Aussi aux fins de l’analyse, nous nous proposons d’établir ce concept de « pauvreté politique » à travers une définition et des caractéristiques fondamentales.
Si, en effet, l’on considère la politique dans sa définition originelle, la question ne devient plus aberrante. La politique étant « la gestion de la cité ». La pauvreté politique ne peut donc qu’être la pauvreté de gestion de la cité. Ce qui est pauvre est justement lacunaire et c’est ce qui, au sens propre et figuré, « laisse à désirer ».
La pauvreté politique pourra permettre de mieux comprendre les difficultés de la gouvernance. Si celle-ci s’appréhende de la façon avec laquelle les gouvernants peuvent « mieux » gouverner, la « pauvreté politique » peut se concevoir comme la carence de participation à cette gouvernance.
Il n’existe actuellement aucun indicateur permettant d’apprécier le niveau de « pauvreté politique » d’un pays puisque nous venons d’inventer le concept. Nous allons nous y essayer. Mais d’ores et déjà en adoptant la définition que nous avons donnée plus haut, « la pauvreté politique », comme la pauvreté économique, va couvrir un large spectre de situations. De la pauvreté politique tolérable, d’un système libéral, à l’extrême pauvreté politique des populations qui vivent en dessous du niveau de subsistance politique notamment dans les régimes dictatoriaux et autoritaires, en passant par la « pauvreté politique » en baisse des nouvelles démocraties, l’éventail est large.
Les caractéristiques de la pauvreté politique
La pauvreté politique induit les mêmes effets humains et sociaux que la pauvreté économique : frustration, marginalisation, incompréhension et révolte.
La pauvreté politique est favorisée par l’existence d’une pauvreté économique qui y participe à travers l’enchainement du citoyen dans une existence de lutte pour la subsistance l’empêchant de participer à la vie politique notamment dans les pays démocratiques sous développés.
Dans un pays non démocratique, et contrairement à la pauvreté économique, la pauvreté politique est indépendante du niveau de développement économique.
Peut-on proposer un indicateur de « pauvreté politique » (IPP)?
Cet indicateur (IPP) doit prendre en considération un paramètre important qui est celui du degré d’activisme politique du citoyen et la nature du régime politique de l’Etat. Cet activisme politique présente plusieurs variantes : un activisme libre dans le cadre d’un pays démocratique, pluripartisan, un activisme conditionné dans un régime à parti unique, un activisme clandestin dans un régime autoritaire ou dictatorial.
Si l’on prend les variables politiques nécessaires à l’activité politique : disponibilité, engagement, participation, cadre partisan, démocratie… certains pays qui se targuent d’être riches sont en fait dans une pauvreté politique extrême.
Et l’indicateur de pauvreté politique se doit d’être pris en considération, à l’instar de l’indicateur du développement humain (IDH) ou de l’indicateur de pauvreté humaine (IPH) du PNUD, dans l’évaluation du niveau de développement d’un pays. Le développement n’étant pas seulement une question de croissance économique.
Ainsi défini, peut on appliquer ce concept à la situation de la Mauritanie ?
La démocratie fut instaurée en Mauritanie, et la Mauritanie fait désormais partie des pays à régime démocratique. Mais si la démocratie est un vecteur de lutte contre la « pauvreté politique » elle n’en est pas la solution. Tout comme la correction des inégalités sociales permet de lutter contre la pauvreté mais elle ne la résout pas.
Et actuellement en Mauritanie la pauvreté politique existe et prend des allures spécifiques. Si l’on se réfère aux caractéristiques de la pauvreté politique posées plus haut, il reste indéniable que cette « pauvreté politique » prend sa source dans trois facteurs :
- le désintéressement originel de la majorité des citoyens de la vie politique,
- L’attentisme actuel du peuple face aux nouveaux gouvernants
- l’interaction entre pauvreté économique et pauvreté politique,
I- le désintéressement fondamental de la majorité des citoyens de la vie politique
Au second tour de l'élection présidentielle de mars 2007 sur le 1.132.877 d’inscrits seuls 764.045, ont voté et seuls 706.705 suffrages ont été exprimés. En terme de pourcentage cela fait 24% , sur une population estimée 3 177 388 habitants! Et le Président de la République a été élu par 11,7 % du peuple Mauritanien (contre 10,4% pour son concurrent) .
Déjà à ce niveau apparaît la « pauvreté politique », puisque 76 % du peuple mauritanien, soit plus des trois quarts, n’ont pas participé aux élections. L’afflux vers la démocratie n’est pas la préoccupation première du citoyen. Cela s’explique en se référant à la définition que l’on a donnée de la « pauvreté politique » par le dénuement institutionnel dans lequel s’est trouvé le citoyen désireux d’exprimer son vote. Impossibilité de contester les recensements, de rejeter la période trop courte impartie au recensements par les autorités, de dénoncer l’exclusion des Mauritaniens à l’étranger du vote etc. Un ensemble d’handicaps institutionnels sous la transition qui accrurent cette « pauvreté politique »
A cela s’ajoute le dénuement conceptuel lui permettant de formaliser et de surmonter la méfiance que lui ont inspiré durant des décennies les pratiques électorales de l’Etat. Pratiques qui ont réduit son besoin démocratique à une frustration réprimée qui s’est manifestée à travers la baisse de participation aux dernières élections.
II- L’attentisme actuel du peuple face aux nouveaux gouvernants
Le manque de réactivité politique des citoyens pour dénoncer les difficultés qu’ils vivent particulièrement la cherté de la vie, les privations et l’instabilité des services domestiques (eau électricité), la baisse du pouvoir d’achat, les scandales et les menaces narcotiques, la mauvaise gestion des ressources publiques, économiques et humaines, ne s’explique que par les effets de cette pauvreté politique.
La situation actuelle dans laquelle se trouve l’opposition traditionnelle qui semble avoir baissé les bras, aggrave la pauvreté politique du pays. Et le citoyen le ressent.
La démocratie, comme mentionné, est un environnement favorable pour la résorption de la pauvreté politique , mais elle peut aussi en être un élément aggravant lorsque la sphère politique ayant « engrangé » sa légitimité se détache de la sphère populaire et s’enferme dans une bulle qui fonctionne et ne se justifie que par elle-même. Tout en s’étant immunisée, contre l’opposition prise au piège du « leadership institutionnalisé » et des « concertations périodiques » qui lui donnent l’impression de jouer un rôle.
Cette neutralisation de l’opposition et la légitimation d’un pouvoir assis sur une classe ancienne déjà vue à l’œuvre sous un régime précédent, ont donc aggravé la « pauvreté politique » du pays et ont enlevé au citoyen un outil important de satisfaire un besoin politique urgent. Non pas celui de faire entendre sa voix, mais celui d’être écouté. L’indice de « pauvreté politique » s’en trouve fortement détérioré.
III- l’interaction entre pauvreté économique et pauvreté politique.
La pauvreté politique contrairement à la pauvreté économique ne se définit pas par la rareté des biens ou leur absence. La pauvreté politique peut être grave dans un pays d’opulence. Il suffit que ce pays ait un régime autoritaire ou dictatorial. La pauvreté politique se réduit dans la liberté et la démocratie. Toutefois, même en la présence de ces éléments, la pauvreté politique peut subsister durablement lorsque le niveau de vie des populations ne leur permet pas de vaquer à des occupations politiques ou de s’intéresser à la vie politique... Entièrement pris par la recherche des moyens de subsistance, il sont « pauvres politiquement », mais cela est principalement dû à leur pauvreté économique.
Le cas de la Mauritanie est ici illustratif de cette situation. Le niveau de vie des populations, dont certaines vivent en dessous du seuil de subsistance les empêche, malgré l’ouverture démocratique du pays, de participer à la vie politique. Ni d’être à l’écoute de la superstructure politique. « Un ventre vide, dît-on n’a pas d’oreilles ».
Aussi malgré la démocratie naissante, les espoirs qu’elle a suscités et les élans qu’elle a engendrés il n’en demeure pas moins que son handicap réside fondamentalement dans l’amélioration du niveau de vie et du bien être des populations ce qui a contribué à une détérioration de l’indice de « pauvreté politique ». Un indice dont l’amélioration reste fondamentalement dépendante dans notre pays de l’évolution de celui de la pauvreté économique.
En définitive, l’introduction de la notion de « pauvreté politique», permet une meilleure compréhension, à travers des facteurs non économiques et non sociaux, de ce qui handicap la démocratie dans notre pays. Elle me semble novatrice car elle est la seule à même de consacrer , une approche de la gouvernance qui ne se focalise pas exclusivement sur le centre de décision politique, les gouvernants, mais sur les gouvernés (les citoyens). L’établissement d’un indice de pauvreté politique pour chaque pays aidera à mieux comprendre la réalité des choses.
Pr ELY Mustapha
Picture: Hands up: The University helped to make a stand in the Make Poverty History campaign. cf: http://www.ed.ac.uk/annualreview/0405/poverty-history.html