ça ira... ça IRA
L'examen des différentes sorties médiatiques de Biram, montre que le personnage tient un discours qui inquiète. Un discours dont le contenu déroge à la tradition discursive de nos hommes politiques.
Le discours de Biram , s'inscrit comme un pavé dans la mare de nos séniles canards politiques. Si le discours de Biram inquiète, ce n'est pas seulement pour ceux qui se pavanent depuis des années dans les rouages politiques mais aussi pour tous les tenants d'une approche de la solution des problèmes socio-ethniques en Mauritanie. Mais aussi paradoxal que cela puisse paraître le discours de Biram n'est pas en lui-même une révolution, ni dans son contenu ni dans son mode d'expression, alors pourquoi un tel discours met-il les autorités publiques sur les dents et fait l'objet d'une telle vulgarisation médiatique? Et, au-delà de son contenu, le discours de Biram ne stimule-t-il pas une lame de fond qui stagne depuis des années sous le fleuve tranquille du microcosme sociopolitique. Et laquelle?
Comment donc un discours aussi commun peut-il générer des attitudes publiques non communes (représailles , interdictions à l'égard du personnage et de son mouvement...) ?
Aussi pour répondre à ces questionnements et comprendre son impact sur le microcosme sociopolitique mauritanien, voyons d'abord quel est le contenu du discours de Biram (I), sa stratégie (II) et ses conséquences (III)
I- Le discours d’un Spartacus: “moi” c’est “ça”
Le discours de Biram est commun, puisque regroupant les constantes du discours classique de l’opposition (intérieure et extérieure), mais il tire de la médiatisation du personnage et de sa provocation les premiers ingrédients de sa force.Et ce n’est pas que cela.
En effet, si l'on se devait de faire défiler les mots-clés du discours de Biram ce serait: "esclavage, racisme, droits humains, exclusion, discrimination, séquelles, impunité, classe, minorité, passif humanitaire, oppression, déni de droits, exploitation, intimidation, discrédit"
En somme son discours, en employant uniquement ces mots clefs au-delà du détail et du factuel, se retrouve dans tous les discours des dirigeants de l’opposition de Messaoud à Daddah en passant par Mouloud et Sarr.
Mais s’il est vrai que l’on retrouve dans le discours de Biram, les constantes des discours de l’opposition, il n’en demeure pas moins que ce discours a quelque chose de plus. C’est un discours qui s’enrobe d’une couche de provocation et de volontarisme que l’on ne retrouve pas chez celui de l’opposition qui se caractérise par une faiblesse apparente et un fort relent de recherche permanente de compromis avec le pouvoir.
Biram inaugure par un ton, que l’on retrouvait d’ailleurs chez Messaoud au premières heures de son engagement politique, une nouvelle façon de “traquer” les autorités sur les thèmes sensibles et les pousser à réagir en les mettant sur la défensive.
Mais pourquoi le discours d’une certaine opposition, qui reprend pourtant les mêmes constantes, n’a pas eu les mêmes effets que celui de Biram?
La raison en est simple. Le personnage s’est confondu avec son discours. Il est à la fois le dénonciateur et le dénoncé, l’orateur et le sujet, le libérateur et l’esclave, le justicier et la victime. Le moi et le ça.
Il s’est placé tout entier dans une stratégie de matérialisation de son discours par sa propre image. Il est lui-même l’expression personnifiée de ce qu’il clame. Il est le sujet de son propre verbe.
Toute sa personne est tendue vers ce qu’il dit (racisme, esclavage, exclusion) et tout ce qu’il dit s’exprime dans son état (discriminé, esclave, exclu). Cette stratégie de la confusion de la personne et de sa cause a donné de l’effet à la cause.
Le premier des effets a été, sous l’impact des contraintes et des représailles subies par le personnage lui-même, de donner une dimension médiatique et une force de conviction non négligeables à son discours. Il fut relayé de façon systématique sous le label: “la parole confisquée du militant interdit.”
II- La stratégie de Spartacus: faire trembler l’Etat sur ses fondements
Spartacus est dit-on “l’esclave qui fit trembler Rome sur ses fondements”. En ce sens, Biram s’inscrit bien dans cette logique.
Le second des effets a été, du fait de la particularité de sa situation, de pouvoir dénoncer des tabous. Le premier effet médiatique hors du commun a été celui de dénoncer les dérives des “oulémas” en Mauritanie notamment en ce qui concerne le statut des esclaves, leur mutisme face aux discriminations et exclusion et leur assentiment permanent au détenteur du pouvoir. En somme, en matière d’esclavage et de soumission à la dictature , les oulémas mauritaniens ont utilisé la religion comme “un opium du peuple”. Bien que cette expression n’ait pas utilisée par le personnage, ses attaques sur la mauvaise interprétation que font les oulémas mauritaniens du rite malékite se situent bien dans cette direction.
Biram en connaisseur de la philosophe, sait pertinemment que depuis Karl Marx: “la critique de la religion est le préalable à toute critique”. Elle en est le portail et la voie indiquée pour déstabiliser les consciences dont l’attachement au spirituel, entretenu par le clergé, les empêche d’appréhender leur réel, leur vécu; bref leur condition. L’esclavage en est un en Mauritanie.
Dans une démarche intellectuelle ascendante, Biram, veut faire de la critique de la religion, une critique du système juridico-politique tout entier soumis à une théologie de clergé. “Le rite Malékite n'est pas l'apanage des Ulémas du pouvoir qui le servent d'ailleurs mal, dira-t-il.”
“Ce que Biram condamne, déclare le porte parole de l’IRA, ce n'est pas le rite Malékite dans sa pureté originelle, mais cette copie travestie pratiquée en Mauritanie pour établir la domination de classe, justifier l'esclavage et l'oppression"
Et les dès son jetés. La stratégie suit alors son cours comme un vers dans le fruit. Les soubassements théologiques de tout le système sont ébranlés. Spartacus a frappé dans le pilier justificatif de tout le microcosme socio-politique mauritanien: la Religion.
La religion qui jusque-là se présentait en inquisitoire dans le social et le politique se retrouvait, pour la première fois de l’histoire de la Mauritanie, dans une situation accusatoire. Et c’est là où le chef de l’IRA frappe les soubassements du système.
C’est la raison pour laquelle tout le système a réagi d’un seul tenant. Biram est qualifié d’hérétique, de blasphémateur et autres ingrédients de fatwas en puissance. Et ce que ce Spartacus a introduit, au-delà des constantes partagées de son discours, c’est cette stratégie qui a consisté à accompagner ce discours d’une “mécanique” intellectuelle redoutable. Dont on retrouve déjà les prémisses dans les thèses de Feuerbach et l’instrumentalisation dans la “critique de la philosophie du droit de Hegel”.
La lutte de Biram en Mauritanie , ressemble à cette lutte contre l’establishment mauritanien, comme, au début du siècle, les intellectuels allemands d’obédience Marxiste pensaient que : "La lutte contre le présent politique de l’Allemagne est la lutte contre le passé des peuples modernes”. Et Marx n’est pas le voisin spirituel des Oulémas et moins encore de ceux que Biram qualifie “d’Oulémas du pouvoir”.
Toujours est-il que Biram, par cette stratégie, s’est placé au centre du système et y a généré un paradoxe qui semble avoir, comme un virus, commencé à grignoter les soubassements du système socio-politique mauritanien.
Et il n’est pas faux de dire qu’au-delà de sa lutte, Biram a bien touché des cordes sensibles qui liaient des tabous et maintenaient tout un peuple dans des chaines que personne, avant lui, n’eût le courage de dénoncer. Et à ces chaines, la religion n’est pas étrangères.
La religion a, en effet, pris en Mauritanie, à travers l’usage fort intéressé que certains cercles religieux et oulémas en ont fait, une dimension qui a totalement assujetti le temporel (champ d’action de l’homme et de sa volonté dans ses rapports avec sa société) au spirituel (champ d’action du croyant dans ses rapports avec Dieu). C’est ainsi que la religion instrumentalisée a introduit deux attitudes négatives freinant le développement social et économique de l’individu et freinant sa liberté. Le fatalisme, d’un côté, et l’obéissance aveugle à celui qui détient le pouvoir, de l’autre.
Le Mauritanien est fataliste. Tout est à Dieu, tout revient à Dieu et nul n’y peut rien. Cette attitude fataliste, a fait qu’il remet tout à Dieu, baissant les bras devant l’adversité, l’oppression et l’injustice. Et de cette situation ceux qui détiennent un semblant de pouvoir (dirigeants), économique (commerçants) social (chefs de tribus), en profitent. Ce fatalisme est pour beaucoup dans le silence et la résignation des petites gens, des faibles, des pauvres et des esclaves. Dans la société mauritanienne l’être ne prend par lui-même sa destinée par la défense de ces droits, par la révolte et les voies institutionnalisées, civiques et légales. En somme ce que les grandes révolutions en Europe et en Amérique ont inculqué au citoyen en forgeant la démocratie, “le pouvoir du peuple par le peuple”.
Seconde attitude négative inculquée par les tenant du clergé, est la soumission sine qua non à celui qui détient le pouvoir. Et cette situation est d’autant plus dramatique que ni les voies et moyens par lesquels cette personne est arrivée au pouvoir , ni les conséquences dramatiques qui en ont découlés ne sont pris en compte.
L’obéissance, à celui qui détient le commandement, en fait au plus fort, est d’une interprétation telle, qu’elle est pour beaucoup dans le statu quo permanent dans lequel est maintenu le citoyen. Cette situation concerne aussi bien ce dernier face aux dictateurs, que l’esclave face à son maître.
Cette instrumentalisation, de principes religieux appliqués hors de leur contexte socio-historique et de façon intéressée, est contraire au préceptes de la religion qui dictent la révolte contre l’oppression, le prêche du bien et la dénonciation du mal. Mais la réalité a est toute autre. Les préceptes religieux sont si nombreux et leurs interprétations si diverses que chacun, érudit ou bigot, pourra y trouver l’argumentaire de sa thèse et de son antithèse. Mais le bouclier contre une telle dérive, ne peut être nullement la bonne foi ou la bonne intention (l’enfer, dit-on, en est pavé) mais uniquement la foi inébranlable dans le respect de l’homme, dans ses droits et dans son être. N’est-il pas le représentant de Dieu sur terre qui l’a crée à son image?
La vérité est que ces dérives ne sont pas imputables à la Religion elle-même, mais à ceux qui s’en sont présentés comme “dépositaires” (“oulémas du pouvoir”) au sein de l’Etat et la société mauritanienne. Mais quelle que soit leur attitude, ils ne représentent pas la Religion car peut-on reprocher à la Médecine, la mauvaise pratique d’un médecin?
L’on comprend donc bien pourquoi le discours de Biram a engendré un tel lever de bouclier de la part d’une nomenklatura religieuse adossée au pouvoir et qui maintien le statu quo en instrumentalisant certains principes, au détriment d’autres, mais dont la sacralité est un bouclier que jusque-là personne n’a voulu affronter. Il fallait un Spartacus pour défier les centurions. Biram est au combat. ça IRA ou ça IRA pas. Le Rubicon est franchi. Alea Jacta est!
III- Au discours de Spartacus, la réponse de Brutus
Biram n’a pas seulement mis l’establishment religieux sur les dents, il s’est attaqué à ceux-la même qui depuis des années gouvernent, dans un silence complice, face aux malheurs du pays et ont assassiné tout espoir de son développement. Les Brutus.
Face à son inquiétant discours sur les interdits qui mettent la société en esclavage, Spartacus a subit les interdictions de Brutus. Interdiction de voyager, interdiction d’antenne, interdiction de son mouvement etc. Bref, une réaction musclée qui démontre bien l’impact de ce discours sur le système politique en place.
Mais ce Spartacus défie aussi d’autres Brutus. Ceux de la communauté arabo-berbères qui pratiquent l’esclavage et qui ne le portent pas en sainteté. Et ceux de ses frères harratines qu’il accuse de devenir des mercenaires à la solde du pouvoir pour assassiner la Cause des harratines. L’un de ces Brutus étant au sommet de la CNDH, les autres sont à divers échelons du système.
C’est autant dure que l’attitude de Biram n’est pas partagée par tous mais il convient d’admettre qu’elle n’est pas un pis-aller dans la configuration actuelle des enjeux politiques en Mauritanie. Car le discours de ce personnage, au-delà de ses constantes, se différencie du discours ambiant en Mauritanie par la stratégie qui le sous-tend et par son adossement à une démarche provocatrice de l’establishment.
Enfin le discours de Biram a ceci d’indéniable, il déroge à celui de l’ensemble de l’opposition par la clarté, par l’absence de détours compromissoires et par un volontarisme qui s’explique davantage par l’engagement de défendre une Cause que par une frénésie irréfléchie d’accaparer le pouvoir.
Cependant, tout autant que le discours de Biram, le chemin est long, le régime est spartiate et Spartacus doit ménager ses spartiates.
Pr ELY Mustapha