A quoi sert-il d’être Mauritanien ?
« A défaut d’avoir bâti une Nation, l’Etat mauritanien veut en bâtir une en choisissant ses nationaux »
Toutes les opinions relatives au recensement en cours en Mauritanie relèvent la problématique de l’exclusion de franges entières de Mauritaniens du droit à la nationalité. Mais le débat est largement faussé par le postulat de départ : la nationalité mauritanienne existe et elle est nécessaire. Or comme on le verra dans les développements qui suivent, la nationalité mauritanienne non seulement n’existe pas, que l’imprimé administratif octroyé qui porte le nom de certificat n’a ni la valeur ni l’effet de la nationalité. Et que poussant le raisonnement plus, cette nationalité peut même nuire à celui qui la porte.
Alors pourquoi vouloir être Mauritanien ? Etre américain, canadien, européen c’est bénéfique mais être Mauritanien ça sert à quoi ?
Pouvons-nous dire en quoi la « nationalité » mauritanienne est bénéfique pour celui qui la porte ? Il est certain que si on laisse de côté le reflexe patriotique mal placé pour la Mauritanie d’aujourd’hui, la réponse est simple. Ce qui attache les populations à ce territoire, qu’on a appelle « maladroitement » Mauritanie, c’est simplement des liens affectifs (naissance, parents, famille alliés), et une mémoire individuelle (souvenirs d’une vie), c’est tout. Mais quels autres liens peut-on évoquer pour dire qu’il y a une nation ? Y’a-t-il une mémoire historique d’un combat collectif qui a cimenté les franges de la société ? Y’a-t-il une fraternité semée et entretenue dans la société mauritanienne dans sa diversité par l’Etat ? Une solidarité institutionnelle que l’Etat à travers une vision politique a instituée ? Un développement social et humain qui a promu l’être mauritanien à un niveau d’intégration social et économique le liant à son pays ?
Rien.
Pourquoi ?
La cruauté et la rudesse de la réponse n’ont d’équivalent que ce qui vit actuellement la Mauritanie. Une société divisée, tribalisé, ethnicisée jusque dans ses quartiers populaires. Un Etat-vautour violent et corrompu, une jeunesse sans lendemain, une économie exsangue, une diaspora immense … et un recensement par lequel à défaut d’une nation, l’Etat veut choisir ses nationaux.
Et pourquoi tout cela arrive-t-il ?
Parce que fondamentalement la « Mauritanie » ça n’existe pas et jamais on a fait quelle puisse exister et ce recensement en est la preuve la plus édifiante (I). Dès lors à quoi sert-il d’être Mauritanien ? (II) Et comment doit-on faire pour que ce pays à défaut d’être une Nation, puisse le devenir (III)
I- La Mauritanie ça n’existe pas.
Le nom de Mauritanie est une déformation de la « Maurétanie » romaine qui, géographiquement, n’a jamais couvert le territoire de la « Mauritanie » actuelle. Invention de Xavier Coppolani, dernier gouverneur français du grand « Sahara Occidental », qui remplaça avantageusement le « trab el bidhane » ou encore bilad chinguitt » pour dépecer ce qui constituait dans l’empire colonial français le grand « Sahara Occidental ».
Portant déjà portant mal son nom, la Mauritanie, est alors tracée géographiquement à l’équerre. L’équerre de Coppolani ne trouva pour seule limite que les méandres des rives du fleuve Sénégal. Toute la carte est une « triangulation » coloniale. Les faits sont là. Personne ne peut observer la carte de la Mauritanie, sans se rendre compte de l’énormité de la chose. Et l’on a appelé cela « Mauritanie ». On aura pu l’appeler “Angledésert”, comme on appela plus au Nord un autre pays, l’Angleterre.
Un Angledésert qui fut partie de l’empire du Ghana, puis partie de l’empire Almoravide, puis arrière-cour de l’empire Almohade, puis, désert tribal en petits émirats éclatés, puis conquête française, puis Xavier Coppolani, l’appela « Mauritanie », alors que tous les historiens savent que la « Mauretanie » romaine s’étendait de la Tunisie à l’Algérie jusqu’aux frontières Est du Maroc, mais jamais le territoire de la Mauritanie actuelle . Puis vint Moctar ould daddah, avec ses « que dis-je ? », puis l’ombre kaki couvrit la Mauritanie avec Ould Mohamed Saleck, qui en fut le premier produit et Ould Abdel Aziz, le dernier succédané.
Les grands Cheikhs, Sidiya Baba, Saad Bouh, Ma al Aynin qui se battirent sur un territoire indéfini, qui aujourd’hui a pris une forme angulaire et qui renie ses populations, doivent être en train de se retourner dans leurs tombes. Xavier Coppolani, lui-même, se prendrait à en rire.
Comment peut-on gouverner un territoire tracé à l’équerre sans être un obtus ?
Dans cette situation peut-on dire d’un territoire si vaste, morcelé et découpé d’empires, de royaumes et de colonies, qu’il constitue un pays ?
Un pays certes, mais pas une nation. Et c’est en cela que la Mauritanie n’existe pas. Elle répond à la définition de l’Etat telle qu’elle ressort du droit international et n’en est cependant pas une Nation.
Elle occupe géographiquement un territoire, elle a un gouvernement, elle a une population et dispose de sa « souveraineté ». Mais cela n’en fait pas une nation. Et c’est cela tout le problème qui est à l’origine de toutes les impasses que le pays vit actuellement.
Le premier Président de la Mauritanie, Moctar Ould Daddah, avait bien compris cette absence d’une histoire commune aux Mauritaniens au sens de peuple historique (car il n’y a pas dans l’histoire de Mauritaniens, comme on parlerait de grecs, de carthaginois, de romains etc.), il n y a que des tribus en transhumance sur des territoires qui s’étendaient du grand soudan aux rives de l’atlantique .
Pour pallier cette absence de liens historiques, mais que l’avènement de l’Etat rendaient désormais indispensables, il fallait trouver des concepts unificateurs tel celui la Mauritanie « trait-d’union ».
Le bâtisseur de la Nation nouvelle, que devait être la Mauritanie, trouva très vite des freins à son élan (la bataille raciale de 1966, la guerre du Sahara de 1975, le putsch militaire de 1978) qui réduisirent ce qui restait de l’élan patriotique naissant de l’indépendance et qui était favorable au « vivre ensemble » et à la cohésion de toutes les composantes de la société. La suite on la connait. Les militaires se soucièrent très peu de la nation. Au contraire, ils renforcèrent le tribalisme, par putschistes interposés, pillèrent tour à tour le pays par cousinage institué, imposèrent une arabisation effrénée, mal pensée et instrumentalisée sous le régime de Ould Haidalla qui détruisit ce qui restait de de liens communautaires.
Ainsi, tracée à l’équerre et découpée d’autres territoires, sans histoire unificatrice, sans dirigeants modèles, sans vision pour l’avenir, la Mauritanie n’existe pas. C’est un pays mais ce n’est pas une Nation.
La Nation ne se décrète pas, elle est avant tout la conscience de l’individu de son appartenance à une communauté humaine dont les membres sont liés par une identité commune (l’histoire, la culture, la langue, la religion..). La nationalité octroyée ne donne pas cette conviction de l’appartenance nationale. La Nationalité résulte de la Nation, elle ne la crée pas.
Il n y a pas de nationalité là où il n y a pas de nation. Et l’on ne peut réclamer une nationalité qu’à une Nation. Les errements du recensement actuel le prouvent bien.
Ce n’est pas une nation qui à travers la Nationalité essaye de rassembler ses enfants, c’est un régime au service d’un Etat qui ignorant la Nation veut en créer une en choisissant ses nationaux.
Alors pourquoi vouloir coute-que-coute obtenir une nationalité octroyée au mépris de sa propre dignité ? En vaut-elle réellement la peine ?
II- Que vaut la nationalité mauritanienne ?
La nationalité mauritanienne, a-t-elle une valeur pour mériter tant d’égards ? Analysons-la sur le plan des valeurs. Sur la bourse des valeurs mobilières (actions et obligations) sur la bourse des valeurs sociales (intégrité et morale) et sur celle des institutions républicaines (Etat et administration)
a) Sur la bourse des valeurs mobilières : une entreprise en faillite
Si les nationalités du monde étaient cotées en bourse des valeurs mobilières, la nationalité mauritanienne ne trouverait pas preneur. Car, en bourse, la valeur d’un titre se mesure aux performances, aux perspectives d’investissement et de croissance de l’entreprise émettrice. La nationalité mauritanienne est un titre émis par un Etat en faillite (pour approfondir la question voir nos articles précédents sur la question : L’Etat Mauritanien est-il en déliquescence ? et La Mauritanie existera-t-elle encore dans 50 ans ? )
En détenant la nationalité mauritanienne, le national devrait en principe bénéficier des avantages qui vont avec. Mais pourrait-il y prétendre dans un pays classé parmi ceux à niveau de vie le plus bas de la planète, sinon à autre chose qu’à végéter au seuil de subsistance. Un système sanitaire où ne fleurissent que les structures mouroirs, où les médicaments sont plus mortels que le poison, où le système éducatif est en dégénérescence avancée, où tout se paye et se monnaye, ou l’emploi est aussi rare que l’eau du robinet et l’électricité, où la justice est inexistante où la sécurité est menacée jusqu’aux frontières. Un pays où 5% d’individus accaparent 90% des ressources nationales et monopolisent toute la sphère économique, du commerce aux banques, où le citoyen ne reçoit que les miettes….
La détention de la nationalité mauritanienne, est dans ce cas de figure un mauvais investissement dans un monde ouvert où elle peut condamner son détenteur à subir indéfiniment le poids d’une misère imposée qu’il combat par sa dignité. Et c’est là où la cruauté de la chose s’amplifie d’un recensement qui est une atteinte non seulement à ses droits mais à sa propre dignité.
b) Sur La bourse des valeurs sociales : une société en faillite
Sur La bourse des valeurs sociales, la nationalité mauritanienne n’est pas une valeur sure. Il suffit de constater ce qui est arrivé au pays ces trente dernières années. Toutes les valeurs sociales et morales ont périclité. Le vol, le mensonge, la corruption, la violence se sont érigés en valeurs.
Voir à ce propos nos articles sur ce blog notamment :
Une société mauritanienne traumatisée : Les seigneurs de la guerre.
Sur le Divan: Analyse psychique d’un peuple qui se démène
Il y a dix ans déjà nous écrivions :
« l'Etat par la violence qu'il montre et par les tensions qu'il engendre est bien le premier responsable de cette traumatisante situation, il n'en reste pas moins que les facteurs immunisant du peuple se sont depuis longtemps émoussés. En effet, ce qui protégeait mieux, que tout autre bouclier notre société et l'esprit de nos enfants des dérives, était notre foi, notre culture et le respect de nos valeurs. Où est donc notre foi qui prône la tolérance et l'amour du prochain ?
Notre Islam s'est réduit dans nos têtes à un simple appel de muezzin et non point en une confiance en l’infinie miséricorde de Dieu.
Nous avons réduit notre foi en prières de pardon mille fois répétées oubliant que bien mieux que de demander pardon c'est de ne point commettre de crimes. Nous avons, jusque dans ces lieux construits pour adorer Dieu, immiscé les politiques d'ici-bas au nom de gouvernants éphémères face à l'éternité de Dieu.
Nous avons réduit nos enfants à quémander dans les rues leur pitance pour plaire à quelque marabout au détriment d'une bonne éducation coranique initiée par leur géniteurs.
Géniteurs défaillants, enfants abandonnés. Une foi en déliquescence. La culture qui est le moyen de résistance des peuples à l'oppression et à l'adversité s'est quant à elle réduite à sa plus simple expression. Elle est ce que les organes officiels veulent qu'elle soit ou qu'elle devienne. En somme rien.. Sinon une culture du non-développement, de l'esprit grégaire. Une culture de l'oisiveté et de la propagande. Quant à nos valeurs, elles ont souffert de tant d'années d'injustice et d'oppressions qu'elles ont fini par céder et se transformer en leur contraire.
Tout ce que la morale réprouvait, tous les vices se sont transformés en vertus...Le vol, la traitrise, le mensonge, pour ne citer que ceux-là, ont envahi l'espace des valeurs. Et le dernier bastion de résistance à l'interdit, est tombé mettant ainsi à nu les faiblesses du citoyen face aux hégémonies du pouvoir.
Voilà pourquoi, la foi, la culture et les valeurs morales s'étant affaiblies, la brèche par laquelle la violence s'est infiltrée s'est ouverte. Et quand cette violence est au quotidien que restera-t-il au peuple sans défense sinon le trauma ou la reproduction de cette violence? »
Dix ans plus tard tout cela est encore d’actualité. Peut-on alors vouloir appartenir à un Etat qui a bâti sa politique sur les non-valeurs, qui a commuté les vices en vertus et qui veut bâtir une nation en choisissant ses nationaux ?
c) Sur la bourse des valeurs institutionnelles
Les institutions républicaines qui doivent être la référence première de toit national pour le respect de ses droits, de ses biens et de sa personne sont inexistantes. Ceux qui détiennent le pouvoir l’ont fait par la force donnant ainsi la plus mauvaise image des institutions. Avoir la nationalité d’un pays ou les institutions fonctionnent à coup de gifles, équivaut à faire allégeance à la violence. Or la nationalité est basée fondamentalement sur la notion d’allégeance. Sur ce plan encore la détention de cette nationalité équivaut à accepter de son plein gré d’être esclave de cette violence, et de l’entériner pas son allégeance.
Voir ici : le manuel du parfait putschiste
La nationalité mauritanienne dans l’état actuel des institutions mauritaniennes, n’est autre qu’un certificat délivré pour servir (un Etat violent) et valoir (des autorités imposées) ce que de droit…on refuse (en fait).
Sur la bourse des valeurs institutionnelles, la nationalité mauritanienne ne donne droit à rien. Sinon de tomber sous la loi mauritanienne et ses juridictions.
De quels services bénéficient le « national » du fait de sa nationalité. Rien. Nos administrations publiques n’en font pas grand cas, nos représentations à l’étranger l’ignorent. Devant de telles administrations un étranger est mieux traité qu’un Mauritanien. Présentez-vous sous une autre nationalité (américaine, européenne…) et vous verrez la différence.
Votre nationalité ne servira que le jour où vous commettez une infraction. Vous serez alors un vrai national, passible de la loi et des tribunaux de l’Etat d’allégeance. Mais votre nationalité ne vous servira à rien si votre employeur étranger vous chasse (l’administration publique vous ignorera) , si vous réclamez la protection de votre Etat à l’étranger (votre ambassade vous négligera) …
Voir sur le comportement de nos ambassades à l’égard des nationaux :
Ainsi à la bourse des valeurs institutionnelles, la nationalité mauritanienne, est une non-valeur.
III- La Mauritanie peut-elle devenir une nation ?
A cette question la réponse ne peut être que positive. Tous les ingrédients d’une nation se retrouvent en Mauritanie. Toutefois, il y a une difficulté majeure.
En effet, le seul obstacle à l’édification de cette nation est celui qui paradoxalement devait en être l’artisan et le promoteur : l’Etat mauritanien.
Après les errements et les tâtonnements de la période Mokhtar ould Daddah, vinrent les trente années de plomb, les années militaires, qui portèrent un sérieux coup à l’édification de cette nation (division des communautés, répression, violence).
Aujourd’hui encore l’Etat se soucie peu de cette Nation (que nous voudrions tous d’égalité et de droits) pour se consacrer à une nation qu’il veut « monter de toutes pièces » pour répondre à des objectifs qui vont à l’encontre de l’histoire, des réalités sociales et des exigences du peuple. Le recensement actuel en est l’un des instruments les plus apparents.
Alors les choses étant ce qu’elles sont (une impasse), quelles seraient les mesures qui devraient être prises ?
L’Etat se devra de changer de politique et se consacrer à bâtir la Nation mauritanienne sans laquelle il n y a pas de salut. A cet effet les règles relatives au recensement se devraient d’être revues. D’abord faire un recensement quantitatif et non administratif, pour connaître le nombre de la population mauritanienne. Ensuite, créer des bureaux d’enregistrement de toutes les personnes détentrices de pièces d’état civils (acte de naissance, certificat de nationalité, carte d’identité passeport. Enfin, un premier travail doit être fait sur la validité matérielle de ces actes (faux ou vrais documents.). Ce recensement permettra alors de confirmer les droits de ceux qui ont des documents en bonne et due forme, demander à ceux qui ont des documents douteux de régulariser leur situation en fournissant soit de vrais documents qui peuvent permettre de le leur délivrer leurs documents civils (exemple les documents de leurs parents…).
La difficulté naitra seulement de ceux qui n’ont pas de preuve matérielle (documents) dans ce cas on peut recourir à la situation, le lieu de vie de la personne, son village, sa ville, ses connaissances pour lui délivrer ses documents.
Dans cette procédure de la nationalité, des règles strictes doivent être observée dont :
- L’origine du nom ne doit jamais servir de base pour douter de/ou rejeter la nationalité
- La bonne foi du requérant doit toujours prévaloir
- La procédure inquisitoire (actuellement utilisée) doit être remplacée par la procédure accusatoire (le requérant apportant la preuve de sa nationalité)
- Les preuves de nationalité doivent être ouvertes (parents, villages, famille etc. ) et non restreintes à quelque critères subjectifs (posés par une commission de recensement).
Ce ne sont là que quelques propositions qui pourraient être améliorées en vue de respecter les droits et la dignité du national et de ceux qui postulent à la nationalité.
En effet, si les ingrédients d’une Nation mauritanienne sont présents, le recensement actuel porte en lui les germes de la division dans un Etat sans nation.
Une nationalité sans Nation, c’est être apatride dans son propre pays.
Pr ELY Mustapha