dimanche 24 août 2008

La Démocratie peut-elle être "redressée" ?

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Analyse d’un concept à la mode


Aujourd’hui que les militaires ont repris le pouvoir c’est toujours, comme à l’accoutumé, au nom d’un objectif "déterminé". La première fois, ce fut au nom du « redressement national » puis au nom du « salut national », puis au nom de la « Justice et de la Démocratie »... Tous des comités. Puis, aujourd’hui au nom du « redressement de la Démocratie ». ..

On a eu, donc, droit au "comité militaire de Redressement National" (CMRN), puis au "comité pour le Salut national" (CMSN), puis au "Comité militaire pour la Justice et la Démocratie" (CMJD), on aurait du, aujourd’hui, avoir droit au "Comité Militaire pour le Redressement de la Démocratie" (CMRD),mais probablement que la prononciation phonétique de ce dernier acronyme, défiant la bienséance, a dissuadé de l’utiliser.
Les cruciverbistes de la baïonnette montrent tout de même, avec leur dernier coup d’Etat, qu’ils ont une certaine esthétique alphabétique (voir ici mon article, sur les « cruciverbistes de la baïonnette »)

Hélas! Personne n’est venu demander à tous ces militaires qui se sont succédés et qui ont dirigé ces comités, où est le redressement national qu’ils ont promis, où est le salut national ? Où est la justice ? Où sont ces promesses qui leur ont permis de perdurer des dizaines d’années au pouvoir, monopolisant l’Etat et ses institutions, maintenant un pays dans un misérabilisme criant et hypothéquant son développement.

Depuis le temps que ni la Nation n’a été « redressée », ni n’ayant trouvé son « salut » nulle part, personne ne s’est interrogé sur le contenu véritable de ces mots-slogans martiaux. Personne n’a demandé à ces militaires de rendre compte de leur échec et voilà qu’ils reviennent pour perpétuer, leur présence à travers un nouveau slogan : « Redressement de la Démocratie ».

Comme à travers « le redressement »(CMRN), le « salut »(CMSN), qui furent des slogans traduits en actes stériles mettant une nation à genoux dans la misère et dans le sous-développement, que restera-t-il encore de ce nouveau slogan de « redressement de la Démocratie » ?

Ce slogan reprit comme tous les autres avant lui, est à la mode. Servi à toutes les sauces, Il semble devenir un argument défensif pour les autorités, laudatif pour ses courtisans et expéditif de l’avenir démocratique de la Nation.

Aussi, au-delà de la présomption irréfragable de l’inutilité des slogans utilisés jusque-là, qu’en est-il de celui qui vient d’être inventé le 6 Août 2006?

Aussi pour l’avenir, il convient de s’interroger sur son contenu, sur son efficacité et surtout sur sa pertinence dans la situation actuelle du pays.
En d’autres termes, s’interroger sur sa base justificative : une démocratie peut-elle être déviante ? (I) S’interroger sur son référentiel conceptuel : Une démocratie est déviante par rapport à quoi (II) ? S’interroger, enfin, sur les processus de son redressement : Si une démocratie déviante devait exister, qui est habilité à la redresser (III) ?

I – La base justificative : Une démocratie peut-elle être déviante ?

Si l’on prend comme postulat que la démocratie peut dévier, cela signifie qu’elle se devait de suivre une trajectoire, qui la définit. Quittant cette trajectoire, elle ne serait plus une démocratie. Quelle est cette trajectoire ?

Cette trajectoire est bien définie quand à son départ et quant à sa fin. La démocratie se définissant par « le gouvernement du peuple par le peuple », la démocratie prend son départ dans le peuple et se termine dans le peuple. Le peuple est à la fois sa source et son objectif. Il est sa justification et sa finalité.

Une démocratie déviante ne l’est que lorsqu’elle prend sa source hors du peuple ou qu’elle n’en fait plus sa finalité.

Cependant, le peuple ne gouvernant pas par lui-même mais par ses représentants, entre le moment où le peuple élit démocratiquement ses représentants et le moment où ses représentants gouvernent en son nom, la trajectoire assignée à la démocratie peut dévier, lorsque ces représentants n’utilisent pas cette démocratie au profit du peuple.

Cette déviation n’est cependant pas liée à l’idéologie des gouvernants. Mais à leur capacité de mettre cette idéologie au service du peuple pour son bien-être son développement et son avenir avec une condition, qui exclut les idéologies contraires, de préserver l’essence de la Démocratie et le jeu politique qu’elle impose. Quelle que soit l’idéologie du gouvernant, sa caractéristique démocratique se mesure à cette trajectoire. Une démocratie prenant sa source dans le peuple et revenant vers lui.

Toutefois cette trajectoire est jalonnée par les voies, méthodes d’exercice du pouvoir par les élus. Ils sont dépositaires d’une volonté du peuple, démocratiquement exprimée, ils devront rendre compte aux prochaines échéances électorales de leur mode de gouvernance et c’est là où le référentiel conceptuel prend son importance.

On connait la trajectoire de la démocratie (allant du peuple vers le peuple), on connait son vecteur directeur (le mode de gouvernance), quels sont alors en tous points de cette trajectoire, les facteurs de sa déviance ?

II- Le référentiel conceptuel : Une démocratie est déviante par rapport à quoi ?

L’attachement à la légalité des institutions et à celle de ceux qui les représentent est une condition sine qua non du respect de la volonté du peuple et donc de la démocratie. C’est à travers ses représentants élus que le peuple exerce la souveraineté. C’est aussi à travers eux qu’il édicte et adopte les lois qui gouvernent la cité.

La démocratie est déviée de sa trajectoire, lorsqu’elle devient un instrument entre les mains des élus pour réaliser des objectifs contraires à ceux pour lesquels ils ont été élus.
Lorsque le vecteur directeur (le mode de gouvernance) n’indique plus le sens de cette trajectoire, mais celui de jalons qui ne lui appartiennent plus.

Cela s’exprime concrètement par l’opposition entre les actes des dirigeants et leur programme politique sur la base duquel démocratiquement ils ont été élus.

La démocratie accuse alors une déviation. Elle est instrumentalisée pour des objectifs autres que ceux issus de la volonté du peuple.

Et c’est là où la légalité de la désignation des élus se détachant de la légitimité de leurs actes devient le catalyseur de cette déviation. La trajectoire démocratique s’en trouve alors modifiée. La règle de droit qui doit assurer « le gouvernement du peuple par le peuple » se retrouve en conflit avec la légitimité des actes de ceux auquel cette règle de droit a permis d’accéder au pouvoir. La démocratie ayant conduit des gouvernants légalement élu, se trouve légitimement contestée du fait de la déviation de ces gouvernants du mandat que le peuple leur a confié à travers le jeu démocratique.

D’où la contestation non pas, fondamentalement, de la règle de droit dont la nécessité formelle ne fait pas de doute (qui contesterait les libertés publiques garanties constitutionnellement ?), mais de la légitimité du régime politique en place.

L’instrumentalisation du droit pour atteindre des objectifs contraires aux principes qu’il édicte (et qui prennent leur source dans des valeurs sociales) fait naître une crise de légitimité. Terroir propice à la contestation et aux révoltes.

La légitimité est acquise tant que le discours et l’action politiques sont conformes aux programmes politiques et au mandat que les électeurs ont confié aux élus.

Si cette conformité ne s’établit pas (socialement, économiquement…) sans toucher aux droits et aux libertés du citoyen, alors la sanction peut provenir des urnes (désaveux électoraux), si cette absence de conformité se double d’arbitraire, d’injustice ou de répression, la réaction peut alors être violente et remettre en cause le régime en place (coups d’Etat militaires, rébellions, révoltes civiles etc.)

La légalité fonde l’existence d’un régime démocratique. La légitimité explique sa contestation pacifique ou violente.

D’où donc la déviation de la démocratie de sa trajectoire qui prend sa source dans la survenance d’un écart entre légalité et légitimité.

En Mauritanie, cet écart a accusé des amplitudes qui expliquent ce qui est arrivé.

Nous savons maintenant que la démocratie a bien une trajectoire (du peuple vers le peuple), qu’elle a un vecteur directeur (le mode de gouvernance) et qu’elle peut dévier de cette trajectoire lorsque l’écart entre ce qui justifie cette démocratie formellement en maintenant sa trajectoire (le mandat légalement confié par le peuple aux gouvernants) et ce qui justifie cette démocratie matériellement en empêchant sa déviation (la légitimité des actes de ceux qui exercent ce mandat), se creuse.

Ce qui vient donc d’arriver en Mauritanie, est bien donc le résultat d’une déviation de la démocratie. Car en appliquant ce qui précède : Les gouvernants légalement élus ont perdu leur légitimité sous l’effet de l’inadéquation entre le mandat qui leur fut démocratiquement confié (légalité) et les actes qu’ils ont accomplis (légitimité).

Cependant, si le constat de cette déviance ne fait pas de doute, du fait qu’il est démontré que la démocratie a bien une trajectoire et qu’elle peut en dévier, la question cruciale qui se pose est alors : qui est habilité à la « redresser » cette déviation?

II- Le processus du redressement : qui est habilité à « redresser » une démocratie ?

Le premier constat à faire c’est que la démocratie s’exerçant dans la légalité ne peut se développer, se mouvoir et résoudre ses crises que dans la légalité. Même si une crise de légitimité des gouvernants entraine sa déviance, elle ne peut être redressée que dans la légalité. Pour cela il existe une cadre constitutionnel, définissant les cas de résolution des rapports entre les pouvoirs dans l’Etat. Ceci exclut fondamentalement tout recours à la force pour agir sur cette démocratie.

Ceci est d’autant plus important que tout recours à la force est une négation fondamentale de la démocratie, un empiètement sur la volonté du peuple or c’est le peuple qui est la source et la finalité de la démocratie.

Ceci signifie sans conteste que suivant un parallélisme des formes évident, la démocratie étant un acte du peuple et ne peut être modifié, transformée ou reconduite que par lui.
Ceci exclut totalement l’intervention des corps armés. C’est notamment le cas de l’armée et cela pour des raisons évidentes. L’armée est chargée de la protection des institutions républicaines, de les protéger et non pas de les agresser. De les défendre et non pas de les détruire.
D’autre part, les militaires ne sont pas par définition démocrates. Sinon que deviendrait l’armée ?
L’armée est, avant tout, astreinte à un principe fondamental : la discipline. L’ordre est au-dessus de toute autre considération. Cette rigidité ne sied pas à la démocratie.
En effet, la Démocratie, c’est la pensée libre, c’est l’ouverture d’esprit c’est le libre arbitre. C’est enfin le libre choix de sa destinée. Sans ces caractéristiques, il n’ ya pas de démocratie.

Le système militaire est aux antipodes de la démocratie. Il peut servir à assurer sa continuité, sa pérennité en défendant les institutions et le territoire, mais il n’est ni habilité à lui porter atteinte, ni porter atteinte à ceux par lesquels s’exerce la volonté du peuple, ni à ses institutions ni à interférer dans son mode d’exercice qu’il soit électif ou délibérant

Si aujourd’hui les militaires ont pris le pouvoir pour « redresser » la démocratie, cela n’entre ni dans les objectifs qui leurs ont assignés dans l’Etat, ni dans l’essence même de leur action. C’est autant dire que c’est un leurre qui cache davantage une volonté de s’imposer par la force que de « redresser » une quelconque démocratie qui a déjà ses propres instruments juridiques et politiques de redressement.

Si les militaires du 3 Août 2005 ont permis d’inaugurer une ère démocratique pour la Mauritanie, c’est bien à leur corps défendant. La preuve la plus éclatante à cela c’est qu’ils viennent de la confisquer.

En conclusion, il ne fait pas de doute que la démocratie, toute démocratie, peut accuser des déviations. Il est vrai que ces déviations peuvent entrainer des crises institutionnelles. Il est vrai que les solutions à apporter sont d’ordre constitutionnel et politique pour respecter la volonté de la source et du destinataire final de cette démocratie : le peuple. Mais il est absolument faux de croire qu’un tel redressement puisse venir d’ailleurs.
De cet ailleurs armé ou disposant de la force qui va à l’encontre de l’essence même de la démocratie. Même déviante.

Pr ELY Mustapha

1 commentaire:

  1. Cher prof
    Merci pour vos messages riches et enrichisants,surtout en cette période d'appauvrissement spirituel(TVM) et matériel(récession et sanctions internationales).lol.

    Celà étant dit,la démocratie que vous décrivez très bien ici est celle valable pour un peuple instruit et surtout disposant d'un niveau de vie décent qui lui permette d'exercer librement ses choix et surtout de « se permettre » d'attendre la fin d'un mandat,pour sanctionner par les urnes un président qui l'affame et ne s'intéresse pas à lui.Comme vous le savez,nos citoyens vivent pour la grande majorité dans une misère totale et la démocratie n'a pas pour eux aucun sens s'ils n'ont rien à manger.D'ailleurs,la démocratie a-t-elle véritablement un sens,si nos élus sont illégitimes car,pour être élus,ils bourrent les urnes et achètent les voix d'un peuple affamé.Ici,en réalité,la démocratie a été jusqu'ici par les RV(et non par le peuple) et pour les RV (et non pour le peuple).Avant la démocratie,les militaires,avec les civils nous ont affamés et "sous développés";après la démocratie (après 1992),les mêmes militaires et civils(sauf ceux qui sont morts ou devenus trop vieux) continuent leur sale besogne de pillage et destruction du pays.Ce que nous avons n'est en fait que la dictature de la democratie,ou la dictature légitimée,au nom de laquelle un élu(maire,député ou président) passe tout son mandat à détourner,à mentir et à tromper les électeurs.Cette démocratie là,ne sert pas le peuple et doit donc être bannie,autant que la dictature militaire.La démocratie qu'il nous faut est une démocratie taillée sur mesure,adaptée à nos réalités propres et évoluant avec elles.
    Merci

    A+

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Pr ELY Mustapha

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Poésie de la douleur.