samedi 8 mars 2025

Coup d'État en Mauritanie : les tribus ont pris le pouvoir. Par Pr ELY Mustapha

 "Il n'est pas des nôtres celui qui appelle au tribalisme. Il n'est pas des nôtres celui qui combat pour le tribalisme. Il n'est pas des nôtres celui qui meurt pour le tribalisme."

Hadith du Prophète Mohamed que la paix soit sur lui

 (Sunan Abu Dawud 5121, Livre 41, Hadith 133)

 "Ô peuple ! Votre Seigneur est Un et votre père [Adam] est un. Un Arabe n'a aucune supériorité sur un non-Arabe, ni un non-Arabe sur un Arabe ; un blanc n'a aucune supériorité sur un noir, ni un noir sur un blanc, si ce n'est par la piété et les bonnes actions." 

Sermon d'Adieu (Khutbatul Wada) du Prophète Muhammad (PSL)

 (Musnad de l'Imam Ahmad ibn Hanbal (hadith n° 23489) 

Sahih al-Bukhari (partie du long hadith du Sermon d'Adieu)

 

 La mort institutionnelle de l'Etat

La Mauritanie contemporaine offre un cas d'école de la déliquescence institutionnelle : l'État, en tant qu'entité régulatrice, n'existe plus. À sa place s'est imposé un système de gouvernance parallèle, dirigé par des tribus arabo-berbères qui contrôlent les leviers économiques, sécuritaires et politiques du pays.L’État mauritanien fonctionne comme une coquille vide, où les tribus dictent lois, budgets et nominations Ce « coup d'État silencieux » ne s'est pas produit en une nuit, mais résulte d'un processus historique de captation des ressources et de neutralisation méthodique des institutions.

Aujourd'hui, analyser la Mauritanie sans placer les logiques tribales au cœur de l'équation relève de la cécité académique.


I-    Les racines historiques de l'hégémonie tribale

La colonisation française : architecte précurseur du tribalisme mauritanien moderne

L'administration coloniale française a codifié les hiérarchies tribales en s'appuyant sur des chefs tribaux comme relais locaux, marginalisant les Haratines (descendants d'esclaves) et les AfroMauritaniens. Ce système néopatrimonial a survécu à l'indépendance (1960), les élites tribales reproduisant les schémas de domination via le parti unique La réforme foncière de 1983, permettant l'expropriation des terres afro-mauritaniennes au profit des tribus, a marqué un tournant. En 1989, des purges ethniques chassèrent des milliers d'afro-mauritaniens, redistribuant leurs terres à des alliés tribaux du régime.

L'emprise des tribus sur les institutions politiques mauritaniennes est profonde et multiforme. Au cœur du système se trouve un monopole parlementaire et exécutif sans précédent. Les tribus arabo-berbères contrôlent 72 % des sièges au Parlement et 85 % des postes exécutifs. Cette domination n'est pas le fruit du hasard, mais le résultat d'une stratégie délibérée de captation du pouvoir. Les clans Awlad Bu Sba et Smassid, en particulier, ont réussi à s'arroger les ministères-clés tels que la Défense, l'Intérieur et les Finances, leur permettant ainsi de verrouiller l'ensemble des décisions stratégiques du pays. Cette mainmise sur les institutions trouve ses racines dans l'histoire post-coloniale de la Mauritanie. Sous la présidence de Moctar Ould Daddah (1960–1978), le Parti du Peuple Mauritanien (PPM) a institutionnalisé le tribalisme en cooptant systématiquement les chefs tribaux, transformant de facto l'État en un outil de légitimation et de renforcement des hiérarchies traditionnelles.

Le tribalisme comme doctrine d'État

Aujourd'hui, les tribus contrôlent 72% des sièges parlementaires et 85% des postes exécutifs. Les tribus dominantes (Awlad Bu Sba, Smassid, Oulad Delim) ont transformé l'appareil d'État en outil de prédation, utilisant les lois et budgets publics pour consolider leurs fiefs économiques.

Le processus électoral lui-même est devenu un théâtre où se joue la domination tribale. Le parti au pouvoir, El Insaf, alloue 65 % de son budget (estimé à 4,8 millions de dollars par an) à la mobilisation électorale des communautés arabo-berbères. Cette stratégie repose sur un système élaboré de clientélisme, où des concessions de terres et des promesses d'immunité judiciaire sont échangées contre des votes. L'oppression politique des opposants issus des communautés marginalisées est monnaie courante. En 2014, la candidature présidentielle de Biram Dah Abeid, militant anti-esclavagiste, a été systématiquement sabotée. Des partisans subissaient des confiscations de terres, illustrant la collusion entre pouvoir religieux, économique et politique au service des intérêts tribaux.


II-     L'économie capturée : Tribus contre Trésor public

Les secteurs-clés sous contrôle tribal

La captation des ressources économiques par les tribus dominantes illustre de manière flagrante leur influence sur le gouvernement. Dans le secteur minier, stratégique pour l'économie mauritanienne, la tribu Awlad Bu Sba, étroitement liée à l'ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz, a mis en place un système de perception de « royalties informelles » sur l'exploitation du fer à Zouérat. Ce mécanisme opaque permet de détourner entre 8 et 12 millions de dollars par an des revenus de la SNIM (Société Nationale Industrielle et Minière), privant ainsi l'État de ressources cruciales pour son développement. Le secteur des pêcheries n'échappe pas à cette logique prédatrice. 

Les coopératives tribales  basées à Nouadhibou ont réussi à s'octroyer le contrôle de 38 % des exportations de poulpe vers l'Union Européenne, grâce à un système de quotas opaques négociés au plus haut niveau de l'État. Cette mainmise leur assure des revenus annuels de l'ordre de 14 millions d'euros, au détriment des communautés côtières non-arabo-berbères et du Trésor public.
Soit:
•    Pêcheries : Les coopératives tribales de Nouadhibou contrôlent 38% des exportations de poulpe vers l'UE, générant 14 millions d'euros annuels via des quotas opaques-
•    Mines : La tribu Awlad Bu Sba perçoit des «royalties informelles » sur l'exploitation du fer à Zouérat, détournant 8 à 12 millions de dollars/an des revenus de la SNIM (société minière nationale).

Or et drogue : Les tribus Reguibat et Oulad Delim contrôlent 30 % du trafic de cannabis marocain (270 tonnes/an) et 15 % de la cocaïne sud-américaine transitant par le Sahel, avec des complicités douanières (150–300 €/véhicule).

Les systèmes de prédation sont variés et multiples. Parmi ceux utilisés: l'Intégration (Hawala) et la Syndication des ressources.

L'Intégration (Hawala): Des bureaux de change tribaux de Nouakchott ont traité des millions de dollars de dons intraçables du Golfe, tirant parti des liens tribaux pour contourner la surveillance de la Banque centrale mauritanienne.
La Syndication des ressources : Le contrôle sur les collectifs de pêche artisanale permet aux tribus  de rediriger les cargaisons de poulpes à destination de l'UE vers les marchés de Dubaï, capturant des millions de dollars de profits illicites.

La prédation systémique


La structure étatique de Solidarité, destinée à lutter contre la pauvreté, canalise 40% de son budget (6 millions de dollars) vers des «projets» tribaux servant à acheter des loyautés tribales. Parallèlement, l'État perd 220 millions de dollars/an via la contrebande d'or, facilitée par l'absence de scanners financiers à 88% des postes frontaliers.

III. L'effacement de l'État de droit

Justice sélective et impunité tribale

Le Conseil Supérieur de la Magistrature, dominé à 60% par des tribus, bloque les enquêtes visant les élites tribales. En 2011, le président Aziz a gracié 30 trafiquants de drogue condamnés, tous issus de tribus influentes. En 2023, une saisie de 1,2 tonne de cocaïne à Nouadhibou a été étouffée quand les enquêteurs ont découvert des liens familiaux avec un ancien ministre de la Défense.

L'instrumentalisation du système judiciaire

L'instrumentalisation du système judiciaire au profit des intérêts tribaux est un autre exemple frappant de cette influence. 

L'impunité dont jouissent les membres des tribus dominantes est devenue systémique. En 2011, un cas emblématique a choqué l'opinion publique : le président Aziz a gracié 30 trafiquants de drogue condamnés, tous issus de tribus influentes. Cette décision, prise par décret présidentiel, a démontré de manière éclatante la subordination du pouvoir judiciaire aux intérêts claniques. Plus récemment, en 2023, une affaire de trafic de drogue à grande échelle a mis en lumière les mécanismes de protection tribale. Une saisie de 1,2 tonne de cocaïne à Nouadhibou, qui aurait dû conduire à des poursuites judiciaires d'envergure, a été rapidement étouffée lorsque l'enquête a révélé des liens familiaux entre les trafiquants et un ancien ministre de la Défense. 


En 2024, à l'occasion de l'enquête sur le clan Cheikh Eyah, un système de blanchiment de 30 millions de dollars via des bureaux de change à Nouakchott et des exportations frauduleuses de poulpe vers Dubaï a été mis à jour. Les charges ont été abandonnées en 24 heures pour « vice de procédure » - un scénario classique de protection tribale.Cette affaire, au-delà de la présomption d'innocence qui doit prévaloir à l'égard des présumés,  illustre non seulement la sophistication des réseaux financiers tribaux, mais aussi leur capacité à neutraliser le système judiciaire.
Ces exemples illustrent comment le système judiciaire, censé être le garant de l'État de droit, est devenu un instrument au service des intérêts tribaux.

 Armée et sécurité : des milices tribales déguisées

 L'armée et les forces de sécurité n'échappent pas à l'emprise tribale, compromettant sérieusement la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'État mauritanien.  90 % des postes d'officiers supérieurs sont occupés par des tribus. Les promotions au sein de l'armée sont basées non pas sur le mérite ou les compétences, mais sur l'allégeance tribale, créant ainsi une force armée plus loyale envers les clans qu'envers l'État. Cette situation est exacerbée par l'existence de milices tribales quasi-autonomes. Le cas le plus flagrant est celui de la tribu Oulad Delim, qui dispose d'une force paramilitaire de 800 hommes, armée via des réseaux libyens. Cette milice patrouille les frontières et contrôle des territoires entiers sans aucune supervision ou contrôle de l'État central, illustrant la fragmentation de la souveraineté nationale au profit des intérêts tribaux.

 Enfin, les alliances entre certaines tribus du nord  et des groupes jihadistes représentent peut-être la manifestation la plus inquiétante de cette influence tribale.. Cette collusion entre intérêts tribaux et réseaux terroristes non seulement sape les efforts de lutte antiterroriste de l'État mauritanien, mais pose également un défi sécuritaire majeur pour toute la région sahélienne.


IV. Conséquences : un pays en déliquescence

La Mauritanie n'est plus un État au sens wébérien du terme (soit une communauté humaine, qui à l’intérieur d’un territoire déterminé (...) revendique pour elle-même et parvient à imposer le monopole de la violence physique légitime),   mais une constellation de fiefs tribaux régis par des lois parallèles. 

Les « élections » ne sont que des mises en scène validant des rapports de force claniques.

Ainsi , pour faire face à ces  mécanismes de prédation, toute réforme devra nécessairement passer par :
•    La restitution de 30% des actifs miniers et halieutiques aux coopératives non tribales
•    Le renforcement des tribunaux anticorruption sous supervision internationale
•    Le déploiement de douanes intelligentes (IA, blockchain) à Nouakchott et Nouadhibou

Sans rupture radicale, la Mauritanie restera un État fantôme, où la citoyenneté s'efface devant l'appartenance tribale.

Les exemples  concrets n'en finissent plus qui démontrent que l'État mauritanien fonctionne aujourd'hui comme une coquille vide, où les tribus  dictent les lois, contrôlent les budgets et décident des nominations clés. 

Cette hégémonie tribale, héritée de l'ère coloniale et renforcée par des décennies de clientélisme, explique l'échec persistant des tentatives de réformes démocratiques et la perpétuation des crises humanitaires et sécuritaires que connaît le pays. 

Toute analyse ou initiative politique concernant la Mauritanie doit impérativement prendre en compte cette réalité tribale qui structure profondément la gouvernance du pays.


La Mauritanie se trouve, donc, à un carrefour critique. Sans une action décisive pour freiner le pouvoir tribal et reconstruire les institutions étatiques, le pays risque de compléter sa transition d'un État fragile à un simple consortium tribal, où la gouvernance est effectivement mise aux enchères au plus offrant et où la citoyenneté se réduit à l'allégeance clanique.


La disparition de l'État mauritanien n'est pas une menace lointaine ou une préoccupation théorique - c'est la réalité vécue par des millions de personnes piégées dans un ordre néoféodal, qui les détruit, les appauvrit et  qui a supplanté la gouvernance moderne. Le défi à venir est monumental, nécessitant non seulement des changements de politique mais une réinvention fondamentale de la relation entre l'État, les tribus et les citoyens dans la société mauritanienne.


L'alternative - accepter la suprématie tribale comme un fait accompli - condamnerait la Mauritanie à un avenir d'inégalités croissantes, de dégradation environnementale et d'insécurité perpétuelle, avec des répercussions ressenties bien au-delà de ses frontières dans une région déjà volatile.

 

 Il y a environ 1431 ans, le 9è jour de Dhul-Hijjah, alors qu'il se tenait  dans la vallée d'Uranah  au Mont Arafat, le Prophète Muhammad (SAW) a délivré son sermon d'Adieu (Khutbatul Wada) :

« Ô Peuple, prêtez-moi une oreille attentive, car je ne sais si après cette année, je serai de nouveau parmi vous. Par conséquent, écoutez très attentivement ce que je vous dis et apportez ces paroles à ceux qui n'ont pas pu être présents ici aujourd'hui.

Ô Peuple, tout comme vous considérez ce mois, ce jour, cette ville comme sacrés, considérez la vie et les biens de chaque musulman comme une responsabilité sacrée. Restituez les biens qui vous sont confiés à leurs propriétaires légitimes. Ne blessez personne pour que personne ne vous blesse. Rappelez-vous que vous rencontrerez en effet votre Seigneur et qu'il évaluera en effet vos acte
s. (....)

Mais  qui aujourd'hui, l'entend encore ?


« Si vos cœurs n’étaient pas absorbés par les paroles et que vous n’en raffoliez, vous entendriez ce que j’entends. » (Hadith du Prophète Mohamed que la paix soit sur lui)

Certainement pas par des gouvernants d'un  Etat pris en otage par des tribus, avec laquelle l'Alliance  avait été formellement interdite par le prophète Mohamed (PSL) de son vivant.

 Paix aux innocents.

Pr ELY Mustapha


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Pr ELY Mustapha

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Poésie de la douleur.