samedi 25 août 2007

GSM : Le Grand Siphonnage de la Mauritanie



Les télécoms en Mauritanie ou comment on confisque le développement.





Chinguitel, vient de se lancer sur le marché du mobile mauritanien. Les medias nationaux en ont fait l’événement et l’on fait croire au pauvre peuple que c’est une bonne chose. Et les arguments développés ne manquent pas, au mépris du bon sens en sacrifiant au calcul économique irréfléchi.

Les arguments officiels et officieux ? Les voici :

La « concurrence dans le secteur de télécommunications contribuera dans le succès des politiques de gouvernement concernant l'accès universel aux services de base, modernisation administrative, pauvreté et l'allégement d'emploi aussi bien que l'accès de facilité aux régions rurales éloignées" dira le ministre chargé de ce secteur.

Arguments globalement, contestables et singulièrement, fallacieux. Ces arguments tournent tous autour de la « concurrence dans le secteur de télécommunications » qui va donc contribuer au succès des politques du gouvernement, et cela dans les secteurs :

- De l’accès universel aux services de base
- De la modernisation de l’administration
- De la pauvreté
- De l’emploi
- De l’accès aux régions rurales

Outre qu’il est défendu d’en rire, on comprend bien qu’on vient de faire de la « concurrence dans le secteur des télécoms »un vecteur du développement.

Cela est-il défendable pour la Mauritanie ?

Evidemment , on connait depuis longtemps le rôle clef que peuvent jouer les télécommunications dans le décloisonnement des structures économiques, dans la circulation de l’information et dans la prise de décision. L’infrastructure des télécommunication est outil de développement certain.

Toutefois, le développement à outrance de l’outil de communication accaparé par des investisseurs ayant pour seul souci le profit dans un pays parmi les plus pauvres du monde pose certainement des questions quant à son apport pour le dévelpppement. Un pays dont le revenu annuel par tête d’habitant est l’un des plus bas au monde peut-il se permettre de developper une telle infrastructure téléphonique (trois licences !) pour un pays qui compte moins de trois millions d’habitants ?

Une telle stratégie trouverait sa place dans une économie émergente ou en croissance, réelle, continue dans laquelle le niveau de vie des populations est elévé ou permettant de supporter les charges financières que le téléphone « individualisé » fait supporter aux individus et aux ménages. Mais cela ne peut être en Mauritanie ou les compagnies du téléphone pénalisent un développement embryonnaire par la confiscation des ressources du pays.

Une confiscation des ressources qui met à mal le développement d’un pays dans lequel la détention d’un GSM est devenue plus importante qu’une assurance maladie. Un pays qui fait partie du groupe des PMA (Pays les Moins Avancés) dont le Produit National Brut par habitant est faible, soit environ 420$ en 2000,. Et dont un peu moins de la moitié de sa population(46,3%) vivait en 2000 en dessous du seuil de pauvreté.

Que cherchent ces compagnies dans un pays à faible niveau de développement humain ? En effet, Selon les données du rapport mondial sur le Développement Humain publié par le PNUD en 2004, l’Indice de Développement Humain (IDH) de la Mauritanie s’établit à 0,465, ce qui correspond au 152è rang, sur les 177 pays classés par le rapport.

Suivant le dernier rapport du Groupe des Nations-unies pour le développement, « L’analyse de l’évolution de la Mauritanie au cours des quarante années qui ont suivi son indépendance montre que le développement économique et social de ce pays a été contrarié tout au long de la période par quatre contraintes majeures liées entre elles:

(i) Un manque de ressources marqué au niveau de l’Etat et une pauvreté prononcée des ménages engendrés par une insuffisance des ressources intérieures au regard des besoins en services sociaux et par des opportunités de revenus limitées pour les individus.

(ii) Une base productive peu diversifiée qui rend les performances sociales et économiques fragiles aux chocs exogènes.

(iii) Un environnement physique difficile et en détérioration rapide

(iv) Un cadre institutionnel faible et générateur d’une capacité d’absorption limitée qui a notamment entravé l’efficacité des programmes d’aide extérieure.


Qu’apportent les licences GSM à cette situation de non-développement ?

Regardons de près ce que rapportent les "compagnies GSM" en Mauritanie. En deux temps: A qui cela NE profite-t-il pas. Et à qui cela profite-t-il ?

I- La confiscation des ressources du développement :

Valeur ajoutée : Absence de création de capital fixe

Ces compagnies participent de façon systématique à la fuite et réexportation des ressources nationales. En effet, les capitaux amassés par ces sociétés en Mauritanie sont rapatriés en masse. La part consacrée à l’investissement sur le territoire est quasi-nulle. Ces compagnies n’investissent ni dans l’industrie ni dans l’agriculture et ne réalisent même pas un transfert de technologie. Elles créent le besoin, vendent leurs produits et exportent les bénéfices. Nulle part dans les conventions passées avec ces compagnies elle ne sont parties-prenantes d’une participation au développement par le réinvestisssement d’une part de leurs bénéfices sur le territoire national.

Au niveau des ménages : l’endettement

Aujourd’hui, personne ne doute en Mauritanie du poids que prennent les dépenses de communication dans le budget des ménages. Depuis l’installation du premier opérateur GSM en Mauritanie, cette part ne fit que grimper au détriment des dépenses de nécessité impérieuses pour le développement de la famille . L’éducation, la santé, l’assurance . Certaines familles se privent même de dépenses vitales (médicaments) pour l’achat de crédits téléphoniques.

Par la publicité, la manipulation du consommateur à travers les bonus et autres avantages fictifs, ces compagnies ont généré une consommation « négative » et à outrance du téléphone qui n’est plus un outil de communication , à utiliser avec escient, mais un vrai produit de consommation courante autant que les denrées de première nécessité.

Le pays est tombé dans le piège du portable et une part énorme de ses ressources est consacrée à la facture téléphonique prépayée ou post-payée des ménages. Ceux-ci sont tombés dans ce cycle infernal .

Le revenu étant égal à la consommation plus l’épargne (R= C+E), cette épargne s’est considérablement réduite au profit de la consommation. Et quelle consommation ! Une consommation dans laquelle la part des dépenses téléphonique dépasse souvent les 30% du maigre revenu des ménages.


Ce pourcentage peut dramatiquement croître du fait de « l’individualisation » du téléphone. Chaque membre de la famille dispose de son téléphone portable et chaque membre devient un consommateur de crédits téléphoniques entrainant par la même une dépense supplémentaire qui grève le budget familial.

A ce phénomène d’individualisation s’ajoute un facteur de célérité dans la consommation des crédits téléphoniques notamment chez la jeunesse où le téléphone est devenu le moyen privilègié de contact et de relations publiques. La culture mauritanienne développant d'ailleurs une attitude de frime et de "m'as-tu-vu" favorable à l'endettement.

Les compagnies ont donc crée un phénomène d'accoutumance au téléphone mobile qui fait qu’il est devenu une « impérieuse nécessité » engendrant le gaspillage des ressources des ménages.

Inévitable confiscation des resources nationales (endettement des ménages, pénalisation de l’épargne...) dont les autorités publiques n’ont pas (ou ne veulent pas ) en saisir la dimension soit par intérêt (de lobbies) soit par négligeance.

Au niveau des entreprises : le besoin structurel de financement

Les entreprises ne disposent pas suffisamment de moyens d’investissement du fait de la rareté de l’épargne. L’épargne des ménages étant grévée par les dépenses téléphoniques, elle ne bénéficie ni au système financier ni au système économique. Or un système économique sans épargne gérée par le système financier et bancaire servant à financer le crédit à l’économie (entreprises, ménages etc), est voué à l’endettement de l’Etat par le recours au financement extérieur, à l’emprunt et à l’aide extérieur pour apporter son concours à l’économie nationale.


On pourrait penser que les ressources dont disposerait l’Etat au titre des droits, taxes et autres impôts qui lui sont versés par ces compagnies de GSM permettraient de financer le concours à l’Economie or il n’en est rien . Ces ressources sont davantage orientées vers les grands projets qui eux aussi ont confisqué les investissements du développment à moyen terme. Défaillances intsitutionnelles déjà signalée par les organisations internationales du développment : « les défaillances institutionnelles au niveau des capacités de programmation et de gestion de l’économie se trouvent à l’origine des mauvais choix en matière d’investissement opérés dans les années 1970 et au début des années 1980 (projet minier des Guelbs, projets industriels surdimensionnés, etc.) » (United Nation Development group, Rapport 2002 sur la Mauritanie)

II- L’enrichissement étranger au détriment du pays

Mauritel ou le siphonnage de l’économie

Maroc Telecom est depuis 2001 actionnaire à 54% de Mauritel, l’opérateur historique de Mauritanie. Durant le premier trimestre 2007, l’ensemble des activités en Mauritanie ont généré un chiffre d’affaires brut de 290 millions de dirhams (25,887 millions d’euros environ), en hausse de 28,6% sur une base comparable.
L’activité Fixe de Mauritel a réalisé au 1er trimestre 2007 un chiffre d’affaires brut de 80 millions de dirhams (7,14 millions d’euros environ), stable par rapport à 2006, et en croissance de 7,5% sur une base comparable. Au 31 mars 2007, le parc Fixe de Mauritel s’est établi à plus de 39 000 lignes, en hausse de 8,4%.L’activité Mobile de Mauritel a réalisé au 1er trimestre 2007 un chiffre d’affaires brut de 210 millions de dirhams (18,75 millions d’euros environ), en hausse de 30,4% et de 39,1% sur une base comparable. Cette performance a été réalisée principalement grâce à la croissance du parc qui a atteint près de 687 000 clients, en hausse de 39,9% par rapport à 2006.


Que représentent les 103,548 millions d’euros (soit 34,537 Milliards d’Ouguiyas) chiffre d’affaire de télécom maroc à travers mauritel ?


Voici des ordres de grandeur :

A travers Mauritel , le Maroc aura engrangé comparé au budget mauritanien 2007 (après loi réctificative) :

- Un peu moins du budget 2007 pour l’aménagement du territoire (35, 8 miliards d’ouguiyas)

- Deux fois le budget accordé au développement rural (soit 12,3 milliards d’ouguiyas)

- et presque deux fois celui consacré aux investissements publics dans le secteur industriel, hors SNIM (soit 13,08 milliards d’ouguiyas)


Si l’on compense les déductions qui seraient faite du chiffre d’affaire pour obtenir le bénéfice net par les taux d’accroissements annuels attendus de ce chiffre d’affaire dont on a pas tenu compte (hausse moyenne de 28,6% ), on comprend l’ampleur de la machine à siphonner (aspirer) l’économie du pays.

Mattel, tout est amorti et gagné d'avance.

Outre son chiffre d’affaire, Tunisie télécom, qui détient 51 % de Mattel, a totalement amorti en 2006 la somme des 28 millions de dollars par lesquels elle a achété GSM Mattel.

Créée en 2000 avec un financement de 60 millions d’euros ; elle compte, à ce jour, 260.000 abonnés, avec un objectif de porter ce chiffre à 300.000 à la fin de 2005, et jusqu’à 500.000 dans les prochaines années. En 2004, MATTEL a réalisé un chiffre d’affaires de 38 millions de dinars tunisiens avec un bénéfice de 2,4 millions de dinars tunisiens ; pour les six premiers mois 2005, la société a fait un chiffre d’affaires de 23 millions de dinars tunisiens, et un résultat projeté de 5 millions de dinars tunisiens(webmanagercenter).

En 2005 Mattel permis à Tunisie Télécom d’engrager un chiffre d’affaire de 4,394 milliards d’ouguiyas, pour les six premiers mois, soit en six mois l’équivalent de 60% du chiffre d’affaire annuel une année plus tôt ! C’est autant dire la progression fulgurante des chiffres d’affaires des sociétés de télécom. Si on on estime forfaitairement ce chiffre d’affaire pour toute l’année 2005 , il atteindrait les 10 milliards d’ouguiyas. Mais il est certain vu la prospérité du secteur que les chiffres d’affaires se situent bien au-delà de ces montants !

Mais d’ores et déjà rien que pour Mauritel et Mattel, on a déjà une idéee des ressources financières que ces sociétés sortent du pays au profit d’autres capitaux et d’autres économies pénalisant ainsi de façon structurelle le développement du pays .


En effet, la question se pose de savoir que rapportent pour le développement économique ces millions de téléphones mobiles en Mauritanie? Si l’on conçoit que toute économie nécessite des voies de communication (géographique ,hertziennes ou radio) il n’en demeure pas moins important de considérer que c’est là un vaste champ de gaspillage de ressources nationales à l’échelle interne (endettement des ménages et des entreprises , inexistance d’épargne, absence de financement de l’économie par des ressources internes ...) et d’enrichissement à outrance de compagnies étrangères et d’accumulation de capitaux à travers des services télécoms servis à outrance (exportation de devises par mille et un canaux, absence d’investissement sur le territoire national et mise en dépendance d’une économie fragile).

Et voilà que dans cette mise en hypothèque des ressources nationales au titre du GSM surgit un troisième opérateur qui s’enrichira, exportera nos ressources financières et contribuera à laisser un pays exangue.


III- Que faut-il faire avant que le pays ne soit démunis de ses moyens ?

Il est urgent que des mesures soient prises allant dans le sens:

- De l’information publique et de la sensibilisation du citoyen sur l’importance pour ses ressources et celles du pays d’une rationalisation de l’usage du téléphone
- De la négociation d’un accord cadre avec les compagnies du téléphone et l’Etat pour consacrer une part de leurs bénéfices à l’investisssement dans les secteurs prioritaires nationaux. Cet accord pouvant fixer les avantages à accorder s’il y alieu.
- De la mise en place d’un protocole financier obligeant les opérateurs du téléphone à conserver dans les institutions bancaires et financières nationales d’une part de leurs bénéfices sous formes de dépôts (rémunérés ou non) permettant à ces institutions de financer l’économie nationale.
- D’un contrôle rigoureux des taux de change appliqués à ces opérateurs lors du rapatriement d’une part de leurs bénéfices et du pourcentage de ces bénéfices pouvant être annuellement rapatriés.

Sans ces mesures basiques les opérateurs téléphoniques vont siphonner (aspirer) l’économie nationale de ses ressources monétaires et financières et participeront à confisquer le développement d’un pays qui a besoin de toutes ses ressources pour ...survivre.
Mais enfin où sont les décideurs ? Non pas ceux qui négocient leurs avantages mais ceux décidés à protéger les intérêts de leur pays pour qu’il ne soit pas vendu...pour un coup de téléphone.

Pr ELY Mustapha

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A lire : Dans un ouvrage récent intitulé « Telecommunications dependency : The African Saga (1850-1980). Alternative Communications Inc., 1986. » Jacques Habib Sy démontrait la gravité de la dépendance des pays africains des multinationales qui accaparent leurs réseaux de télécommunication. Un ouvrage à lire en voici le résumé :
« Using a multidisciplinary approach this book's major contention is twofold: 1) Telecommunications technology has been used in colonial times as a way to keep Africa in the framework of the unequal international division of labour. ln the post-colonial period, telecommunications technology has been used by multinational corporations to control the African telecommunications market and to strengthen their economic activities through the creation and maintenance of outward-oriented national networks ; 2) The underdevelopment of Sub-Saharan African countries in matters of telecommunications technology use and manufacture are rooted in the decisive impact of the telecommunications planning strategies and methods implemented in Africa by the African states. “
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lundi 20 août 2007

Le jour où Keynes vint en Mauritanie


Lorsque John Maynard Keynes, débarqua en Mauritanie, la première impression qu’il eût et qu’il consigna dans ses mémoires, fut la richesse du pays en ressources naturelles...et la pauvreté des gens...en ressources élémentaires.

Ce fut pour lui un élément fondamental de réfléxion et il passa de longs mois sous une khaima en méditation pour théoriser ce paradoxe. Il s’appliqua notamment à comprendre le rôle que les pouvoirs publics ont joué dans cette misère. Lui, fervent défenseur de l’interventionnisme économique de l’Etat, voici que cela contredisait sa philosophie de l’Etat bienfaiteur.

Je l’ai rencontré par hasard, enturbanné debout à la lisière d’une kebba en profonde méditation devant un groupe de groupe de jeunes gens desoeuvrés à l’ombre d’une baraque branlante.

Question : Monsieur Keynes ? John Meynard Keynes je suppose ?
Keynes : Lui-même, Sir...

Q : Quel spectacle n’est-ce pas ?

Keynes : Oui, ça me rappelle les jeunes de Liverpool...

Q : Ce n’est pas le plein emploi ...

Keynes : tout-à-fait, nous ne sommes pas dans une situation de chomage incompressible, ou de faible durée. Tout le monde ici chôme. Curieux n’est-ce pas ?

Q: Et pourtant, monsieur Keynes l’Etat mauritanien est plus qu’interventionniste.... Cela aurait du vous faire plaisir.

Keynes : C’est justement ce qui me fait refléchir....je dois revoir mon multiplicateur !

Q : Vous pensez qu’il n’est pas applicable aux réalités économiques mauritaniennes ?

Keynes : Vous savez, depuis le temps que l’Etat investit et que la pauvreté est criante, cela mérite une révison de mon modèle.

Q : Qu’est--ce à dire ? Sommes-nous les laissés-pour compte « d'un cercle vertueux de la croissance économique » ?

Keynes : Je suis certain qu’il y a quelque chose de particulier à votre économie.Voyons voir. En principe l'activité économique repose sur le niveau de la demande effective anticipée par les agents économiques...

Q : La demande effective est faible et l’anticipation par les agents économiques de cette demande est quasi-nulle...Il faut donc relancer la demande ?

Keynes : Effectivement. Car en relançant la demande, les entreprises accroitront leur offre aussitôt absorbée par cette demande qui générera une distribution de revenus par la relance de l’emploi et donc un accroissement des inverstissements des entreprises et donc distribution de richesses..Formation brute capital fixe d’où croissance économique.

Q : Cela doit être en principe le processus de croissance attendu de toute économie. Mais alors qu’est-ce qui passe en Mauritanie ? Il y a des consommateurs, il y a une demande, il y a des entreprises et il y a l’Etat..pourquoi cela ne marche pas ?

Keynes : Je crois que chez vous la demande est faible et l’offre l’est aussi..

Q : Et votre "multiplicateur" alors ?

Keynes : Effectivement, si la demande n’est pas forte l’état peut relancer l’économie à travers la dépense publique...

Q : depuis qu’il existe l’Etat mauritanien ne fait que dépenser...Est-ce à dire que les tenants de l’école classique qui jugent inefficaces les politiques de relance budgétaire ont quelque part raison ?

Keynes : Non ! Bien sûr que non ! Le problème est ailleurs. En fait lorsque j’ai préconisé l’interventionnisme public et le déficit budgétaire commme moyen de relancer l’économie, j’avais pensé ces solutions dans le contexte d’un économie occidentale où l’investissement public était repris dans le circuit économique et social de la Nation.

Q : C’est intéressant ça. Cela veut dire?

Keynes : Pour être simple, voilà comment fonctionne mon multiplicateur : lorsque l’Etat fait une relance budgétaire donc en investissant, les revenus vont augmenter donc la consommation va augmenter. Les entreprises, pour face à cette consommation, vont augmenter leur production d’un niveau équivalent à la part de revenu consacré à la consommation. D’où hausse de l’emploi et distribution de nouveaux revenus entrainant une nouvelle propension à consommer . D’un autre côté la part du revenu non consommé, à savoir l’épargne augmente dégageant ainsi d’importants capitaux permettant l’investissement. Après une certaine période, l’économie va s’auto-financer par l’épargne réalisée grace à l’accroissement du revenu des agents économiques.

Q : Donc , si je comprend bien au bout d’un certain cycle (disons cinq ans, par exemple) la relance budgétaire devient neutre tout en ayant permis, sur la période, la croissance économique.

Keynes : Il faut préciser, et c’est important, que cela ne se réalise que dans une économie dynamique et qui a des caractéristiques qui me semblent absentes de votre économie.
Ainsi mon multiplicateur a été élaboré pour une économie qui avait ses propres moyens de production. Ces moyens de production étaient mis en oeuvre par des capitaux nationaux et généraient une valeur ajoutée répartie sur cette économie. Valeur ajoutée dont bénéficiaient ses agents économiques en revenus supplémentaires répartis et en épargne. Ce n’est pas le cas en Mauritanie. Je crois qu’il y a un effet que j’appelerai de « déperdition » dans mon multiplicateur quand on l’applique à votre pays..

Q : C’est probablement notre politique monétaire qui ne s’articule pas efficacement avec notre politique budgétaire...

Keynes : Il est important, en effet, que la politique monétaire soit combinée avec la politique budgétaire de déficit des dépenses publiques....

Q : Quelle analyse en faites-vous ?

Keynes : Je crois que, pour la Mauritanie, tout tourne autour de la production nationale.Or celle-ci en termes de valeurs ajoutées est quasi-inexistante.Or toute détermination de l’accroissement de la masse monétaire passe nécessairement par une prise en compte de l’élasticité de cette production nationale.
Ainsi par exemple toute volonté d’accroître le pouvoir d’achat est forcèment limitée par la faiblesse de l’appareil de production national mauritanien. Ainsi Augmenter les salaires équivaudrait à accroître l’inflation, la resorption de monnaie par une offre marchande correspondante et donc par la consommation est théoriquement réduite. Aussi l’Etat se trouvera sous contrainte extérieure d’importation, d’endettement extérieur pour faire face à une demande à laquelle la production nationale ne peut faire face. Les conséquences en sont alors évidentes pour la politique monétaire qui se trouve biaisée et dénaturée par des facteurs exogènes (contraintes extérieures).

Q : Cela signifie donc que l’on ne pas peut parler de politique monétaire que si l’Etat développe une politique industrielle et commerciale....

Keynes : On ne peut relancer l’investissement si l’Etat achète tout de l’Etranger y compris ses machines....Or c’est par l’investissement, y compris par le déficit budgétaire, que l’on génère la croissance fondement du plein emploi et de l’accroissement des recettes publiques qui cycliquement rétablireront les équilibres budgétaires.

Q : Cela signifie-t-il qu’en Mauritanie nous ne sommes ni maître de notre politique budgétaire et encore moins de notre politique monétaire qui doit l’accompagner.

Keynes : Je crois que cela est principalement dû à la nature même de l’économie et des finances publiques de votre pays. L’absence d’un tissu industriel productif, la faiblesse du pouvoir d’achat font que le déficit budgétaire ne peut être un moyen de relance de l’économie..

Q : Cela est-il définitif ?

Keynes : Ce qui handicape à mon avis fondamentalement la croissance économique du pays et empèche les politiques de l’Etat (budgétaire et monétaire notamment) de jouer leur rôle, c’est que le budget est confisqué par les engagements financiers de l’Etat à long terme...

Q : Et à long terme on est tous morts !

Keynes : Non pas de pécipitation. Ça je l’ai dit dans un autre contexte...
Ce qu’il faut dire c’est que les pouvoirs publics mauritaniens ont adopté une stratégie de développement qui hypothèque durablement toute amélioration de la situation économique et sociale du pays. L’enlisement de l’Etat dans les projets de grande envergure financés à coup d’endettements internationaux hypothèque toute appréciation de l’efficacité des politiques budgétaires adoptées.
L’Etat Mauritanien n’est ni maître de la quasitotalité de ses ressources (provenant de l’emprunt international) ni de ses investissements (monopolisés par des projets d’envergure ). Cela se répércute nécessairement sur le développement social et économique du pays. Aucune orientation ferme vers une politqiue industrielle, permettant de doter le pays de ses outils de production, aucune stratégie d’infrastructure de base immédiate, permettant aux populations d’améliorer leur niveau de vie et leur environnement économique, ne sont réalisées en continu.
Si aujourd’hui, les populations mauritaniennes souffrent du manque de tout (de l’eau à l’électricité en passant par les produits alimentaires) et si le niveau de vie s’est considérablement dégradé suivi par la flambée des prix, le chômage et la crise des ménages, c’est que l’Etat Mauritanien investit ailleurs dans des projets dont la rentabilité ne se concevra que dans plusieurs années... Et d’ici-là...

Q : On est tous morts !

Keynes : Pas encore. Mais je crois que l’investissement dans les projets prioritaires à moyen et court terme auraient mieux aidé à aller vers le développement...Ainsi le grand projet "d’Aftout Essahli" apportera probablement de l’eau jusqu’à Nouakchott mais il n’améliorera nullement une situation industrielle et infrastructurelle qui se serait d’ici là fortement dégradée...

Q : Est-ce à dire que l’Etat aurait dû investir dans les ressources humaines (formation, éducation, savoir-faire ), dans l’amélioration du niveau de vie des populations (hôpitaux, infrastructures urbaines etc), dans la création des institutions de développement (institut de recherche, laboratoires), dans la maîtrise des technologies, dans le développement d’un tissu industriel et commercial compétitif, et dans le renforcement et l’assainissement des sytèmes financiers et bancaires, supports de l’économie, avant d’entamer de tels projets d’envergure qui monopolisent ses ressources et laissent les populations démunies et le pays sans ressources, ni infrastructures ?

Keynes : D’autant plus qu’il faut savoir que ces grands projets, jusqu’à leur réalisation, vont réduire à néant toute velleité de l’Etat d’adopter une politique budgétaire visant à relancer l’investissment et la croissance.
En effet (outre qu’il accapare ses ressources), le financement de ces projets provenant de l’emprunt étranger va servir à financer des compagnies étrangères maître d’oeuvre des projets qui fourniront les biens (machines, outils, etc) et les services (ingénieurs, techniciens etc) et tout cela de l’étranger !
Cela signifie que l’Etat ne réalisera pas grâce à ces investissements sur ces grands projets, une distribution de revenus à l’échelle nationale (la main d’oeuvre étant étrangère) , ni ne participera à financer une industrie nationale (qui fournirait les machines et les outils).
Donc pas d’accroissement de revenus pas de création de valeur ajoutée par les entreprises nationales (inexistantes). L’Economie de votre Etat ne bénéficiera donc pas de l’investissement réalisé par l’Etat. Or je l’ai dit une politqiue budgétaire ne se conçoit que par une capacité de maîtrise des flux financiers budgétaires et une politique monétaire appuyée sur un politique industrielle... Il ne sert à rien de relancer l’investissement si on acquiert ses machines à l’étranger et de surcroit si on les acquiert par un endettement qui ne serait pas contrebalancé par une politique de croissance permettant son remboursement.

Q : Vous me semblez très pessimiste, monsieur Keynes...

Keynes : Et vous, ne l’êtes-vous pas ?

Q : Je crois que je vais me tourner vers les monétaristes....ils sont moins keynésiens.

Keynes me regarda d’un oeil réprobateur, remit son turban qui pendait à son cou prit un air de philosophe (qui siérait bien à Hayek) et dit : Keynésien ou pas, je crois que ce qui vous manque en Mauritanie, ce n’est pas la théorisation de ce qui arrive à votre économie, c’est l’intégrité des hommes qui la dirigent.

Q : L’intégrité ? M’écriais-je. Oui , je crois aussi. Mais n’aurions-nous dû pas commencer par là , monsieur Keynes ?

Il eût un hochement de tête, et s’en alla. Et pendant que sa silhouette enturbannée disparaissait derrière les quelques baraques de cette banlieue nauséabonde, je me disais que si John Maynard Keynes avait posé pied ici c’est que nous en valions bien la peine. Allez savoir pourquoi.

Pr ELY Mustapha
* Le tableau illustrant ce texte est de Sylvie Roy et s'intitule "Envol". Site de l'artiste: http://www.sylvieroy.ca