la subordination du pouvoir judiciaire aux intérêts claniques. Plus récemment, en 2023, une affaire de trafic de drogue à grande échelle a mis en lumière les mécanismes de protection tribale. Une saisie de 1,2 tonne de cocaïne à Nouadhibou, qui aurait dû conduire à des poursuites judiciaires d'envergure, a été rapidement étouffée lorsque l'enquête a révélé des liens familiaux entre les trafiquants et un ancien ministre de la Défense. 


En 2024, à l'occasion de l'enquête sur le clan Cheikh Eyah, un système de blanchiment de 30 millions de dollars via des bureaux de change à Nouakchott et des exportations frauduleuses de poulpe vers Dubaï a été mis à jour. Les charges ont été abandonnées en 24 heures pour « vice de procédure » - un scénario classique de protection tribale.Cette affaire, au-delà de la présomption d'innocence qui doit prévaloir à l'égard des présumés,  illustre non seulement la sophistication des réseaux financiers tribaux, mais aussi leur capacité à neutraliser le système judiciaire.
Ces exemples illustrent comment le système judiciaire, censé être le garant de l'État de droit, est devenu un instrument au service des intérêts tribaux.

 Armée et sécurité : des milices tribales déguisées

 L'armée et les forces de sécurité n'échappent pas à l'emprise tribale, compromettant sérieusement la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'État mauritanien.  90 % des postes d'officiers supérieurs sont occupés par des tribus. Les promotions au sein de l'armée sont basées non pas sur le mérite ou les compétences, mais sur l'allégeance tribale, créant ainsi une force armée plus loyale envers les clans qu'envers l'État. Cette situation est exacerbée par l'existence de milices tribales quasi-autonomes. Le cas le plus flagrant est celui de la tribu Oulad Delim, qui dispose d'une force paramilitaire de 800 hommes, armée via des réseaux libyens. Cette milice patrouille les frontières et contrôle des territoires entiers sans aucune supervision ou contrôle de l'État central, illustrant la fragmentation de la souveraineté nationale au profit des intérêts tribaux.

 Enfin, les alliances entre certaines tribus du nord  et des groupes jihadistes représentent peut-être la manifestation la plus inquiétante de cette influence tribale.. Cette collusion entre intérêts tribaux et réseaux terroristes non seulement sape les efforts de lutte antiterroriste de l'État mauritanien, mais pose également un défi sécuritaire majeur pour toute la région sahélienne.


IV. Conséquences : un pays en déliquescence

La Mauritanie n'est plus un État au sens wébérien du terme (soit une communauté humaine, qui à l’intérieur d’un territoire déterminé (...) revendique pour elle-même et parvient à imposer le monopole de la violence physique légitime),   mais une constellation de fiefs tribaux régis par des lois parallèles. 

Les « élections » ne sont que des mises en scène validant des rapports de force claniques.

Ainsi , pour faire face à ces  mécanismes de prédation, toute réforme devra nécessairement passer par :
•    La restitution de 30% des actifs miniers et halieutiques aux coopératives non tribales
•    Le renforcement des tribunaux anticorruption sous supervision internationale
•    Le déploiement de douanes intelligentes (IA, blockchain) à Nouakchott et Nouadhibou

Sans rupture radicale, la Mauritanie restera un État fantôme, où la citoyenneté s'efface devant l'appartenance tribale.

Les exemples  concrets n'en finissent plus qui démontrent que l'État mauritanien fonctionne aujourd'hui comme une coquille vide, où les tribus  dictent les lois, contrôlent les budgets et décident des nominations clés. 

Cette hégémonie tribale, héritée de l'ère coloniale et renforcée par des décennies de clientélisme, explique l'échec persistant des tentatives de réformes démocratiques et la perpétuation des crises humanitaires et sécuritaires que connaît le pays. 

Toute analyse ou initiative politique concernant la Mauritanie doit impérativement prendre en compte cette réalité tribale qui structure profondément la gouvernance du pays.


La Mauritanie se trouve, donc, à un carrefour critique. Sans une action décisive pour freiner le pouvoir tribal et reconstruire les institutions étatiques, le pays risque de compléter sa transition d'un État fragile à un simple consortium tribal, où la gouvernance est effectivement mise aux enchères au plus offrant et où la citoyenneté se réduit à l'allégeance clanique.


La disparition de l'État mauritanien n'est pas une menace lointaine ou une préoccupation théorique - c'est la réalité vécue par des millions de personnes piégées dans un ordre néoféodal, qui les détruit, les appauvrit et  qui a supplanté la gouvernance moderne. Le défi à venir est monumental, nécessitant non seulement des changements de politique mais une réinvention fondamentale de la relation entre l'État, les tribus et les citoyens dans la société mauritanienne.


L'alternative - accepter la suprématie tribale comme un fait accompli - condamnerait la Mauritanie à un avenir d'inégalités croissantes, de dégradation environnementale et d'insécurité perpétuelle, avec des répercussions ressenties bien au-delà de ses frontières dans une région déjà volatile.

 

 Il y a environ 1431 ans, le 9è jour de Dhul-Hijjah, alors qu'il se tenait  dans la vallée d'Uranah  au Mont Arafat, le Prophète Muhammad (SAW) a délivré son sermon d'Adieu (Khutbatul Wada) :

« Ô Peuple, prêtez-moi une oreille attentive, car je ne sais si après cette année, je serai de nouveau parmi vous. Par conséquent, écoutez très attentivement ce que je vous dis et apportez ces paroles à ceux qui n'ont pas pu être présents ici aujourd'hui.

Ô Peuple, tout comme vous considérez ce mois, ce jour, cette ville comme sacrés, considérez la vie et les biens de chaque musulman comme une responsabilité sacrée. Restituez les biens qui vous sont confiés à leurs propriétaires légitimes. Ne blessez personne pour que personne ne vous blesse. Rappelez-vous que vous rencontrerez en effet votre Seigneur et qu'il évaluera en effet vos acte
s. (....)

Mais  qui aujourd'hui, l'entend encore ?


« Si vos cœurs n’étaient pas absorbés par les paroles et que vous n’en raffoliez, vous entendriez ce que j’entends. » (Hadith du Prophète Mohamed que la paix soit sur lui)

Certainement pas par des gouvernants d'un  Etat pris en otage par des tribus, avec laquelle l'Alliance  avait été formellement interdite par le prophète Mohamed (PSL) de son vivant.

 Paix aux innocents.

Pr ELY Mustapha


mercredi 5 mars 2025

La Conditionnalité de l'aide américaine et son impact sur les relations avec les pays en développement. Par Pr ELY Mustapha

La conditionnalité de l'aide américaine représente un enjeu majeur pour les pays en développement, configurant profondément leurs relations avec la première puissance mondiale. La récente suspension de l'USAID par l'administration Trump en février 2025 illustre de façon dramatique comment les mécanismes de conditionnalité peuvent affecter la souveraineté des États bénéficiaires, leur stabilité socio-économique et leur capacité à définir leurs propres trajectoires de développement. j'examine, ici, les multiples dimensions de cette conditionnalité et ses conséquences concrètes pour les pays récipiendaires.

La Nature et les Mécanismes de la Conditionnalité Américaine

La conditionnalité de l'aide représente l'ensemble des exigences qu'un pays donateur impose comme condition préalable à l'obtention ou au maintien de son assistance financière et technique. Cette pratique, loin d'être nouvelle, s'inscrit dans une longue tradition de la politique étrangère américaine remontant au Plan Marshall. Comme le souligne le document d'analyse historique, "la politique américaine à travers le Plan Marshall est à l'origine de l'aide publique au développement (APD)". Cette politique s'est transformée au fil des décennies, prenant différentes formes selon les contextes géopolitiques, tout en conservant sa dimension d'instrument d'influence.
Les conditionnalités imposées par les États-Unis se déclinent en plusieurs catégories distinctes. D'abord, les conditionnalités économiques exigent des réformes structurelles comme la libéralisation des marchés, les privatisations ou les ajustements fiscaux. Ensuite, les conditionnalités politiques concernent les exigences en matière de gouvernance, démocratie et respect des droits humains. S'y ajoutent des conditionnalités de sécurité liées à la lutte contre le terrorisme et au contrôle des frontières, ainsi que des conditionnalités sociales touchant aux politiques de santé ou d'éducation.
Ces mécanismes s'appliquent à travers des instruments précis, comme le décrit un rapport spécialisé sur la question: "Les conditionnalités se répartissent en trois grandes catégories - Les actions préalables : mesures qui doivent être prises par le gouvernement avant tout prêt des IFI afin de démontrer son engagement... Les critères de performance : conditions périodiques qui doivent être remplies à différentes étapes d'un programme... Les critères structurels : critères permettant de vérifier qu'un programme est bien en cours". Ce système complexe constitue un puissant levier d'influence sur les politiques intérieures des pays bénéficiaires.

L'USAID et sa Récente Suspension
L'Agence américaine pour le développement international (USAID) représente l'un des principaux instruments de l'aide extérieure américaine. Avec "un budget de plus de 40 milliards de dollars, destiné à l'aide humanitaire et l'aide au développement à travers le monde", cette agence emploie "quelques 10.000 personnes, dont les deux-tiers sont en poste à l'étranger". Elle finance des projets dans des domaines essentiels comme la santé, l'éducation, la sécurité alimentaire et la gouvernance.
Cependant, la décision de l'administration Trump de suspendre les activités de l'USAID, annoncée en février 2025, représente un tournant majeur. Dès son arrivée au pouvoir le 20 janvier, le président a "ordonné, par décret, un gel massif des financements pendant 90 jours". Cette décision s'inscrit dans sa politique de "l'Amérique d'abord" et répond à des critiques internes considérant l'agence comme "dirigée par une bande de fous extrémistes". Elon Musk, désormais chef du "département de l'Efficacité gouvernementale", a même qualifié l'agence de "nid de vipères marxistes".
Cette suspension ne signifie pas l'arrêt définitif de toute aide américaine, mais plutôt "un changement de méthode", comme l'a précisé Marco Rubio: "Il ne s'agit pas d'une organisation caritative. Il ne s'agit pas de fonds privés. Il s'agit de l'argent des contribuables américains. Nous avons l'obligation de le dépenser avec sagesse". L'administration prévoit notamment de réorienter l'aide pour cibler ses propres priorités politiques, notamment en excluant les programmes favorisant la diversité ou l'accès à l'avortement.

Les Conséquences pour les Pays en Développement

L'Impact Humanitaire et Social Immédiat
La suspension de l'USAID provoque des conséquences immédiates et dramatiques pour de nombreux pays en développement, particulièrement en Afrique. Comme le témoigne Ibrahim Oulem, volontaire dans une association locale au Burkina Faso: "Nous craignons une situation catastrophique en Afrique avec la suspension de cette aide. Par exemple, chez nous au Burkina, cela aide beaucoup à faire face à la situation humanitaire due à la crise sécuritaire avec la menace des groupes armés". La suspension affecte des secteurs essentiels comme l'alimentation, l'accès à l'eau potable, la santé et l'éducation.

Dans le domaine de la santé, le directeur médical de la région Nord du service de santé du Ghana exprime des préoccupations graves: "Nous sommes confrontés à d'éventuelles ruptures de stock, qui pourraient entraîner une augmentation des maladies évitables, des décès maternels et une résurgence de virus comme le paludisme et la tuberculose". Un chercheur de l'African Population and Health Research estime que "la plus grande perte pour l'Afrique sous l'égide de l'USAID sera le financement du PEPFAR, qui soutient les programmes de prévention, de dépistage et de traitement du VIH".

L'agriculture, secteur vital pour de nombreuses économies africaines, est également touchée. Un agriculteur ghanéen témoigne: "Si nous ne recevons pas les engrais et les semences à temps, nos rendements chuteront considérablement (...) cela signifie moins de nourriture sur les marchés, des prix plus élevés pour tout le monde et d'éventuelles pénuries alimentaires dans tout le pays. Cela signifie moins de nourriture pour ma famille et moins d'argent pour payer les frais de scolarité de mes enfants". Ces témoignages illustrent l'impact immédiat et concret de la suspension de l'aide américaine sur les populations les plus vulnérables.

L'Atteinte à la Souveraineté et à l'Autonomie Politique
Au-delà de l'impact humanitaire immédiat, la conditionnalité de l'aide américaine soulève des questions fondamentales concernant la souveraineté des États bénéficiaires. Comme le soulignait en 2005 le président malien Amadou Toumani Touré: "Un véritable partenariat suppose l'autonomie des pays bénéficiaires lorsqu'ils demandent une aide... En revanche, les pays donateurs ne sauraient utiliser leur aide ou allègement des dettes pour imposer des politiques économiques aux pays pauvres". Cette déclaration reste d'une actualité saisissante dans le contexte actuel.

La conditionnalité impose souvent des orientations politiques et économiques précises qui peuvent être déconnectées des priorités nationales des pays bénéficiaires. Une analyse critique décrit l'approche prescriptive de l'aide américaine comme "une forme de supra conditionnalité de l'aide à travers la constitution et l'agglomération de normes et de standards internationaux, de prescriptions, qui a tendance à réduire significativement l'espace politique des États 'aidés efficacement'". Cette réduction de l'espace politique constitue une atteinte directe à la capacité des pays à définir souverainement leurs priorités de développement.
En outre, la multiplicité des exigences imposées par différents bailleurs crée une charge administrative considérable. Comme le note une étude sur le sujet, "les pays les plus dépendants de l'aide internationale doivent multiplier les rapports pour chaque bailleur". Cette bureaucratisation excessive détourne des ressources humaines et financières précieuses qui pourraient être consacrées au développement.

Les Conséquences Économiques Structurelles
Les conditionnalités économiques imposées par les États-Unis ont souvent des effets structurels profonds sur les économies des pays bénéficiaires. L'expérience du Mali, documentée dans plusieurs études, illustre parfaitement cette problématique: "loin de mener à la croissance économique et à la réduction de la pauvreté, des conditionnalités ont entraîné une forte augmentation des prix de l'électricité et ont actuellement des conséquences négatives sur les planteurs de coton, retardent le déboursement de l'aide et, au final, portent atteinte à la capacité du Mali à définir ses propres politiques".

La Commission pour l'Afrique a reconnu dès 2005 que "la conditionnalité politique... est une violation de la souveraineté et est totalement inefficace". Cette inefficacité s'explique en partie par le décalage entre les réformes exigées et les réalités socio-économiques locales. Même la Banque mondiale a admis que "les politiques d'ajustement structurel ont de graves conséquences pour la capacité des pays en développement... d'établir une politique nationale de développement qui vise à améliorer les droits économiques, sociaux et culturels de leurs citoyens".

Les conditionnalités peuvent également entraîner des arrêts soudains des financements en cas de non-respect des exigences, créant une instabilité budgétaire préjudiciable au développement à long terme. Ces interruptions affectent particulièrement les projets d'infrastructure et les programmes sociaux qui nécessitent une continuité de financement pour produire des résultats durables.

La Conditionnalité Comme Instrument de Politique Étrangère

Un Outil d'Influence Géopolitique
La conditionnalité de l'aide constitue historiquement un puissant instrument d'influence géopolitique pour les États-Unis. Comme le rappelle une analyse historique, "l'aide publique au développement est née lors de la décolonisation, dans le but de préserver l'influence des anciennes métropoles dans le contexte géopolitique de la guerre froide". Pour les États-Unis, l'aide a souvent été qualifiée de "poursuite de la politique extérieure des grandes puissances, mettant en avant une image généreuse d'eux-mêmes".
Cette dimension géopolitique s'est manifestée clairement pendant la Guerre froide, où l'aide américaine ciblait stratégiquement certains pays pour contrer l'influence soviétique. En Asie, par exemple, "la Corée du Sud et Taiwan vont être les premiers à recevoir une aide importante, économique et militaire des États-Unis", illustrant l'utilisation de l'aide comme instrument pour contenir le communisme.
Aujourd'hui, la conditionnalité de l'aide demeure un puissant levier d'influence dans un contexte de compétition géopolitique renouvelée. La suspension récente de l'USAID s'inscrit dans une réorientation plus large de la politique étrangère américaine sous l'administration Trump, privilégiant les intérêts nationaux immédiats sur les engagements internationaux traditionnels.

La Compétition avec l'Approche Chinoise
La conditionnalité américaine contraste fortement avec l'approche d'autres acteurs internationaux, notamment la Chine. La "non-conditionnalité" chinoise est identifiée comme un facteur ayant "ébranlé les principes de la conditionnalité au cours des dix dernières années". L'aide chinoise, bien qu'elle comporte "d'autres coûts et d'autres contraintes", offre une alternative qui peut paraître plus attractive pour certains pays en développement souhaitant préserver leur autonomie politique.
Cette compétition entre modèles d'aide affecte directement les relations entre les États-Unis et les pays en développement. Comme le note une analyse, "la visibilité croissante de bailleurs tels que la Chine, ou dans une moindre mesure pour le moment l'Inde et le Brésil" offre aux pays bénéficiaires des options alternatives, réduisant potentiellement l'influence américaine traditionnelle.
Cette nouvelle dynamique oblige les États-Unis à repenser leur approche de l'aide et de la conditionnalité. La suspension actuelle de l'USAID pourrait ainsi refléter non seulement des considérations de politique intérieure, mais aussi une réorientation stratégique face à la compétition internationale croissante dans le domaine de l'aide au développement.

Perspectives et Alternatives
Les Critiques de la Conditionnalité Traditionnelle
Face aux limites et aux problèmes posés par la conditionnalité traditionnelle, de nombreuses voix s'élèvent pour proposer des approches alternatives. La Commission européenne et les gouvernements britannique et norvégien ont déjà "reformé leurs politiques d'aide au développement pour mettre fin aux conditions de privatisation et de libéralisation", reconnaissant les effets parfois contre-productifs de ces exigences.
Les critiques soulignent également le caractère souvent asymétrique et unilatéral des conditionnalités imposées. Comme le note une analyse, malgré la volonté affichée par les pays du G8 "de laisser le soin aux pays à faible revenu de définir et de mener leur politique de développement", cela "demeure un vœu pieux". Cette asymétrie dans la définition des conditions soulève des questions fondamentales d'équité et d'efficacité.

Vers une Appropriation Nationale du Développement
Face à ces critiques, le principe d'"appropriation" (ownership) émerge comme une alternative prometteuse à la conditionnalité stricte. Comme le souligne la Conférence des Nations Unies sur le Financement du développement, "chaque pays est d'abord responsable de son propre développement économique et social, on ne saurait trop souligner le rôle des politiques nationales et des stratégies de développement".
Cette approche reconnaît que "les pays parviendront à se développer seulement si leurs gouvernements assument l'entière responsabilité de l'élaboration de leurs stratégies, sous le regard de leurs citoyens". Elle implique un changement fondamental dans la relation entre donateurs et bénéficiaires, passant d'une imposition unilatérale de conditions à un partenariat basé sur le respect mutuel et le dialogue.
L'avènement des stratégies nationales de lutte contre la pauvreté a ainsi "permis un tant soit peu d'améliorer la prise en main des réformes par les pays eux-mêmes", bien que des progrès significatifs restent à faire pour une véritable appropriation nationale du développement.

L'Adaptation Face à la Nouvelle Réalité Américaine
Dans le contexte actuel de suspension de l'USAID, les pays en développement sont contraints de s'adapter rapidement à une nouvelle réalité. Comme le note une analyse récente, "les pays du continent [africain] se préparent déjà aux conséquences de la nouvelle politique américaine et mettent l'accent sur l'importance de travailler sur leur autosuffisance". Cette adaptation forcée pourrait paradoxalement renforcer l'autonomie de ces pays à long terme.
Certains observateurs suggèrent également une approche plus contractuelle de l'aide, où "un prêt peut prendre la forme d'un contrat et, dès lors, il n'est pas irrecevable d'y préciser les [termes]". Cette approche, négociée et mutuellement acceptée plutôt qu'imposée unilatéralement, pourrait constituer un modèle plus équilibré pour l'avenir des relations entre les États-Unis et les pays en développement.

En définitive, la conditionnalité de l'aide américaine affecte profondément les relations avec les pays en développement, touchant à des dimensions multiples allant de la souveraineté nationale aux conditions de vie des populations les plus vulnérables. La récente suspension de l'USAID met en lumière de façon dramatique les conséquences concrètes de ces mécanismes de conditionnalité.
Si l'efficacité de l'aide nécessite certainement une bonne gouvernance et une utilisation responsable des ressources, la conditionnalité telle qu'elle est traditionnellement pratiquée soulève des questions fondamentales d'équité, d'efficacité et de respect de la souveraineté. Face à la compétition croissante d'autres acteurs internationaux comme la Chine, les États-Unis pourraient être amenés à repenser leur approche de la conditionnalité pour préserver leur influence dans les pays en développement.
L'avenir des relations entre les États-Unis et les pays en développement dépendra largement de la capacité à évoluer vers des partenariats plus équilibrés, respectueux de l'autonomie politique et favorisant une véritable appropriation nationale du développement. Cette évolution nécessitera un changement fondamental dans la conception même de l'aide au développement, passant d'un instrument d'influence géopolitique à un véritable outil de coopération internationale pour le bien commun.


Pr ELY Mustapha


lundi 3 mars 2025

Kinross Tasiast vole-t-elle la Mauritanie ? Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Par Pr ELY Mustapha

 La mine d'or de Tasiast, située à environ 300 kilomètres au nord de Nouakchott, la capitale de la Mauritanie, représente l'une des opérations minières les plus importantes d'Afrique de l'Ouest. Depuis son acquisition par Kinross Gold Corporation en 2010, la mine a fait face à de nombreux défis opérationnels, à des examens réglementaires rigoureux et à des allégations d'irrégularités financières. Il est donc important d'examiner, avant toute analyse, l'historique opérationnel, l'impact environnemental, la performance financière, ainsi que les allégations de mauvaise gestion et de fraude concernant les activités de Kinross Tasiast en Mauritanie..


La mine de Tasiast a été initialement développée par Red Back Mining, qui a commencé ses opérations en 2007 avant que Kinross Gold Corporation n'acquière la propriété en 2010 pour environ 7,1 milliards de dollars. Cette acquisition représentait une expansion significative du portefeuille africain de Kinross, l'entreprise prévoyant un potentiel de croissance substantiel pour le gisement de Tasiast. Selon les rapports techniques de Kinross, la mine fonctionne comme une exploitation à ciel ouvert conventionnelle avec camions et pelles, couvrant une superficie d'environ 125 kilomètres carrés à l'intérieur d'un périmètre clôturé. L'approvisionnement en eau de la mine provient d'un champ de forages situé à 64 kilomètres à l'ouest de l'exploitation, comprenant 47 puits dans un aquifère semi-salin capable de fournir jusqu'à 24 000 mètres cubes d'eau par jour.
En termes de composition de la main-d'œuvre, en 2016, Tasiast employait environ 1 140 personnes, dont 1 010 (88,6 %) étaient des ressortissants mauritaniens. De plus, l'exploitation engageait 2 322 sous-traitants en 2013, dont 90 % étaient des citoyens mauritaniens, reflétant le rôle important de la mine dans l'emploi local. L'entreprise a déclaré s'engager à réduire progressivement le nombre d'expatriés à mesure que la main-d'œuvre nationale développe des compétences et une expertise minières, bien que cette transition ait rencontré des défis au milieu de la restructuration opérationnelle.

La mine a connu plusieurs phases de développement depuis l'acquisition par Kinross. En 2019, l'entreprise a annoncé le "projet Tasiast 24k", une initiative d'amélioration des immobilisations conçue pour augmenter progressivement la capacité de traitement à 21 000 tonnes par jour d'ici la fin du premier trimestre 2022, et finalement à 24 000 tonnes par jour prévu alors jusqu’à  la mi-2023. Le projet visait à augmenter la production, réduire les coûts, prolonger la durée de vie de la mine jusqu'en 2033, et générer des flux de trésorerie significatifs pour l'exploitation. La production à Tasiast a atteint 406 509 onces d'or en 2020, générant un revenu de 718 millions de dollars.
Les coûts de production à Tasiast ont historiquement été problématiques, représentant les plus élevés du portefeuille mondial de Kinross à 1 061 dollars par once en 2016. Grâce à des améliorations opérationnelles et à la mise en œuvre du projet 24k, l'entreprise a avait planifié un effort  de réduction des coûts de production à 584 dollars par once jusqu'a 2020, marquant une amélioration significative de l'efficacité opérationnelle.


Gestion Environnementale et Initiatives de Durabilité

 
Performance Environnementale et Incidents
Kinross Tasiast opère selon un système de gestion environnementale aligné sur le Système de Gestion de la Responsabilité d'Entreprise (CRMS) de la société, qui est basé sur les normes de gestion environnementale de l'Organisation Internationale de Normalisation (ISO 14001). Malgré ces cadres, l'opération a connu des incidents environnementaux. La mine a signalé des rejets non autorisés d'eau de traitement contaminée au cyanure en 2014 et 2015, soulevant des préoccupations concernant les protocoles de confinement et la gestion des risques environnementaux.
La surveillance environnementale sur le site implique un plan complet avec des inspections quotidiennes par le Département Environnement, Santé et Sécurité (EHS), programmées pour garantir que toutes les zones de travail sont inspectées au moins mensuellement. Le plan de surveillance comprend des activités d'échantillonnage et d'analyse et établit des protocoles de déclaration, y compris des soumissions trimestrielles et annuelles de données environnementales aux ministères gouvernementaux concernés et au siège social de Kinross. De plus, le siège social de Kinross effectue des audits complets du système de gestion environnementale tous les deux ans pour évaluer la performance environnementale du site et sa conformité par rapport à son système de gestion, 


Développement des Énergies Renouvelables
En février 2022, Kinross a annoncé le développement d'une centrale solaire photovoltaïque à Tasiast avec une capacité de production d'énergie de 34 mégawatts et un système de batterie de 18 mégawatts. Ce projet d'énergie renouvelable représente une partie des efforts de l'entreprise pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et devrait fournir environ 20% des besoins énergétiques du site. Selon Kinross, le projet solaire devrait générer des rendements positifs tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre d'environ 530 kilotonnes sur la durée de vie de la mine et potentiellement économiser environ 180 millions de litres de carburant pendant la même période.
En 2023, Kinross a rapporté des progrès sur ses engagements ESG (c'est-à-dire son engagement sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance -ESG-  dans la prise de décision d'investissement et l'engagement post-investissement) , notant la construction de la centrale solaire de Tasiast, qui devait être mise en service au second semestre 2023. L'entreprise s'est fixé un objectif de réduction de 30% des émissions de gaz à effet de serre de portée 1 et 2 par once d'équivalent or produite d'ici 2030, le projet solaire de Tasiast contribuant à cet objectif.


Controverses Financières et Défis Juridiques

 
Litige Collectif sur l'Évaluation de l'Acquisition
Kinross a fait face à d'importants défis juridiques liés à ses déclarations concernant la mine de Tasiast. En mars 2012, un recours collectif d'actionnaires a été déposé alléguant que les divulgations publiques de Kinross contenaient des déclarations fausses et trompeuses sur la mine de Tasiast en Afrique de l'Ouest. Les plaignants ont affirmé que Kinross avait fait de nombreuses déclarations positives sur Tasiast entre le 16 février 2011 et un communiqué de presse daté du 16 janvier 2012, qui révélait que la mine nécessiterait des dépenses en capital significatives en raison de la "compréhension accrue par Kinross du gisement de Tasiast".
Cette annonce a coïncidé avec l'enregistrement par Kinross d'une charge comptable non monétaire importante d'environ 2,49 milliards de dollars, principalement liée au goodwill enregistré pour la mine de Tasiast. Les procédures judiciaires alléguaient que cette révélation avait conduit à une baisse significative du cours de l'action de Kinross et à des milliards de dollars de pertes pour les actionnaires. L'affaire portait sur la question de savoir si Kinross avait adéquatement divulgué les défis et les coûts associés au développement de la propriété de Tasiast après son acquisition de Red Back Mining.


Financement par Emprunt et Arrangements Financiers Gouvernementaux
En décembre 2019, Kinross a annoncé que sa filiale en propriété exclusive, Tasiast Mauritanie Limited S.A., avait signé un accord de prêt définitif pour un montant pouvant atteindre 300 millions de dollars avec la Société Financière Internationale (IFC), Export Development Canada, ING Bank et Société Générale. Le prêt de 8 ans, qui arrive à échéance en décembre 2027, comporte un taux d'intérêt variable de LIBOR plus 4,38% et est sans recours à Kinross, ce qui signifie que la société mère n'est pas responsable du remboursement. Cet arrangement de financement a suivi "un processus de diligence raisonnable complet avec les prêteurs, comprenant des visites de site, des réunions avec le gouvernement de Mauritanie, et des examens et évaluations techniques et environnementaux significatifs".
En juillet 2021, Kinross et le gouvernement mauritanien ont conclu un accord significatif qui a restructuré leur relation commerciale. L'accord maintenait les exemptions fiscales pour le carburant, tandis que le gouvernement consentait à rembourser à Kinross 40 millions de dollars en crédits de taxe sur la valeur ajoutée impayés. Simultanément, Kinross a accepté de rembourser au gouvernement 10 millions de dollars "pour résoudre des questions litigieuses"(sur lesquelles nous reviendrons plus loin dans leur aspect contractuel) . 


Allégations de Corruption et d'Inconduite Financière

 
Enquête de la SEC et Allégations de Lanceurs d'Alerte
En juillet 2015, la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis a ordonné à Kinross d'expliquer des allégations concernant des paiements indus effectués à des fonctionnaires gouvernementaux et des déficiences de contrôle interne dans leurs opérations en Mauritanie et au Ghana. Ces allégations avaient été soulevées depuis août 2013 par des sources externes et des lanceurs d'alerte internes qui avaient alerté l'entreprise sur des activités frauduleuses suspectées. En réponse, Kinross aurait engagé des consultants canadiens et américains pour mener une enquête interne afin de répondre à ces préoccupations et de rassurer les actionnaires.
Les représentants de l'entreprise ont vigoureusement nié ces allégations. Raphael Sourt, le responsable de la communication de l'entreprise en Afrique de l'Ouest, a déclaré : "Les allégations de ce genre sont fréquentes. Lorsque nous attribuons un contrat, il n'est pas rare qu'une entreprise qui n'a pas reçu le contrat se plaigne par le biais des médias locaux. Cette allégation est complètement infondée et prouvée par le fait que cette information est publiée par des sites mineurs". De même, Mike Sylvestre, Vice-président des opérations de Kinross en Afrique de l'Ouest, a maintenu que le gouvernement mauritanien n'avait jamais été impliqué dans des cas de détournement de fonds relatifs aux opérations locales de Kinross.


Préoccupations Concernant les Prix de Transfert et l'Optimisation Fiscale
Les défenseurs de la transparence ont soulevé des préoccupations concernant les pratiques financières de Kinross, particulièrement en ce qui concerne les problèmes potentiels de prix de transfert. Selon Publiez Ce Que Vous Payez, une coalition internationale promouvant la transparence dans les industries extractives, les entreprises minières effectuent souvent des transactions par l'intermédiaire de filiales sœurs à des prix qu'elles établissent ensemble, ce qui pourrait permettre le transfert de bénéfices ou l'inflation des coûts
Ces allégations suggèrent un schéma de transactions financières qui pourrait potentiellement réduire le revenu imposable en Mauritanie. L'organisation a appelé le gouvernement mauritanien à exercer une plus grande vigilance concernant la collecte des revenus miniers grâce à des pratiques de gestion plus transparentes et responsables.


Relations de Travail et Impact Communautaire

 
Réductions d'Effectifs et Conflits de Travail
Les pratiques de travail de Kinross Tasiast ont attiré l'attention, particulièrement en ce qui concerne les réductions d'effectifs. En 2013, l'entreprise a abandonné un projet d'expansion qui aurait créé plus de 3 500 nouveaux emplois selon les rapports. Cette décision a coïncidé avec des licenciements importants, plus de 600 employés ayant perdu leur emploi sur une période de deux ans. L'entreprise a annoncé une série supplémentaire d'environ 250 licenciements en octobre 2015. Kinross a justifié ces réductions d'effectifs en citant les coûts opérationnels, bien que des critiques aient remis en question cette explication étant donné la position financière de l'entreprise pendant les périodes où les prix de l'or étaient considérablement plus élevés.
L'entreprise a également fait face à des allégations concernant la santé et la sécurité des travailleurs. En 2011, Kinross a fermement nié les affirmations selon lesquelles des employés auraient été contaminés par des plombs de chasse, Malainine Ould Tomi, assistant du responsable des relations extérieures chez Kinross-Tasiast Mauritanie, déclarant : "Il n'y a rien qui prouve que des employés de Kinross-Tasiast ont été contaminés par des plombs de chasse". L'entreprise a souligné son engagement à être un partenaire de développement socio-économique pour la Mauritanie.


Développement Communautaire et Représentation Gouvernementale
Dans le cadre de l'accord de 2021 avec le gouvernement mauritanien, Kinross a accepté la nomination de deux observateurs gouvernementaux au conseil d'administration de Tasiast Mauritanie Limited SA, la filiale qui exploite la mine de Tasiast.
En termes d'engagement communautaire, Kinross Tasiast a entrepris diverses initiatives pour maintenir des relations avec les communautés locales. En avril 2023, la mine a accueilli une délégation de 17 journalistes mauritaniens et représentants des médias pour un aperçu des opérations minières et des discussions sur les résultats de l'année précédente et les activités à venir.. Ces efforts d'engagement semblent conçus pour accroître la transparence et construire des relations positives avec les médias locaux et les communautés.



Aspects atypiques du contrat entre la Mauritanie et Kinross Tasiast 


L'accord entre Kinross Tasiast et la République Islamique de Mauritanie contient plusieurs dispositions qui ont suscité des controverses importantes depuis son instauration. L'analyse des différentes versions du contrat, notamment la Convention Minière initiale et ses amendements successifs, dont celui de 2021, révèle des clauses particulièrement problématiques qui méritent une attention approfondie. Ces termes controversés touchent principalement aux régimes fiscal et financier, à la gouvernance, aux conditions environnementales et aux obligations sociales.


Régime Fiscal Préférentiel et Dispositions Financières


Exemptions Fiscales sur les Carburants


L'exemption fiscale sur les carburants constitue l'un des avantages les plus contestables accordés à Kinross. Dans un contexte où les opérations minières consomment d'importantes quantités de diesel pour l'alimentation des générateurs et des équipements lourds, cette exemption représente un manque à gagner substantiel pour l'État mauritanien. L'accord de 2021 a maintenu cette disposition malgré les critiques des observateurs internationaux qui y voient une subvention implicite favorisant une entreprise étrangère déjà profitable. C’est effectivement un manque à gagner significatif pour le trésor mauritanien, particulièrement dans un contexte où les finances publiques du pays sont déjà sous pression.


Structure de Redevances Sous-optimale

Le taux de redevance révisé dans l'accord de 2021 augmente de 3% à 4,5%, avec une clause permettant une hausse à 6,5% si le prix de l'or dépasse 1 800 dollars l'once. Bien que cela puisse sembler bénéfique pour la Mauritanie, deux aspects sont remarquables : premièrement, Kinross a "volontairement" proposé cette augmentation plutôt qu'elle ne soit imposée par l'État; deuxièmement, même le taux majoré reste inférieur aux 5% appliqués au Ghana, où Kinross exploite également des mines, tandis que d'autres pays africains producteurs d'or appliquent des taux progressifs pouvant atteindre 8-10% dans les périodes de prix élevés.
 Cette disparité suggère que la Mauritanie pourrait être soumise à des termes contractuels moins favorables que d'autres pays comparables.

Mécanisme de Calcul des Redevances:  réduction e la base imposable.


La méthode de calcul des redevances soulève également des questions. Le contrat permettrait à Kinross de déduire certains coûts de traitement et de raffinage avant l'application du taux de redevance, réduisant ainsi la base imposable. De plus, l'absence de contrôle indépendant sur les teneurs en or déclarées et les prix de vente effectifs a généré des suspicions de sous-déclaration potentielle, comme l'a suggéré l'audit gouvernemental mentionné dans les analyses précédentes.


Paiements Bidirectionnels Inhabituel


L'arrangement financier de 2021 prévoyant le remboursement par le gouvernement de 40 millions de dollars en crédits de TVA impayés à Kinross, tandis que Kinross versait simultanément 10 millions de dollars au gouvernement pour "résoudre des questions litigieuses", est critiquable pour son manque de transparence. L'absence d'explications détaillées sur les "questions litigieuses" que ces 10 millions étaient censés résoudre alimente les spéculations sur la nature véritable de cet échange.


Limitations de Gouvernance et de Contrôle

 
Statut des Représentants Gouvernementaux


La nomination de représentants gouvernementaux comme simples "observateurs" au conseil d'administration de la filiale mauritanienne de Kinross, sans droit de vote, constitue une limitation significative du contrôle étatique. Cette disposition contraste avec les pratiques émergentes dans le secteur minier africain, où plusieurs pays exigent désormais une participation gouvernementale active dans la gouvernance des projets miniers stratégiques. Cette limitation réduit  l'efficacité du contrôle que peut exercer le gouvernement mauritanien sur les opérations d'une ressource nationale stratégique.

Absence de Mécanismes de Vérification Indépendante


Le contrat ne prévoit pas de mécanismes robustes permettant une vérification indépendante des déclarations de production, des coûts opérationnels ou des prix de vente déclarés par Kinross. Cette lacune crée un risque de déclarations inexactes qui pourraient réduire les revenus gouvernementaux, comme suggéré par les écarts entre les prix de vente déclarés et les prix du marché identifiés lors d'audits ultérieurs.


Clauses de Stabilité Étendues
Les clauses de stabilité incluses dans le contrat protègent Kinross contre les modifications législatives ou réglementaires qui pourraient affecter négativement sa rentabilité. Ces dispositions, tout en offrant une prévisibilité juridique à l'investisseur, limitent considérablement la souveraineté de l'État mauritanien et sa capacité à adapter son cadre réglementaire aux évolutions des standards internationaux ou aux besoins nationaux.


Pratiques Financières et Commerciales

 
Mécanismes de Prix de Transfert

L'un des aspects les plus controversés concerne les allégations de pratiques de prix de transfert permettant potentiellement de réduire l'assiette fiscale en Mauritanie. Selon les analyses précédentes, Kinross commercialiserait une partie significative de sa production via des entités affiliées situées dans des juridictions à faible imposition, comme la Suisse, créant ainsi des opportunités de déplacer les bénéfices hors de Mauritanie. Selon Publiez Ce Que Vous Payez, il arrive des services facturés sont utilisés ailleurs. « Très souvent surfacturés alors que le produit ou la machine était soit recyclé soit simplement utilisé ailleurs dans un autre pays pour le coût, ils sont chargés sur la Mauritanie, et déduits des revenus en Mauritanie". Ces pratiques, si elles étaient avérées, diminueraient significativement les bénéfices imposables générés par l'exploitation minière.


Contrats d'Approvisionnement et de Services
Les termes régissant l'attribution des contrats de sous-traitance et de services sont critiquables. L'exemple de Maurilog, une entreprise locale prétendument liée à des responsables gouvernementaux qui aurait obtenu des contrats malgré des offres moins compétitives. Cette entreprise mauritanienne, prétendument non enregistrée au moment de l'appel d'offres et dirigée par un ancien responsable gouvernemental proche du pouvoir, aurait remporté un contrat logistique majeur malgré une proposition 12% plus coûteuse que ses concurrents. Cette situation soulève des questions sur l'équité et la transparence des processus d'approvisionnement.


Paiements aux Agents Publics
La pratique contractuelle permettant à Kinross de payer directement des agents publics, comme les douaniers et policiers affectés à la sécurité du site, crée une dépendance financière problématique. Cette disposition brouille la séparation nécessaire entre les intérêts privés de l'entreprise et les fonctions régaliennes de l'État, posant des questions éthiques et de gouvernance et crée des conflits d'intérêts potentiels et brouille la séparation nécessaire entre les intérêts publics et privés.
Obligations Sociales et Environnementales


Définition Vague des Obligations Environnementales
Le contrat a été critiqué pour le caractère imprécis de ses dispositions environnementales, notamment concernant la gestion des résidus miniers et la réhabilitation du site après exploitation. L'absence d'exigences quantifiables et de mécanismes clairs de responsabilité en cas de dommages environnementaux constitue une faiblesse significative.


Engagements de Formation et d'Emploi Local
Bien que le contrat contienne des dispositions sur l'emploi et la formation des travailleurs mauritaniens, les critiques pointent l'absence d'objectifs contraignants et de mécanismes de sanction en cas de non-respect. Les disparités salariales importantes entre expatriés et nationaux occupant des postes similaires ont également été identifiées comme problématiques.
Fonds de Développement Communautaire
Les contributions au développement communautaire, bien que présentes dans le contrat, soulèvent des questions quant à leur gouvernance et leur impact réel. La gestion de ces fonds manquerait de transparence et d'implication des communautés bénéficiaires dans la prise de décision, limitant ainsi leur efficacité.



Mécanismes de Résolution des Différends

 
Arbitrage International
Le recours exclusif à l'arbitrage international pour résoudre les litiges constitue une disposition controversée. Cette clause prive les tribunaux mauritaniens de juridiction sur des questions touchant aux ressources naturelles nationales et peut désavantager l'État en raison des coûts élevés associés aux procédures d'arbitrage international.


Loi Applicable
Le choix d'un droit étranger ou hybride (combinant droit mauritanien et principes internationaux) comme loi applicable au contrat a également été critiqué comme portant atteinte à la souveraineté juridique nationale et créant une incertitude interprétative potentielle.

En definitive, l'examen des opérations de Kinross Tasiast en Mauritanie révèle une image complexe d'une opération minière majeure qui a connu des défis significatifs depuis son acquisition en 2010. L'entreprise a mis en œuvre diverses améliorations opérationnelles et initiatives de durabilité, y compris le développement d'énergies renouvelables et des programmes d'engagement communautaire. Cependant, ces développements positifs doivent être considérés parallèlement à de sérieuses allégations d'inconduite financière, d'incidents environnementaux et de conflits de travail.


Des difficultés opérationnelles, depuis la dépréciation substantielle de la valeur de la mine peu après l'acquisition jusqu'aux défis continus avec les coûts de production et l'efficacité. Bien que Kinross ait progressé dans la résolution de certains de ces problèmes grâce au projet d'expansion 24k et aux initiatives de durabilité, des questions demeurent sur les pratiques financières de l'entreprise, particulièrement concernant les préoccupations potentielles de prix de transfert et  de leur transparence.


Les enquêtes de la Securities and Exchange Commission des États-Unis sur les allégations de paiements inappropriés mettent en évidence l'examen réglementaire auquel l'opération a été confrontée. Bien que les représentants de l'entreprise aient nié tout acte répréhensible, la persistance de ces allégations suggère un besoin de plus grande transparence dans les pratiques financières et opérationnelles de Kinross Tasiast. Le récent accord avec le gouvernement mauritanien, y compris l'augmentation des taux de redevance et la représentation gouvernementale au conseil d'administration de la filiale, peut représenter des étapes vers la résolution de certaines de ces préoccupations de gouvernance, mais reste à améliorer.


À l'avenir, la surveillance continue par les autorités réglementaires, les organisations de la société civile et le gouvernement mauritanien sera essentielle pour garantir que les opérations de Kinross Tasiast apportent des avantages économiques appropriés à la Mauritanie tout en adhérant aux normes de responsabilité environnementale et sociale. Les allégations et incidents justifient une vigilance continue et potentiellement des mécanismes de gouvernance plus robustes pour répondre aux préoccupations concernant les pratiques financières et la gestion environnementale de cette importante opération minière

Les termes les plus controversés du contrat entre Kinross Tasiast et le gouvernement mauritanien reflètent un déséquilibre de pouvoir de négociation typique des accords miniers conclus dans les années 2000 en Afrique. 

L'accumulation de dispositions favorables à l'investisseur en matière fiscale, de gouvernance, d'environnement et de résolution des différends soulève des questions légitimes sur l'équité de l'accord et sa capacité à générer des bénéfices optimaux pour la Mauritanie.


L'amendement de 2021, bien qu'il ait apporté certaines améliorations comme l'augmentation du taux de redevance, n'a pas fondamentalement modifié la structure déséquilibrée du contrat initial. D’où la nécessité d'une réforme plus profonde des régimes contractuels miniers en Mauritanie.

Kinross Tasiast volerait-t-elle donc la Mauritanie ? 

Si l’on s’en tient au principe de souveraineté des Etats, la Mauritanie ne serait victime que de la « turpitude » de ses gouvernants pas de Kinross Taziast, qui comme toute multinationale cherche à optimiser  ses bénéfices et gérer ses intérêts. Nul en droit ne peut en fait se prévaloir de sa propre turpitude (fameux adage du « Nemo auditur…). 

Cependant, si l’on s’en tient aux dispositions contractuelles critiquables et au déséquilibre contractuel, la Mauritanie est lésée et devrait réajuster ses engagements contractuels avec Tasiast, pour préserver les intérêts du pays dans la gestion des ressources minières.
Le principe "Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude" (en latin "Nemo auditur propriam turpitudinem allegans") est applicable dans les relations commerciales entre  États et  multinationales, notamment dans le contexte du droit international des investissements. On le retrouve dans l'arbitrage  international des investissements  sous la maxime “ who comes into equity must come with clean hands”("qui entre dans le capital social - ou fonds propres des propriétaires pour les sociétés privées- doit avoir les mains propres)  est significatif et pourrait servir à dénoncer le contrat avec Kinross-Tasiast, ou tout au moins l'équilibrer.

Il s’agit donc moins de vol que d’un rapport de force dans lequel la Mauritanie est pénalisée par la faiblesse de ses institutions, de ses compétences, de la corruption de ses gouvernants, de leur manque de  responsabilité environnementale et sociale et de l’absence d’une vision nationale, concertée et démocratique de la défense des intérêts  de la Nation. Et sur ce point, "Nemo  auditur..."

Pr ELY Mustapha

dimanche 2 mars 2025

Clash Trump-Zelensky et droit diplomatique et consulaire. Par Pr ELY Mustapha

 « La courtoisie ne coûte rien, mais achète tout » (Proverbe ukrainien)

Le clash entre Trump et Zelensky soulève plusieurs questions importantes concernant le droit diplomatique et consulaire, codifié principalement dans la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 et la Convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963. Ces conventions établissent un cadre juridique pour les relations diplomatiques entre États souverains et visent à faciliter le développement de relations amicales entre les nations.

L'un des principes fondamentaux du droit diplomatique est l'immunité accordée aux diplomates. L'article 29 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques stipule que les agents diplomatiques ne peuvent être soumis à aucune forme d'arrestation ou de détention. Le traitement hostile de Zelensky par Trump dans le Bureau ovale pourrait être considéré comme une violation de ce principe, même s'il ne constitue pas nécessairement une infraction légale
De plus, l'article 22 de la Convention établit l'inviolabilité des locaux de la mission diplomatique. Bien que l'incident ne se soit pas produit dans une ambassade, le principe d'inviolabilité souligne l'importance du respect et de la protection accordés aux représentants diplomatiques.

L'article 3 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques définit les fonctions d'une mission diplomatique, qui comprennent la représentation de l'État accréditant, la protection des intérêts de cet État et de ses ressortissants, et la négociation avec le gouvernement de l'État accréditaire. Le comportement de Trump envers Zelensky pourrait être interprété comme entravant ces fonctions diplomatiques.
De même, l'article 5 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires énumère les fonctions consulaires, notamment la protection des intérêts de l'État d'envoi et l'assistance à ses ressortissants. L'approche de Trump pourrait être perçue comme compromettant ces fonctions.

L'article 40 de la Convention sur les relations consulaires stipule que "L'État de résidence traite les fonctionnaires consulaires avec le respect qui leur est dû et prend toutes mesures appropriées pour empêcher toute atteinte à leur personne, leur liberté et leur dignité". L'attitude agressive de Trump envers Zelensky pourrait être considérée comme une violation de ce principe

Implications pour les relations internationales

Cet incident met en lumière la tension entre la realpolitik et les principes du droit diplomatique. Il soulève des questions sur la manière dont les dirigeants interagissent sur la scène internationale et sur le respect des normes diplomatiques établies.
Le comportement de Trump pourrait potentiellement affecter la confiance dans les institutions internationales et les pratiques diplomatiques établies. Il rappelle l'importance de maintenir des normes de conduite diplomatique, même dans des situations de conflit, pour préserver l'ordre international fondé sur des règles.
Ne constituant pas nécessairement une violation directe du droit diplomatique, ce clash soulève des questions importantes sur l'interprétation et l'application des principes diplomatiques dans le monde moderne. Il met en évidence la nécessité de réaffirmer l'importance du respect mutuel et de la courtoisie dans les relations internationales, principes fondamentaux du droit diplomatique et consulaire par définition, le traitement des chefs d'État étrangers.
Ce comportement a donc été problématique à plusieurs égards :

-  La Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 établit des normes de respect mutuel entre représentants d'États. Le fait de de "crier" sur un chef d'État étranger et de l’invectiver dans le Bureau ovale va à l'encontre de ces principes de courtoisie diplomatique.

-  L'article 29 de la Convention de Vienne stipule que la personne de l'agent diplomatique est inviolable. Bien que Zelensky ne soit pas un diplomate au sens strict, en tant que chef d'État, il bénéficie d'une protection similaire. Le traitement hostile qu'il a subi pourrait être interprété comme une atteinte à sa dignité.

-  Les pressions exercées sur Zelensky pour qu'il négocie avec la Russie selon des termes spécifiques pourraient être considérées comme une ingérence dans les affaires intérieures de l'Ukraine, ce qui est contraire aux principes du droit international.

Un “bullying" qui ne dit pas son nom.

Bien que le terme "bullying" ne soit pas un concept juridique précis en droit international, le comportement décrit présente des caractéristiques qui s'apparentent à effectivement à de l'intimidation ou du harcèlement :

-  Utilisation d'une position de pouvoir pour exercer une pression indue

-  Comportement agressif et hostile

-  Tentative de coercition pour obtenir un résultat spécifique

Ces éléments correspondent aux définitions courantes du bullying.

La notion de contrepartie représente un élément central dans l'analyse du bullying, constituant souvent la motivation sous-jacente aux comportements d'intimidation. Cette dimension mérite une attention particulière car elle permet de distinguer entre négociation légitime, inhérente à la diplomatie, et coercition abusive relevant du bullying. La récente confrontation entre Trump et Zelensky, notamment concernant des allégations de demandes relatives aux terres rares ukrainiennes, offre un cas d'étude révélateur des problématiques éthiques et juridiques soulevées par de telles pratiques.

Si l'on compare cette situation à d'autres cas historiques, on peut établir un parallèle avec les pressions exercées par des puissances coloniales pour l'accès aux ressources naturelles de territoires plus faibles. Plus récemment, on peut évoquer les accusations portées contre la Chine concernant sa "diplomatie du piège de la dette" en Afrique, où des prêts considérables seraient accordés en échange d'accès privilégiés aux ressources naturelles. Ces cas partagent une caractéristique commune avec la situation Ukraine-États-Unis : l'asymétrie de pouvoir entre les parties et l'utilisation de leviers de pression (aide militaire, prêts financiers) pour obtenir des avantages économiques.

La particularité du cas ukrainien réside dans le contexte de vulnérabilité extrême du pays, engagé dans un conflit existentiel avec la Russie et donc vitalement dépendant du soutien américain. Cette dépendance crée une situation où le refus de la contrepartie demandée pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour la sécurité nationale ukrainienne, renforçant considérablement le caractère coercitif de la demande. De plus, la forme même de la demande, présentée non comme une proposition de partenariat économique normal mais comme une exigence formulée dans un contexte d'intimidation verbale, accentue sa nature problématique du point de vue du droit diplomatique.

La communauté internationale dispose de plusieurs moyens pour réagir à ce type de comportement :

  •  Condamnation diplomatique : Les autres pays et organisations internationales peuvent exprimer leur désapprobation par des déclarations officielles.
  •  Résolutions de l'ONU : L'Assemblée générale ou le Conseil de sécurité pourraient adopter des résolutions condamnant ce type de comportement.
  •  Médiation : Des pays tiers ou des organisations internationales pourraient proposer leur médiation pour apaiser les tensions.
  •  Renforcement des normes : La communauté internationale pourrait travailler à renforcer les normes de conduite diplomatique.
  •  Soutien à l'Ukraine : Les autres pays pourraient accroître leur soutien diplomatique et matériel à l'Ukraine pour contrebalancer la pression américaine.

La communauté internationale a un rôle important à jouer pour condamner et décourager de telles pratiques, afin de préserver l'intégrité des relations internationales basées sur le respect mutuel et la courtoisie diplomatique.

Quelle stratégie pour les pays africains ?

Cet incident souligne l'importance pour ces les pays africains et les pays en développement de repenser leurs stratégies diplomatiques et de sécurité afin de naviguer dans un environnement international de plus en plus complexe et imprévisible.
Une stratégie clé pour ces pays serait de diversifier leurs alliances et leurs partenariats internationaux. En s'appuyant trop lourdement sur une seule grande puissance, comme les États-Unis, les pays en développement se rendent vulnérables aux caprices de la politique étrangère de cette nation. Par exemple, imaginons un pays africain hypothétique, le Zambezi, qui a traditionnellement compté sur l'aide militaire et économique américaine. Suite à l'incident Trump-Zelensky, le Zambezi pourrait décider de renforcer ses liens avec l'Union européenne, la Chine et l'Inde, tout en développant des alliances régionales plus solides avec ses voisins africains. Cette approche multidirectionnelle permettrait au Zambezi de maintenir une position plus équilibrée et résiliente sur la scène internationale.
Une autre stratégie cruciale serait de renforcer l'autonomie nationale et régionale. Les pays africains et en développement pourraient investir davantage dans leurs propres capacités de défense et de sécurité, ainsi que dans le développement d'industries stratégiques. Prenons l'exemple fictif du Sahelia, un pays d'Afrique de l'Ouest qui, inspiré par les événements récents, décide de lancer un ambitieux programme de modernisation de son armée et de développement de son industrie technologique. En collaborant avec des pays voisins et en attirant des investissements ciblés, le Sahelia pourrait réduire sa dépendance aux importations d'armes et de technologies, renforçant ainsi sa position stratégique.

La diplomatie multilatérale offre également une voie prometteuse pour les pays en développement. En s'engageant plus activement dans les forums internationaux comme l'ONU, ces nations peuvent faire entendre leur voix et influencer les décisions mondiales. Imaginons un scénario où un groupe de pays africains, menés par le Nigeria et le Kenya, forme une coalition pour pousser à la réforme du Conseil de sécurité de l'ONU.

Cette initiative pourrait viser à obtenir une représentation permanente pour l'Afrique, changeant ainsi la dynamique des relations internationales et donnant aux nations africaines un poids accru dans les affaires mondiales.
La médiation et la résolution des conflits représentent un autre domaine où les pays africains et en développement peuvent jouer un rôle crucial. En se positionnant comme médiateurs neutres dans les conflits internationaux, ces pays peuvent accroître leur influence diplomatique. Un exemple hypothétique serait celui de l'Éthiopie prenant l'initiative de médier un conflit complexe au Moyen-Orient, en s'appuyant sur son expérience de gestion des tensions régionales en Afrique de l'Est. Cette démarche pourrait non seulement contribuer à la paix mondiale, mais aussi renforcer le statut de l'Éthiopie en tant qu'acteur diplomatique majeur.

Enfin, le renforcement de la coopération Sud-Sud offre de nombreuses opportunités. Les pays en développement peuvent partager leurs expériences, leurs technologies et leurs meilleures pratiques pour relever des défis communs. Imaginons un partenariat innovant entre le Brésil, l'Inde et plusieurs pays africains pour développer des solutions agricoles durables adaptées aux climats tropicaux. Ce type de collaboration pourrait non seulement améliorer la sécurité alimentaire dans ces régions, mais aussi créer de nouveaux modèles de coopération internationale qui ne dépendent pas des grandes puissances traditionnelles.
En adoptant ces stratégies multidimensionnelles, les pays africains et en développement peuvent aspirer à une plus grande autonomie et à une influence accrue sur la scène internationale. Bien que les défis restent nombreux, ces approches offrent des voies prometteuses pour naviguer dans les eaux troubles de la géopolitique mondiale, tout en poursuivant leurs propres intérêts et objectifs de développement.

           Pr ELY Mustapha

samedi 1 mars 2025

Confrontation Trump-Zelensky : rien ne sera plus comme avant dans les relations internationales. Par Pr ELY Mustapha

 Le 28 février 2025, ce qui devait être une rencontre diplomatique ordinaire entre le président américain Donald Trump et son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky s'est transformée en un affrontement public sans précédent qui a secoué la scène internationale. Cet événement extraordinaire, diffusé en direct à la télévision mondiale, a non seulement révélé la profonde fracture dans les relations américano-ukrainiennes, mais a également catalysé une reconfiguration potentielle des équilibres géopolitiques mondiaux. L'analyse de cet incident diplomatique majeur permet de comprendre comment une simple réunion bilatérale a pu avoir des répercussions systémiques sur la perception des relations internationales contemporaines.

La rencontre à la Maison Blanche était initialement prévue pour aboutir à la signature d'un accord-cadre sur l'exploitation des ressources minières stratégiques de l'Ukraine. Cet accord devait donner aux États-Unis un accès privilégié aux minerais ukrainiens en compensation de l'aide militaire et financière fournie depuis le début de l'invasion russe en 2022. Cependant, ce qui devait être une démonstration de coopération s'est rapidement transformé en un échange d'une hostilité rarement vue dans l'enceinte du Bureau ovale.

La confrontation Trump-Zelensky a provoqué une onde de choc diplomatique mondiale, avec des réactions fortement contrastées selon les acteurs.

Les dirigeants européens ont rapidement formé un front uni de soutien à l'Ukraine. Le Premier ministre polonais Donald Tusk a immédiatement assuré Zelensky qu'il n'était "pas seul". Le président français Emmanuel Macron a rappelé qu'il y avait "un agresseur qui est la Russie, il y a un peuple agressé qui est l'Ukraine", appelant à "respecter ceux qui depuis le début se battent". Le chancelier allemand Olaf Scholz a affirmé que "l'Ukraine peut compter sur l'Allemagne et sur l'Europe", tandis que le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez a déclaré : "Ukraine, l'Espagne est avec toi".

Ces réactions unanimes témoignent d'une solidarité européenne réaffirmée, mais également d'une inquiétude profonde face à l'évolution de la politique américaine. La cheffe de la diplomatie de l'Union européenne, Kaja Kallas, a même ouvertement remis en question le leadership américain en déclarant : "Aujourd'hui, il est devenu clair que le monde libre a besoin d'un nouveau leader". Cette déclaration sans précédent marque potentiellement un tournant dans les relations transatlantiques.

Transformation des perceptions des Relations Internationales

Cette confrontation spectaculaire a profondément modifié la perception des relations internationales contemporaines sous plusieurs aspects fondamentaux.

La Remise en question du leadership américain

L'incident de la Maison Blanche a considérablement ébranlé la perception du leadership américain dans le monde occidental. La brutalité de l'échange et l'ultimatum lancé à un pays en guerre défendant son territoire contre une invasion ont choqué les observateurs internationaux et les alliés traditionnels des États-Unis. La déclaration de Kaja Kallas sur la nécessité d'un "nouveau leader pour le monde libre" représente une remise en question frontale sans précédent du leadership américain par un haut responsable européen.

Cette érosion de confiance envers Washington s'inscrit dans un contexte plus large marqué par une série de décisions unilatérales de l'administration Trump, notamment l'organisation de pourparlers avec la Russie sur l'Ukraine sans impliquer Kiev ou les alliés européens. Pour de nombreux analystes, cet incident marque potentiellement un point d'inflexion dans l'hégémonie américaine sur l'ordre international libéral d'après-guerre froide.

La rencontre a mis en lumière une conception profondément transactionnelle des relations internationales portée par l'administration Trump. L'insistance répétée sur la "reconnaissance" due aux États-Unis pour leur aide, le lien explicite entre l'exploitation des ressources minières ukrainiennes et le soutien américain, ainsi que l'approche du conflit russo-ukrainien comme une négociation commerciale témoignent d'une vision des relations internationales fondée sur des rapports de force et des échanges de services plutôt que sur des principes ou des valeurs partagées.

Cette vision contraste nettement avec l'approche traditionnelle occidentale basée sur des alliances fondées sur des valeurs communes, comme la démocratie et l'état de droit. Le fossé qui s'est révélé entre cette conception transactionnelle américaine et l'approche plus normative européenne pourrait annoncer une reconfiguration profonde du fonctionnement des relations internationales occidentales.

Fragilisation du multilatéralisme

L'organisation de pourparlers russo-américains en Arabie saoudite sans la participation de l'Ukraine ou des Européens, suivie de cette confrontation publique, signale un affaiblissement significatif des approches multilatérales de résolution des conflits. La tendance à privilégier les rapports de force bilatéraux plutôt que les cadres multilatéraux établis, soulève des questions fondamentales sur l'avenir du système international fondé sur des règles et des institutions communes.

Cette érosion du multilatéralisme intervient à un moment où de nombreux défis mondiaux, du changement climatique aux pandémies en passant par la régulation du numérique, nécessitent précisément plus de coopération internationale structurée. L'incident Trump-Zelensky participe ainsi d'une tendance plus large qui pourrait transformer durablement la gouvernance mondiale.

Au-delà des effets immédiats sur les relations américano-ukrainiennes, cette confrontation pourrait accélérer plusieurs tendances de fond dans la recomposition géopolitique mondiale.

L'incident a renforcé la conviction de nombreux dirigeants européens que l'Europe doit développer sa propre capacité d'action autonome sur la scène internationale. La déclaration de Kaja Kallas sur la nécessité pour les Européens de "relever ce défi" du leadership mondial souligne cette prise de conscience. Les appels à une mobilisation européenne accrue en faveur de l'Ukraine, comme celui de la Première ministre italienne Giorgia Meloni pour un "sommet" entre les États-Unis, l'Europe et leurs alliés sur l'Ukraine, témoignent également de cette volonté d'initiative européenne.

Ce mouvement vers une plus grande autonomie stratégique européenne pourrait accélérer les projets de défense commune et de politique étrangère plus intégrée au sein de l'Union européenne, redéfinissant à terme l'équilibre transatlantique et la nature même de l'OTAN.

La proximité affichée entre Trump et Poutine, combinée à la confrontation avec Zelensky, suggère une reconfiguration potentielle des alignements géopolitiques traditionnels. L'apparent rapprochement américano-russe aux dépens de l'Ukraine et des alliés traditionnels des États-Unis pourrait annoncer une redéfinition des blocs d'influence dans le monde post-guerre froide.

Cette évolution intervient dans un contexte où d'autres puissances, notamment la Chine (bien que non mentionnée dans les sources disponibles), observent attentivement ces développements et pourraient ajuster leurs propres stratégies en conséquence. La fragmentation apparente du front occidental face à la Russie offre des opportunités d'influence et de positionnement pour d'autres acteurs mondiaux.

Criminalisation de la Politique Internationale

Un aspect frappant de cette confrontation est l'utilisation d'un vocabulaire éminemment moral et accusatoire. Zelensky qualifie Poutine de "tueur", Trump accuse Zelensky d'être "irrespectueux" et de "jouer avec la Troisième Guerre mondiale". Cette criminalisation du discours politique international, où l'adversaire est dépeint comme moralement condamnable plutôt que comme un acteur poursuivant rationnellement ses intérêts, marque une évolution préoccupante du langage diplomatique.

Cette tendance à la criminalisation morale rend plus difficiles les compromis et les résolutions pacifiques des conflits, puisqu'elle transforme les désaccords politiques en confrontations entre le bien et le mal. L'incident Trump-Zelensky illustre comment cette rhétorique peut rapidement dégénérer en rupture de communication.

 

La confrontation Trump-Zelensky du 28 février 2025 constitue un moment charnière dans l'évolution des relations internationales contemporaines. Par sa brutalité et sa publicité, elle a mis à nu des dynamiques sous-jacentes qui transforment progressivement l'ordre mondial établi après la Guerre froide. L'érosion de la confiance dans le leadership américain, la montée des conceptions transactionnelles des relations internationales, l'affaiblissement du multilatéralisme et l'émergence de nouvelles dynamiques régionales dessinent les contours d'un système international en pleine mutation.

Pour l'Ukraine, les conséquences immédiates sont potentiellement graves, avec la menace d'un affaiblissement du soutien américain crucial à sa défense. Pour l'Europe, cet incident constitue à la fois un défi et une opportunité d'affirmer un rôle plus autonome sur la scène mondiale. Pour la Russie, il représente une victoire diplomatique inespérée. Et pour l'ordre international dans son ensemble, il révèle les fragilités d'un système de gouvernance mondiale fondé sur des règles et des institutions communes face à la résurgence des rapports de force bruts.

L'histoire retiendra probablement cette confrontation comme l'un de ces moments où la trame des relations internationales se transforme visiblement, non pas tant par les bouleversements qu'elle provoque directement que par les tendances profondes qu'elle révèle et accélère. Dans un monde en quête de nouveaux équilibres, l'incident Trump-Zelensky pourrait bien être perçu rétrospectivement comme l'un des signes annonciateurs d'une reconfiguration majeure de l'ordre international du XXIe siècle.

Pr ELY Mustapha

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Poésie de la douleur.