Eléments pour Combattre la « guérilla »
Lire et relire tout ce qui s’écrit sur le terrorisme dans la bande du sahel, ne mène à rien sinon de remplir la besace des experts tout azimuth qui ont fait du terrorisme une denrée qu’ils malaxent et distillent au gré des circonstances.
En fait, le terrorisme au sahel n’est pas une affaire de quelques barbus qui se promènent dans le désert. C’est un instrument d’influence que des pays de la sous-région emploient à des fins qui varient selon leurs intérêts personnels.
Il ne faut pas craindre de le dire, l’AQMI c’est des terroristes manipulés par des Etats. Certains veulent déstabiliser ou maintenir dans la dépendance de leurs moyens (financiers et militaires) des pays du sahel, d’autres veulent garder une neutralité positive à l’égard des terroristes pour éviter la confrontation avec les tribus que AQMI a infiltré (Touaregs notamment). L’Algérie, la Lybie, la France, les Etats unis, le Mali, le Niger jouent tous une carte avec Al Qaida. Certains de ces pays (USA, France) y voit des intérêts géostratégiques, d’autres des terrains d’influence (l’Algérie et la lybie), enfin ceux qui se « protègent » par la neutralité, le silence ou la complicité qui ne dit pas son nom (Mali, Niger).
Et la Mauritanie dans tout ça ?
a Mauritanie vient d’envoyer ses soldats mourir aux confins du Mali. Seuls sans préparation, sans appui logistique sans appui de l’armée malienne, ni algérienne sur la base d’un renseignement que des véhicules d’AQMI se dirigeraient vers la frontière. Les dégâts sont sérieux et les soldats mauritaniens s’en sont retournés sans trompette ni gloire. Ce n’est point que AQMI n’ait pas subi des dégâts ou que certains de ses membres n’aient pas été tués au combat, mais rapportée à la stratégie sécuritaire que devait adopter la Mauritanie, une telle campagne contre AQMI au Mali est lourde de conséquences.
L’Algérie elle-même qui dispose de la première armée de la sous région, en nombre d’hommes, d’équipements ( terrestre et aérien) et de puissance de feu, n’est pas allée pourchasser les terroristes sur le territoire malien. Outre, sa stratégie évoquée plus haut, elle sait que la voie la plus adaptée est la protection de ses frontières maritimes, aériennes et terrestres et de… maintenir le statu quo.
La dernière preuve en est , qu’avant la fin même des combats engagés par l’armée mauritanienne au Mali, l’Algérie déclarait que l’armée mauritanienne avait subi « de lourdes pertes ». Et le Mali de son côté gardait un silence de mort.
C’est autant dire que dans cette affaire d’AQMI au sahel, et autant que le prouvent les évènements et l’historique des interventions, aucun pays de la sous-région n’est “innocent”.
Aussi la meilleure stratégie pour la Mauritanie est de développer d’abord sa propre stratégie de lutte contre AQMI , quitte à l’articuler avec celle des autres. Mais qu’elle se définisse d’abord une stratégie tenant compte de ses intérêts, de ses propres réalités de terrain dans le pays (situation sociale, politique et économique ) et de ses frontières.
En effet, si l’on considère le niveau actuel de la progression d’AQMI en Mauritanie on peut dire que globalement il est encore à un premier niveau militaire. Il ne s’agit pas encore d’un terrorisme urbain ou rural. Ce second niveau n’est pas atteint mais il pourrait l’être si la stratégie militaire de lutte contre Aqmi actuellement adoptée se continue. Il est donc urgent que la stratégie militaire aux frontières soit revue (I) et qu’un plan d’actions préventif soit mis en place pour contrer le terrorisme intra-frontières (II)
I- La Mauritanie se doit de revoir sa stratégie de lutte militaire contre AQMI aux frontières (I)
La Mauritanie, en envoyant les éléments d’une armée régulière contre une « guérilla », s’est largement trompée sur les moyens et sur les effets attendus. On ne combat pas une « guérilla », en envoyant des soldats repus à la gamelle des casernes et attachés aux plis de leur uniforme. On combat la guérilla avec l’esprit, la détermination, les moyens de renseignement et la mobilité.
En effet, pour bien comprendre les voies et moyens de combattre AQMI c’est d’abord bien l’identifier en tant qu’ennemi. Non pas en tant que nombre, ni localisation (laissons cela aux satellites) mais en tant que force à travers ses caractéristiques pour, justement, les prendre à contre-pied.
Ainsi AQMI :
1. Agit par combats d'unités mobiles et flexibles
2. Pratique une guerre de harcèlement et d'embuscades,
3. S’appuie sur un soutien local
4. Collecte de l’information par des moyens locaux
5. S’approvisionne auprès de sources locales
6. Recrute localement et fait des alliances (d’intérêt et de sang) avec les locaux.
7. Combat sans ligne de front
D’autre part et c’est crucial, AQMI contrairement à la guérilla classique, utilise les moyens terroristes pour arriver à ses fins.
Aussi, on ne peut combattre AQMI que si l’on utilise une contre-stratégie à celle qu’elle a développée. Il faut agir sur les plans militaires et de renseignement :
1. Mettre à contribution des unités mobiles bien entrainées aux combats dans le désert
2. Recruter des experts locaux fiables connaissant bien le terrain en soutien aux unités
3. Former les unités aux techniques du harcèlement et les moyens sécurisés d’y répondre
4. Développer la surveillance frontalière et limiter l’engagement des unités en profondeur dans les territoires. Limiter les conditions de poursuite cause d’embuscades.
5. Développer des moyens de renseignements locaux dans les zones frontalières (permettant de déterminer dans ces zones les lieux d’approvisionnement et de recrutement d’AQMI, et d’anticiper ses actes)
II- Un plan d’action interne pour contrer les actions d’AQMI
Ce qu’il convient de comprendre avant tout, c’est qu’AQMI, ne mène pas une guérilla étrangère pour occuper par des troupes étrangères un territoire, c’est un combat politique qu’elle mène en utilisant les natifs du pays comme chair à canon. Son but n’est pas de continuer éternellement un harcèlement aux frontières ni des embuscades mais de prendre à terme le pouvoir dans les pays qu’elle vise. Elle n’hésitera donc pas à frapper à l’intérieur du pays et non plus par des prises d’otages mais par une véritable stratégie de la terreur, comme cela s’est vu en Algérie et ailleurs.
Les stratèges d’AQMI travaillent aussi sur les esprits. Ceux qui se sont fait exploser en son nom sont l’exemple même de l’endoctrinement et du « travail » psychologique dont AQMI est capable. Et cela s’exporte parmi les populations. AQMI, utilise le mental humain dans sa dimension la plus cruelle pour atteindre ses objectifs d’accaparation du pouvoir.
Jusque-là, il faut le dire, AQMI joue le jeu d’une guérilla classique, s’en prenant aux étrangers et à l’appareil militaire d’Etat.
Avec la dernière bataille livrée par l’armée mauritanienne au Mali, AQMI a compris qu’elle doit désormais utiliser des moyens pour affaiblir ce pouvoir en place qui lui envoie son armée jusque dans son fief. Elle ira donc dans le fief de son ennemi.
C’est la raison pour laquelle l’attaque précitée de l’armée mauritanienne contre AQMI au Mali est éminemment contre-productive. Les « stratèges » d’AQMI savent très bien que pour réduire à néant les efforts de l’armée aux frontières, il suffit de frapper à l’intérieur. Choquer l’esprit des populations, semer la peur , disloquer la confiance au régime, mettre à genou l’économie et l’investissement feront très vite descendre dans les rues, les pauvres, le mal lotis, les désespérés du régime en somme tous ceux qui constituent les recrues potentielles D’AQMI.
Comment alors faire pour que cela n’arrive pas ?
Outre l’attitude militaire à adopter, mentionnée plus haut, le pouvoir politique se doit d’accompagner sa lutte militaire par une lutte socio-politique et économique dont les éléments sont les suivants :
- Adopter une stratégie de discrédit contre AQMI, en y associant les personnes les plus influentes des classes politique, sociale et religieuse,
- S’atteler de façon effective à améliorer les conditions de vie locale (à l’intérieur du pays et aux frontières). Recenser les familles déshéritées, les jeunes sans emplois, les chômeurs et offrir le soutien et l’emploi.
- Engager rapidement une politique économique et sociale pour la jeunesse pour l’associer au développement économique et social du pays. Notamment généraliser les microcrédits à des taux préférentiels en mettant à contribution les banques, financer les d’entreprises jeunes en engageant des capitaux risques publics et privés, dynamiser les jeunes chambres économiques et les chambres de commerce et d’industrie.
- Lancer une politique de l’emploi des qualifications mauritaniennes, en accordant des incitations et autres avantages aux entreprises créatrices d’emploi.
- Générer une politique de communication et d’information vers les populations « sensibles » à la propagande d’ AQMI, à laquelle associer les dignitaires du pays.
Il ne s’agit là certes que de quelques éléments permettant de rendre moins arable pour AQMI, le terroir social mauritanien.
En effet combattre la misère (le chômage et la pauvreté de tous et de chacun) qui plonge dans le désespoir incitant à s’accrocher à la première théorie nihiliste venue, constitue le premier devoir contre AQMI.
Les opérations militaires ne sont qu’un aspect d’une violence légitime contre une violence aveugle qui s’est manifestée aux frontières. Mais une autre violence sournoise, qui servira AQMI, est celle que fait l’Etat à ses populations en les laissant dans la misère.
Pr ELY Mustapha