L'épine dorsale du dispositif mauritanien de gestion des flux migratoires est la Direction de la Surveillance du Territoire (DST). Cette institution, placée sous l'autorité du Ministère de l'Intérieur, est investie d'un large éventail de responsabilités qui englobent l'ensemble du spectre de la gestion migratoire. Ses compétences s'étendent de l'immigration et l'émigration à la surveillance des frontières terrestres, aériennes, fluviales et maritimes, en passant par la police des étrangers, la délivrance des passeports, des visas et titres de voyage. La DST joue également un rôle central dans la coordination des activités des services de Police en matière de migration, la recherche et la répression des réseaux de passeurs, ainsi que la gestion des centres d'accueil pour les migrants irréguliers. Cette concentration de pouvoirs fait de la DST l'interlocuteur principal pour toutes les questions relatives à la mobilité transfrontalière en Mauritanie.
Le cadre juridique mauritanien en matière d'immigration demeure, quant à lui, en partie obsolète, ne reflétant pas toujours les réalités migratoires contemporaines ni les engagements internationaux du pays.
La loi n° 2010.021 détaille les dispositions pénales des infractions annexes au trafic illicite de migrants, telles que la fabrication de faux documents ou la fraude à l'identité, et prévoit des circonstances aggravantes dans certains cas spécifiques. Cependant, ce cadre juridique présente d'importantes lacunes, notamment en ce qui concerne le statut des demandeurs d'asile, la protection des réfugiés et la gestion des flux migratoires mixtes. Un projet de loi relatif à l'entrée et au séjour des étrangers et au droit d'asile est actuellement à l'étude, visant à moderniser le dispositif législatif mauritanien et à l'aligner sur les standards internationaux.
Campagnes de régularisation des migrants en situation irrégulière.
Dans la pratique administrative, la Mauritanie a lancé des campagnes de régularisation pour permettre aux migrants en situation irrégulière d'obtenir un titre de séjour légal. Une telle initiative a été mise en œuvre en 2022, bien que les statistiques officielles concernant le nombre de demandes déposées et de permis accordés n'aient pas été rendues publiques. Plus récemment, des mesures spécifiques ont été adoptées en faveur des ressortissants maliens, illustrant une approche différenciée selon la nationalité des migrants. Ces mesures incluent notamment l'exonération des frais de carte de séjour pour les Maliens, la création d'un cadre de concertation permanent entre l'ambassade du Mali et les autorités mauritaniennes, et l'intensification de l'accompagnement diplomatique pour faciliter leur régularisation.
L'Intensification récente des accords migratoires
Face à l'augmentation significative des arrivées de migrants aux îles Canaries depuis les côtes ouest-africaines, l'Union européenne et particulièrement l'Espagne ont intensifié leurs efforts diplomatiques pour impliquer la Mauritanie dans la gestion des flux migratoires. Le 7 mars 2024, l'UE et la Mauritanie ont signé à Nouakchott une déclaration de partenariat sur la migration irrégulière, par laquelle Mauritanie devrait recevoir 210 millions d'euros pour réduire le nombre de migrants transitant par son territoire vers les îles Canaries. Ce partenariat s'inscrit dans le cadre plus large du programme européen "Global Gateway" et couvre cinq domaines spécifiques en matière migratoire : les opportunités socio-économiques pour les jeunes, l'asile, la migration légale, la migration irrégulière (incluant le trafic de migrants, la traite des êtres humains, les retours et réadmissions), et la gestion et le contrôle des frontières.
Cette initiative européenne intervient dans un contexte où la route atlantique vers les îles Canaries est devenue l'une des plus fréquentées pour rejoindre l'Europe. Entre le 1er janvier et le 15 mars 2024, 12 393 migrants ont débarqué sur l'archipel espagnol, contre seulement 2 178 pour la même période en 2023, et plus de 80% des embarcations les transportant sont parties de Mauritanie ou ont transité par ses eaux territoriales. Ces chiffres alarmants expliquent l'urgence avec laquelle l'UE s'est tournée vers la Mauritanie, suite notamment à des désaccords avec la Tunisie et le Niger, deux pays sur lesquels elle avait partiellement fondé sa stratégie de contrôle des flux migratoires en provenance d'Afrique.
Parallèlement aux initiatives européennes, l'Espagne a renforcé ses relations bilatérales avec la Mauritanie en matière de gestion migratoire. Le 27 août 2024, l'Espagne a signé avec la Mauritanie un "mémorandum d'entente" sur la "migration circulaire", établissant un cadre concerté d'entrée régulière sur le sol espagnol pour des travailleurs mauritaniens formés en fonction des besoins de l'économie espagnole, avec une attention particulière accordée aux jeunes et aux femmes. Ce type d'accord vise à créer des alternatives légales à la migration irrégulière tout en répondant aux besoins du marché du travail espagnol, notamment dans le secteur agricole où la demande de main-d'œuvre saisonnière est importante.
En complément de cet accord sur la migration circulaire, l'Espagne et la Mauritanie ont également signé une "déclaration d'intention" ouvrant la voie à une collaboration renforcée contre la criminalité organisée, principalement axée sur la lutte contre le trafic d'êtres humains. Cette coopération sécuritaire se traduit concrètement par un soutien technique et logistique aux garde-côtes mauritaniens, notamment à travers la surveillance aérienne assurée par la "Guardia Civil" espagnole le long des côtes mauritaniennes. Ces mesures témoignent d'une approche de plus en plus externalisée de la gestion des frontières européennes, où les pays de transit comme la Mauritanie sont incités, par des moyens financiers et diplomatiques, à jouer un rôle de premier plan dans le contrôle des flux migratoires.
Les Relations avec les Pays Voisins du Sahel
Accords de libre circulation et gestion des frontières partagées
La position géographique de la Mauritanie, à l'interface entre le Maghreb et l'Afrique subsaharienne, a historiquement façonné ses relations avec ses voisins immédiats, particulièrement le Mali et le Sénégal. Des accords de mobilité de longue date structurent ces relations transfrontalières, les accords de circulation avec le Sénégal remontant à 1972 et ceux avec le Mali à 1963. Ces arrangements bilatéraux témoignent d'une tradition de perméabilité relative des frontières dans la région, favorisant les échanges commerciaux et les migrations économiques circulaires. Dans une démarche de facilitation des mouvements transfrontaliers, la Mauritanie a significativement augmenté le nombre de points d'entrée officiels sur son territoire, passant de 50 à 81, avec une majorité spécifiquement réservée aux ressortissants des pays voisins comme le Mali, le Sénégal et la Guinée.
Cependant, malgré ces dispositifs favorisant théoriquement la mobilité régionale, on observe un faible taux de régularisation administrative parmi les migrants en provenance des pays limitrophes. Selon les chiffres officiels, sur 130 000 arrivées enregistrées en 2024, seuls 7 000 migrants ont sollicité un renouvellement de leur titre de séjour, laissant environ 123 000 personnes en situation administrative précaire. Ce déséquilibre souligne les limites pratiques des accords de libre circulation et suggère l'existence d'obstacles administratifs, financiers ou informationnels qui entravent l'accès des migrants aux procédures de régularisation. Cette situation de précarité administrative place de nombreux migrants dans une position de vulnérabilité face aux contrôles d'identité et aux opérations d'expulsion.
La Gestion des réfugiés maliens et les défis humanitaires
L'instabilité politique et sécuritaire persistante au Mali a provoqué d'importants déplacements de population vers la Mauritanie voisine, transformant le pays en un important territoire d'accueil pour les réfugiés. Le Plan de Réponse et de Résilience pour les Réfugiés Maliens en Mauritanie 2025 (P3R Mauritanie) a été élaboré pour répondre aux besoins spécifiques de cette population vulnérable et des communautés d'accueil dans la région du Hodh Chargui. Selon les projections, environ 318 000 réfugiés maliens sont attendus en Mauritanie d'ici fin 2025, exerçant une pression considérable sur les ressources et les services dans cette région déjà économiquement fragile.
Face à cette situation, les récentes mesures d'exemption des frais de carte de séjour pour les Maliens et l'établissement d'un cadre de concertation permanent entre l'ambassade du Mali et les autorités mauritaniennes représentent des avancées significatives. Ces initiatives visent à faciliter l'intégration administrative des réfugiés maliens et à prévenir les retours forcés vers un pays toujours en proie à l'insécurité. Cependant, la mise en œuvre effective de ces mesures se heurte à des défis logistiques et administratifs considérables, notamment dans les zones frontalières éloignées où l'accès aux services publics demeure limité. Par ailleurs, la distinction entre migrants économiques et réfugiés n'est pas toujours clairement établie dans la pratique administrative mauritanienne, ce qui peut affecter l'accès aux protections spécifiques garanties aux personnes fuyant des persécutions ou des conflits.
Les pratiques d'arrestation et d'expulsion controversées
De nombreuses organisations de défense des droits humains ont documenté des pratiques préoccupantes dans la gestion des migrants irréguliers en Mauritanie. Amnesty International a rapporté des cas d'arrestations arbitraires où des migrants ont été appréhendés dans la rue ou à leur domicile et accusés, apparemment sans preuve tangible, d'avoir l'intention de rejoindre l'Espagne irrégulièrement. Ces arrestations sont d'autant plus problématiques que le fait de quitter le territoire mauritanien de manière irrégulière ne constitue pas une infraction au regard de la législation nationale, comme l'ont reconnu certains responsables de la Sûreté nationale et le procureur de Nouadhibou. Cette contradiction entre les pratiques et le cadre légal soulève d'importantes questions sur la base juridique des opérations de contrôle migratoire.
Plus récemment, en mars 2025, plusieurs associations mauritaniennes de défense des droits humains ont exprimé leur inquiétude face à une vaste campagne de contrôle ciblant les étrangers, particulièrement les ressortissants des pays d'Afrique subsaharienne. L'Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), l'Association mauritanienne pour la citoyenneté et le développement (AMCD) et le mouvement Citoyens et citoyennes debout (CCD) ont dénoncé dans un communiqué conjoint les opérations d'arrestation et d'expulsion forcée qui ont touché des centaines de migrants. Selon ces organisations, certains migrants ont été soumis à un traitement "inhumain", privés de droits fondamentaux tels que l'alimentation et la protection juridique, avant d'être expulsés via les postes frontaliers de Rosso et de Gougui.
Conditions de détention et procédures d'éloignement
Les conditions dans lesquelles sont détenus les migrants avant leur éloignement du territoire mauritanien suscitent également de vives préoccupations. Des témoignages recueillis par Amnesty International au centre de rétention de Nouadhibou indiquent que plusieurs migrants ont été brutalisés ou insultés au moment de leur arrestation par les forces de sécurité. La plupart ont été dépouillés de certains de leurs biens, et plusieurs ont vu leurs documents d'identité confisqués ou déchirés lors de leur interpellation, les plaçant ainsi dans une situation de plus grande vulnérabilité. Le Comité pour la protection des droits des travailleurs migrants s'est également inquiété des cas d'incarcération de migrants irréguliers avec des prisonniers de droit commun, en violation des textes en vigueur en Mauritanie.
Les procédures d'éloignement sont souvent caractérisées par leur caractère expéditif et l'absence de garanties juridiques adéquates. Les arrestations sont fréquemment suivies de manière quasi automatique par des renvois à la frontière, sans possibilité de recours effectif devant un organe judiciaire. Dans certains cas, des quartiers où réside une majorité de migrants se seraient vidés en raison d'expulsions massives, parfois sans que les personnes concernées puissent emporter leurs biens. Des cas particulièrement alarmants d'individus abandonnés à la frontière du désert Mali-Mauritanie ont également été documentés. Ces pratiques soulèvent d'importantes questions quant au respect par la Mauritanie de ses obligations internationales en matière de droits humains, notamment celles découlant de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.
Évolutions Récentes et Perspectives
L'Impact des accords avec l'ue sur les pratiques mauritaniennes
La signature du partenariat entre l'Union européenne et la Mauritanie en mars 2024 a eu des répercussions tangibles sur les pratiques mauritaniennes en matière de gestion migratoire. Dans les mois qui ont suivi, on a observé une intensification des campagnes policières et des opérations de renvoi, ainsi qu'une augmentation des patrouilles des garde-côtes le long du littoral mauritanien. Cette évolution témoigne de l'influence des priorités européennes sur les politiques migratoires de la Mauritanie, qui se traduit par un renforcement des mesures de contrôle et de répression à l'égard des migrants irréguliers. Cependant, face aux critiques concernant cette approche principalement sécuritaire, le porte-parole du gouvernement mauritanien, a fermement rejeté l'idée que son pays agirait comme le "gardien" des frontières européennes. Il a souligné le caractère "unique" de la politique migratoire mauritanienne et mis en avant l'importante population de réfugiés que le pays accueille.
L'efficacité de cette approche restrictive reste néanmoins questionnable. Comme le souligne l'analyse publiée par le Conseil européen sur les réfugiés et les exilés (ECRE), en l'absence de voies légales proportionnées à l'ampleur des arrivées, les mouvements non autorisés se poursuivront probablement, avec pour principale conséquence une augmentation des prix pratiqués par les passeurs en réponse au renforcement des dispositifs de surveillance. Par ailleurs, le programme de migration circulaire récemment annoncé, bien qu'il puisse apporter quelques changements positifs, s'adresse principalement aux ressortissants mauritaniens et ne répond pas aux besoins des nombreux migrants d'autres États d'Afrique de l'Ouest qui constituent la majorité des personnes tentant de rejoindre l'Europe depuis les côtes mauritaniennes.
Les tragédies en mer et l'urgence d'une réponse humanitaire
La route de l'Atlantique, empruntée par des milliers de migrants ces dernières années, notamment suite au renforcement des mesures de contrôle en Méditerranée, s'est révélée particulièrement meurtrière. La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a exprimé sa profonde préoccupation suite au naufrage d'une embarcation transportant environ 300 migrants au large de Nouakchott en juillet 2024, qui a fait plus de 25 morts, dont des enfants et des femmes. Cet incident tragique survient après un autre naufrage le 1er juillet 2024, lors duquel un bateau de pêche traditionnel a coulé au large de la Mauritanie, entraînant la découverte de 89 corps, avec 72 personnes toujours portées disparues. Ces drames humains soulignent les risques extrêmes auxquels sont confrontés les migrants sur cette route maritime, caractérisée par des forts courants et des vents violents qui déstabilisent les embarcations, souvent en mauvais état et surchargées.
Face à cette situation alarmante, plusieurs voix s'élèvent pour demander une réorientation des priorités dans la gestion des flux migratoires, en plaçant les opérations de recherche et de sauvetage au premier plan. Le Dr. Hassan Ould Moctar, dans son rapport pour l'ECRE, recommande notamment à l'UE de faire des opérations de recherche et de sauvetage une priorité absolue et de rappeler à son partenaire mauritanien l'importance du respect des droits de l'homme pour la continuité du partenariat. Il préconise également la création de voies légales pour les non-mauritaniens et une mise en œuvre des projets de développement indépendante des préoccupations liées à la migration. Ces recommandations s'inscrivent dans une vision plus équilibrée de la gestion migratoire, qui reconnaît la nécessité de concilier les impératifs sécuritaires avec le respect de la dignité humaine et des droits fondamentaux des personnes migrantes.
Concilier responsabilités humanitaires et impératifs sécuritaires dans la gestion des flux migratoires.
En définitive, la gestion de l'immigration étrangère par les autorités mauritaniennes s'inscrit dans un contexte complexe, marqué par des pressions multiples et parfois contradictoires. D'un côté, la position géographique du pays et ses liens historiques avec ses voisins sahéliens en font naturellement un espace de transit et d'accueil pour de nombreux migrants et réfugiés. De l'autre, les partenariats récemment conclus avec l'Union européenne et l'Espagne orientent la politique migratoire mauritanienne vers un contrôle accru des frontières et une limitation des flux vers l'Europe. Cette tension entre tradition d'hospitalité et nouvelles exigences sécuritaires se reflète dans le discours officiel, qui insiste sur le caractère "unique" de l'approche mauritanienne tout en renforçant concrètement les dispositifs de surveillance et de contrôle.
Les préoccupations relatives aux droits humains demeurent au cœur des débats sur la politique migratoire mauritanienne. Les pratiques d'arrestation, de détention et d'expulsion documentées par diverses organisations de défense des droits humains appellent à une vigilance accrue et à des réformes substantielles pour garantir le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes migrantes. Par ailleurs, les tragédies récurrentes en mer témoignent de l'urgente nécessité d'une approche plus équilibrée, qui combine la lutte contre les réseaux de trafic de migrants avec le développement de voies de migration légales et sûres, ainsi que le renforcement des capacités de recherche et de sauvetage.
À l'avenir, le défi pour la Mauritanie consistera à développer une politique migratoire qui réponde simultanément à ses propres intérêts nationaux, à ses engagements internationaux en matière de droits humains, et aux attentes de ses partenaires européens. Cette politique devra nécessairement s'inscrire dans une approche régionale coordonnée, impliquant l'ensemble des pays d'origine, de transit et de destination, et mettant l'accent sur le développement socio-économique comme moyen de traiter les causes profondes de la migration irrégulière. Ce n'est qu'à travers une telle approche holistique que la Mauritanie pourra véritablement concilier ses responsabilités humanitaires avec ses impératifs sécuritaires dans la gestion des flux migratoires.
Pr ELY Mustapha