Chapeau, Biram!
J’apporte mon soutien à Biram...à condition qu’il abandonne le chapeau qu’il porte. Franchement faire campagne à l’ombre d’un tel feutre pour un fils du soleil c’est curieux. Mais cela se comprend. A force de faire la navette entre pays froids et pays chauds, il faut bien qu’il se couvre et se découvre et un chapeau c’est bien pratique. Et d’ailleurs qu’est-ce qui convient le mieux à celui qui veut devenir chef qu’un couvre-chef ?
Mais sans ironie, va-t-il devenir chef celui qui est sous le couvre-chef ? Rien n’est moins sûr. Enfin, je suis pessimiste dans le sens où, dit-on, « un pessimiste est un optimiste averti »
J’avais signalé cela, il y a quelques années déjà à son ambitieux prédécesseur Messaoud Ould Boulkheir lire ici l’article : « Messaoud : vous ne serez jamais président»
Aussi, j’apporterai mon soutien à Biram s’il prouve que les maures qui ont le pouvoir politique, économique et financier en Mauritanie sont prêts à se faire gouverner par un Harratine dut-il être prix des Nations unies et autres Weimar distinctions. Que la lutte contre l’esclavage va résoudre les problèmes économiques de la Mauritanie, qu’elle va propulser ce pays au summum des pays industrialisés et que nous deviendrons un pays classé au top des pays non corrompus et bénéficiant du plus haut niveau de vie au monde.
En somme qu’elle est le programme politique de Biram ? La lutte contre l’esclavage est-elle un programme présidentiel ?
Bon allez, croyons-le ! Biram aussitôt élu Président prend un énième décret supprimant l’esclavage. Mais l’esclavage est déjà juridiquement aboli en Mauritanie. L’esclavage étant une affaire de société, va-t-il recourir à la force publique ? Bon allez, tous les esclavagistes en prison, les anciens esclavages inscrits au bureau de l’emploi. C’est bien et après ?
Programme révolutionnaire
Biram, semble bien avoir compris que l’on ne peut briguer la présidence avec un programme d’ONG. Il a donc sur son site web (consultable sur ce lien : http://biramdahabeid.org/ ) publié un programme de campagne (que je conserve en lettres capitales) :
« Le projet que je promeus et défends est basé sur ces priorités :
1. PROMOUVOIR L’ESPRIT DU SAINT CORAN ET DU PROPHÈTE POUR METTRE EN LUMIÈRE L’IMAGE VRAIE ET ORIGINALE D’UN ISLAM DE TOLÉRANCE, DE JUSTICE, LOIN DES INTERPRÉTATIONS FAUSSES ET INJUSTES.
2. PROMOUVOIR ET PROTÉGER LES DROITS FONDAMENTAUX POUR TOUS.
3. SUPPRIMER LES PRIVILÈGES DE CASTES ET LES ACCORDS TRIBAUX AU-DESSUS DE LA LOI, SUPPRIMER LA CORRUPTION.
4. STIMULER L’ÉCONOMIE PRODUISANT LA VALEUR ET L’EMPLOI.
5. ENCOURAGER LA PRODUCTION NATIONALE, REGAGNER ET PRÉSERVER L’HÉRITAGE ÉCOLOGIQUE.
6. PROMOUVOIR UNE DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE.
7. GARANTIR LA PAIX, LA SÉCURITÉ ET LA STABILITÉ DU PAYS.
8. TRAVAILLER À L’INTÉGRATION AFRICAINE ET ARABE DE LA MAURITANIE.
9. PROTÉGER LES RESSOURCES NATIONALES ET ENCOURAGER LES INVESTISSEMENTS, RASSURER LES PARTENAIRES ET INVESTISSEURS ÉTRANGERS. »
Vaste programme en effet, mais qui pèche par la généralité notamment en certains de ses points (2, 4, 5, 6, 9), qui sont le terrain communs des programmes des candidats de tous bords en Mauritanie, et ailleurs…
Restent les points 1, 3 et 8 où le programme de Biram fait la différence. Toutefois, si la volonté de les réaliser ne fait pas de doute, il reste que leur réalisation ne doit ne pas figurer dans un programme électoral mais dans un manifeste révolutionnaire.
Point 1. Ce point (malgré sa justesse dans une société où la religion a souvent été manipulée et mal interprétée n’est pas dénué d’intérêt) entraine un amalgame sérieux entre le rôle que doit jouer un Etat non théocratique, régit par une constitution laïque et la volonté de Biram de « promouvoir » l’esprit du Coran et celui de son prophète (PSL) ». Cette intervention de l’Etat dans la sphère religieuse pour imposer une vision « vraie et originale de l’Islam » est un acte aussi dangereux que celui de vouloir imposer une vision « obscurantiste et extrémisme », car ces actes seront toujours une volonté de manipulation de la conscience religieuse de l’individu. Ce qu’il faut considérer c’est que la Religion n’est pas une affaire d’Etat ni de groupes, mais de conscience individuelle. Une relation spirituelle entre l’être et son créateur. Vouloir y intervenir à travers l’autorité publique, temporelle par excellence, sur la religion est aussi improductif que dangereux que ce que font d’autres puissances informelles.
Ce que l’on n’a pas compris, c’est que l’encadrement de la religion et les dérives de ceux qui l’utilisent à des fins extrêmes ne doit pas se faire à travers la religion elle-même, qui est un acte de libre conscience mais à travers la loi de l’Etat. La loi doit pouvoir punir et sanctionner les dérives et redonner confiance à ceux qui rejettent l’intolérance. La loi doit être l’élément fondamental de dissuasion de l’intolérance et de l’extrémisme. Elle doit définir les missions et structures d’encadrement et de formation aux sciences religieuses et leur donner les moyens de leur mission dans une perspective moderniste et dans le cadre d’un plan de développement économique et social consenti et discuté à l’échelle nationale.
Un Alem qui vous saura expliquer, par exemple, à ses disciples aussi bien les enseignements du Prophète (PSL) que la philosophie de Mahatma Ghandi ne peut être un maître intolérant, et ses disciples non plus. Or c’est cette ouverture du savoir des oulémas et des savants qui fit l’âge d’or de l’Islam.
(Voir ici mon article « oulémas...pour quelle République »)
En Islam, le disciple sera ce qu’en fera l’enseignement de son maître. L’Etat ne doit intervenir ni dans la conscience du maître ni dans celle du disciple mais à travers la loi laïque, juste, rigoureuse et impartiale qui organise l’éducation et l’enseignement, qui réprime les manquements aux principes fondamentaux d’une République démocratique et qui redistribue équitablement les revenus par élimination du vecteur principal de l’extrémisme et de l’intolérance : la pauvreté.
Un Etat fort. Une loi juste. Un pays prospère. Voilà le véritable cadre de promotion d’une religion de tolérance et de respect.
Quant au point 3 du programme de Biram : « Supprimer les privilèges de castes et les accords tribaux au-dessus de la loi et supprimer la corruption »
En Mauritanie, supprimer les privilèges des castes et les accords tribaux, est aussi difficile que de supprimer la religion elle-même. Les maures et les négro-mauritaniens, aussi tribalistes les uns que les autres ont érigé la tribu et la caste en organisations sociales sacrées. Y toucher où l’inscrire dans un programme constitue déjà un affront qui n’est pas sans conséquences sur le comportement des chefferies et autres détenteurs du pouvoir tribal en Mauritanie.
La Tribu en Mauritanie, n’est plus depuis l’indépendance une organisation sociale gérant les intérêts socio-économiques primaires et consanguins d’individus, mais une « unité » électorale qui est entré dans le jeu du pouvoir, des négociations et des enjeux politiques. Vouloir supprimer les privilèges et les accords tribaux, c’est se faire marginaliser car c’est couper à ceux qui assurent la dynamique de groupes d’intérêts dans ces tribus, leur influence et cela peut entrainer des réactions inattendues.
Certes, moi qui suit le descendant direct de Antar Ibnou Cheddad, seigneur des Beni 'Abs, de la tribu guerrière de Ould Nasser accepterait bien qu’un Harratine gouverne les tribus de Mauritanie. Mais ai-je la même structure tribalo-mentale que le reste des mauritaniens ? (Voir ici, mon article : « Le descendant de Antar Ibnou Cheddad a dit.. »
En tout cas pour moi, ce n’est pas donné puisque je suis Nassri du coté de mon père, Jekani du côté de ma mère, Sbaï du côté de ma grand-mère paternelle, Dewaalawi du coté de mon arrière-grand-mère paternelle, et tunisois… du côté de mon boulot. Plus tribaliste que moi tu meurs !
Mais, après tout Antar Ibn Cheddad, n’est-il pas lui-même fils d’une esclave abyssine nommée Zabiba. Les coïncidences font bien les choses : alors Biram serait, donc, sans le savoir mon cousin maternel. Donc voilà un argument pour que je soutienne Biram.
Quant à supprimer la corruption, c’est encore plus difficile que de supprimer, la religion, la tribu, et les castes ensembles. La religion n’est sensée nourrir que l’âme du croyant, la tribu ne nourrit que son ego et la caste ne nourrit que sa folie sociale, alors que la corruption ça nourrit et alimente bien des ventres en Mauritanie. Les religieux, les tribalistes, les castrés et des franges entières de la population agrippées à des privilèges d’accointance au pouvoir, en vivent ( voir ici : mon article « les esclaves du ventre » ).
Ce que Biram veut supprimer, la Corruption, c’est le nerf moteur de l’Etat mauritanien. Comment croire que tout un peuple soit soumis à un mécano étoilé, deux fois putschistes, trainant les partis dans la poussière et accaparant les ressources de la nation, si ce n’est parce qu’il en distribue par ses canaux officiels (nominations régionales, tribales etc.) et réseaux informels (marchés publics, investissements octroyés..) pour se maintenir au pouvoir. (voir mon article : “Spartacus au pays de l’Opium” )
Vouloir supprimer la corruption c’est se mettre à dos toute une « intelligentsia » rampante et applaudissante qui s’est dévoyée au pouvoir (à tout pouvoir) parce qu’il la nourrit et qui n’hésiterait pas à se salir les mains (sa conscience l’étant déjà) pour barrer la route à toute bonne volonté voulant changer la triste situation du pays.
Enfin, le point 8. « Travailler à l’intégration africaine et arabe de la Mauritanie ». Les maures ne manqueront pas de remarquer que Biram a fait précéder l’intégration africaine à l’intégration arabe de la Mauritanie, ce qui est une « hérésie » qui ne va pas dans le sens de la pensée unique panarabe en Mauritanie et sur laquelle le pouvoir joue avec cynisme depuis bien des années. Sur ce plan, les réactions marquées sur la langue arabe, unique langue officielle et l’arabité de la Mauritanie ont montré que c’est un terrain extrêmement sensible qui fait l’affaire de bien des missionnaires de la discorde politique(souvent à la solde de qui on sait), au sein du pouvoir ou dans le partis épars.
En définitive, le programme électoral de Biram pour briguer les présidentielles, ne pêche ni par l’originalité ni par la nouveauté.
C’est un croisement de généralités politiques (partagées avec tous les partis politiques en place et avec le pouvoir lui-même) et de revendications révolutionnaires (imbibées du combat politique de Biram) et dont la réalisation dans le futur proche (disons 2 mandats présidentiels) relèverait de l’utopie sinon de la contre-productivité dans un programme électorale.
Ceci dit, je soutiens Biram.
Pour une raison très simple qui au-delà du programme politique du candidat, justifie qu’on le soutienne.
Biram, n’est pas corrompu. Il ne s’est pas enrichi et n’a donc pas pillé les biens de l’Etat.
Il n’est ni putschiste, ni prévaricateur. Il a mené un combat pour une cause juste.
Il a subi les pires sévices de l’enfermement et de l’humiliation et il a, contrairement à ceux qui gouvernent la Mauritanie et piétinent les droits de l’homme, acquis les honneurs et la reconnaissance de la communauté internationale pour sa lutte pour les droits de l’Homme.
Il s’est battu pour sa communauté spoliée en Mauritanie au prix de sa liberté, il se battra bien pour toute une nation. Faudrait-il cependant croire en son combat. Il y croit. Il brigue la présidence. Ceux qui y sont déjà où qui s’apprêtent à la briguer sont-ils meilleurs que lui ? J’en doute.
Je le soutiens, avec mes doutes qu’il puisse devenir si tôt Président. Mais ne faudrait-il pas soutenir ceux auxquels on croit au combat car même si la déception arrivait, ce sera toujours, une victoire.
Pr ELY Mustapha