Les télécoms en Mauritanie ou comment on confisque le développement.
Chinguitel, vient de se lancer sur le marché du mobile mauritanien. Les medias nationaux en ont fait l’événement et l’on fait croire au pauvre peuple que c’est une bonne chose. Et les arguments développés ne manquent pas, au mépris du bon sens en sacrifiant au calcul économique irréfléchi.
Les arguments officiels et officieux ? Les voici :
La « concurrence dans le secteur de télécommunications contribuera dans le succès des politiques de gouvernement concernant l'accès universel aux services de base, modernisation administrative, pauvreté et l'allégement d'emploi aussi bien que l'accès de facilité aux régions rurales éloignées" dira le ministre chargé de ce secteur.
Arguments globalement, contestables et singulièrement, fallacieux. Ces arguments tournent tous autour de la « concurrence dans le secteur de télécommunications » qui va donc contribuer au succès des politques du gouvernement, et cela dans les secteurs :
- De l’accès universel aux services de base
- De la modernisation de l’administration
- De la pauvreté
- De l’emploi
- De l’accès aux régions rurales
- De la modernisation de l’administration
- De la pauvreté
- De l’emploi
- De l’accès aux régions rurales
Outre qu’il est défendu d’en rire, on comprend bien qu’on vient de faire de la « concurrence dans le secteur des télécoms »un vecteur du développement.
Cela est-il défendable pour la Mauritanie ?
Evidemment , on connait depuis longtemps le rôle clef que peuvent jouer les télécommunications dans le décloisonnement des structures économiques, dans la circulation de l’information et dans la prise de décision. L’infrastructure des télécommunication est outil de développement certain.
Toutefois, le développement à outrance de l’outil de communication accaparé par des investisseurs ayant pour seul souci le profit dans un pays parmi les plus pauvres du monde pose certainement des questions quant à son apport pour le dévelpppement. Un pays dont le revenu annuel par tête d’habitant est l’un des plus bas au monde peut-il se permettre de developper une telle infrastructure téléphonique (trois licences !) pour un pays qui compte moins de trois millions d’habitants ?
Une telle stratégie trouverait sa place dans une économie émergente ou en croissance, réelle, continue dans laquelle le niveau de vie des populations est elévé ou permettant de supporter les charges financières que le téléphone « individualisé » fait supporter aux individus et aux ménages. Mais cela ne peut être en Mauritanie ou les compagnies du téléphone pénalisent un développement embryonnaire par la confiscation des ressources du pays.
Une confiscation des ressources qui met à mal le développement d’un pays dans lequel la détention d’un GSM est devenue plus importante qu’une assurance maladie. Un pays qui fait partie du groupe des PMA (Pays les Moins Avancés) dont le Produit National Brut par habitant est faible, soit environ 420$ en 2000,. Et dont un peu moins de la moitié de sa population(46,3%) vivait en 2000 en dessous du seuil de pauvreté.
Que cherchent ces compagnies dans un pays à faible niveau de développement humain ? En effet, Selon les données du rapport mondial sur le Développement Humain publié par le PNUD en 2004, l’Indice de Développement Humain (IDH) de la Mauritanie s’établit à 0,465, ce qui correspond au 152è rang, sur les 177 pays classés par le rapport.
Suivant le dernier rapport du Groupe des Nations-unies pour le développement, « L’analyse de l’évolution de la Mauritanie au cours des quarante années qui ont suivi son indépendance montre que le développement économique et social de ce pays a été contrarié tout au long de la période par quatre contraintes majeures liées entre elles:
(i) Un manque de ressources marqué au niveau de l’Etat et une pauvreté prononcée des ménages engendrés par une insuffisance des ressources intérieures au regard des besoins en services sociaux et par des opportunités de revenus limitées pour les individus.
(ii) Une base productive peu diversifiée qui rend les performances sociales et économiques fragiles aux chocs exogènes.
(iii) Un environnement physique difficile et en détérioration rapide
(iv) Un cadre institutionnel faible et générateur d’une capacité d’absorption limitée qui a notamment entravé l’efficacité des programmes d’aide extérieure.
Qu’apportent les licences GSM à cette situation de non-développement ?
Regardons de près ce que rapportent les "compagnies GSM" en Mauritanie. En deux temps: A qui cela NE profite-t-il pas. Et à qui cela profite-t-il ?
I- La confiscation des ressources du développement :
Valeur ajoutée : Absence de création de capital fixe
Ces compagnies participent de façon systématique à la fuite et réexportation des ressources nationales. En effet, les capitaux amassés par ces sociétés en Mauritanie sont rapatriés en masse. La part consacrée à l’investissement sur le territoire est quasi-nulle. Ces compagnies n’investissent ni dans l’industrie ni dans l’agriculture et ne réalisent même pas un transfert de technologie. Elles créent le besoin, vendent leurs produits et exportent les bénéfices. Nulle part dans les conventions passées avec ces compagnies elle ne sont parties-prenantes d’une participation au développement par le réinvestisssement d’une part de leurs bénéfices sur le territoire national.
Au niveau des ménages : l’endettement
Aujourd’hui, personne ne doute en Mauritanie du poids que prennent les dépenses de communication dans le budget des ménages. Depuis l’installation du premier opérateur GSM en Mauritanie, cette part ne fit que grimper au détriment des dépenses de nécessité impérieuses pour le développement de la famille . L’éducation, la santé, l’assurance . Certaines familles se privent même de dépenses vitales (médicaments) pour l’achat de crédits téléphoniques.
Par la publicité, la manipulation du consommateur à travers les bonus et autres avantages fictifs, ces compagnies ont généré une consommation « négative » et à outrance du téléphone qui n’est plus un outil de communication , à utiliser avec escient, mais un vrai produit de consommation courante autant que les denrées de première nécessité.
Le pays est tombé dans le piège du portable et une part énorme de ses ressources est consacrée à la facture téléphonique prépayée ou post-payée des ménages. Ceux-ci sont tombés dans ce cycle infernal .
Le revenu étant égal à la consommation plus l’épargne (R= C+E), cette épargne s’est considérablement réduite au profit de la consommation. Et quelle consommation ! Une consommation dans laquelle la part des dépenses téléphonique dépasse souvent les 30% du maigre revenu des ménages.
Ce pourcentage peut dramatiquement croître du fait de « l’individualisation » du téléphone. Chaque membre de la famille dispose de son téléphone portable et chaque membre devient un consommateur de crédits téléphoniques entrainant par la même une dépense supplémentaire qui grève le budget familial.
A ce phénomène d’individualisation s’ajoute un facteur de célérité dans la consommation des crédits téléphoniques notamment chez la jeunesse où le téléphone est devenu le moyen privilègié de contact et de relations publiques. La culture mauritanienne développant d'ailleurs une attitude de frime et de "m'as-tu-vu" favorable à l'endettement.
Les compagnies ont donc crée un phénomène d'accoutumance au téléphone mobile qui fait qu’il est devenu une « impérieuse nécessité » engendrant le gaspillage des ressources des ménages.
Inévitable confiscation des resources nationales (endettement des ménages, pénalisation de l’épargne...) dont les autorités publiques n’ont pas (ou ne veulent pas ) en saisir la dimension soit par intérêt (de lobbies) soit par négligeance.
Au niveau des entreprises : le besoin structurel de financement
Les entreprises ne disposent pas suffisamment de moyens d’investissement du fait de la rareté de l’épargne. L’épargne des ménages étant grévée par les dépenses téléphoniques, elle ne bénéficie ni au système financier ni au système économique. Or un système économique sans épargne gérée par le système financier et bancaire servant à financer le crédit à l’économie (entreprises, ménages etc), est voué à l’endettement de l’Etat par le recours au financement extérieur, à l’emprunt et à l’aide extérieur pour apporter son concours à l’économie nationale.
On pourrait penser que les ressources dont disposerait l’Etat au titre des droits, taxes et autres impôts qui lui sont versés par ces compagnies de GSM permettraient de financer le concours à l’Economie or il n’en est rien . Ces ressources sont davantage orientées vers les grands projets qui eux aussi ont confisqué les investissements du développment à moyen terme. Défaillances intsitutionnelles déjà signalée par les organisations internationales du développment : « les défaillances institutionnelles au niveau des capacités de programmation et de gestion de l’économie se trouvent à l’origine des mauvais choix en matière d’investissement opérés dans les années 1970 et au début des années 1980 (projet minier des Guelbs, projets industriels surdimensionnés, etc.) » (United Nation Development group, Rapport 2002 sur la Mauritanie)
II- L’enrichissement étranger au détriment du pays
Mauritel ou le siphonnage de l’économie
Maroc Telecom est depuis 2001 actionnaire à 54% de Mauritel, l’opérateur historique de Mauritanie. Durant le premier trimestre 2007, l’ensemble des activités en Mauritanie ont généré un chiffre d’affaires brut de 290 millions de dirhams (25,887 millions d’euros environ), en hausse de 28,6% sur une base comparable.
L’activité Fixe de Mauritel a réalisé au 1er trimestre 2007 un chiffre d’affaires brut de 80 millions de dirhams (7,14 millions d’euros environ), stable par rapport à 2006, et en croissance de 7,5% sur une base comparable. Au 31 mars 2007, le parc Fixe de Mauritel s’est établi à plus de 39 000 lignes, en hausse de 8,4%.L’activité Mobile de Mauritel a réalisé au 1er trimestre 2007 un chiffre d’affaires brut de 210 millions de dirhams (18,75 millions d’euros environ), en hausse de 30,4% et de 39,1% sur une base comparable. Cette performance a été réalisée principalement grâce à la croissance du parc qui a atteint près de 687 000 clients, en hausse de 39,9% par rapport à 2006.
L’activité Fixe de Mauritel a réalisé au 1er trimestre 2007 un chiffre d’affaires brut de 80 millions de dirhams (7,14 millions d’euros environ), stable par rapport à 2006, et en croissance de 7,5% sur une base comparable. Au 31 mars 2007, le parc Fixe de Mauritel s’est établi à plus de 39 000 lignes, en hausse de 8,4%.L’activité Mobile de Mauritel a réalisé au 1er trimestre 2007 un chiffre d’affaires brut de 210 millions de dirhams (18,75 millions d’euros environ), en hausse de 30,4% et de 39,1% sur une base comparable. Cette performance a été réalisée principalement grâce à la croissance du parc qui a atteint près de 687 000 clients, en hausse de 39,9% par rapport à 2006.
Que représentent les 103,548 millions d’euros (soit 34,537 Milliards d’Ouguiyas) chiffre d’affaire de télécom maroc à travers mauritel ?
Voici des ordres de grandeur :
A travers Mauritel , le Maroc aura engrangé comparé au budget mauritanien 2007 (après loi réctificative) :
- Un peu moins du budget 2007 pour l’aménagement du territoire (35, 8 miliards d’ouguiyas)
- Deux fois le budget accordé au développement rural (soit 12,3 milliards d’ouguiyas)
- et presque deux fois celui consacré aux investissements publics dans le secteur industriel, hors SNIM (soit 13,08 milliards d’ouguiyas)
Si l’on compense les déductions qui seraient faite du chiffre d’affaire pour obtenir le bénéfice net par les taux d’accroissements annuels attendus de ce chiffre d’affaire dont on a pas tenu compte (hausse moyenne de 28,6% ), on comprend l’ampleur de la machine à siphonner (aspirer) l’économie du pays.
Mattel, tout est amorti et gagné d'avance.
Outre son chiffre d’affaire, Tunisie télécom, qui détient 51 % de Mattel, a totalement amorti en 2006 la somme des 28 millions de dollars par lesquels elle a achété GSM Mattel.
Créée en 2000 avec un financement de 60 millions d’euros ; elle compte, à ce jour, 260.000 abonnés, avec un objectif de porter ce chiffre à 300.000 à la fin de 2005, et jusqu’à 500.000 dans les prochaines années. En 2004, MATTEL a réalisé un chiffre d’affaires de 38 millions de dinars tunisiens avec un bénéfice de 2,4 millions de dinars tunisiens ; pour les six premiers mois 2005, la société a fait un chiffre d’affaires de 23 millions de dinars tunisiens, et un résultat projeté de 5 millions de dinars tunisiens(webmanagercenter).
En 2005 Mattel permis à Tunisie Télécom d’engrager un chiffre d’affaire de 4,394 milliards d’ouguiyas, pour les six premiers mois, soit en six mois l’équivalent de 60% du chiffre d’affaire annuel une année plus tôt ! C’est autant dire la progression fulgurante des chiffres d’affaires des sociétés de télécom. Si on on estime forfaitairement ce chiffre d’affaire pour toute l’année 2005 , il atteindrait les 10 milliards d’ouguiyas. Mais il est certain vu la prospérité du secteur que les chiffres d’affaires se situent bien au-delà de ces montants !
Mais d’ores et déjà rien que pour Mauritel et Mattel, on a déjà une idéee des ressources financières que ces sociétés sortent du pays au profit d’autres capitaux et d’autres économies pénalisant ainsi de façon structurelle le développement du pays .
En effet, la question se pose de savoir que rapportent pour le développement économique ces millions de téléphones mobiles en Mauritanie? Si l’on conçoit que toute économie nécessite des voies de communication (géographique ,hertziennes ou radio) il n’en demeure pas moins important de considérer que c’est là un vaste champ de gaspillage de ressources nationales à l’échelle interne (endettement des ménages et des entreprises , inexistance d’épargne, absence de financement de l’économie par des ressources internes ...) et d’enrichissement à outrance de compagnies étrangères et d’accumulation de capitaux à travers des services télécoms servis à outrance (exportation de devises par mille et un canaux, absence d’investissement sur le territoire national et mise en dépendance d’une économie fragile).
Et voilà que dans cette mise en hypothèque des ressources nationales au titre du GSM surgit un troisième opérateur qui s’enrichira, exportera nos ressources financières et contribuera à laisser un pays exangue.
III- Que faut-il faire avant que le pays ne soit démunis de ses moyens ?
Il est urgent que des mesures soient prises allant dans le sens:
- De l’information publique et de la sensibilisation du citoyen sur l’importance pour ses ressources et celles du pays d’une rationalisation de l’usage du téléphone
- De la négociation d’un accord cadre avec les compagnies du téléphone et l’Etat pour consacrer une part de leurs bénéfices à l’investisssement dans les secteurs prioritaires nationaux. Cet accord pouvant fixer les avantages à accorder s’il y alieu.
- De la mise en place d’un protocole financier obligeant les opérateurs du téléphone à conserver dans les institutions bancaires et financières nationales d’une part de leurs bénéfices sous formes de dépôts (rémunérés ou non) permettant à ces institutions de financer l’économie nationale.
- D’un contrôle rigoureux des taux de change appliqués à ces opérateurs lors du rapatriement d’une part de leurs bénéfices et du pourcentage de ces bénéfices pouvant être annuellement rapatriés.
Sans ces mesures basiques les opérateurs téléphoniques vont siphonner (aspirer) l’économie nationale de ses ressources monétaires et financières et participeront à confisquer le développement d’un pays qui a besoin de toutes ses ressources pour ...survivre.
Mais enfin où sont les décideurs ? Non pas ceux qui négocient leurs avantages mais ceux décidés à protéger les intérêts de leur pays pour qu’il ne soit pas vendu...pour un coup de téléphone.
Pr ELY Mustapha
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A lire : Dans un ouvrage récent intitulé « Telecommunications dependency : The African Saga (1850-1980). Alternative Communications Inc., 1986. » Jacques Habib Sy démontrait la gravité de la dépendance des pays africains des multinationales qui accaparent leurs réseaux de télécommunication. Un ouvrage à lire en voici le résumé :
« Using a multidisciplinary approach this book's major contention is twofold: 1) Telecommunications technology has been used in colonial times as a way to keep Africa in the framework of the unequal international division of labour. ln the post-colonial period, telecommunications technology has been used by multinational corporations to control the African telecommunications market and to strengthen their economic activities through the creation and maintenance of outward-oriented national networks ; 2) The underdevelopment of Sub-Saharan African countries in matters of telecommunications technology use and manufacture are rooted in the decisive impact of the telecommunications planning strategies and methods implemented in Africa by the African states. “
« Using a multidisciplinary approach this book's major contention is twofold: 1) Telecommunications technology has been used in colonial times as a way to keep Africa in the framework of the unequal international division of labour. ln the post-colonial period, telecommunications technology has been used by multinational corporations to control the African telecommunications market and to strengthen their economic activities through the creation and maintenance of outward-oriented national networks ; 2) The underdevelopment of Sub-Saharan African countries in matters of telecommunications technology use and manufacture are rooted in the decisive impact of the telecommunications planning strategies and methods implemented in Africa by the African states. “
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