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Les sirènes du pouvoir
La « dissolution » dont il s'agit ici, et qui a fait couler beaucoup d’encre, ne concerne que l’Assemblée nationale. Elle ne concerne pas le Sénat.
En effet, le Sénat composé de 56 membres (sénateurs), ne peut être dissous. Et cela pour des questions de permanence de l’institution législative, de remplacement du chef de l’Etat par le Président du Sénat en cas d’empêchement, mais aussi parce que le motif de dissolution est la conséquence du pouvoir donné à l’Assemblée nationale de mettre en œuvre le vote de défiance ou la motion de censure. Seuls donc les 95 députés sont concernés par la dissolution de l’Assemblée nationale.
La constitution est donc claire à ce sujet. En effet, suivant la Constitution du 20 juillet 1991, il y a deux cas de dissolution.
- La dissolution sur initiative directe du Président de la République
“Article 31 : Le Président de la République peut, après consultation du Premier Ministre et des Présidents des Assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée Nationale. Les élections générales ont lieu trente (30) jours au moins et soixante (60) jours au plus après la dissolution. L'Assemblée Nationale se réunit de plein droit quinze (15) jours après son élection. Si cette réunion a lieu en dehors des périodes prévues pour les sessions ordinaires, une session est ouverte de droit pour une durée de quinze (15) jours. Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans les douze (12) mois qui suivent ces élections.”
- La dissolution après deux votes de défiance :
“Article 77 : Si, dans un intervalle de moins de trente six (36) jours, sont intervenus deux (2) changements de gouvernement à la suite d'un vote de défiance ou d'une motion de censure, le Président de la République peut, après avis du Président de l'Assemblée Nationale, prononcer la dissolution de celle-ci. En ce cas, Il sera procédé à des nouvelles élections dans un délai de quarante (40) jours au plus. La nouvelle Assemblée Nationale se réunit de plein droit trois(3) semaines après son élection.”
Relativement aux conséquences de cette dissolution sur le cadre partisan et notamment sur l’opposition, nous pensons qu’il ne fait pas de doute qu’une telle dissolution sera profitable à l’opposition. D’abord il est certain que l’environnement sociopolitique et économique actuel du pays est favorable au changement (I), toutefois, l’opposition ne pourra en profiter que si certaines conditions sont réunies (II)
I . L’environnement actuel est favorable à l’opposition.
Si la Dissolution est prononcée cela constituera certainement une opportunité unique pour l’opposition de prendre sa revanche sur l’histoire. En effet, l’environnement s’y prête (1), le cadre partisan est ouvert (2) et le Président n’a plus de majorité, qu’il a reniée (3)
1- L’environnement socio-économique favorable au changement.
Durant ces quelques mois de gouvernement, le régime actuel a accumulé une image éminemment négative auprès du peuple et particulièrement des classe moyennes et pauvres. Il n’est nullement nécessaire de revenir sur la cherté de la vie, sur les malversations, la drogue, la dilapidation des biens publics, l’injustice, sur la montée en force des Roumouz el Vessad qui non seulement ont bénéficié de privilèges économiques encore plus grand mais de la notoriété jusque dans les hauts emplois publics.
Le trafic d’influence, le laxisme et le blocage des institutions ont saturé la patience d’un peuple qui attend réellement un changement dans sa condition devenue de plus en plus lamentable.
2. Un cadre « partisan » majoritaire, fragile et divisé
Comme on l’avait déjà montré dans un article précédent, la « majorité » actuelle dite « Adil » (ou quelle que soit l’appellation qu’elle portera, elle et ses partis satellites ) , n’est nullement un « parti » au sens de la Constitution. Au sens ou cette Constitution dispose en son article 11 que : « les partis et groupements politiques concourent à la formation et l'expression de la volonté politique. Ils se forment et exercent leurs activités librement sous la condition de respecter les principes démocratiques et de ne pas porter atteinte par leur objet ou par leur action à la souveraineté nationale, à l'intégrité territoriale à l'unité de la Nation et de la République (…) »
C’est un regroupement d’individus mus par des intérêts du moment réunis pour la plupart par un passé de gabegie récent et qui comme une meute de loups cherchent la proie la plus fragile. La plus faible pour la dépecer dans le sens de leurs intérêts bien entendus.
C’est autant dire que ce n’est pas un parti, mais un « regroupement d’individus opportunistes » dont le regroupement est aussi éphémère que la raison qui l’a réuni. L’exemple le plus frappant est la volte-face que les membres de ce parti ont fait à leur supposé « Président-premier ministre » et au Président de la République lui-même qui les a cautionné et qui lui ont mordu « la main » (
Voir l'article « la grenouille et le scorpion » ).
Adil est donc un parti d’opportunistes et ce qui détruit les opportunistes c’est leur enlever l’objet même de leur opportunisme. Une dissolution de l’Assemblée Nationale va en jeter un bon nombre dans l’arène des scrutins et des votes.
Décrédibilisés, ayant utilisé leurs électeurs pour des raisons inavouées, ils devront rendre compte. Et l’opinion nationale, malgré ses préoccupations n’est cependant pas dupe.
3. Le Président qui renie sa majorité
La dissolution de l’assemblée n’est pas seulement un acte constitutionnel , elle revêt dans ce contexte particulier mauritanien un acte unique dans l’histoire des démocraties : un Président de la république qui dissout une Assemblée constituée de sa majorité.
C’est autant dire qu’un tel acte ne peut être interprété que comme un « reniement » total de sa majorité et un réajustement de sa position politique à l’égard de tous les partis politiques. Position qui s’est déjà exprimée dans l’ouverture du premier et éphémère gouvernement Waqef à certains partis de l’opposition (UFP et Tawassoul) et dont on connait la réaction qu’elle a engendrée auprès de la « Majorité ».
C’est autant dire que face à une « majorité » qui l’a « malmené » et qui joue les francs-tireurs, le Président de la République a certainement pris une position qui ne peut être que son détachement de cette majorité-souffrance et la recherche d’une assise partisane de rechange dût-elle venir d’ailleurs.
En effet, l’opportunisme toujours aidant et mouvant toujours dans le sens du « vent », la « majorité » est en train de se reconstituer sous un autre nom (Tiyar el islah) qui dit-on a pris les généraux pour mentors. C’est autant dire que le Président de la République, n’ a plus confiance et qu’il cherche d’autres voies de salut. Celles notamment qui le débarrasseront de cette majorité, qui cesseront de le « manipuler » à travers se proches et surtout, lui permettre d’avoir les coudées franches.
II- L’opposition pourra-t-elle profiter de la dissolution ?
L’opposition profitera certainement de toutes les conditions favorables précitées pour gagner des élections législatives anticipées si elle ne se laisse pas "handicaper" par ses divisions et ses dissensions (1) , si elle réunit les moyens de son action (2) et si elle ne retrouve pas les démons des alliances infructeuses (3)
1. Première stratégie : gommer ses dissensions
Mine de rien , l’opposition a accumulé durant ces quelques mois depuis l’élection du Président de la République, plus de dissension qu’elle ne semble en avoir accumulé durant ces dix dernières années.
D’abord les dissensions sur le « gouvernement d’Union nationale » (contre lequel nous avions mis en garde bien avant sa constitution.
Voir ici) qui a entrainé la « galère » de deux partis de l’opposition : l’UFP et Tawassoul.
Partis qui sont actuellement au ban de l’opposition. Et qui cherchent à s’inscrire dans un paysage politique diffus.
La première des stratégie pour l’opposition face à des échéances de dissolution est de « gommer » ses dissensions, de se regrouper et d’affiner ses forces et d’élaborer une stratégie commune face aux élections. Elle devra même essayer de reprendre la confiance de ceux de ses membres qui ont rejoint l’actuel Président de la République à la veille des élections présidentielles de 2007, l’APP notamment.
Si l’opposition, grâce à de nouvelles élections législatives, obtient une majorité confortable à l’Assemblée nationale, le prochain renouvellement du Sénat au 1/3 de ses membres (tous les deux ans) suivra aussi cette tendance. Et à l’échéance 2012, l’opposition aura gagné suffisamment de terrain pour remporter les présidentielles.
D’ici, là elle aura gagné une cohabitation avec le Président de la République, qui lui permettra de mettre en œuvre ses programmes et susciter un renouveau dans la gestion publique et restaurer une confiance perdue en l’Etat.
2. Seconde stratégie : Dégager les moyens de son action
Il convient de savoir que ce qui a permis à l’actuel majorité de gagner les élections législatives de 2006 et présidentielles de 2007 ce n’est pas sa légitimité ni la confiance que le peuple a placé en elle. C’est surtout sa capacité financière. Une capacité financière venant essentiellement de ce que ses membres ont dérobé à l’Etat durant ces trente dernières années et qu’ils ont utilisé en partie pour reconquérir l’Etat. Ce qu’ils ont réussi.
Cette capacité financière, existe toujours. Un sénateur disait récemment que certains membres de la Majorité ont dépensé des milliards pour faire élire SIDIOCA. Mais cela a aussi été le cas pour la majorité des membres du corps législatif, Assemblée et Sénat.
Face à ce poids financier, l’opposition doit s’organiser et dégager les moyens de son action. Elle doit savoir que les élections en Mauritanie, sont davantage une affaire d’influence…monétaire. Et que si elle n’arrive pas par ses propres moyens à « neutraliser » cette tendance en ayant les moyens humains et matériels d’être partout pour contrer et dissuader une telle tendance qui vise à « acheter » les électeurs de façon visible et cachée, elle y laissera son électorat. Cette dernière façon d’acquérir les votes a, d’ailleurs, largement prévalu durant les dernières élections.
3. Troisième stratégie : Avec qui, hors de l’opposition, s’allier ?
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Cette question est certainement celle qui taraude l’opposition et la divise depuis que l’opposition existe. En effet, les « alliances » hors de l’opposition ont toujours divisé celle-ci et mis à mal sa cohésion. Le dernier exemple est celui de l’UFP-Tawassoul avec la majorité, et le plus fameux qui lui a coûté la Présidence est l’alliance de l’APP et de Sidioca.
Mais s’il ya une sirène qui chante de façon permanente aux oreilles de l’opposition, c’est bien l’institution militaire. Institution qui restera permanente avec les actuels généraux ou sans eux. Cette institution fait d’ailleurs plus de dégâts dans ses rangs que toute autre force.
On a vu ses effets sur l’attitude du Président du RFD durant la transition. L’induisant en erreur sur ses intentions. Nous la voyons actuellement avec le mouvement des généraux et leur présupposé parti en constitution.
L’institution militaire reste à ce niveau incontournable. Elle a pris le parti d’influencer le jeu politique de façon permanente avec les chefs militaires actuels ou sans eux. Trente ans de pouvoir ça fait des plis. Toutefois, il est certain que politiquement , elle ne constitue pas une force organisée. Mais une force diffuse dans des clans et des influences d’intérêts dans l’Etat. Elle cherche cependant à s’organiser en force politique réelle de terrain.
Elle pourra trouver tout autant dans la majorité actuelle en effritement , une structure de cet ordre , comme elle peut le trouver dans un parti de l’opposition qui défendra ses intérêts en tant qu’institution républicaine. Les récentes déclaration du leader de l’opposition en faveur du dialogue avec les militaires (
voir l'article ici) pourra être inscrite dans cette stratégie. «
Faire des militaires des alliés pour conquérir le pouvoir, plutôt qu’un obstacle » : telle peut être la philosophie dominante des deux côtés, majorité et opposition. L’opposition ne devrait pas ignorer cette stratégie, sans vendre son âme.
Une alliance positive de collaboration, non de subordination.
En conclusion.
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Si Dissolution il y aura , l’opposition aura une chance historique de se refaire et de reconquérir sa place auprès du peuple qui s’est, avec le temps, émoussée.
Si au contraire , il n y a pas de dissolution, il reste deux choses fondamentales à laquelle l’opposition se devra de s’attacher pour l’avenir. D’abord barrer la route à toute recomposition de cette pseudo-majorité, qui ne représente rien et qui en train de disparaître sous l’effet de la confiscation de ses intérêts. Ensuite, savoir que le Président de la République ayant perdu confiance en sa « majorité » est certainement plus accessible pour engager le dialogue et les réformes nécessaires allant dans le sens des intérêts de l’opposition.
Il suffit que l’opposition retrouve sa cohésion, que ses dirigeants n’entrent pas dans un jeu opportuniste dont on connait déjà les conséquences et qu’elle se débarrasse de ses luttes intestines. Si cela lui semble plus difficile que de conquérir le pouvoir, alors elle n’accédera jamais au pouvoir.
Pr ELY Mustapha