Attention au Trésor public
Nous avions montré ici même à quel point les finances publiques mauritaniennes étaient fragiles. Une fragilité qu'elles tiennent d'une cause exogène, notamment la forte dépendance du financement extérieur et des revenus de ressources naturelles épuisables (voir "Finances publiques de la dépendance); mais aussi d'une cause endogène, la mauvaise gestion, la dilapidation et les détournements de fonds publics (voir: Les symboles de la gabegie).
Cette situation s'aggrave aussi lors des passages d'un régime à l'autre et durant ces périodes de « transition » au cours desquelles ceux qui détiennent le pouvoir se servent du Trésor public en toute impunité, sachant qu'ils n'auront en fin de compte à rendre compte à personne.
Et lorsque les malversations, détournements et autres atteintes aux finances publiques sont révélés, ils ne seront plus là pour en rendre compte et souvent ils se couvrent du voile des pouvoirs exceptionnels ou des « exigences » d'une transition.
Qui peut dire combien la dernière transition a coûté au peuple mauritanien ? Des milliards d’ouguiyas pris à un peuple en souffrance pour lui instaurer une démocratie, qui aujourd’hui part en fumée à cause d’un général en mal de pouvoir.
Quelle facture, en milliards laissera encore cette nouvelle transition, pour ce peuple miséreux ? Comment faire pour que le trésor public pris en otage par cette transition, ne soit vidé pour des intérêts d’hégémonie, hypothéquant définitivement le développement d’un pays soumis aux pires sanctions économiques et financières internationales ? Quels coûts fera encore supporter à la collectivité nationale cette "nouvelle" transition?
I- Les leçons du passé récent : le gap financier et les malversations de la transition du 3 août 2005
Lors de son discours de politique générale devant le parlement, Zine ould Zeidane, premier ministre du premier gouvernement de Sidioca, avait révélé que la transition commencée le 3 Août 2005 avait laissé derrière-elle un déficit budgétaire de 30 milliards d’ouguiyas. Soulevant ainsi un tollé général.
Pourtant, le Premier ministre de la Transition Mohamed Ould Boubacar avait affirmé à la fin de ladite transition que les caisses du Trésor étaient pleines.
La polémique qui s’en suivit n’a jamais été résolue et l’Etat en a certainement fait les frais.
Comme d’ailleurs l’Etat a fait les frais des millions de dollars non épongés de la dette mauritanienne du fait des chiffres falsifiés par des responsables mauritaniens et qui furent couverts par la transition en les nommant à des postes-clefs (banque centrale, ministères des finances et ministère de l’économie). A cette grande mascarade qui a couté des millions de dollars au peuple mauritanien, nous avions consacré un article : la mafia financière mauritanienne.
Tout comme se fut les bonifications et les avances sur les contrats des concessions pétrolières qui, durant la dernière transition, ont révélé la corruption, les malversations de ministres du pétrole, avec les scandales répercutés jusque dans les médias internationaux et qui ont certainement coûté des milliards à l’économie mauritanienne.
D’autre part, durant la transition, les manipulations sur les revenus du compte pétrolier ont abouti à la disparition de millions de dollars . En effet, dans un article récent que l’on a consacré à la question, l’on a pu déceler une différence de plus de 35 millions de dollars (voir notre article : Au fonds des choses…) Montant qui a l’examen du rapport 2006 du Conseil des hydrocarbure serait d’ailleurs beaucoup plus important.
C’est en effet, durant cette transition, où les gens sont préoccupés par le devenir du pays sur le plan politique, que les autorités publiques mettent à mal les finances publiques. Les regards étant tournés ailleurs, le champ des malversations et autres détournements se fait au nom de la transition et autres actes qui lui sont accessoires.
Qu’en sera-t-il de la « nouvelle » transition?
En effet, le décor est le même. Ce sont toujours les mêmes militaires, c’est toujours la même administration dirigée par des personnes nommées pour leur servilité et leur soumission à la volonté de ceux qui les nomment. Quelle sera pour le peuple la facture du nouveau coup d’Etat ?
II- La « transition » du 6 août 2008 en cours : quelle facture laissera-t-elle ?
Déjà que le pays est immobilisé depuis le 6 Août dernier, l’évaluation d’une telle léthargie est difficile à faire. Des administrations dormantes des fonctionnaires payés et en léthargie et des centaines de dossiers administratifs en instance. Une économie en arrêt.
La seconde des factures est bien plus qu’évidente.
En effet, le putsch de Ould AbdelAziz a balayé d’un trait tout l’apport des 19 mois de la transition qui à coup de milliards a permis d’aboutir à un régime démocratique, aujourd’hui bafoué.
Combien ces 19 mois de transition, aujourd’hui stérilisée, ont coûté au trésor public ?
Des gouvernements entiers payés, des comités de concertation aux structures d’organisation des élections, et mille autres dépenses somptuaires présidentielles et ministérielles, tous les moyens de l’Etat ont été mis en œuvre pendant ces 19 mois de transition pour du vent.
Et que reste-t-il de tout cela pour le pauvre peuple ?
Ce qu’il y a à craindre aujourd’hui, c’est que cette seconde transition ne monopolise le trésor public pour arriver à ses fins. On a déjà un avant-goût des dépenses de voyages pour des émissaires du Haut Conseil d’Etat tous azimuts, tous frais payés sur le dos d’un contribuable dont on a confisqué les institutions démocratiques par la force.
Mais ce qui est apparent est moins important que ce qui ne l’est pas. Et ce qui ne l’est pas ce sont tous ces ministres et autres responsables qui savent qu’ils sont en transition et qui gèrent les ressources publiques. Qui demain leur demandera de rendre compte ? Non seulement ils ne seront plus à leurs postes mais en plus, ils seront couvert par la transition.
Alors, durant cette transition les préoccupations ne sont pas celles de la bonne gestion, ni même de la surveillance des gestionnaires, tous les dépassements sont permis.
Les ministres se sachant provisoires, sachant que leur mission est toute tendue vers les objectifs du HCE, se préoccupent peu des moyens financiers qu’ils ont pourvus qu’ils justifient qu’ils ont apporté quelque chose pour la justification ou la reconnaissance du « coup d’Etat ».
Et l’ardoise en sera d’autant plus importante que les initiateurs du coup d’Etat ne ménageront rien sur le terrain de leur reconnaissance. Et il est certain que le Trésor public en fera les frais.
III- Les mesures urgentes à prendre : protéger le Trésor public
Tous ceux qui dénoncent le coup d’Etat que cela soit des personnes physiques ou des organisations politiques, civiles ou syndicales, ont oublié un pan important de la dénonciation à savoir dénoncer la prise en otage du trésor public.
En effet, les putschistes disposent aujourd’hui des ressources publiques, qu’ils peuvent utiliser comme bon leur semble. Et ce n’est ni le trésorier général de Mauritanie, ni le gouverneur de la Banque Centrale, ni le ministre des finances qui pourront s’ y opposer. Ils sont au service des autorités en place et leur « bonne conscience » est confortée par le fait qu’ils sont couverts par les autorités de la transition.
Ainsi ce que doivent demander immédiatement ceux qui constituent un front pour la défense de la démocratie et la dénonciation du coup d’Etat, c’est une commission internationale financière pour la surveillance des opérations réalisées sur le compte du Trésor public, et sur le compte des hydrocarbures. Cette commission de surveillance devra siéger de façon permanente, déterminer les ordonnateurs publics des différents budgets inscrits dans la loi de finances, les ordonnateurs publics inscrits de tous les projets inscrits au Budget consolidé d’investissement (BCI) qui regroupe les financement internes et externes de ces projets et réaliser un contrôle sur les ordonnancements et les mandatements des dépenses publiques durant la période en cours. Enfin, effectuer un audit permettant de fixer les responsabilités en fin de gestion.
Si une telle commission n’est pas instituée, il ya de fortes chances que les finances publiques de l’Etat soient mises au service d’un coup d’Etat et de ses objectifs avec ce que cela comporte comme conséquences sur la dilapidation des biens publics et l’impunité de ceux qui les dilapideront.
L’urgence d’une telle surveillance du Trésor public est telle que face à la suppression de l’aide publique européenne, à la suspension du financement de la Banque mondiale, de la rupture de l’aide américaine, le Trésor public sera dans la pire des situations. Situations que risquent d’aggraver sérieusement les autorités issues du putsch militaire.
Et depuis bien longtemps dans la gestion des finances publiques mauritaniennes, la bonne foi ne se présume plus.
Pr ELY Mustapha