Lorsque le virus partira…combien les pays en développement payeront-ils
pour survivre ?
« Les niveaux d’endettement
atteignent des sommets dans les pays avancés, les pays émergents et les pays à
faible revenu […] la dette mondiale, tant publique que privée, s’élève
aujourd’hui à un record historique de 182 000 milliards de dollars, près de 60
% de plus qu’en 2007 […] Les pays émergents et les pays en développement en
ressentent déjà les premiers effets. »
Christine Lagarde, Directrice
générale du FMI, Discours au siège du FMI le 1er octobre 2018
Si, aujourd’hui, le combat doit se situer, prioritairement, sur le plan
de la santé, il n’en demeure pas moins que le combat se doit déjà d’être mené sur
le plan économique.
C’est maintenant, et avant qu’il
ne soit trop tard, que nous devons réfléchir (dans notre confinement) aux
conséquences économiques du corona sur nos pays et non pas attendre que ce
virus soit vaincu pour se retrouver devant une réalité dont on pressent
déjà les affres aujourd’hui.
Si les Etats dits développés et
industrialisé s’avouent touchés, il n’en demeure pas moins qu’ils ont engrangé
bien plus de ressources (technologiques, scientifiques, financières,
matérielles et humaines) pour faire face aux crises économique et sociales à
venir, que les pays en voie de développement.
Ces derniers ont d’ores et déjà commencé à dépenser et à consommer leurs ressources
pour compenser le ralentissement économique, les moins-values en biens et
services , les pertes de compétitivité, les pertes de marchés, l’arrêt des
chaines de production, la fermeture des
entreprises et des administrations ; en
somme une récession galopante due au
confinement de la force de travail.
Désormais, nos Etats puisent dans
leurs ressources propres et leurs ressources d’emprunt. Mais ni les ressources
ordinaires ni celles en capital de l’Etat ne soit inépuisables.
Et lorsque les chefs d’Etats annoncent des
mesures draconiennes à portées sociales, pour éviter la misère et la famine,
ils savent bien que les conséquences de ces mesures sur l’économie en seront
catastrophiques.
Le report des échéances de
paiement de crédits aux institutions bancaires, la suspension et report du
paiement des impôts directs et indirects, le report du paiement des baux et
loyers, la suspension du paiement des redevances aux entreprises publiques
(eau, gaz, électricité etc.), les subventions multiples aux produits de
première nécessité, les aides , les subventions et les transferts sociaux
auront raison des moyens de l’Etat. Or ces moyens n’étant pas renouvelés, ni à
court ni à moyen terme, du fait de la récession économique post-virale, les
lendemains ne seront pas enchanteurs.
Face à cette situation catastrophique,
qui déjà commence à se dessiner pour certains pays, il convient absolument que
des solutions soient immédiatement envisagées parce qu’un Etat sans ressources tombera
soit en déliquescence soit dans le déchirement et l’explosion sociale…
Alors puisqu’un « problème,
même complexe, qui se conçoit bien s’énonce
bien » formulons-le en une question simple :
« Que peut faire l’Etat AUJOURD’HUI
pour faire face à la menace DEMAIN ? »
Si l’on écrit bien « aujourd’hui »,
c’est bien à escient, puisqu’il ne faut pas attendre la fin de la période
confinement pour trouver de solution, car une sortie de confinement dans une
économie exsangue, sans entreprises, sans travail, sans ressources avec un Etat
au bord de la déliquescence …et surendetté est une forme d’apocalypse socio-économique.
Oui. Mais « surendetté »,
disons-nous ? En effet, voilà le mot-clef :« « endettement ».
« Surendettement » , « dette »,
« remboursement » « capital » « intérêts »….des maux-clefs
de la misère de nos pays.
Service la dette
En réponse à notre question («
Que peut faire l’Etat AUJOURD’HUI pour faire face à la menace DEMAIN ? »), il
convient absolument d’envisager une solution à l’une des charges structurelles du
budget de l’Etat : le service de la dette. Notamment celui de la
dette extérieure , en intérêt et en principal.
En effet, face à la récession
économique, qui déjà pointe, nos Etats ne pourront pas faire face à cette dette
et les créanciers le savent déjà pertinemment. A la sortie de cette crise nos
Etats seront déjà dans une situation où leur propres engagements financiers
domestiques seront difficiles à tenir.
Or si l’on considère les flux
financiers annuels au titre service de
la dette extérieure dans nos budgets nationaux on remarque que déjà nos Etats supportent
des taux de remboursements faramineux, à plus de 12,2 % de leurs recettes
publiques.
« Entre 2000 et 2017, la
dette extérieure publique des pays du Sud a doublé, passant de 1300 à 2630
milliards de $US[1] et depuis
2010, la part des remboursements de la dette extérieure publique des pays du
Sud par rapport à leurs recettes totales, a augmenté de 85 % et culmine à un
niveau moyen de 12,2% des recettes publiques des États, soit le plus haut
niveau atteint depuis 2004. Les pays les plus affectés par cette hausse du
service de la dette avaient en majorité contracté des prêts et/ou des
obligations auprès du FMI »[2]
Surendettement
Au 31 juillet 2019, suivant le rapport 2019 du FMI, la Mauritanie fait
partie de la liste des vingt-quatre pays à haut risque de surendettement : Afghanistan, Burundi,
Cameroun, Cap vert, Djibouti, Dominique, Éthiopie, Ghana, Haïti, Îles Marshall,
Kiribati, Laos, Maldives, Mauritanie, Micronésie, RCA, Samoa, Sierra
Leone, St Vincent les Grenadines, Tadjikistan, Tchad, Tonga, Tuvalu et Zambie)[3]
La dette souveraine
Et d’autre part comme l’écrivent Andrea
F.Presbitero et autres[4]
(Sovereign bonds in developing countries: Drivers of issuance and spreads) , la crise financière de 2007-2008 a impacté l’économie des pays occidentaux. « A
la recherche de financement plus rémunérateurs, banques et investisseurs privés
ont alors investi leurs importantes liquidités dans la dette souveraine des
pays du Sud [11]. Alimenté par le faible niveau des taux d’intérêts directeurs
aux États-Unis et en Europe, ce cycle s’achève actuellement et prend en étau
les pays du Sud dans « le piège de la dette ».
Sortie de crise virale
La plupart des réflexions
actuelles pour trouver des solutions après la sortie de la crise virale tournent
autour de la façon avec laquelle les Etats pourront redresser leurs économies à travers des propositions d’austérité,
de coupes budgétaires, de rationalisation de la dépense etc. . Or ce sont là
des remèdes imprescriptibles pour des Etats déjà affaiblis économiquement et
financièrement. La première des mesures est d’abord de supprimer la charge
structurelle première qui privera l’Etat d’une part importante des ressources dont
il disposera, à savoir le service de sa dette. Il faut que les ressources
affectées annuellement à cette dernière soient
utilisés pour faire face à la crise.
Ainsi si cette période de
confinement est catastrophique pour nos économies, son impact sur le devenir de nos nations l’est
encore davantage. Il serait judicieux
pour que nos Etats puissent faire face aux difficultés à venir (avec les faibles
ressources dont ils tireront d’une économie exsangue), qu’ils ne soient pas
pénalisés par un service de la dette qui leur enlèverait tous leurs moyens avec
toutes les conséquences dramatiques citées plus haut .
Aussi il est urgent que, dès à
présent, face à cette pandémie, il y ait
un mouvement de réflexion et de propositions à l’échelle de nos Etats pour
permettre des négociations visant à alléger drastiquement (ou à reculer les
échéances) sinon à supprimer cette dette
publique pour nos Etats. Et donc de la reconsidérer dans toutes ses
variantes (bilatérale, multilatérale et commerciale).
Il en va du futur sinon même de l’existence de nos Etats. Car il reste toujours
vrai que « qui dépend financièrement n’existe pas » faisant de la dette une endémie économique de
nos Etats.
Combattre l’endémie économique, c’est
déjà vaincre la pandémie virale.
Pr ELY Mustapha
[1] http://www.cadtm.org/Nouvelle-crise-de-la-dette-au-Sud#nb2-3
[2] Milan
Rivié « Nouvelle crise de la dette au
Sud » - https://pour.press/nouvelle-crise-de-la-dette-au-sud/
[3] . Voir FMI, “List of LIC DSAs
for PRGT-Eligible Countries. As of july 31, 2019”. https://www.imf.org/external/Pubs/ft/dsa/DSAlist.pdf
et Nations unies, Financing for Sustainable Development Report 2019.
[4] Andrea F.Presbitero et autres
“Sovereign bonds in developing countries:
Drivers of issuance and spreads” - Review of Development Finance Volume 6,
Issue 1, June 2016, Pages 1-15 – cf https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1879933716300483?via%3Dihub