lundi 30 janvier 2012

Des révolutions à poils

 

Les barbus de ces villes

A la longue des révolutions,…tous les fabricants de rasoirs tomberont en faillite. Les barbiers aussi, pas les barbus. A chaque Révolution poussent de nouvelles barbes et repoussent d’autres barbes laissées en jachère du temps des dictatures. Les visages accusent une pilosité telle que les gens ne se reconnaissent plus.  La barbe! Diront certains. Les villes vont exécuter leurs barbiers qui désormais font un métier contraire à l’ordre public. Au-delà de ce constat, chacun pourra s’interroger sur la coutume de laisser pousser la barbe, notamment chez ceux qui se réclamant des différents courants islamistes. Et que révèlent  dans ces révolutions qui tombent à poils, ces barbes ? Des révolutions à poils, mises à poils?

La barbe serait-elle un signe distinctif de l’islamiste, au sens politique du terme,  ou est-elle une obligation pour tout musulman?  En effet, bien des individus ont fait de leur apparence barbue, une présomption de leur appartenance à la religion musulmane, pire encore cette appartenance est désormais assimilée à une image “d’intégrisme”. Pourquoi donc la barbe est-elle si importante en Islam? Qu’est-ce qui, historiquement, a justifié son adoption? Sur quoi se basent les Oulémas (savants de l’Islam) pour discuter de son caractère obligatoire? Est-elle véritablement une obligation ou un choix? Pourquoi fleurit-elle si bien à la suite des révolutions récentes dans les pays arabes?

I- La barbe: Une réaction historique à l’apparence des mécréants.

Le prophète Mohamed sallAllahualayhiwasalam31[1] avait prescrit aux croyants de s’éloigner de toutes les pratiques des mécréants et de ne point les imiter dans leurs actes. Les prescriptions du prophète portaient en même temps sur le contenu de la foi véhiculée par les mécréants mais aussi sur leur apparence même. Le prophète Mohamed sallAllahualayhiwasalam31[1] dans une vision unificatrice des musulmans et de ceux qui entraient dans la religion musulmane, voulait qu’ils soient différents, jusque dans leur habitudes, leurs manières et la façon dont ils apparaissaient en public. Ainsi constatant que les juifs et les chrétiens de l’époque , n’entretenaient que la moustache et se débarrassaient de la barbe (ou les deux à la fois), a dit: “Faites le contraire de ce que font  les mécréants, entretenez la barbe et supprimez les moustaches” (Sahih El Boukhari)

عن ابن عمر عن النبي ـ صلى الله عليه وسلم ـ
“قال: "خالِفُوا المُشركينَ، ووَفِّرُوا اللِّحى، واحْفُوا الشوارب".

(رواه البخاري)

Cette prescription du prophète avait à la fois une valeur symbolique et une valeur sociale. Le musulman se détachant du mécréant par sa croyance, il devait aussi s’en détacher aussi par son apparence.  Le prophète Mohamed sallAllahualayhiwasalam31[1] marquait ainsi sa volonté de bâtir une société musulmane qui avait d’autres repères, tant spirituels que temporels que ceux du monde judaïque ou chrétien qui à l’époque entourait un monde musulman naissant. Aussi il est admis que le prophète Mohamed sallAllahualayhiwasalam31[1] portait, ainsi que ses compagnons,  la barbe. Or comme, il est du devoir du musulman de s’inspirer et  de suivre les actes du prophète, porter la barbe était donc un acte entrant dans la pratique religieuse. Il est aussi fort probable, mais cela n’est démontré nulle part, que cette apparence pouvait aussi avoir un intérêt stratégique de reconnaissance des compagnons et des musulmans entre-eux durant les affrontements avec les mécréants. Toujours est-il qu’il ne fait pas de doute que la barbe a été bien prescrite comme un élément de l’apparence physionomique du musulman. Etait-elle cependant obligatoire? En d’autres termes, ne pas l’adopter entrainerait-il une attitude religieusement répréhensible?

II- La barbe: fondement d’une polémique religieuse.

S’il  y a un principe de la foi musulmane qui ne souffre d’aucune contradiction en Islam, c’est celui selon lequel le musulman  doit se conformer aux actes du prophète , il doit suivre ce qu’il a ordonné et s’interdire ce qu’il a interdit.Se basant sur ce principe, il est clair que l’entretien de la barbe devient une forme de respect des prescriptions du prophète. Et quoi de plus cher au cœur du musulman que de ressembler en quelque point que ce soit  au Prophète qui est la représentation même des plus hautes valeurs spirituelles et temporelles de l’ humanité?

Cependant la première question fondamentale est: la conformité aux prescriptions du prophète  se limite-telle aux actes du prophète Mohamed sallAllahualayhiwasalam31[1] ou inclue-t—elle son apparence physique ?

On comprend alors que la réponse à cette  question se trouve en elle-même. En effet, nul ne peut ressembler au prophète de l’Islam, ni physiquement ni spirituellement.

Physiquement d’abord parce que la représentation (en image ou en dessin)  du prophète étant strictement interdite, il en découle logiquement que personne ne doit se le représenter même portant une barbe, a fortiori l’imiter physiquement soi-même….en portant une barbe.

Spirituellement, ensuite, parce que le prophète Mohamed sallAllahualayhiwasalam31[1] a été élevé par Dieu au-dessus des hommes, il bénéficie d’une présence d’éternité que n’ont pas les hommes. Son message intemporel réside bien dans ces actes et non dans son apparence physique que nul ne doit représenter. Car le prophète Mohamed sallAllahualayhiwasalam31[1], est d’abord l’essence même de toute humanité, sa noblesse et ses valeurs. Celles que l’on retrouve dans les cœurs et les esprits, que l’on soit noir, blanc, barbu ou imberbe.

Lorsque dans l’Islam la représentation des prophètes a été interdite, c’est justement pour les détacher d’une image quelconque, de traits quelconques tout aussi éphémères que les hommes qui les portent, pour les rattacher à des esprits qui ont modelé l’humanité. 

La seconde question fondamentale est donc: Peut-on imiter ce qui l’on ne peut représenter?

Peut-on imiter ce que l’on ne peut représenter ,ni en son, ni en image? Dans l’adoption de la barbe, il y a une volonté qui peut certainement se comprendre. celle de vouloir adopter une acte que le prophète Mohamed sallAllahualayhiwasalam31[1] adoptait. Mais il y a dans cet acte un choix que le musulman est libre d’adopter. En effet, si le prophète ne peut être représenté (en image), il ne fait pas de doute que chaque musulman se le représente dans son esprit. Et cette représentation c’est celle que chaque musulman tire de la plénitude et de la béatitude que lui inspire sa religion. Il voit dans le prophète la beauté, la dignité, l’espoir, les promesses, les souffrances d’ici-bas, les récompenses de l’au-delà, le courage, la bénédiction de l’éternel,la source de ses saints, l’envol des anges, la chute des démons, le bien contre le mal, la bravoure contre la lâcheté, la miséricorde contre le péché, l’amour contre la haine..en somme tout  ce que les actes du prophète ont exprimé, tout ce que ses paroles véhiculés et qui transcendent les siècles. L’adoption d’une barbe chez le commun des mortels peut-elle présumer de tout cela?

Ce sont donc les actes que le prophète prescrit. Son imitation physique étant elle-même inaccessible au commun des mortels, dût-il faire pousser une barbe. Suivre le prophète c’est  adopter ses actes. Et ce qui prouve cela c’est que le prophète avait aussi invité  à teindre  la chevelure en disant exactement ce qu’il avait dit relativement à la barbe : “les juifs et les chrétiens ne se teignent pas (les cheveux), faites le contraire”. Ce hadith  contrairement d’ailleurs à celui relatif à la barbe est rapporté  non seulement par le codificateur de référence  des paroles du prophète Elboukhari, mais aussi par les trois autres sommités jurisconsultes (Mouslim, Abou Daoud, Ettarmedhi, Ennassii).

“إن اليهود والنصارى لا يَصبغون فخَالِفُوهم” Étoile

(رواه البخاري ومسلم وأبو داود والترمذي والنسائي)

Or, il est admis  que du temps du prophètes, tous les compagnons ne se teignaient pas les cheveux, comme l’a rapporté ibn Hajar el Asqalany(1) et ce n’était pas une pratique courante ou obligatoire. Autant dire la place relative qu’accordait le prophète à cette prescription physionomique. Ce qui devait valoir exactement pour l’adoption de la barbe. Cela est confirmé par Ali ibn Abi Taleb lorsque interrogé sur la question de la teinture des cheveux (pour couvrir les cheveux blancs notamment) avait répondu :” Le prophète Mohamed sallAllahualayhiwasalam31[1] avait dit cela parce que la religion (musulmane) était réduite (nombre réduit d’adeptes) , maintenant qu’elle s’est répandue et a conquis les espaces, à chacun ce qu’il préfère” ( “Le livre de l’éloquence”). Le Cousin du prophète et  Calife de l’Islam, avait bien compris que la différenciation que voulait le prophète Mohamed sallAllahualayhiwasalam31[1] dans l’apparence du musulman (par rapport aux juifs et chrétiens de l’époque) avait valeur de circonstance et de lieu.

سُئل عليٌّ ـ كرَّم الله وجهه ـ عن قول الرسول ـ صلى الله عليه وسلم: Étoile
"غيِّروا الشَّيْبَ ولا تَشَبَّهُوا باليهود". فقال: إنما قال النبي ذلك والدِّينُ قُلٌّ،
فأما الآن وقد اتَّسع نطاقه، وضرب بجرانه فامرؤٌ وما يَختار

(“من كتاب “نهج البلاغة )

III- La barbe: Une réaction révolutionnaire à une apparence interdite.

Aujourd’hui dans les capitales des pays aux révolutions récentes (Tunisie, Egypte,Libye…) l’observateur ne peut que constater la poussée  fulgurante des barbes sur les visages. Un contraste extrêmement frappant avec les visages de la foule d’il y a à peine quelques mois. Pour  l’observateur averti cette situation se comprend aisément. D’abord pour des considérations que le Prophète Mohamed sallAllahualayhiwasalam31[1] lui-même avait liées à la finalité du port de la barbe à l’aube de l’Islam: se différencier des mécréants (juifs et chrétiens notamment). Le port de la part était un signe de ralliement, comme expliqué plus haut. Les musulmans peu nombreux à l’époque façonnaient leurs signes distinctifs.

L’attitude des “barbus” de la révolution s’expliquait aussi par cette volonté de se différencier des autres, dans leur manières et leur apparence. De s’identifier et de communiquer.  Une apparence qui devait dénoter immédiatement de l’attitude qu’il convenait d’adopter à l’égard de celui qui la porte.   La barbe, une révolution à poils qui affichait sur le visage de son porteur ses options sociopolitiques et ses convictions religieuses.  La barbe, un Facebook naturel.

L’apparition fulgurante de la barbe dès les premiers jours de la révolution (exactement le temps qu’elle pousse), est une réaction à un oppression extrêmement présente à l’égard de ceux qui portaient la barbe du temps des dictateurs déchus. En Tunisie, l’on pouvait se faire facilement arrêter par les  forces de sécurité et même par la police routière pour “port de barbe”, comme dans d’autre pays on exige le permis de port d’armes. Et le port de barbe était bien que, cela n’est codifié nulle part, assimilé à un véritable délit. L’excès de pilosité était assimilé à un excès idéologique, d’où l’idiotie des dictatures.

La floraison des barbes était donc  une réaction à une forme d’oppression…contre les barbus. A la révolution les barbes sont réapparues en force. Et pas forcément chez les musulmans, qui se réclament des courants islamistes ou salafistes, mais chez tout le monde. Les nostalgiques du libre arbitre. Car à y regarder de près, laisser parfois sa barbe en jachère n’est-ce pas un peu quelque part, une forme de liberté?

Toutefois, il ne fait pas de doute que l’interdiction du port de la barbe a donné à celui qui la porte une certaine présomption d’intégrisme. Bien qu’elle ne soit qu’une présomption simple, elle a hélas acquis du fait de la vogue de la barbe chez les intégristes, une mauvaise presse. C’est aux sociétés d’après-révolution de lever cette perception, mais cela prendra certainement autant de  temps que le prendra l’instauration de la Démocratie.

Des révolutions à poils, arrivées à poil, pouvaient-elles tout raser?

Pr ELY Mustapha

Notes:

فتح الباري”  بشرح صحيح البخاري - ابن حجر العسقلاني .دار المعرفة.1

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Poésie de la douleur.