Nos dirigeants sont médiocres et ce qui les
maintient au pouvoir, ce n’est ni leur intelligence, ni leur intégrité,
ni même leur capacité à comprendre ce qu’ils font. Leur médiocrité est
telle que leur main gauche ne sait même pas ce que fait leur main
droite. Frappés d’une schizophrénie du pouvoir, ils manipulent, se
servent et sacrifient tout pour se maintenir au pouvoir. Et ils se
maintiennent malgré la volonté du peuple, malgré les cris et les
souffrances des opprimés et, contre tout, ils affichent leur arrogance
sous le couvert d’une légalité usurpée et d’une légitimité qu’ils n’ont
jamais eue.
Comment les combattre ?
D’abord, un constat : Les énergies de toutes les entités, personnes
physique (opposants) ou morale (partis politiques, associations etc.),
qui combattent nos régimes véreux sont toujours focalisées sur le
détenteur du pouvoir. Ce dernier est le point de mire de toute
opposition qui fait de son départ, l’objectif ultime.
Or cette focalisation sur la personne du détenteur du pouvoir est la
grande erreur commise par toute opposition qui voudrait atteindre ses
objectifs.
La raison à cela est la suivante et découle de ce qui a été dit plus
haut sur la médiocrité de nos dirigeants : Ils ne tiennent pas par
eux-mêmes, mais grâce à ceux qu’ils utilisent.
De ceci nous tirons la règle suivante : pour combattre et faire tomber un dictateur, il faut s’attaquer à ses collaborateurs.
Ces derniers ne sont ni plus ni moins que le véritable moteur qui
maintient la dictature en marche. Ils sont son talon d’Achille. Son
point faible. Et c’est en frappant son talon d’Achille que l’on met à
genou le système qui le porte.
En effet, nos dictateurs s’entourent de personnes qu’ils choisissent
pour leur nature rampante et corvéable et utilisent leurs compétences
pour se maintenir au pouvoir. Ces personnes, souvent sans foi ni loi,
obéissant au doigt et à l’œil pour des raisons bassement matérielles ou
cyniquement personnelles, travaillent pour la pérennité de leur maitre.
Ce sont des ministres, des conseillers, des Présidents directeurs
généraux, des présidents de partis, des gradés militaires et
sécuritaires.
Ce constat nous indique qu’une stratégie nouvelle se doit d’être
adoptée, qui doit déplacer le centre de mire du détenteur du pouvoir
vers ceux qu’il instrumentalise pour continuer à exister et sévir
Ceci correspond à neutraliser l’ennemi en le privant de ses
munitions. Un général qui n’a pas accès à son arsenal se rendra
forcément.
En effet, les collaborateurs de nos dictateurs, sont les véritables
responsables des actes de ces derniers. Ce sont des exécutants
complices, connaissant pertinemment la portée de leurs actes et les
méfaits qu’ils engendrent. Ils s’associent à leurs méfaits et à ce
titre se doivent d’être les premiers la cible de toute action visant à
faire tomber un régime dictatorial.
Cette stratégie du talon d’Achille, se doit d’être adoptée par toute opposition qui aspire à une alternance au pouvoir.
L’alternance étant confisquée à travers un « fonds » de
collaborateurs (civils et militaires) que le dictateur utilise pour
manipuler tout le système qu’il soit social, économique et financier. Il
faut donc saper ce « fonds » car c’est de lui que le dictateur tire sa
capacité à se maintenir.
Ce fonds d’individus, rampants, corvéables à tous les échelons de l’Etat sont identifiables et identifiés.
Comment s’y prendre ?
Le premier moyen est la dénonciation publique. Il faut
« décortiquer », le présent et le passé du collaborateur, vérifier ses
compétences mettre à nu ses activités et décrier ses actes à l’échelon
national et international.
Le second moyen est la dénonciation directe : il faut écrire à
l’intéressé et à son entourage, le mettre devant ses responsabilités et
en informer les structures nationales et internationales présentes dans
le pays.
Le troisième moyen est la publicité : organiser des forums et des
conférences sur les « collaborateurs » du régime et informer le public
sur les résultats d’enquêtes à leurs propos.
Le quatrième moyen est la contre-expertise : s’allier à des
compétences dans les domaines clef de l’action de l’Etat
(social/économique/financier etc.) et dénoncer à travers des études et
rapports les incohérences des actes des collaborateurs (ex. un audit des
finances publiques/un audit sécuritaire etc.). Et saisir les tribunaux
et les instances internationales sur la base de ces rapports.
Le cinquième moyen est la sommation : sommer nommément les
collaborateurs du régime, à travers des actes collectifs
(pétitions/lettres ouvertes) à se dédouaner de celui-ci et en informer
l’opinion nationale.
Le sixième moyen est la mise en garde : appeler les instances
nationales et internationales (économique/financières) à ne pas engager
le pays à travers les collaborateurs du régime en les catégorisant et
en informant largement à leurs propos (corruption/détournement…)
Quels sont les effets de tels moyens ?
D’abord dénoncer et informer sur les « instruments » humains
qu’utilise le dictateur pour se maintenir. Ensuite, créer un réflexe
citoyen et une culture de dénonciation des collaborateurs afin de les
mettre sous l’éclairage des médias et engager publiquement leur
responsabilité dans les affres que vit le pays. Enfin, envoyer des
signes forts de dénonciation des actes du régime à travers l’indexation
publique de ses collaborateurs.
L’application de la stratégie au cas Mauritanien
Soumise de façon permanente au syndrome d’un dialogue fiévreux qui la
divise, l’appâte et l’humilie, l’opposition, main-tendue, attend tout
du détenteur du pouvoir. Elle est entièrement focalisée sur lui et croit
que ce détenteur du pouvoir, ce général putschiste, est la clef de
l’alternance politique à laquelle elle aspire.
S’il en est le visage, il n’en est pas le moteur. Celui-ci est
représenté par quelques individus qui le conseillent, le manipulent au
gré de son humeur. Ce sont ses missionnaires et autres dispensateurs de
coups bas tels qu’engendrer la zizanie dans l’opposition en miroitant
pour les candidats au dialogue, des avantages qu’ils font valider par le
détenteur du pouvoir. Le Secrétariat général du gouvernement est le
fief de ces collaborateurs appuyé de transfuges du parti dit de la
« majorité » qui jouent, tout azimut, la carte du dialogue. Ressortie au
gré des humeurs du général et appuyée par le « fonds » de
collaborateurs mentionné, la carte du dialogue est « jouée» avec les
parties, les tribus, les lobbies et autres centres de déstabilisation de
l’opinion et des institutions. C’est là, le premier fief de
collaborateurs.
Le second fief de collaborateurs qui fait tort au pays est celui
composé par le BASEP. Ce bataillon militaire que le général engraisse
lui sert pour contrebalancer le reste de l’armée et la tenir en respect.
Ainsi une poignée de soldats, obéissant au doigt et à l’œil du
général, lui permet de dissuader toute une armée. Mais cela n’est pas
sans raison puisque ceux qui sont aux postes-clefs de cette armée font
partie du fonds de collaborateurs qu’il convient de dénoncer. Ils
assurent la pérennité du régime en recevant les contreparties et autres
avantages figurant dans un budget de l’armée chasse-gardée du pouvoir.
Le troisième fief de collaborateurs est le Gouvernement. Les
ministres-porte- serviette qui se coupent en quatre pour rester à leurs
postes en s’agrippant aux moindres mots du général pour les exécuter
dussent-ils aller à l’encontre des intérêts du pays. On a vu le bradage
des écoles et des marchés publics, la liquidation du fonds national des
hydrocarbures, la fraude aux marchés publics (aéroport et autres) etc.
etc. La fraudes à l’éducation nationale, la corruption, la
falsification etc. etc. Le bradage des terres du domaine public, le
détournement des fonds des entreprises publiques (SNIM), les denrées des
sociétés (SONIMEX) etc. etc.
En sommes un fonds de collaborateurs qu’il faut dénoncer et
poursuivre si nécessaire en justice tant les faits et les preuves sont
disponibles pour les inculper. Ils sont les exécutants aveugles de la
volonté du général et à ce titre leur collaboration est aussi néfaste
pour le pays que la présence du général lui-même à la tête du pays. Ils
doivent être la cible de toute action visant à dénoncer, informer et
(faire) condamner cette collaboration avec le régime qui détruit le
pays.
Les conditions de mise en œuvre de la stratégie
Cette stratégie requiert des conditions à l’échelle institutionnelle (opposition) et individuelle (libre conscience)
Les conditions institutionnelles sont une opposition :
- déterminée à exercer son rôle institutionnel avec dignité
- qui ne transige pas avec le pouvoir par le dialogue
- qui a les moyens humains et matériels de son action
- qui ne soit pas minée par l’opportunisme
- qui sait se différencier par des actes exemplaires sans transiger sur ses principes
- qui a des leaders qui ne craignent que leur conscience
- solidaire et sans dissensions sur son but et sa mission institutionnels
- qui n’intègre pas le tribalisme, le régionalisme et autres vicissitudes, instruments du pouvoir en place, dans sa pensée.
- non infiltrée par les collaborateurs du pouvoir et ayant une neutralité respectée.
Les conditions individuelles (libre conscience) concernent les
personnes qui s’inscrivent dans le combat contre l’hégémonie et la
dictature et qui, de leur côté, mettent en œuvre cette stratégie. Ils
doivent avoir la capacité :
- de s’impliquer personnellement dans la dénonciation des collaborateurs de la dictature
- de s’appuyer sur des réseaux permettant de retrouver, vérifier et recouper l’information
- d’être intègre dans l’appréciation des actes des collaborateurs du régime
- de résister aux influences et autres actes d’intimidation.
- d’utiliser avec efficience les réseaux sociaux et les médias pour
véhiculer les dénonciations et ales indexations d’individus
instrumentalisés par le pouvoir.
Il est vrai que même si l’opposition actuelle en Mauritanie ne remplit pas encore ces
conditions (et les individus de libre conscience, appliqués à dénoncer,
en leur âme et conscience le régime et ses collaborateurs, ne courant pas
les rues ) , la stratégie n’en est, cependant, pas affaiblie puisque rien ne
dit que, face à la stérilité des moyens actuellement utilisés, son
intérêt pour la lutte contre le pouvoir à travers ses collaborateurs, ne
s’impose pas par lui-même.
En conclusion, il reste que tant que les détenteurs de pouvoir,
illégal et illégitime, s’appuient sur leurs troupes de collaborateurs
pour se maintenir, manipuler le système, aliéner le peuple et le réduire
à la misère, la neutralisation (par les moyens mentionnés) de ces
collaborateurs constitue une stratégie dont les résultats saperont les
instruments humains du régime, en dissuadant et avilissant (ne
serait-ce qu’avec le temps), toute velléité de le servir.
Pr ELY Mustapha