La bulle et l’abcès
En République démocratique du Congo, la guérilla du CNDP dans le Nord Kivu vient de se terminer, la paix semble revenir à petits pas. Les frères d’armes se reposent, les guérilléros rejoignent les FARDC, l’armée régulière, et les villageois regagnent leurs villages. Le Congo panse ses blessures et le pays semble plonger tout à coup dans une nouvelle dimension où l’immensité de ce pays comparée aux années perdues en guerres, donne la mesure et l’importance de l’espace-temps dans le développement des nations.
Lorsque l’on rencontre ceux qui reviennent de ces contrées où la mort et la désolation furent pendant des dizaines d’années le quotidien de millions de personnes, l’on ne peut que se surprendre à penser que si des pays avaient pu vivre de telles atrocités et qu’ils arrivent à en sortir, l’espoir est alors permis que les crises qu’elle que soit leur intensité ne sont pas sans solution.
La crise mauritanienne en est une. Mais à la différence de la crise congolaise, où la violence tout azimut a fait exploser toute la haine contenue, toute la frustration accumulée durant des années par des populations entières, la crise mauritanienne, elle, ressemble à un abcès qui a défaut d’être crevé et vidé pour le salut du pays est entretenu à travers les manipulations d’une classe militaro-politique qui s’est greffée sur un corps social trahi par ses intellectuels, vendu par ses politiciens affaibli par son tribalisme et miné par son fatalisme. En somme, l’abcès se développe et nul doute qu’à défaut de crever, le corps qui le porte n’en est que plus malade.
Les congolais ont dans l’atrocité vidé leur abcès, ils sont passés par les périodes les plus cruelles de leur histoire. Aujourd’hui, des familles entières se cherchent à travers le pays, les fosses communes se déterrent encore, les conséquences sociales, économiques et psychologiques sur les populations restent incalculables. Plus de 60 millions d’habitants, comprenant 450 ethnies, parlant des centaines de dialectes vivant sur le troisième territoire le plus vaste d’Afrique, voilà l’enjeu d’un pays à gérer dans une perspective post conflictuelle.
Avec une poignée de tribus et d’ethnies et moins de 4 millions d’habitants , la Mauritanie n a pas la complexité socio-ethnique du Congo, ni son immensité , ni ses richesses entrainant l’envie et l’accaparation mais elle est entrée dans une phase dangereuse de son évolution sociopolitique. Une phase qui ressemble étrangement à ce calme précaire qui précède la tempête. Un pays sous une chape de plomb au bord de l’asphyxie sociale, économique et politique.
Les congolais ont vécu cela durant une trentaine d’année sous Mobutu et à la sortie d’une telle période, ils ont comme les mauritaniens après Taya essayé de réapprendre la démocratie et de regarder leur avenir mais contrairement aux Mauritaniens, ils ont tiré de l’atrocité qu’ils ont vécue une crainte profonde de retomber dans le passé et lorsque de nouvelles rebellions se sont déclarées aux frontières du pays, ils ont décidé d’aplanir leur difficultés en recourant au dialogue et aux concessions. C’est avec cette volonté qu’ils viennent de signer la paix avec toutes les composantes politico-militaires qui ont déposé les armes dans un cadre constitutionnel de réconciliation nationale.
Si le Congo a pu arriver malgré la gravité, la profondeur et la complexité de sa crise à la résoudre, pourquoi n’en serait-il pas de même en Mauritanie ?
-
La réponse on ne peut la trouver que dans la disparité qui existe entre les expériences. Non pas politiques mais dans le vécu du citoyen. Au Congo, le citoyen congolais a réellement vécu la crise de l’Etat, des institutions, il a été au centre d’une véritable catastrophe sociale et humanitaire. Des millions de morts, des déplacés , des atrocités quotidiennes lui ont renvoyé l’image de son désespoir. Un désespoir dans lequel il n’a eu aucun soutien. Car son premier soutien, l’Etat en était l’auteur. Durant des années se sont succédés, dans les villes et jusque dans la capitale, les mouvements de libérations, les groupes armées, les guérilléros de tout acabits se servant des civils comme chair à canon. A ce climat de terreur armée ou des centaines de factions réglaient leurs comptes, se propageait la misère, les épidémies et les pillages.
Le congolais, meurtri, pillé, violé recherchait désespérément la paix. Toutefois, Il avait à travers les armes épuisé toute sa haine , sa frustration contenue depuis des dizaines d’années face à un Etat qui l’oppressait. Il avait crevé l’abcès.
Au Congo, le citoyen a été au cœur du drame. Il en fut l’objet et le sujet. L’annihilation de l’Etat lui a permis de se retrouver face à lui-même, à découvert dans une insécurité et une précarité telle qu’il a compris qu’il devait s’en sortir en recréant un environnement sociopolitique nécessaire à son existence.
En Mauritanie, la crise de l’Etat n’est pas affaire de citoyen, mais d’élites, de classe, de lobby et de factions. Le citoyen n y est pas associé. L’Etat est géré hors de sa volonté et s’impose à lui. Dans cette situation, par frustration , dégout et impuissance contenus, il n’arrive pas à s’exprimer. Le citoyen ronge son frein. L’Etat tourne et se gère dans un cercle vicieux duquel le citoyen est exclu. Cette bulle politique constitue certainement l’élément le plus dangereux auquel fait face la Mauritanie actuellement. La période démocratique inaugurée en 2007 avait donné à cette bulle une relative transparence, et elle se rétrécissait du fait de la participation du citoyen à la vie démocratique. Une vie démocratique certes naissante mais qui avait sérieusement réduit la dangereuse contestation des institutions étatiques par le citoyen pour s’orienter vers la contestation des politiques entreprises par les décideurs politiques. Les citoyens cherchant alors à crever « la bulle » politique à travers la contestation sociale (telles les manifestations à l’est du pays sous le régime démocratique). C’était la voie sociale dans un système démocratique visant à crever l’abcès politique entretenu par des régimes militaro-politiques depuis une trentaine d’années.
La période démocratique avait donc réellement participé à créer un climat permettant d’aboutir à moyen ou long terme à remettre le citoyen au centre de la vie politique. Le coup d’Etat d'août 2008 est venu mettre un frein à cette expérience et le citoyen encore une énième fois bafoué voit monter un régime de la force, de la dictature qui s’emploie encore à renforcer sa propre bulle politique, à entretenir un abcès qui en devient encore plus grave et dont l’éclatement, eu égard aux tensions que ce coup d’Etat a engendrées depuis plusieurs mois, risque d’entrainer le pays dans un chaos dont nul ne voudrait.
Au Congo, le ras le bol engendré par la dictature persistante de Mobutu n’ayant pu trouver son expression dans un processus démocratique pouvant évacuer les tensions a vu naitre aux quatre coins du pays , une contestation armée qui a ravagé le pays , fait des millions de morts, détruit des communautés entières et dilapidé les ressources nationales. Les leaders des factions militaires incontrôlées avaient décidé de reconquérir le pouvoir à travers des mots d’ordres communs : « chasser la dictature, rendre aux congolais leur dignité, instaurer la démocratie ». On sait cependant que la dérive a été telle que cela ne s’est pas arrêté à crever l’abcès institutionnel mais que cela a durablement marqué le Congolais qui en garde encore de profondes séquelles. Mais aujourd’hui chaque Congolais, ayant subi directement ou indirectement les affres de la guerre sait que c’était inévitablement le lourd prix à payer pour faire valoir son existence face à un régime qui s’est enfermé dans la bulle de ses intérêts à l’exclusion de tous les autres.
Au Congo existe une culture de la tolérance et une religion bien ancrées, pourtant elles n’ont pu servir de barrières aux atrocités et autres actes innommables qui ont secoué l’être et le conscient congolais. Aussi l’expérience congolaise montre que le peuple, tout peuple, peut atteindre de façon imprévisible un point de saturation mu par une mécanique propre dont les effets sont ravageurs.
Cette saturation prenant sa source dans les dizaines d’années de frustration, d’indigence, de négligence qui en s’accumulant n’attendent qu’une étincelle pour se transformer en « coups de machettes » aveugles.
-
Le citoyen mauritanien se sent aujourd’hui pris dans un piège institutionnel dont il ne voit pas l’issue. Un général mégalomane qui s’est accaparé au mépris de tout un peuple du pouvoir et qui entend le gérer à sa façon en s’entourant du miasme intello-militaro-politique dont on bénéficié, à leurs dépens, ses prédécesseurs. De l’autre coté un président élu qui bénéficie du soutien de ceux qui défendent la démocratie et refusent le fait accompli.
Mais jusque-là , la démocratie n’a pas prévalu, le président n a pas retrouvé son siège et le général a mis à genou socialement et économiquement le pays. Pire encore : appliquant sa politique jusque-boutiste il n’hésite plus à s’allier au diable.
Dans cette situation, la démocratie ne se conquiert plus par les mots ni par les discours. Les congolais l’ont compris atrocement. La rigidité d’un système dictatorial ne peut trouver sa solution que dans la confrontation directe.
La confrontation : l’unique expectative?
L’observation de l’évolution des événements montre que si une solution n’est pas rapidement trouvée la confrontation deviendra inévitable. Une confrontation non pas par discours interposés mais sur le terrain.
Aujourd’hui le général limogé sait qu’il est acculé et qu’il est sera forcé de partir. La communauté internationale l’a déjà mis dans son collimateur. Et la seule tête de liste à laquelle , il pourra prétendre est celle des interdits, dressée par l’Union Africaine. De liste électorale, il n’en verra pas la couleur.
Mais pourquoi la confrontation paraît-elle de mise ?
Simplement parce que la Mauritanie fait aujourd’hui face à une junte criminelle qui sans se suffire de ce qu’elle a commis comme dégâts, s’est encore attachée à miner le pays.
Au niveau national, le général limogé et ses acolytes (transfuges parlementaires, intellectuels véreux, politiciens sans scrupules) sont depuis plusieurs mois en train de détruire le pays. Leur activité de sape a renforcé la perversion des mentalités sociales, elle a détruit l’économie, dilapidé les ressources financières de l’Etat et bradé ses ressources naturelles.
La Mauritanie, pays fragile ( voir sur ce blog "La Mauritanie dans 50 ans... ), se présente déjà dans la perpective d'un "Etat en déliquescence" (lire sur ce blog "L' Etat mauritanien est-il en déliquescence?" ).
Le général limogé faisant feu de tout bois, n’a pas hésité à malmener la conscience nationale, en utilisant cyniquement les symboles de la nation et en accaparant sa mémoire. Le dernier acte en date est celui de la spoliation de la mémoire des martyrs militaires mauritaniens lâchement massacrés par ses compagnons d’armes et sur lesquels il ose aujourd’hui aller prononcer une prière dont l’intérêt pour lui est bien moins de reconnaître des crimes d’Etat et de les indemniser que de se jouer de la conscience douloureuse d’un peuple qu’il veut acquérir par les moyens les plus inhumains à sa cause.
Une ruelle au nom du regretté Président Moctar Ould Daddah, qui aurait mérité bien plus d’égards, passe encore, mais faire une « prière des morts » pour assurer sa propre survie, voilà qui est bien spirituel.
On ne peut rechercher à la dignité ici-bas en spoliant les vivants et en invoquant des morts qui réclament encore justice.
La Mauritanie est entrée dans une impasse. Non pas qu’elle ne s y dirigeait pas , mais parce que ce pays est devenu la victime de tous les acteurs politiques confondus. Nationaux et internationaux.
Que Kadhafi soit venu enseigner aux mauritaniens la dénomination nouvelle des mois de l’année, passe encore. Qu’il ait fait fi de leur histoire en y substituant la sienne, passe encore. Qu’il ait tenu des propos révoltants à l’égard des mauritaniens et de leur régime passe encore. Venu d’un putschiste qui s’adresse à un putschiste, cela se comprend. Il ne fit que parler le langage que les putschistes comprennent. Celui de l’obscurantisme et de la force ; et Kadhafi n’était venu que pour s’adresser à Aziz, son co-légionnaire. Le bédouin putschiste parle à son frère d’arme. Rien d’exceptionnel à cela. Et il fallait s y attendre.
Mais ce que personne ne peut désormais ignorer c’est qu’à force d’accumuler tant de frustrations, et tant d’humiliations les laissés-pour-compte finiront par réagir. Et nul ne sait d’où cela viendra. Les congolais vous le diront qui pleurent encore leurs morts parce qu’un dictateur s’accrochant au pouvoir a entrainé, à ses dépens, tout un peuple dans le chaos.
-
En République démocratique du Congo, la guérilla du CNDP dans le Nord Kivu vient de se terminer, la paix semble revenir à petits pas. Les frères d’armes se reposent, les guérilléros rejoignent les FARDC, l’armée régulière, et les villageois regagnent leurs villages. Le Congo panse ses blessures et le pays semble plonger tout-à-coup dans une nouvelle dimension où l’immensité de ce pays comparée aux années perdues en guerres, donne la mesure et l’importance de l’espace-temps dans le développement des nations.
En République Islamique de Mauritanie, la confrontation a déjà commencé, la paix est oubliée et s’éloigne à grands pas. Les frères d’armes accaparent le pays à leur profit, les militaires se servent de l’Etat pour leur pérennité, l’armée régulière est neutralisée par un bataillon de sécurité. La Mauritanie pense à son avenir bafoué et le pays semble plonger tout-à-coup dans une nouvelle dimension où l’immensité de la crise dans laquelle un général l’a jetée , ajoutée à celle de ceux qui l’on précédé, donne la mesure et l’importance de l’espace-temps confisqué sur la voie du développement de la nation.
-
Qui crèvera la bulle, crèvera l'abcès
-
Pr ELY Mustapha