Essai de compréhension de notre structure mentale
A voir les dictateurs défiler au sommet de nos Etats, à voir toutes ces personnes qui ont personnalisé le pouvoir nous gouverner, à voir tous ceux qui autour d’eux applaudissent cette personnalisation, nous nous sommes posés la question : y aurait-il quelque chose de caché en nous qui, inconsciemment, nous détermine à accepter le pouvoir personnifié et à l’exercer quand nous accédons au pouvoir. Qu’est-ce qui fait que des personnes affichant des valeurs démocratiques, se transforment en dictateurs aussitôt arrivées au pouvoir ?
Y a-t-il en nous un déterminisme qui fait que nous sommes des dictateurs potentiels aussitôt un pouvoir quelconque reçu ? Du planton au coursier, du secrétariat au standard, du chef de service au directeur, du secrétaire général au ministre, du ministre au Président de la République, chaque fois qu’un individu parmi nous se voit affecter un pouvoir il a tendance à le personnifier. Du « secrétariat c’est moi », à « l’Etat c’est moi », c’est une même et unique personnification du pouvoir à diverses échelles de l’autorité.
Nous avons donc un comportement mental à l’égard du pouvoir qui fait que nous devenons dictateur quand nous l’exerçons et suppôt du pouvoir quand nous le servons. La constance à travers les régimes qui nous ont gouvernés depuis des décennies, montre bien qu’il s’agit d’un comportement structurel, il est donc certain qu’il est l’œuvre d’une structure mentale établie. Une structure mentale qui face aux situations de pouvoir, nous dicte d’être dictateur quand nous le possédons et suppôts quand nous le servons.
Si l’on considère qu’une structure mentale ne s’acquiert pas en un jour mais qu’elle est le produit d’un ensemble de facteurs qui, sur plusieurs années, forgent les prédispositions de l’individu à acquérir cette structure mentale, il s’agit donc d’un processus qui est déclenché aux différentes étapes du développement mental de l’individu et qui a construit ce mental.
La question est : Quel est ce processus qui a construit cette structure mentale qui dicte notre comportement à l’égard du pouvoir : Etre dictateur, au pouvoir ou Etre suppôt du pouvoir.
Si l’on essaie de déterminer, la constante sur laquelle est construite cette structure mentale force est de remarquer qu’elle tourne autour de « l’être unique ». Notre mental a tendance accepter de façon inconsciente la prédominance de l’être unique ; l’unicité du pouvoir et sa domination est une « évidence » mentale sur laquelle s’est bâti le développement de notre structure mentale dans nos sociétés.
De la foi à la filiation, en passant par la gouvernance, la constante « être unique » a dominé notre vision du monde de l’autorité. Elle a modelé notre conception de l’obéissance (I) et il se doit de trouver une voie de déstructuration de la structure mentale sans laquelle la gouvernance des dictateurs trouvera toujours à s’instaurer (II)
La religion, la famille, le gouvernant tous ont contribué à forger cette notion de « l’être unique ». « Etre unique » hors duquel, et sans lequel, il n’y a point de salut. Un être unique refuge et référence justifiant tous nos actes.
I- L’impact de la structure mentale : la soumission à “l’Etre unique”
1. La religion : Dieu, Etre unique divin
De sa naissance à sa disparition l’individu est attaché à sa foi. Il doit tout à Dieu. Sans Dieu, il n’existe pas. Dieu est unique. Face à Dieu pas de contestation. Face à Dieu on accepte tout. Dieu donne, Dieu reprend. Dieu est unique. La conviction en l’unicité de Dieu est l’un des piliers fondamentaux de la foi. La parole de Dieu est sacrée. On ne fausse pas la parole de Dieu. On ne contredit pas sa parole. Et on fait ce qu’il dit et on rejette ce qu’il interdit.
Dans la foi il n’ y a pas de démocratie, Il n y a pas de libre arbitre. Il y a la parole sainte on y croit et on lui obéît. Toute forme de réfutation, de déformation de la parole de Dieu est une hérésie.
Soumis très tôt dans son éducation religieuse à la notion de l’être unique, en l’obéissance stricte à sa parole, l’individu intègre tout au long de son existence, cette nécessite de l’être unique et le devoir sans faille de lui obéir.
Cette conviction religieuse devant rester confinée dans les rapports spirituels entre le croyant et son Dieu, se voit inconsciemment transposée dans sa conception de la gouvernance ici-bas. Cet amalgame participant à forger la structure mentale va influencer sa perception de la gouvernance et de l’exercice du pouvoir dans l’Etat. Le gouvernant est inconsciemment assimilé à un « être unique » (Voir sur cette question, des développements plus complets dans notre article : de l’obéissance au gouvernant en Islam)
2. Le messager de Dieu : Etre unique humain.
Le messager de Dieu (PSL) est infaillible. Sa parole prend son essence dans la parole divine. Il faut l’écouter et obéir. Accepter ce qu’il accepte, rejeter ce qu’il interdit ; Sa parole est la seconde source de la foi, après la parole divine. On ne conteste pas la parole du prophète(PSL), on la rapporte et on s’y soumet. On n’élève pas sa voix au-dessus de celles des prophètes.
Le croyant doit accepter la parole du prophète(PSL), être unique, dernier des prophètes de Dieu. Contester cela est contraire à la foi.
Cette vision prophétique s’est aussi imprimée à la structure mentale du croyant.
3. Le gouvernant : Etre unique imposé
Sur l’obéissance au gouvernant, la parole de Dieu est sans équivoque. Il faut lui obéir après Dieu et son prophète.
« Ô croyants ! Obéissez à Dieu, obéissez au Prophète et à ceux d'entre vous qui détiennent le pouvoir. En cas de litige entre vous, référez-vous-en à Dieu et au Prophète, si votre croyance en Dieu et au Jugement dernier est sincère. C'est là la démarche la plus sage et la meilleure voie à choisir.” (Sourate Ennisaa verset 4.59)
Le gouvernant prend alors, dans la perception dictée par la structure mentale, le statut « d’être unique » qui revêt alors les attributs de l’autorité.
Cette assimilation reste inconsciente dans l’esprit et latente dans le comportement de l’Individu. Elle se manifeste aussitôt qu’il approche le pouvoir. Il s’assimile alors à « l’être unique », quand il détient le pouvoir ou à son serviteur « indéfectible » quand il y est soumis.
La courtisanerie de nos dictateurs, valorisant aux yeux du détenteur du pouvoir cette notion « d’être unique », entraine la personnification du pouvoir et les dérives despotiques que l’on sait (« pouvoir à vie » « partis uniques », mandats constitutionnels escamotables etc..). Le califat mental transmis au-delà des siècles.
4. Les parents : Etres uniques hérités
L’obéissance sans faille aux père et mère est consacrée dans la religion de façon systématique. On leur doit révérence continuelle. « Le paradis est sous le talon de la mère ».
La beauté d’une telle construction religieuse de l’obéissance à l’égard des parents est sans conteste. Mais ce sont les moyens qu’utilisent les parents, pour obtenir cette obéissance de leurs enfants, qui est répréhensible. Dans notre société l’obéissance s’obtient par le fouet. Les bastonnades et les claques sont les moyens les plus usités pour faire respecter la parole de Dieu. La structure mentale se forme dès le jeune âge autour de l’obéissance par la contrainte, par la peur et par la souffrance. Jamais par le dialogue avec les parents, les concessions réciproques qui fondent le libre-arbitre formateur de la volonté, les discussions et la conviction partagées.
La structure mentale intègre dès l’enfance l’obéissance aveugle aux « Dieux » de la maison (le père et la mère). Elle continuera à développer autour de cette constante de l’Etre unique dont les parents ne sont que le reflet à l’échelle de la famille.
II- Déstructurer la structure : la séparation « mentale » entre l’Etat et le clergé.
Si les développements précédents nous ont appris quelque chose, c’est que la religion n’est pas un espace de démocratie. La structure mentale qu’elle a participé à forger participe inconsciemment à établir une obéissance dogmatique (fondement même de la croyance religieuse) qui est aux antipodes de l’obéissance rationnelle et librement consentie, nécessaire à la démocratie et donc, par la même, à la contestation des gouvernants et leur politique.
Ceci nous amène donc à deux constats : que la structure mentale transposée dans la gestion de l’Etat moderne est un terreau favorable au pouvoir personnifié et à la dictature et qu’elle se doit, pour instaurer une démocratie, de subir une déconnexion du temporel (rapports entre les hommes ici-bas) pour se limiter au spirituel (rapports entre l’homme et Dieu pour l’au-delà.)
La démocratie requiert une éducation du libre arbitre et de la pluralité des choix de destin, que la structure mentale, articulée autour de la constante « Etre unique », ne peut appréhender.
La logique étant différente, les fins le seront aussi. La séparation de l’Etat et de l’Eglise au début du XXème siècle en Europe est une déstructuration institutionnelle du pouvoir pour en isoler le facteur religieux et n’en retenir que le laïc. Mais cette séparation institutionnelle n’est en fait que la conséquence institutionnelle de ce que fut la déstructuration mentale commencée bien auparavant avec les révolutions en Europe. Le guillotinage du roi Louis VI, en 1789, consacrait la désacralisation du gouvernant et sa descente (sur une pique) dans l’arène populaire.
La structure mentale qui intègre la démocratie, n’est pas celle qui s’attache à l’être unique mais aux êtres pluriels qui constituent le peuple. Etres pluriels dont la structure mentale est bâtie autour de l’Etre-citoyen. Citoyen libre de son devenir et du choix de ses gouvernants.
La structure mentale propice à la démocratie ne s’est donc pas bâtie en un jour. Elle s’est d’abord construite sur une déconstruction de l’unicité du temporel (destin terrestre des hommes) et du spirituel (salut divin des hommes) pour aboutir, ensuite, à une structure mentale intégrant une vision de la gouvernance où les gouvernants interchangeables sont les serviteurs d’hommes libres.
Dans nos pays, la déstructuration de la structure mentale, à constante « Etre unique », ne s’est pas encore faite. La démocratie parachutée se heurte à une structure mentale qui en constitue un frein immuable.
Cette structure mentale c’est celle des seigneurs et des serfs d’avant les révolutions en Europe, il est donc difficile qu’elle puisse participer à instaurer ce qui relève d’une autre mentalité de liberté qui s’est forgée historiquement par les luttes contre le gouvernant « Etre unique ».
Dans nos pays, la structure mentale est, par le dogmatisme et la vénération de « l’Etre unique- gouvernant », qu’elle véhicule, sert de terreau à tous les mouvements religieux qui convoitent le pouvoir. N’est-ce pas pour ces mouvements une occasion unique de se servir de cette structure mentale que nous avons forgée nous-même dans l’esprit de nos enfants pour atteindre leurs fins ?
En conclusion.
Seule la séparation effective entre l’Etat et le clergé pourrait aider sur le long terme à déstructurer la structure mentale de « l’Etre unique » gouvernant dans nos sociétés. Il convient de séparer le spirituel du temporel. Faire de la religion, et l’éducation qu’elle dispense, une affaire personnelle entre l’Etre humain et l’Etre divin. De développer un enseignement laïc dans lequel les générations puiseront cette libre volonté et ce libre-arbitre sans lequel, il n y a ni démocratie, ni développement de l’Etre humain.
Car ce qui explique, en définitive, la pérennité de nos dictatures, c’est que l’on a confisqué, sous l’effet d’une structure mentale établie, le destin de l’Etre humain par la soumission à l’Etre unique.
Pr ELY Mustapha