Le Sénégal et la Mauritanie, partenaires dans l’exploitation du gisement gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA), adoptent des approches contrastées pour gérer leurs revenus gaziers. Alors que le FMI prévoit une croissance de 14,3 % pour la Mauritanie en 2025 grâce au gaz, et que le Sénégal table sur des recettes représentant 1,5 % de son PIB , leurs modèles de gouvernance révèlent des priorités et des risques distincts.
Cadres juridiques
et répartition des revenus
Le Sénégal s’appuie sur la loi n°2022-19, qui répartit les revenus
gaziers entre le budget général (90 %) et un fonds intergénérationnel (10
%), tout en instituant un Comité d’Orientation Stratégique du Pétrole et
du Gaz (COS-PETROGAZ) pour superviser les politiques sectorielles. Le pays
a renégocié ses contrats avec les opérateurs internationaux pour porter la
participation nationale à 10 % dans le projet GTA, contre 7 %
pour la Mauritanie. Cette dernière, bien que dotée d’un Fonds national pour
les hydrocarbures depuis 2006, peine à garantir la transparence, avec des
mécanismes flous pour l’épargne à long terme et des dépenses publiques peu
alignées sur les besoins sociaux. Le Code mauritanien de l’électricité, réformé
en 2023, privilégie l’attractivité des investisseurs étrangers au détriment
d’une vision intégrée pour la population
Transparence et
inclusion citoyenne
Le Sénégal a engagé une réforme inclusive sous la présidence de Bassirou
Diomaye Faye, élargissant le COS-PETROGAZ à l’opposition, la société
civile et des experts indépendants. Cette démarche contraste avec la
centralisation mauritanienne, où la gestion des revenus reste contrôlée par
l’exécutif, malgré les recommandations de la Banque mondiale pour un audit
parlementaire renforcé5. Si la Mauritanie adhère formellement à l’Initiative pour la Transparence
dans les Industries Extractives (ITIE), la société civile dénonce un accès
limité aux données contractuelles, notamment sur la répartition des 2,6
milliards de dollars annuels attendus dès 2025.
Allocation
stratégique des ressources
Le Sénégal oriente ses revenus vers des priorités sociales : 300 millions de
dollars sont alloués à la réduction de la mortalité maternelle, et le
programme Tekavoul étend ses transferts monétaires à 500 000 ménages
vulnérables. Le pays vise également 70 % d’électrification rurale d’ici
2030, contre 50 % actuellement. La Mauritanie, en revanche, mise sur
l’industrialisation avec une usine d’ammoniac de 1,2 million de tonnes/an
et un projet d’hydrogène vert de 8 millions de tonnes d’ici 2040. Ces
investissements pourraient générer 20 000 emplois directs, mais risquent
de négliger les régions vulnérables comme le Guidimakha, où 41,2 % de la
population vit sous le seuil de pauvreté.
Défis communs et
divergences opérationnelles
Les deux pays partagent des risques liés à la volatilité des prix du gaz : une
baisse de 20 % des cours priverait la Mauritanie de 520 millions de
dollars/an, aggravant son déficit budgétaire de 4,2 % du PIB. Le
Sénégal, quant à lui, mise sur des clauses de révision contractuelle pour
atténuer ce risque. En matière d’emploi local, l’accord du 13 janvier 2025
sur le contenu local dans le GTA fixe un objectif de 35 %
d’emplois nationaux, contre 12 % actuellement en Mauritanie et 10 %
au Sénégal. Toutefois, la pression démographique (2,8 %/an en Mauritanie
contre 2,5 % au Sénégal) exacerbe les attentes sociales.
Coopération
régionale et limites
Le partenariat autour du GTA, dont la production atteindra 5 millions de
tonnes/an en 2027, illustre une synergie technique mais masque des
asymétries politiques. Alors que le Sénégal promeut une gestion « norvégienne »
via son fonds souverain, la Mauritanie priorise les infrastructures
énergétiques, avec 50 % des revenus gaziers y étant consacrés. Les 15 % de redevances promis aux
wilayas côtières mauritaniennes tardent à se concrétiser, tandis que le Sénégal
intègre déjà 24 milliards de dollars de revenus projetés dans sa
planification budgétaire.
Deux modèles sous
surveillance internationale
Si le Sénégal incarne une approche inclusive et transparente, alignée sur les
standards de l’ITIE, la Mauritanie mise sur une croissance accélérée via
l’industrialisation, au risque de reproduire les erreurs des rentes minières
passées. Leur succès dépendra de leur capacité à résister aux pressions
clientélistes et à convertir 500 millions de dollars annuels (pour la
Mauritanie) et 1,5 % du PIB (pour le Sénégal) en capital humain et
infrastructures durables. La communauté internationale, via le FMI et la Banque
mondiale, jouera un rôle clé pour garantir que le gaz ne devienne pas une
nouvelle « malédiction » régionale.
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Pr ELY Mustapha