Trente noms livrés au public: réparer l’irréparable
La publication publique des noms constitue, en elle‑même, une sanction sociale et institutionnelle avant l’heure. Elle inflige un dommage immédiat et profond à l’honneur de la personne, altère durablement son image et sa réputation, atteint sa famille et son entourage, et porte atteinte à sa dignité.
N'est-il pas des plus déshonorant pour un Etat que de jeter ses fonctionnaires en pâture ; n'est-il pas plus triste aux yeux de tout citoyen de voir ce fonctionnaire figurant dans cette infame liste des 30 (un secrétaire général de ministère) demander pardon à sa famille et à ses enfants . Pardon de quoi, pardon à qui ? Ni aucun ministère public n'a déjà qualifié de délit ou de crime ses actes , tout come ceux des autres fonctionnaires au moment de la publication de la liste par le gouvernement. Or la qualification de l'acte est l'élément générateur de tout procès et de mise n jugement…. Jusque-là il ne s'agit que de fautes de gestion (relevant de la compétence de la Cour des comptes) soit une infraction à la législation budgétaire, financière et comptable publique, punissable par la retenue de salaire annuel du fonctionnaire ou de sa fraction; ou cumulativement, s'il y a lieu, d'une sanction disciplinaire ou administrative….mais nullement d'une sanction pour délit ou crime (Contrainte financière /incarcération etc.) que seuls les tribunaux pénaux ont le compétence de prononcer.. Car ni le délit ni le crime ne sont encore établis. Il s'agit d'une simple présomption qui comme toute présomption de ce type n'est pas irréfragable et peut souffrir, recevoir, la preuve contraire . Or la liste a été présentée publiquement et a été perçue par le public comme elle de corrompus et de criminels. Une mauvaise foi qui ne sied pas à l'honneur de ceux qui doivent veiller sur la chose publique et à la préservation de son image.
Dans l’écosystème numérique, cette exposition de personne non encore jugés, est
pratiquement irréversible: les captures, relais et indexations rendent
illusoire tout retour à l’oubli, même en cas de classement sans suite ou de
relaxe définitive. En d’autres termes, l’État inflige, par la communication
nominative prématurée, une peine qui ne dit pas son nom, sans base légale ni
contrôle du juge, alors que le droit commande la retenue, l’anonymisation et le
respect effectif de la présomption d’innocence.
Le réflexe politique consistant à se dédouaner de toute responsabilité pénale présumée en répondant à la contestation populaire et aux tensions suscitées par un rapport de la Cour des comptes ne saurait justifier la mise au pilori de personnes non jugées.
L’État de droit impose une exigence de retenue: informer sans stigmatiser, expliquer sans accuser, corriger sans désigner des « coupables » avant l’heure.
La présomption d’innocence n’est pas une clause décorative; elle protège des vies, des familles et des carrières. Y déroger au nom de l’apaisement immédiat revient à sacrifier les garanties fondamentales sur l’autel de l’opinion, alors même que seule la justice, au terme d’un procès équitable, peut établir la vérité et, le cas échéant, prononcer des sanctions.
Quand l’information devient sanction: défendre l’honneur face à l’arbitraire
Sur le cadre constitutionnel, la présomption d’innocence irrigue tout l’ordre juridique: nul ne peut être présenté comme coupable avant un jugement définitif. Cette garantie s’articule avec la dignité de la personne et la protection de la vie privée: l’État, dépositaire de l’intérêt général, doit proportionner sa communication et ne diffuser des données nominatives sensibles qu’en présence d’une nécessité impérieuse, d’une base légale claire et de garanties suffisantes. La transparence administrative ne prime jamais les droits fondamentaux: elle s’exerce par des synthèses anonymisées, la publicité des montants recouvrés et des mesures correctrices, non par la stigmatisation d’individus avant toute décision de justice.
Sur le droit applicable à la Cour des comptes, la loi organique encadre trois piliers: jugement des comptes, sanction des fautes de gestion, et assistance aux pouvoirs publics. Lorsqu’apparaissent des faits susceptibles de qualification pénale, le ministère public près la Cour transmet le dossier au ministre de la justice aux fins d’exercice de l’action publique. Cette mécanique est probatoire et juridictionnelle: elle ne confère aucunement à l’exécutif un pouvoir de « nommer et déshonorer».
La finalité de contrôle des finances publiques est la correction des irrégularités, la responsabilisation des gestionnaires et, le cas échéant, la saisine pénale. Dévoiler des noms avant l’engagement régulier de la procédure pénale détourne cette finalité et expose l’État à une faute de service.
Noms publiés, droits piétinés: faire condamner l’État
Le droit de la procédure pénale impose la retenue. Le secret du déroulement des enquêtes et de l’instruction, la sérénité de la justice et la protection des témoins prohibent les communications nominatives inutiles et prématurées. Même lorsque des informations d’intérêt public doivent être portées à la connaissance des citoyens, elles le sont dans des termes factuels, non conclusifs, et sans identification des personnes tant que l’organe de poursuite ou la juridiction n’ont pas donné à l’affaire une publicité régulière. La présomption d’innocence n’est pas un vernis rhétorique: elle commande la forme et le contenu du discours public, y compris celui de l’État.
Le droit pénal encadre lui aussi les dérives de communication. Imputer publiquement des crimes ou délits à des personnes identifiées, en les présentant comme acquises, caractérise la diffamation publique si l’assertion porte atteinte à l’honneur et à la considération. Révéler des éléments couverts par le secret de l’enquête, ou par le secret professionnel, engage la responsabilité pénale de leurs auteurs. La nature « exacte » d’une information ne suffit pas à la légitimer: une divulgation peut être exacte et néanmoins illicite si elle viole un secret légal, méconnaît la présomption d’innocence, ou procède sans base légale et sans nécessité.
À ces fondements s’ajoute la protection des données personnelles. Une liste nominative associant des individus à des « suspicions d’infractions » constitue un traitement de données relatives à des infractions, catégorie particulièrement sensible. À défaut de base légale spécifique, de finalité déterminée, de nécessité stricte et de minimisation, ce traitement est illicite. L’administration, en tant que responsable de traitement, engage sa responsabilité: retrait, limitation, rectification, notification aux destinataires, et, le cas échéant, sanctions administratives et réparation civile.
Exposer n’est pas juger: traduire l’État, protéger les droits
L’illégalité de la publication nominative de ces 30 personnes ressort alors de quatre vices cumulatifs.
D’abord, l’absence de base légale: aucune disposition ne confère à l’exécutif un pouvoir général de publier les identités transmises par la Cour des comptes aux fins judiciaires.
Ensuite, l’atteinte caractérisée à la présomption d’innocence: qualifier publiquement des personnes de « présumées » n’exonère pas lorsque la présentation induit la culpabilité aux yeux du public. En outre, la violation du secret procédural se matérialise lorsque la communication précède ou interfère avec les actes de justice.
Enfin, la disproportion: la poursuite d’un objectif de transparence peut être satisfaite par des moyens moins attentatoires, tels l’anonymisation et la communication de données agrégées.
Attaquer l'Etat en justice: les voies et moyens
La stratégie contentieuse pour ces personnes ayant subi ce préjudice à la fois moral et matériel doit être simultanément réactive et structurée.
En première ligne, le juge des référés peut être saisi pour faire cesser le trouble manifestement illicite: retrait immédiat des listes, déréférencement, publication d’un rectificatif rappelant la présomption d’innocence, le tout sous astreinte. Le fondement réside dans l’atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales, l’absence de base légale claire de la publication, et la disproportion. La preuve se construit par des constats numériques horodatés, l’archivage des pages officielles, et la démonstration d’impacts concrets (perte d’emploi, résiliation de contrats, préjudices de réputation).
Sur le fond, un recours de pleine juridiction en responsabilité administrative permettra d’obtenir la condamnation de l’État pour faute de service et la réparation intégrale des dommages. Le préjudice moral (atteinte à l’honneur, anxiété, souffrance) et le préjudice économique (opportunités perdues, ruptures contractuelles, perte de chance) doivent être chiffrés et documentés (attestations, expertises, pièces comptables). L’action collective des trente personnes, fondée sur un noyau factuel commun, renforce la cohérence probatoire et l’efficacité procédurale, tout en optimisant les coûts.
Des actions pénales complémentaires peuvent être envisagées lorsque les éléments le justifient: plainte avec constitution de partie civile pour diffamation publique ou violation de secrets légaux. L’objectif n’est pas la sur-pénalisation, mais la restauration du droit: rappeler que la parole publique est aussi justiciable des limites protectrices des personnes. En parallèle, la saisine de l’autorité de protection des données permet d’obtenir des injonctions de mise en conformité, la suppression ou la limitation du traitement, des amendes administratives, et la notification du retrait à tous les destinataires du fichier litigieux.
Contrer la défense de l'Etat: ni transparence, ni intérêt public
La défense de l’État invoquera certainement la « transparence » et l’« intérêt public ». La réplique repose sur deux pierres angulaires: la proportionnalité et l’anonymisation. La transparence n’autorise pas l’atteinte nominative lorsque le même objectif peut être atteint par des moyens moins attentatoires. L’exactitude alléguée ne neutralise pas l’illicéité si la communication méconnaît la présomption d’innocence ou les secrets légaux. L’intérêt public véritable est mieux servi par la publicité des résultats (sommes recouvrées, réformes engagées, sanctions administratives prononcées) que par l’exposition de personnes non jugées.
Il faut donc agir par étapes .
La première est la constitution du collectif, des mandats, la collecte des preuves numériques, l'évaluation initiale des dommages.
Dans la seconde, le référé d’urgence visant retrait, déréférencement et communiqué rectificatif.
Dans la troisième, assignation en responsabilité avec chiffrage affiné des préjudices et demande de publication judiciaire du rectificatif sur les mêmes canaux et pour une durée équivalente.
En quatrième étape, le cas échéant, dépôts de plaintes pénales ciblées et articulation d’arguments constitutionnels subsidiaires si un texte est invoqué à tort pour justifier la publication.
En définitive, et au-delà du litige, l’enjeu est éthique et institutionnel.
Le contrôle des finances publiques et la lutte contre la corruption exigent rigueur, indépendance et pédagogie. Mais l’État de droit impose que la transparence demeure compatible avec les droits fondamentaux: présomption d’innocence, réputation, vie privée et régularité des procédures.
Traduire l’État en justice lorsque ces bornes sont franchies n’est ni un acte d’hostilité ni un obstacle à la probité; c’est la condition même de la confiance dans les institutions.
Une victoire contentieuse ici ouvrira la voie à des protocoles de communication responsables: anonymisation par défaut, circuits de validation juridique, formation des porte‑parole, et séparation stricte entre contrôle financier, action disciplinaire et information du public.
Tel est l'Alpha et l'Oméga présidant à toute bonne gouvernance d'un Etat respectueux du peuple qui demande des comptes …et de la dignité de ses fonctionnaires que l'on juge.
Pr ELY Mustapha

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Pr ELY Mustapha