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Argumentaires sans arguments
Si Sidi Ould Cheikh Abdallahi démissionnait ce sera une porte ouverte à toutes les incertitudes pour l’avenir politique de la Mauritanie. Ce sera la défaite de la légalité et de la légitimité.
Pourquoi d’ailleurs, le président légitime de la République islamique de Mauritanie, élu par tout un peuple, dans des élections démocratiques transparentes saluées par toute la communauté nationale et internationale serait-il obligé de démissionner ?
Et pour quelles raisons, si ce ne sont des argumentaires qui ne tiennent pas la route et qui sont un curieux mélange d’ignorance du droit, de l'exacerbation de l’intérêt personnel et de l’éloge de la force illégale.
Quels sont donc les argumentaires de ceux qui veulent pousser sidi Ould Cheikh Abadallahi à démissionner ?
Ces argumentaires sont de quatre types. L’argumentaire basé sur la conviction de l’inefficacité du président renversé n'excluant pas la bonne foi de certains de ceux qui le tiennent (I) , celui qui déclame que Sidi est le candidat qui a été porté au pouvoir par les militaires et qu’il n’a donc aucune légitimité (II) , l’argumentaire de ceux qui ont été rabroués dans leurs ambitions politiques par Sidi Ould Cheikh Abdallahi et qui, personnellement, lui en veulent (III) et enfin, l’argumentaire des opportunistes qui n’ont de considération que pour leurs propres intérêts et s’allient toujours à ceux légitimes ou illégitimes qui détiennent, à un moment donné, le pouvoir (IV).
Comme nous allons le montrer dans les lignes qui suivent ces argumentaires qui veulent tous le départ de Sidi Ould Cheikh abdallahi ne sont pas défendables et pèchent par une ignorance totale des intérêts de la nation .
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I- L’argumentaire de "l’inefficacité" du Président de la République
Si tous les pays du monde devaient débarquer leurs présidents démocratiquement élus pour inefficacité de gestion , les trois-quarts des présidents du monde seraient renvoyés.
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Sidi Ould Cheikh Abdallahi resta 15 mois seulement à la tête de l’Etat mauritanien. Un Etat en pourrissement des 30 ans de gabegie, de corruption et de trafic d’influence qu'il a vécus.
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Le juger sur quinze mois de gouvernement est un acte d'un cynisme à nul autre pareil.
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Quels que soient sa force ou sa faiblesse, ses pouvoirs ou ses compétences l’environnement politique et administratif dans lequel le Président exerçait est peuplé de
forces d’inerties qui annihilent tout acte de bonne gestion, l’entravent ou se mettent de travers (voir notre article «
le soufi et les loups »).
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Gérer à ce niveau de telles forces rétrogrades demande un travail de longue haleine, de persévérance qui nécessite bien plus qu’un homme isolé soumis à la pression de son entourage pour le déstabiliser.
Sidi Ould Cheikh Abdallahi a commis, durant ces 15 mois de sa gestion, bien des erreurs (voir "
la lettre à sidioca"). Sa nomination de
roumouz elvessad à des postes clefs de l’Etat, son intransigeance à maintenir un premier ministre controversé , ses tractations irraisonnées avec les milieux politiques de tous bords, son incapacité à prouver publiquement la transparence dans la gestion de la fondation que gérait son épouse,
ses voyages répétés laissant les institutions en rade, son absence de communication et ses attitudes molles et attentistes à l’égard des problèmes économiques et sociaux qui s’accumulent, ont donné de lui une piètre image de gestionnaire et de leader capable de mener ses hommes au succès.
Mais tout ce que Sidi Ould Cheikh Abdallahi a fait, s’appelle une gestion erratique et souvent calamiteuse pour le pays. Une part de la responsabilité de
cette mauvaise gestion incombe cependant à ceux qui tout au long de son mandat l’ont entravé (au niveau gouvernemental et parlementaire) ou ont voulu en faire un instrument de leur volonté (au niveau militaire),
entrainant chez cet homme l’indécision et l’incapacité de gérer en toute sérénité (Voir notre article «
Le président n'est pas sérein ».)
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Mais qui pourrait dire, en son âme et conscience, que dans une situation similaire à celle de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, il aurait mieux fait que lui ? Sachant qu'il n'était ni libre de ses actes ni de ses gestes (son dernier décret le prouvant très bien).
Mais pour en arriver à l’essentiel : cet argumentaire justifie-t-il le renversement d’un chef d’Etat démocratiquement élu et bénéficiant de toutes ses prérogatives constitutionnelles ?
Certainement que non.
Si une gestion est reprochée au chef de l’Etat, mille et une voies de "redressement" sont prévues constitutionnellement (censure du gouvernement, retrait de confiance ) ou politiquement (dialogue, concertation, collaboration partisane) pour trouver une solution préservant les acquis démocratiques et la bonne continuité des institutions publiques.
II- L’argumentaire suivant lequel Ould cheikh Abdallahi a été porté au pouvoir par les militaires.
Cet argument se base sur un raisonnement tout à fait fallacieux.
Fallacieux, non pas en ce que Sidi ould Cheikh Abdallahi ait été soutenu par les militaires ce qu’il a lui-même publiquement avoué et qui est, d’ailleurs, depuis 2006 un secret de polichinelle, mais fallacieux en ce que Sidi ould Abdallahi est devenu par ce fait, la chose des militaires et qu’ils peuvent en disposer comme ils l’entendent.
Cet argumentaire fait fi de la légalité et de la volonté du peuple.
Le fait que Sidioca ait été soutenu par les militaires n’est pas un argument recevable pour deux raisons essentielles :
- D’abord, lorsque Sidioca a été élu à 52% des voix, ce sont les voix d'un peuple qui a ainsi exprimé sa volonté et son choix pour cette personne. Sidioca échappe ainsi à toute influence. Il est l’élu du peuple pas celui des militaires. Il est constitutionnellement le président de la République Islamique de Mauritanie et ce jusque là fin du mandat que le peuple lui a délégué.
- Ensuite, il est impossible, à travers tous les pays du monde, de trouver un président de la république élu démocratiquement sans qu’il n’ait été soutenu par une faction, un lobby, un groupe de pression ou un quelconque rassemblement ayant un poids militaro-industriel, financier , économique ou social. Si cette faction, ce lobby, ces groupes de pression ou ces rassemblements avaient le droit après l’élection de ce président de le démettre par la force, aucun Président de la République au monde ne finirait son mandat.
C’est autant dire que même si ceux qui l’on porté au pouvoir veulent le sanctionner par la suite Ce sera toujours par la voie démocratique durant son mandat (mécanismes parlementaires de censure et de retrait de confiance) ou à la fin de son mandat à travers les urnes. La force est à exclure, à bannir et à condamner et aucun argumentaire basé sur une logique démocratique ne devrait l’accepter.
III- L’argumentaire des rabroués et des promesses non tenues.
Beaucoup de ceux qui, aujourd’hui, ne veulent pas du retour du Président démocratiquement élu Sidi Ould Cheikh Abdallahi et qui veulent quand même « le retour à la légalité », ont une dent contre le Président renversé.
En effet, Sidioca a semble-t-il fait des promesses individuelles ou collectives de postes gouvernementaux ou autres. Promesses qu’il na pas tenues pour des raisons partisanes ou de pression internes ou externes et qui lui valent aujourd’hui un animosité certaine.
Mais là ou cette argumentaire faillit , c’est quand ceux qui, tacitement, le tiennent confondent entre les intérêts de la nation et leurs propres intérêts.
Ne pas aimer Sidi ould cheikh abdallahi, avoir été déçu par ses promesses données et non tenues est une chose et préserver l’institution présidentielle qu’il représente est autre chose.
Il ne faut pas qu’il y ait confusion entre la personne et la fonction qu’elle représente.
Qu’on le veuille ou non, depuis que Sidioca a été élu, il est devenu constitutionnellement la « personnification de l’Etat » .
« Le Président de la République est le gardien de la constitution. Il incarne l'État. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement continu et régulier des pouvoirs publics. Il est garant de l'indépendance nationale et de l'intégrité du territoire. » (Article 24 de la Constitution de la République islamique de Mauritanie du 20 juillet 1991).
Le Président de la République est l’expression de la volonté démocratiquement exprimée du peuple. Et en cela, ceux qui le tolèrent ou ceux qui le détestent n’ y peuvent rien. Il est le pouvoir exécutif sans lequel il n’ y a pas de pouvoir législatif qui tienne, sans lequel tout pouvoir législatif n’est qu’une partie d’un corps décapité. Comme ce coq qui court encore bien après qu’il fut égorgé et qui finira bien par se réduire à son sort et à s’étaler.
IV- L’argumentaire de ceux qui sont toujours du côté de la force au mépris des intérêts de la nation.
Dans cette crise qui touche, aujourd’hui, les institutions de la République Islamique de Mauritanie, ceux-ci basent leur argumentaire sur les positions laudatives des tenants illégitimes du pouvoir, qui justifient la force et qui la soutiennent au mépris des intérêts de la nation, en s'affiliant à cors et à cris au premier venu qui s’empare du pouvoir. Ils ne méritent même pas que l’on s’attarde sur les reproches qu’ils font au Président Sidioca. Sinon de leur espérer un châtiment exemplaire que la société se devrait bien de leur appliquer pour que la Mauritanie puisse survivre à cette gangrène.
En définitive, que reproche-ton à Sidi ould cheikh Abdallahi ?
Que lui reproche-t-on que l’on ne pourrait pas reprocher à ceux qui ont entravé les institutions de la République durant son mandat (parlementaires frondeurs et autres politiques véreux) ou parmi ceux qui l’on renversé ? Qu’ils lèvent la main. Et il y’en aura peu.
Pousser le Président de la République à démissionner:
- c’est cautionner les thèses de ceux qui l’on renversé,
- c’est accepter leur attitude de mépris à l’égard de tout un peuple et de sa volonté librement exprimée,
- c’est accepter la rupture d’un processus démocratique porteur d’espoir d’un peuple avili durant trente ans par une junte militaire qui se renouvelle et se coopte au pouvoir laissant un pays meurtri et exsangue,
- c’est vouloir encore le scénario des transitions avilissantes qui ne finissent pas et des régimes sous caution de militaires à l’affut pour le reprendre.
Non. Il ne faudrait pas que Sidi Ould Cheikh Abdallahi démissionne. Il faut qu’il soit reconduit dans ses fonctions pour que le processus démocratique puisse continuer. Et que par la suite, les institutions soient revues adaptées et corrigées en fonction des besoins de la bonne gouvernance. Une révision de la Constitution pour réaménager les pouvoirs exécutif et législatif et au sein de l’exécutif lui-même, entre le Président de la République et le Premier ministre.
En somme, rechercher un équilibre des pouvoirs accepté et au profit d’une bonne gestion des institutions publiques. Mais cela peut-il être fait en dehors de la Démocratie ?
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Certes que non. Et la seule voie saine actuelle est de reconduire le processus démocratique à travers les élus légitimes du peuple. Tout autre argumentaire n’est pas recevable dans un Etat de droit. Et pour Un Etat de droit.
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Pr ELY Mustapha