vendredi 26 février 2021

Au nom de qui dialogue l’opposition ? Une opposition illégitime et dangereuse. Par Pr ELY Mustapha


Cette opposition qui s’invite au dialogue, qui dialogue avec les régimes successifs, qui en sort honteuse et qui détruit tout espoir de changement en Mauritanie, que représente-elle ? Qui représente-t-elle ?

A part les quelques individus qui composent ses bureaux exécutifs cette opposition, a-t-elle véritablement une assise populaire, une base électorale ? Rien ne le prouve.

Sa légitimité à aller dialoguer avec le régime est-elle fondée ?

Cette « opposition », avec ses scores électoraux passés et récents peut-elle prétendre être une opposition. Ne serait-elle en fait qu’une collections d’acronymes dont l’unique objectif est d’épuiser les lettres de l’alphabet ?


Cette opposition représente qui ? Quoi ?

L’a-t-on vue fendre en masse les rues et submerger les avenues, protestant contre tous les malheurs que vit le peuple ?

L’a-t-on vue se battre pied-à-pied contre la répression du régime pour faire entendre la voix des opprimés et des parias ?

L’a-t-on vu protester à côté de toute cette jeunesse, ces hommes et ces femmes qui se font laminer par les forces de l’ordre pour réclamer leurs droits.

Misère, chômage, corruption, cherté de la vie, concussion, malversations, dilapidations des biens et des ressources publiques, nomination véreuses, violence, criminalité, destruction de l’économie, de l’éducation, pillage orchestré des ressources halieutiques par concessions aux mastodontes chinois et autres compagnies désastreuses, despotisme des dirigeants et enrichissements illicites des généraux et gabegie de l’oligarchie  militaro-mercantile, land-grab des terres fertiles du pays par des multinationales avec les bénédictions des pouvoirs publics, marchés pipés et projets détournés dont les auteurs courent les rues, une justice qui n’arrive pas à coffrer des malfrats en col blancs du régime Aziz et au-delà…etc.

Dans tout cela où est cette opposition, qui doit dénoncer, manifester, défendre pied-à-pied et sur le terrain, les droits du citoyen...où est-elle ? La réponse est limpide : on ne cherche que ce qui existe pas.

Cette opposition ne tire son nom que de l’histoire. Au présent, elle n’existe pas.

Cette opposition n’est qu’une collection d’individus, qui sous des acronymes divers, monnaie une légitimité populaire qu’elle n’a pas…et qui en tire des bénéfices bien personnels qui ne disent par leur nom.

C’est la raison pour laquelle, elle va aux dialogues successifs croyant être quelque chose, alors qu’elle n’est rien. Le pouvoir lui-même le sait. Elle est un jouet entre ses mains. Il l’instrumentalise, en l’invitant à un dialogue, car de cette manière il justifie son « ouverture », son vouloir de « paix sociale », une forme de stratégie de communication, par laquelle il piège comme toujours le peuple et l’anesthésie.

C’est en cela que cette opposition est non seulement illégitime mais dangereuse.

En effet, elle légitime les actes du pouvoir en le soutenant à travers le dialogue et l’assentiment qu’elle lui donne, alors qu’elle n’en a ni la légitimité populaire ni le droit de le faire.

Cette opposition vieillissante, sans base populaire, agrippée à quelques individus tournant autour du pouvoir, quémandant reconnaissance et dialogue, se préoccupant peu du peuple, se doit de disparaitre car sa dangerosité est telle qu’elle contribue à maintenir le pays sous le diktat de ceux qui le gouvernent.

Il est donc temps que cette opposition rende compte des dégâts qu’elle a causé au pays et le mal qu’elle a fait subir au peuple, depuis l’arrivée, en 1978, des militaires au pouvoir (voir mon article : « Opposition : Dialogue du mépris et méprise du dialogue. » - https://cridem.org/C_Info.php?article=746114 )

N’ayant aucune légitimité pour aller dialoguer avec le pouvoir au nom d’une quelconque frange du peuple, même la plus infime…cette opposition est un danger pour la démocratie et un rempart contre tout progrès des institutions politiques mauritaniennes.

Quelques individus sur le net et sur les réseaux sociaux font beaucoup mieux, en terme de dénonciation et d’influences positives sur le pouvoir que cette opposition, dont il convient de se débarrasser au plus vite…

A défaut d’une rénovation du cadre partisan, son rajeunissement, son engagement de lutte active et passive supporté par une jeunesse qui est la première victime des errements politiques du pays, rien ne se fera. Or cette « opposition » actuelle coquille vide, ne résonnant qu’en dissensions internes et «dialogues» du ventre continuera à être la risée du pouvoir et un frein à tout changement populaire.

 

Pr ELY Mustapha

mercredi 24 février 2021

Opposition : Dialogue du mépris et méprise du dialogue. Par Pr ELY Mustapha.

Incroyable ! L’opposition veut encore dialoguer…Certains de ses ténors proposent même à Ghazouani, des sujets de dialogue et même une feuille de route !

A l’image de ses scores électoraux, l’opposition a la mémoire éphémère.


Mais pour le pauvre citoyen mauritanien qui eut à voter pour l’opposition c’est le cauchemar. Il vient de comprendre, (tardivement ?) hélas ! qu’il n’y a jamais eu d’opposition véritable et que même s’il a existé un « esprit » d’opposition, ses dirigeants ont vendu son âme et la leur dans les « dialogues » et autres «concertations » qui ont depuis les putschs militaires successifs aspiré son énergie, généré les dissensions en son sein et l’ont réduite à brandir son escarcelle de conciliabules au premier qui se saisit , malgré elle, des rênes du pouvoir.

En effet, au-delà de l’argumentaire qui revient à chaque mandat,  de la « paix sociale », de « l’entente » qui anime ces dialogues du pouvoir qui ont fait saliver depuis des décennies l’opposition, il est un constat démocratique invariable et sur lequel se bâtissent l’équilibre et l’exercice du pouvoir :

 « UNE OPPOSITION QUI DIALOGUE N’EST PAS UNE OPPOSITION ».

Une opposition qui dialogue, est une opposition qui trahit l’esprit du jeu partisan fondement de la démocratie, elle détruit l’essence même du jeu politique, à savoir servir de contre-pouvoir pour orienter, influencer et puis, si possible, conquérir le pouvoir en proposant des alternatives nouvelles, de nouvelles voies du possible et du réalisable en capitalisant sur l’expérience et les échecs du pouvoir en place.

L’opposition d’aujourd’hui est un médiocre reflet de ce que l’opposition doit être dans un Etat démocratique.

Une opposition qui dialogue n’est pas une opposition.

Appelez-là ce qu’il vous conviendra de l’appeler : juxtaposition, transposition, permutation, interversion, inversion...mais ne l’appelez pas opposition. Cette opposition qui recherche ou qui va au dialogue avec le pouvoir est le pire des maux que la Mauritanie puisse subir. S’opposer à cette opposition-là est le premier devoir de tout citoyen concerné par l’avenir politique de son pays.

Quel devrait être le comportement d’une opposition digne de ce nom ?

Une opposition s’organise, collecte ses moyens matériels et financiers prépare son programme politique, le vulgarise, rencontre ses militants, génère des alliances, déploie son énergie à rassembler une opinion qui lui soit favorable, en d’autres termes prépare avec militantisme sa participation aux prochaines élections.

Mais une opposition toute tournée vers la contemplation du pouvoir et attendant de son détenteur qu’il l’apostrophe, est un réceptacle d’une misère partisane tendant sa gamelle pour y recueillir les postillons d’un dialogue qui est devenu tout son programme.

Le devoir de tout Mauritanien, est de ne pas intégrer cette opposition-là mais plutôt de la fuir comme une peste institutionnelle. Si on a piétiné tout un peuple et accaparé le pouvoir, ce fut et c’est toujours à cause de cette opposition-là.

Historiquement, rappelons-nous…

Vivant sur les relents d’un accord de Dakar mort-né, croyant qu’elle a encore un poids dans les institutions de l’Etat, pour mener Aziz vers quelques concessions, l’opposition s’est gourée et continue de l’être.

Elle réclame une réponse écrite, mieux encore un engagement écrit d’Aziz sur les points de discorde qu’elle lui a fait parvenir et conditions du dialogue.... Opposition du ridicule.

Aziz n’avait pas demandé à l’opposition son avis en prenant de force le pouvoir, il ne lui a pas non plus demandé de s’exprimer en se faisant « légaliser » par les urnes. L’opposition ne sert à rien pour Aziz et Aziz le savait.

Ce qui a servi Aziz c’est que l’opposition continue à saliver, comme un cabot attendant un os, en lui miroitant le dialogue. Le dialogue, fut pour Aziz, un instrument machiavélique. Il l’avance quand sa mauvaise foi l’y pousse et il le retire chaque de fois que l’opposition y croit.

Cette opposition-là, fait le jeu du pouvoir. Et c’est en cela qu’elle est dangereuse. Elle est composée de groupes d’individus, sous-fifres, qui constituent une sorte de courroie de transmission avec le pouvoir. Ce sont ces groupes-là qui constituent les « poignées » dont se saisit le Pouvoir pour appâter l’opposition.

Ces « poignées » sont composées de dirigeants aigris par le pouvoir et qui ne savent plus comment y accéder, mais aussi d’individus membres qui « monnayent » leur participation au pouvoir et qui émulent au sein de l’opposition une espèce de « psychose » du dialogue où le délire de l’intéressement matériel n’est pas absent.

Toujours est-il que cette opposition intéressée au dialogue, est le dindon de la farce.

Rappelons-nous que si le pays en est arrivé là, c’est à cause de l’opposition. Si aujourd’hui Ould Abdel Aziz est au pouvoir, c’est à cause de l’opposition. L’opposition juillettiste n’a donc que ce qu'elle a semé.

Cette opposition-là qui s’est précipitée pour négocier à Dakar la réédition d’un président élu, n’a aujourd’hui que ce qu’elle mérite. En Mauritanie, le peuple n’a pas seulement les gouvernants qu’il mérite il a aussi l’opposition qu’il mérite. Et c’est à cause de cette opposition-là, ses dissensions internes, son opportunisme et sa course en rangs dispersés à la présidence lors des dernières élections, que le pays est ainsi gouverné.

Une opposition qui dialogue, pour pérenniser sa forfaiture, n’est pas une opposition.

Que s’est-il passé pour que l’opposition devienne ce qu’elle est aujourd’hui ? Simplement qu’elle n’a pas tiré les leçons du passé politique récent du pays.

I- L’opposition ou la sape psychologique: les leçons du passé

En 2005, jamais une stratégie n’a été aussi brillante et aussi sournoise que celle qui réduisit l’opposition et lui enleva sa victoire aux présidentielles et aux législatives. Ceux qui dirigèrent la transition, avaient décidé de miner l’opposition et de la réduire autant que possible à travers une stratégie de « concertation » qui a permis de « piéger » ceux qui justement pouvaient tout faire basculer. Les « renards » de la transitions aguerris aux faux compromis et aux jeux de la souricière avaient décidé de neutraliser une opposition qui, à la veille du 3 Août 2005, avait une force et une légitimité qu’ils craignaient par-dessus tout. Cette opposition qui sortait d’une haute lutte contre l’ancien régime et dont certaines composantes avaient même pris les armes contre lui risquait de remettre en cause le coup d’Etat lui-même et la transition elle-même.

Il aurait suffi que l’opposition ne reconnaisse pas le coup d’état, qu’elle s’agrippe à ses acquis historiques qu’elle « tape sur la table » pour que ceux qui ont élaboré la transition dans des buts inavoués reculent et cèdent devant ses doléances. Cela ne fut pas fait parce que les renards de la transition avaient très vite identifié le talon d’Achille de l’opposition en la personne de ses leaders et notamment Ahmed Ould Daddah.

Cette identification se confirma pour eux très vite lorsque Ahmed ould Daddah fut le premier reconnaître le coup d’Etat et son apport pour la démocratie. Il devenait alors un « interlocuteur » qui allait servir de porte d’entrée, un cheval de Troie pour déstabiliser l’opposition. La bonne foi d’Ahmed Daddah n’avait d’équivalent que la mauvaise foi de ceux qui allient « l’utiliser » malgré lui. Et c’est là où l’œuvre de sape psychologique commença à la manière d’une forteresse assiégée.

Durant les premiers mois on le consultait on le travaillait dans le sens du poil et le travail psychologique finit par prendre : la conviction du leader du RFD en la volonté des militaires de céder le pouvoir à l’opposition et de façon démocratique. Par cette politique d’amadouement ils ont obtenu deux choses :

- L’immunisation : Faire passer calmement la transition jusqu’à son terme et appliquer leur plan stratégique

- La neutralisation : Assagir l’opposition à travers l’un de ses principaux leaders jusqu’à la mettre à genou.

Cette situation se manifesta à travers les idées lancées par Ahmed Ould Daddah dans sa fameuse déclaration sur « l’absence de chasse aux sorcières » qui reprenait l’argumentaire du CMJD et ses déclarations dans l’interview à Jeune Afrique. ELY Ould Mohamed Vall déclarait en effet en Septembre 2005 : « Il n'y aura ni règlement de comptes, ni chasse aux sorcières, ni esprit de revanche. « (JA L’Intelligent » Septembre 2005)

Le 07 septembre 2005 Ahmed Daddah déclarait à l’AMI : » "j'ai confiance, en toute objectivité, dans le projet du CMJD".

Il était devenu ce que le CMJD voulait qu’il devienne « la courroie de transmission » avec l’opposition en la « piégeant » dans le processus d’un dialogue et d’une concertation qui allait être fatal pour toute l’opposition.

« Le RFD, déclarait Ahmed Daddah, en tant que parti, est favorable au principe du dialogue sur les questions nationales qui nous concernent tous. Nous nous réjouissons donc de cette initiative et pensons qu'elle marque le début d'une concertation que nous espérons approfondie, franche et exhaustive. Concernant le comité chargé du processus de transition, je tiens à préciser que cette période transitoire est essentielle parce qu'elle déterminera tout ce qui la suivra. C'est pourquoi nous estimons que tous les acteurs doivent y participer, y compris les partis politiques, la société civile, les leaders d'opinion, avec tout le sérieux et toute la franchise requise... »

Et la boucle est bouclée. Ahmed Daddah était devenu l'appât auquel on miroitait mille et une bonne intentions dont il nourrissait ses espoirs de changement.

Les militaires, en s’appuyant sur une structure gouvernementale triée dans le tas des anciens du régime précédent, avec lesquels ils partageaient les mêmes préoccupations de défense de ses intérêts et de ses basses-œuvres avait mis en place une stratégie psychologique militaire qui, comme on le sait, utilise de multiples techniques de déstabilisation de l'adversaire utilisant la psychologie préventivement, ou simultanément, à l'usage de la force.

Une stratégie qui ressemble étrangement à celle utilisée par les experts militaires dans le Chiapas mexicain : diviser et semer la confusion dans les esprits pour atteindre des buts de déstabilisation des structures villageoises. A travers une pseudo- politique d’ouverture au dialogue, le gouvernement opposait les chefs de village en accordant plus d’importance officielle à l’un deux et en le favorisant financièrement et matériellement par rapport aux autres. Ce qui, à moyen terme, entrainait la division et les blocages dans les rapports villageois. De la division et des rancunes naissaient alors les dénonciations.

Lorsque Ahmed Daddah a compris qu’il n’était pas l’interlocuteur unique du CMJD, que celui-ci jouait son propre jeu, il fît machine arrière à travers les dénonciations que l’on sait sur la « dérive » du CMJD notamment après que Sidioca fut pressenti au mois de juillet 2006 comme candidat « favori » du CMJD. Mais déjà en décembre 2006 le vent avait tourné et la stratégie du CMJD était à son apogée.

La dissidence de Messaoud Ould Boulkheir qui permit à Sidioca de remporter la victoire, tient de cette stratégie car on se rappelle très bien que pour justifier son ralliement à Sidioca, le dirigeant de l’APP avait reproché à Ahmed Daddah d’avoir eu un plan secret avec le CMJD de constitution d’un gouvernement. La stratégie de déstabilisation avait joué.

Concertation et dialogue furent les deux armes absolues de la stratégie des autorités de transition pour « endormir » l’opposition et gagner du temps pour échafauder ses plans et les mettre à exécution.

Cette stratégie de « la concertation anesthésiante » est encore aujourd’hui mise en œuvre par les régimes politiques successifs. La présence encore aujourd’hui de personnages au palais et la plupart de ceux qui ont servi la transition et le régime précédent aux postes-clefs en est la preuve éclatante.

Mieux encore, la transition avait pensé à un mécanisme pour pérenniser cette « concertation » et neutraliser l’opposition même après l’avènement de l’ère démocratique : le statut de leader de l’opposition.

Le piège institutionnel se referma alors et l’opposition est actuellement toute réduite à cette fonction de « concertation » qui lui enlève tout rôle et toute volonté sinon ceux d’entériner ce que le « leader » glane comme assurances et expressions de bonnes intentions du détenteur du pouvoir sur tout et sur rien. Encore une fois, la bonne foi du leader mise à contribution à travers une concertation dont on sait ce qu’elle a donné par le passé.

II- L’opposition doit réagir à la sape psychologique : tout remettre en question

Il est incontestable que depuis 2005 les régimes successifs utilisent, le « dialogue » et la concertation pour neutraliser l’opposition et gagner du temps. Gagner du temps pour s’affermir politiquement et consolider son leur assises économico-financières.

- S’affermir politiquement: l’expression la plus immédiate fut la création du grand parti présidentiel qui a visé à damer le pion à l’opposition et au-delà. Quelle fut la réaction de l’opposition à ce « danger » institutionnel d’un parti-état ? La concertation !

- Consolider ses assises financières : On le sait outre que le favoritisme n’a pas quitté l’Etat, voici que commence la liquidation des entreprises publiques pour « renflouer », les caisses de l’Etat. Une cession d’actions de l’Etat dont on ne sait en fin de parcours si elle servira vraiment l’Etat à travers son budget. Et qu’elle est la réaction de l’opposition face à la menace qui touche les entreprises publiques ? La concertation !

Et qu’a donné cette concertation ? Une conférence dénonçant ces aspects, relayée par la presse.

Quel impact cela a eu sur la politique du gouvernement ? Rien ! On se concerte avec l’opposition mais on ne l’écoute pas. On continue à structurer le parti-état et on a continué à négocier la cession des entreprises publiques.

Alors est-ce là une opposition qui a un poids sur la scène politique ? Une opposition qui s’accroche à des concertations comme si elle était l’antichambre du pouvoir. Eh bien non. Cette opposition-là, le peuple n’en veut pas ! Elle est inefficace, anesthésiée par un pseudo-dialogue et réduite à sa plus simple expression : un contre-pouvoir qui ne contre rien.

Quelles sont les solutions ? Il faut que l’opposition se ressaisisse. Qu’elle quitte immédiatement ce processus de « concertation » et de « dialogue », qu’elle renonce à l’institution de leader et qu’elle entre… en opposition !

Qu’elle adopte sa propre vision des problèmes à résoudre, qu’elle élabore sa propre stratégie d’intervention pour contraindre le gouvernement à discuter et à obtempérer s’il le faut.

Si les problèmes sont connus et attendent solution (refus du parti-état, refus du bradage des entreprises publiques, rehaussement du niveau de vie, dénonciation de la corruption et du trafic d’influence etc.), quelle est la stratégie à adopter ?

La voici :

- Se déconnecter du giron des pouvoirs publics et donner à l’opposition son autonomie (« pas de leader, pas de concertation »)

- Utiliser les moyens légaux pour protester : grèves limitées ou généralisée, alerte de l’opinion publique nationale et internationale

- mise à contribution des cadres et des forces intellectuelles de l’opposition pour critiquer (socialement, économiquement, financièrement) et publier leurs critiques des mesures gouvernementales partout où cela peut influencer le système (ouvrages, travaux de conférences et de colloques etc.)

- Entreprendre des meetings et des sittings de protestations.

- Investir les aires d’information (presse écrite, audiovisuelle nationale et internationale) etc.

En résumé : Etre une force politique réelle qui agit sans complaisance et avec les moyens d’une véritable opposition.

Puisse l’opposition comprendre cela, sinon s’en est fini d’elle. Elle restera un faire-valoir d’une politique qui s’affermit de jour en jour, institutionnellement et financièrement.

Et alors,  il ne sera plus très loin le temps où elle devra se soumettre ou disparaître ( à moins qu’elle n’y soit déjà) . Car en politique, une opposition qui ne joue pas son rôle est non seulement une traitrise à l’égard de ceux qu’elle représente mais aussi la pire des menaces pour un Etat de droit.

Le seul espoir qui reste est que l’actuel président Ghazouani tienne ses promesses et ses engagements brandis à l’opposition pour l’assagir. Mais si en réalisant cela, Ghazouani gagnera en crédibilité croissante, alors l’utilité d’une opposition devient inversement proportionnelle à cette crédibilité.

"La dignité, a-t-on pu écrire, passe par le sentiment qu'on a de son utilité[i]."



Pr ELY Mustapha



[i] H. Lamoureux « L’affrontement » Éditions du Jour, Montréal.

lundi 22 février 2021

Un pays musulman où l’on jette les bébés à la poubelle. Par Pr ELY Mustapha

 

En quarante ans, et suite aux violences successives, qu’elle a subi et subit encore, la société mauritanienne, a accusé des transformations qui ont corrompu son système de valeurs, ses croyances et jusque son devenir.


 1.     Ce qu’elle fut.


La société mauritanienne était bâtie sur une universalité de codes éthiques et de valeurs sociales qui lui donnaient sa dimension de respect et de tolérance. Celle où l’on ne pouvait regarder dans les yeux les grandes personnes, celle où l’on devait courber la tête quand toute personne aux cheveux grisonnants nous adressait la parole, celle où l’on mettait le petit doigt sur le bord de l’assiette de repas commun pour ne pas importuner les invités. Celle où l’on ne pouvait élever la voix en présence des parents et des grandes personnes, celle où l’on se devait d’être bon, sage et meilleur en tout. Non pas seulement pour soi mais aussi pour sa famille et pour son pays. Il y avait dans cette société une fierté et une dignité qui prenaient leurs sources non pas dans l’appropriation matérielle, mais dans la possession de l’éducation et du savoir.
Cadres et repères de l’homme en société.


Cette société dans laquelle l’on sacralisait la relation humaine où tous ceux qui tournaient autour de nous étaient notre famille, pourvu qu’ils aient foulé le sol de la maison familiale, prié avec les parents à la mosquée, partagé un bureau de travail ou habité le voisinage. Cette société où la parole était d’or et où l’attachement se faisait plus à la personne elle-même, à son origine, à son savoir, à son éducation qu’à ses biens et ses atours.

 

Une société matériellement pauvre et spirituellement gigantesque. Cette société où l’ami de la famille était aussi la famille et chacun cherchait à voir dans l’autre ce qui le grandissait. Une société où les valeurs nous venaient de contes d’autrefois ou s’entremêlaient la foi, la dignité et le courage. Une société où le courage n’ignorait pas la tolérance et la dignité le pardon.

 

2.     Ce qu’elle advint.


Aujourd’hui, la société mauritanienne, s’entre-déchire autour d’une personne, d’un bien, d’une autorité, d’un pouvoir. Elle a perdu la foi qui maintenait sa cohésion et la conviction en un devenir commun. La société, à force de faire du pouvoir son centre d’intérêt et son ultime sujet, est devenue le reflet de ce pouvoir. Elle a confectionné ses attitudes, ses valeurs et son mode de vie à l’image de ce qui la préoccupe depuis des décennies : le pouvoir.


Ce n’est pas la société qui a imprimé ses valeurs au politique mais l’inverse. Entrainant ainsi une reproduction jusque dans la sphère sociale, des tensions qui l’animent et des tares qui le minent. Les dissensions, l’agressivité partisane, la corruption, le népotisme, l’inimitié, l’esprit revanchard et l’intolérance ont conquis une société entièrement assujettie au politique.


Les conséquences en sont une perte de repère pour toute une société et à travers elle sa jeunesse. Les batailles qui se livrent au sommet trouvent leur reproduction dans la violence sociale et la criminalité galopante. Le respect des anciens et des grandes personnes n’a plus de sens puisque ce sont ces personnes qui au pouvoir donnent le mauvais exemple et qui montrent les formes les plus évidentes de l’intolérance et de la cupidité.


Brassée durant des décennies par des régimes politiques entièrement extravertis ne se préoccupant que de conquérir, d’assujettir et de s’enrichir, au mépris du peuple et de sa culture, au mépris de son idéal et de ses valeurs, la société en est devenue le reflet.


Aussi tout ce que se passe actuellement au sommet de l’Etat et tout ce qui s’y est passé durant ces dernières années n’a pu trouver une réaction de rejet du profond de la société, car elle en est une fidèle reproduction. La société n’est plus le frein au rejet des valeurs, elle accompagne ce rejet, l’applaudit et l’admet. Et tous ceux qui ont conquis le pouvoir par la force savent pertinemment qu’ils peuvent compter sur l’immobilisme de cette société qui » accusera le coup » et qu’ils sauront l’associer à leurs méfaits.


Une société conditionné, préparée à l’assujettissement et dont « l’élite » cupide et intéressée, véritable courroie néfaste de transmission entre la société et le pouvoir, la mettra dans l’escarcelle de ce dernier. Une élite participant à l’instrumentalisation politique d’une société sans repères et sans idéal.


Voilà pourquoi ceux qui usent de la violence pour conquérir le pouvoir, bafouer la société ; ses valeurs et son idéal le font parce qu’ils savent qu’ils trouveront toujours dans cette société ceux qui l’aideront à l’assujettir.


3. Ce qu’elle ne sera plus.


Cette société a-t-elle définitivement pris les traits de ceux qui la gouvernent par la violence, la cupidité et l’égoïsme depuis plus de quarante ans ?


Cette société est-elle, réactivement, morte pour tolérer toutes les violences qu’on lui fait depuis tant d’années à travers des putschs successifs hypothéquant sa volonté, son développement et son devenir ?


Cette société est–elle définitivement classable dans les rayons de l’ethnographie sous l’étiquette : « société détruite par absorption de son énergie vitale par un pouvoir parasite » ?


En somme,  une société qui en est arrivé aujourd’hui à jeter les bébés à la poubelle, est-elle viable ?

 

Le rempart de la religion s’étant lui-même effrité, face à la violence que le corps social a subi, a fait que ce que toute société reprouve, se fait désormais dans la pénombre…

 

Si les bébés dans un pays musulman sont jetés à la poubelle, c’est parce que tout ce qui servait de socle solide et maintenant la société, ses croyances et ses valeurs, s’est effrité et il ne reste plus que le gémissement des êtres que l’on viole et l’étouffement des bébés au fond des poubelles…… bébés de la misère, d’une société appauvrie, violentée jusque dans sa progéniture.

 

Alors, ce que cette société deviendra, nul ne le sait plus.

La compassion ne survit plus, là où l’on étouffe l’innocence.

Maudite gouvernance.

Pr ELY Mustapha

De l’obéissance au gouvernant: Quels oulémas pour quelle république ? Par Pr ELY Mustapha

 


Selon Abou Sa’id El Khodry, le Prophète sallAllahualayhiwasalam a dit : « Dieu n’a suscité aucun Prophète ni institué aucun calife sans leur adjoindre deux catégories de confidents. Les uns qui l’exhortent à faire le bien et le poussent à le faire, les autres qui l’exhortent à faire le mal et le poussent à le faire. N’est protégé que celui que Dieu protège. »

Et il ne fait pas de doute que  la religion musulmane est aujourd’hui malmenée par ceux-là même qui sont sensés la servir au mieux des intérêts des croyants.

Mais est-ce là un phénomène nouveau? Certes non.  Je me rappelle, dans ma tendre jeunesse, de ces féticheurs qui, psalmodiant mille et un versets, se présentaient pour vendre leurs talismans et qui refusaient d’en recevoir, en contrepartie, un prix modique; mais voulaient se faire payer au prix fort en invoquant le verset:

اشْتَرَوْا بِآيَاتِ اللَّهِ ثَمَنًا قَلِيلًا فَصَدُّوا عَنْ سَبِيلِهِ ۚ إِنَّهُمْ سَاءَ مَا كَانُوا يَعْمَلُون

“Ils troquent à vil prix les versets d'Allah (le Coran) et obstruent Son chemin. Ce qu'ils font est très mauvais!”

Alors que ce verset, dans toutes les interprétations depuis El Tabari à  El Jellaleyn, en passant par El Kortobi et Ibn Koutheir qui, tout en le plaçant dans le contexte historique,   met en garde les croyants contre l’abandon de la parole de Dieu pour suivre leurs désirs et leur convoitises.

On retrouve, aussi cette référence divine de la parole de Dieu au “vil prix” dans les sourates “El baghara”, “Alli Omrane”", “El ma’idah”. Ces versets ne s’adressaient donc nullement ni au troc des talismans ni à leur valeur financière.

Mais si ces versets détournés de leur sens réel couvraient  une simple escroquerie vidant les poches de quelques incrédules, il reste que lorsqu’un tel comportement est porté à l’échelle de l’Etat il devient un crime; surtout quand il  vise à soumettre tout un peuple au dictat d’une personne en utilisant la religion et ses saintes prescriptions. Parmi ces attitudes dangereuses, l’invocation de l’obéissance au détenteur du pouvoir.

يا أيها الذين آمنوا أطيعوا الله وأطيعوا الرسول وأولي الأمر منكم فإن تنازعتم في شيء فردوه إلى الله والرسول إن كنتم تؤمنون بالله واليوم الآخر ذلك خير وأحسن

“ Ô croyants ! Obéissez à Dieu, obéissez au Prophète et à ceux d'entre vous qui détiennent le pouvoir . En cas de litige entre vous, référez-vous-en à Dieu et au Prophète, si votre croyance en Dieu et au Jugement dernier est sincère. C'est là la démarche la plus sage et la meilleure voie à choisir.” (Sourate Ennisaa verset 4.59)

Tout en regroupant, pour plus de clarté , sous ce terme de “jurisconsultes”, les autorités religieuses ayant une influence ou un lien direct avec la communauté musulmane (Oulémas, imams, juristes etc), nous remarquons que l’utilisation d’un tel verset avait, dans les temps immémoriaux, permis aux jurisconsultes musulmans  d’assujettir la volonté des  musulmans au pouvoir du plus fort.

L’attitude des jurisconsultes s’expliquait aussi par le fait qu’à la fin de l’âge d’or  des califes rachidines, compagnons du prophètes, le califat  arrivait toujours par voie de conquête, de soumission et de coercition s’imposant et se perpétuant par voie héréditaire et dictatoriale et parfois sanguinaire.

Aussi la soumission au plus fort dans les périodes de conquêtes et de razzias s’expliquait bien par le recours aux armes pour soumettre les peuples.

C’est toujours  sur cette lancée que des jurisconsultes musulmans d’aujourd’hui continuent à perpétuer un telle tradition et l’appuient sur le verset précédent mais aussi sur les préceptes malékites de l’obéissance au gouvernant tel que cela ressort des prescriptions de l’imam Malek ibn Enes: " Il est préférable de supporter un roi injuste pendant soixante-dix ans plutôt  que de laisser un peuple sans chef, ne serait-ce que le temps d'une heure. "

La crainte de la zizanie et de l’insécurité qui pouvaient résulter d’une période sans gouvernant a donc toujours expliqué la justification de la soumission bon gré mal gré au gouvernant, fut-il injuste.

Si cependant on peut comprendre l’intérêt historique d’une telle attitude des jurisconsultes musulmans dans un monde de guerres de conquête et de convoitises du pouvoir entre califes, factions et étendards divers, il est difficile aujourd’hui de comprendre la dimension  de la difficulté lorsqu’il s’agit de concilier les préceptes malékites de gouvernance dans un pays musulman malékite mais  gouverné par un Etat régi par une constitution moderne se proclamant régime démocratique ( la démocratie étant “le gouvernement du peuple par lui-même”), il y a alors une contradiction qui jette à terre toute volonté d’évolution des institutions républicaines en Mauritanie.

Si l’appel religieux à l’obligation d’obéissance au gouvernant fait l’objet d’un tel assentiment c’est qu’il est véhiculé par ceux qui sont en charge de dire “la religion”, les oulémas.

Aussi des questions essentielles se posent:  

Quelle place occupent les oulémas dans la société musulmane pour entrainer un tel assujettissement? (I)

Cette place est-elle réellement due par les oulémas d’aujourd’hui et n’ y  a t-il pas une nécessité  de revoir les concepts de “ilm” (savoir) et “Alem”(savant)tels qu’ils devraient y ressortir de la sainte écriture? (II)

L’obligation d’obéissance au gouvernant, prescrite par la religion et véhiculée par ces oulémas, est présentée comme un dogme, mais n’ est-elle pas soumise à des conditions préalables qui dictent son application? (III)

Dans un régime mauritanien constitutionnel, soumis au droit positif, la mise en œuvre d’une telle obligation religieuse n’est-elle pas contradictoire avec le caractère non théocratique et démocratique de l’Etat? (IV)

Enfin,  une génération d’oulémas  s’est mise, aujourd’hui, à interférer avec les régimes politiques en place (“oulémas du pouvoir”). Qu’est-ce qui les détermine?  Restent-ils vraiment dans les limites que doit dicter leur statut religieux dans la société et dans l’Etat? ( V )

Autant de questions auxquelles nous consacrerons les développements qui suivent.

 

I- Le statut des oulémas dans la religion musulmane et dans la société mauritanienne

La tradition est claire à ce niveau, les oulèmas se répartissent en  fonction de leur discipline. Globalement on distingue les érudits dans la science coranique et de la Sunna (Hadiths) et les érudits de la doctrine et de la jurisprudence. Comme le mentionne les jurisconsultes:

والعلم علمان : علم التوحيد والصفات وعلم الفقه والشرائع .

 
فالأصل في علم التوحيد التمسك بالكتاب والسنة ومجانبة الهوى والبدعة كما كان عليه الصحابة والتابعون والسلف الصالحون - رضوان الله عليهم أجمعين - الذين أخفاهم التراب 
.

Il ne fait pas de doute que la  place que confère l’Islam aux oulémas dans l’orientation et l’assujettissement du musulman à leurs avis et directives est extrêmement importante.  Les jurisconsultes bénéficient d’un statut à part dans l’Islam , il sont assimilés dans la conscience populaire à ceux “qui autorisent et qui interdisent” (أهل الحلِّ و الربط) et Dieu leur a réservé une place particulière dans la direction, le conseil et le règlement des différends dans la communauté musulmane.

Mais l’examen du Saint Coran montre que non seulement ils ont cette mission temporelle et terrestre de servir la communauté musulmane, mais ils revêtent aussi auprès de Dieu une importance toute particulière.

قال الله - عز وجل - : ( ومن يؤت الحكمة فقد أوتي خيرا كثيرا ) ، قال ابن عباس رضي الله تعالى عنه الحكمة معرفة الأحكام من الحلال والحرام وقد ندب الله - تعالى - إلى ذلك بقوله - تعالى - : ( فلولا نفر من كل فرقة منهم طائفة ليتفقهوا في الدين ولينذروا قومهم إذا رجعوا إليهم لعلهم يحذرون ) فقد جعل ولاية الإنذار والدعوة للفقهاء ، وهذه درجة الأنبياء ، تركوها ميراثا للعلماء ، كما قال عليه الصلاة والسلام : « العلماء ورثة الأنبياء » ، وبعد انقطاع النبوة هذه الدرجة أعلى النهاية في القوة ، وهو معنى قول النبي عليه الصلاة والسلام : « من يرد الله به خيرا يفقهه

» وقال عليه الصلاة والسلام : « خياركم في الجاهلية خياركم في الإسلام إذا فقهوا » ولهذا اشتغل به أعلام الصحابة

 

وَمِنَ النَّاسِ وَالدَّوَابِّ وَالْأَنْعَامِ مُخْتَلِفٌ أَلْوَانُهُ كَذَلِكَ إِنَّمَا يَخْشَى اللَّهَ مِنْ عِبَادِهِ الْعُلَمَاءُ إِنَّ اللَّهَ عَزِيزٌ غَفُورٌ

“Il y a pareillement des couleurs différentes, parmi les hommes, les animaux, et les bestiaux. Parmi Ses serviteurs, seuls les savants craignent Allah. Allah est, certes, Puissant et Pardonneur.”

Et cette crainte que les savants ont de Dieu, les a placés au dessus des autres croyants. Et cette situation s’explique par la connaissance que ces savants ont acquise des saintes écritures, de leur appréhension de la toute puissance de Dieu et de leur capacité à comprendre les paroles de Dieu, de les transmettre et de les appliquer au commun des mortels. En autorisant ce qui Dieu autorise et en interdisant ce qu’il interdit.

C’est ce que Ibn Koutheir à l’occasion  de  son interprétation de ce passage confirme et illustre par l’affirmation de jurisconsultes.

قَالَ عَلِيّ بْن أَبِي طَلْحَة عَنْ اِبْن عَبَّاس فِي قَوْله تَعَالَى : " إِنَّمَا يَخْشَى اللَّه مِنْ عِبَاده الْعُلَمَاء " قَالَ الَّذِينَ يَعْلَمُونَ أَنَّ اللَّه عَلَى كُلّ شَيْء قَدِير " . وَقَالَ اِبْن لَهِيعَة عَنْ اِبْن أَبِي عَمْرَة عَنْ عِكْرِمَة عَنْ اِبْن عَبَّاس قَالَ : الْعَالِم بِالرَّحْمَنِ مِنْ عِبَاده مَنْ لَمْ يُشْرِك شَيْئًا وَأَحَلَّ حَلَاله وَحَرَّمَ حَرَامه وَحَفِظَ وَصِيَّته وَأَيْقَنَ أَنَّهُ مُلَاقِيه وَمُحَاسَب بِعَمَلِهِ وَقَالَ سَعِيد بْن جُبَيْر الْخَشْيَة هِيَ الَّتِي تَحُول بَيْنك وَبَيْن مَعْصِيَة اللَّه عَزَّ وَجَلَّ وَقَالَ الْحَسَن الْبَصْرِيّ الْعَالِم مَنْ خَشِيَ الرَّحْمَن بِالْغَيْبِ وَرَغِبَ فِيمَا رَغَّبَ اللَّه فِيهِ وَزَهِدَ فِيمَا سَخَّطَ اللَّه فِيهِ ثُمَّ تَلَا الْحَسَن "

Et au dessus de tout, Allah J n’a-t-il pas dit:

{ Dis : «Sont-ils égaux ceux qui savent et les ignorants ? les hommes doués d'intelligence sont les seuls qui réfléchissent. } [ Sourate 39 - Les groupes - Az-Zumar - Verset 9 ]

La place et la reconnaissance faites aux oulémas dans l’Islam est telle que Abou Houreiraimages rapporte que l'Envoyé d'AllahsallAllahualayhiwasalama dit : « Les savants sont les héritiers des Prophètes (mentionné par Mouslim) et il a même donné une appréciation imagée de ce qui sépare le savant de l’ignorant. En effet , Abou Houreira - images - rapporte du Messager d'Allah sallAllahualayhiwasalam ces propos : « Cent degrés séparent la position du savant de celle du dévot. Entre chaque degré, il y a la distance que couvre un cheval au galop au cours de soixante-dix années. » (mentionné par Tirmidhi et Abou Daoud.)

     Le Messager d'Allah, Mohammed sallAllahualayhiwasalamdit:  «Les Anges étendent leurs ailes sur celui qui recherche le savoir et sont satisfaits de son oeuvre ». (Rapporté par An-Nessa'i et Tirmidhi )

          Et selon Abou Darda'images[16]: j'ai entendu le Messager d'Allah sallAllahualayhiwasalam[10]dire :   «Les Savants sont les héritiers des Prophètes.  Les Prophètes ne lèguent aucun dinar ni dirhem, par contre, ils lèguent la science.  Celui qui s'emparera d'elle (la science), se pourvoira d'un privilège grandissant. » (Rapporté par Abou Daoud, Tirmidhi, Ibn Madja et AI-Béihaqi )

Abou Houreira images[16]dit, j'ai entendu le Messager d'Allah sallAllahualayhiwasalam[10]: « Dans le cas où quelqu'un vienne à vous, dans le but d'étudier, traitez-le avec déférence et estime, car c'est mon convive.» (Rapporté par Mouslim et AI-Boukhari)

     Dans le testament de Loqman - que la paix soit sur lui -, il dit à son fils «Fils, fréquente les savants et rivalise avec eux de toute ton énergie.  Allah vivifie les coeurs avec la lumière de la sagesse comme il vivifie la terre avec la pluie qui tombe du ciel »

     Ali Ben Abi Talibimages[16]dit un jour à Koumil : "Koumil, le savoir est de loin préférable à l'argent.  Car, le savoir veille sur toi, mais par contre, tu veilles sur l'argent.  Le savoir est un maître.  L'argent est condamné, puisqu'il diminue à la dépense et le savoir augmente lorsqu'il est partagé."

     Il dit également : "L'orphelin n'est pas celui qui a perdu ses parents.  Non L'authentique orphelin est celui qui ne possède ni savoir, ni éthique."

     Abdallah ibn Abbas images16rapporte ces propos "On a donné à choisir à Salomon d'entre le savoir, l'argent ou la royauté.  Il choisit le savoir. Et l'argent et la royauté lui furent donnés avec le savoir"

     Zoubir ben Abi Bakrimages16raconte : "Lors de mon séjour en Irak, j'ai reçu une lettre de mon père me disant : «O mon fils ! Acquiers le savoir Si tu t'appauvris, il sera pour toi un trésor et si tu t'enrichis, il te sera une beauté. »"

 

II - De la nécessité de revoir les concepts de “ilm” (savoir) et de “Alem” (savant).

Si l’on examine la sourate dans laquelle le verset “إِنَّمَا يَخْشَى اللَّه مِنْ عِبَاده الْعُلَمَاء a été tiré, on remarque qu’avant de faire cette assertion, Dieu a commencé par citer les miracles de la nature qu’il a faite ( l’eau nourricière venue du ciel, les fruits multicolores qui en naissent. Les montagnes, leurs sillons blancs et rouges, de couleurs différentes et des roches à la noirceur excessive; les hommes, les animaux, les bestiaux aux couleurs différentes…). Puis Dieu cite alors les savants qui sont ces serviteurs qui sont les seuls à le craindre.

أَلَمْ تَرَ أَنَّ اللَّهَ أَنْزَلَ مِنَ السَّمَاءِ مَاءً فَأَخْرَجْنَا بِهِ ثَمَرَاتٍ مُخْتَلِفًا أَلْوَانُهَا وَمِنَ الْجِبَالِ جُدَدٌ بِيضٌ وَحُمْرٌ مُخْتَلِفٌ أَلْوَانُهَا وَغَرَابِيبُ سُودٌ

N'as-tu pas vu que, du ciel, Allah fait descendre l'eau? Puis Nous en faisons sortir des fruits de couleurs différentes. Et dans les montagnes, il y a des sillons blancs et rouges, de couleurs différentes, et des roches excessivement noires.

 وَمِنَ النَّاسِ وَالدَّوَابِّ وَالْأَنْعَامِ مُخْتَلِفٌ أَلْوَانُهُ كَذَلِكَ إِنَّمَا يَخْشَى اللَّهَ مِنْ عِبَادِهِ الْعُلَمَاءُ إِنَّ اللَّهَ عَزِيزٌ غَفُورٌ

Il y a pareillement des couleurs différentes, parmi les hommes, les animaux, et les bestiaux. Parmi Ses serviteurs, seuls les savants craignent Allah. Allah est, certes, Puissant et Pardonneur.

La question que chaque être rationnel devrait se poser est alors: Pourquoi Dieu fait-il cette assertion sur les savants  en parlant auparavant, et juste avant, des sciences humaines et de la nature ?

En effet, si l’on examine avec attention ce passage, l’on retrouve dans ce verset la référence aux sciences suivantes: météorologie, hydrologie, géologie, botanique,  agronomie, minéralogie, anthropologie, ethnologie, sociologie, botanique, zoologie …

Cela, à notre avis, ne peut signifier qu’une chose: les savants dont parle Dieu, ne sont pas les doctes de la religion mais bien les “scientifiques” au sens que nous leur connaissons aujourd'hui. A savoir les personnes qui se consacrent à l’étude d’une science, ou des sciences avec la rigueur et les méthodes scientifiques (Wikipédia)

Les “oulémas” seraient donc “les hommes de science”, ceux qui détiendraient un savoir scientifique (une science) leur permettant de scruter les miracles de Dieu sur terre (donc activité temporelle et non spirituelle) et qui sont capables d’en approcher  la complexité, l’ingéniosité et l’incommensurabilité ce qui les renforce dans la conviction de l’existence de l’éternel et de sa puissance, ce qui justement les renforce dans sa crainte  et sa soumission à lui.

Ce sont ces savants là dont Dieu parle. Ceux qui, par le savoir et  l’intelligence humaine, découvrent les miracles et s’agenouillent devant la puissance de Dieu.

Les doctes religieux invoquent les miracles de Dieu comme des faits avérés et immuables, les savants (scientifiques) les expérimentent et appréhendent chaque jour leur infinité, leur complexité et leur vérité.

Une telle connaissance dont ils saisissent les limites les met en perpétuelle situation de crainte et de révérence à Dieu. Dieu les ayant averti de l’infime connaissance qu’il leur a permis de posséder!

وَيَسْأَلُونَكَ عَنِ الرُّوحِ قُلِ الرُّوحُ مِنْ أَمْرِ رَبِّي وَمَا أُوتِيتُمْ مِنَ الْعِلْمِ إِلَّا قَلِيلًا 

“Et ils t'interrogent au sujet de l'âme, - Dis: "L'âme relève de l'Ordre de mon Seigneur". Et on ne vous a donné que peu de connaissance. “ Sourate El israa.”  n.15)

قُلْ لَا يَعْلَمُ مَنْ فِي السَّمَاوَاتِ وَالْأَرْضِ الْغَيْبَ إِلَّا اللَّهُ وَمَا يَشْعُرُونَ أَيَّانَ يُبْعَثُونَ  (سورة النمل الاية رقم 65

Dis: "Nul de ceux qui sont dans les cieux et sur la terre ne connait l'Inconnaissable, à part Allah". Et ils ne savent pas quand ils seront ressuscités! “

Ainsi les véritables contemplateurs des miracles de Dieu sont les scientifiques. De l’infiniment petit (atome) à l’infiniment grand (galaxies), les scientifiques sont en connexion avec les merveilles divines. Ils découvrent chaque jour la fatuité de l’humain et le l’insignifiance de ses jours. La foi du savant (scientifique) est alors infinie et c’est en cela que Dieu a bien dit que “Parmi Ses serviteurs, seuls les savants craignent Allah”. Et pour cause.

C’est de cet homme de science là, dont le prophète MohamedsallAllahualayhiwasalam a parlé  . En effet, en exhortant le musulman à aller “chercher la science même en chine” ("اطلبوا العلم ولو بالصين، فإن طلب العلم فريضة على كل مسلم) !

Et ce n’est certainement pas en Chine qu’il fallait à l’époque rechercher les préceptes islamiques, mais bien le savoir scientifique et la découverte du savoir du monde.

Il est donc éminemment important de revoir cette conception du “savant” telle qu’elle a été ramenée aux doctes religieux (oulémas, jurisconsultes) pour lui faire prendre sa véritable dimension: l’homme de science.

Cette conception nous semble la plus plausible. Les savants ne peuvent être que les scientifiques ceux dont la définition a été donnée plus haut.

Mais Dieu en parlant de savant selon notre conception, a-t-il exclu les “oulémas” (doctes religieux) de ce champ?

Oui et non.

Oui, s’il s’agit des oulémas qui depuis la fermeture des portes de l’ijtihad se sont réduits en glossateurs et post-glossateurs de ceux qui les ont précédés en réduisant la “Bidaa” (innovation), au sens de Malek ibn Enes, à une proportion si infime qu’elle en est devenue une hérésie. Ces oulémas là, peu ouverts sur les réalités de ce monde, réduisent leur savoir à l’exégèse du livre saint et à la répétition des précédents (au sens doctrinal et jurisprudentiel du terme).

Non, cependant Dieu n’a pas exclu les oulémas;  en tout cas pas ceux qui ont été les références dans le monde islamique d’antan et dont peu d’oulémas d’aujourd’hui peuvent leur être assimilés.

Ce sont les oulémas islamiques des premiers temps. Ces oulémas étaient non seulement des docteurs de la religion mais ils étaient des scientifiques (médecins, mathématiciens, botanistes, logicien, pharmaciens, philosophes, anthropologues etc.).

Il suffit de dresser la liste des savants musulmans pour constater que les érudits étaient  versés dans plusieurs disciplines scientifiques et ne s’enfermaient pas dans l’étude des textes religieux.

 L’ouléma d’aujourd’hui est un pur produit des mahadras et autres écoles religieuses qui ne lui donnent d’horizon que les programmes liés à sa discipline. Aucune place n’est laissée aux sciences humaines et encore moins aux sciences exactes.

Il est enfermé dans la connaissance des sources principales de la religion, le Coran et la Sunna, les  méthodes d’interprétation et de divulgation ainsi que la doctrine et la jurisprudence qui lui sont attachées. Ni la philosophie, mère des sciences, dans toute sa dimension universelle (sans exclusion de courants de pensées), ni l’histoire de la pensée, des idées , des faits politiques, sociaux économiques ne sont intégrées dans les cursus des institutions de formation religieuse. Or la conviction religieuse et la solide détention d’un savoir, passent par la connaissance de l’homme et de son œuvre sur terre, car c’est à travers l’homme, représentant de Dieu sur terre, que l’on connait Dieu.

On n’enseigne ni la Bible, ni la Torah, qui pourtant font font partie des religions de Ehl el kitab, sur lesquels Dieu et son prophète Mohamed sallAllahualayhiwasalam[1], se sont prononcés.

Comment connaitre sa religion si on ne connait pas celle des autres ou tout au moins en savoir l’essentiel ? L’affirmation de sa propre religion, et la conviction qu’on a en elle, est d’autant plus fort que l’on n’ignore pas celle des autres. Et d’ailleurs dans le prêche face aux publics incrédules, la valeur scientifique de la rhétorique comparative de sa religion par rapport à celle des autres est payante pour l’adhésion des esprits.

L’ouléma d’aujourd’hui contrairement aux oulémas d’autrefois, n’intègre pas la science  à son savoir, il se suffit du dogme religieux et n’élargit pas ses horizons par l’intégration de la connaissance universelle telle qu’elle fut recommandée par les précurseurs de la pensée islamique et ses fondateurs.

Ainsi le premier magistrat de l’Islam et le commandeur des croyants, le Calife Omar Ibn El khattab, recommandait d’apprendre la généalogie, la poésie, l’astronomie et la science des étoiles vantant le mérite de ces savoirs dans la connaissance de soi, de son éducation, de son orientation sur terre et sur les mers.

Ali Ben Abi Talib images16 a dit: « Si vous interrogez le Coran, il ne vous répondra pas. Mais, je vais vous renseigner sur lui : il contient la science de l'avenir et les chroniques du passé. Il est la thérapeutique de vos maux et l'institution qui vous unit.» Il images16 disait également : « Le savant est mieux que le jeuneur, que l'homme qui prie et que le combattant dans la voie d'Allah. Lorsqu'un savant vient à mourir, une brèche se crée en Islam que ne peut colmater qu'un autre savant qui lui succèdera.»

Il faudrait cependant que les savants (“ouléma”), ne se réduisent plus dans leur définition et dans leur conception aux promotions des  cursus arides d’institutions religieuses, coupées de la science et du savoir et déversés dans les rangs d’une société mauritanienne malléable et dans les rouages d’un Etat qui cherche ses marques et sur lequel l’influence de la pensée fermée est pire que les tsunamis.

 

III- le contenu et le contexte d’un tel verset: l’obéissance au gouvernant n’est pas une obéissance aveugle

Il n’ y a pas plus dangereux pour la pensée et la compréhension d’une idée que celle qui est sortie de son contexte. En matière religieuse, on peut faire dire à un verset ce qu’il n’aurait pas dit s’il sort de son contexte.

C’est justement dans cette situation que la référence religieuse à “l’obéissance au gouvernant” a été utilisée pour accommoder mille et une intentions , dont celle très politique (et peu louable)  de maintenir l’humain dans sa condition et le citoyen dans son immobilisme, mais aussi dans une intention très louable (mais qui n’a plus qu’une valeur historique) d’empêcher la zizanie et les troubles dans des sociétés musulmanes anciennes guerrières et soumises à des seigneurs de la guerres(du temps des Califes et des crises fratricides). Si cette seconde utilisation de l’obligation d’obéissance (“obéir coute-que-coute" au gouvernant) se retrouve de façon non équivoque chez l’Imam Malek ibn Enes (pour des raisons de stabilité et de paix sociale historiques), elle ne se justifie plus dans le contexte de l’Etat moderne, constitutionnel, dont les dirigeants sont élus démocratiquement et qui assure par des moyens modernes sa propre sécurité démocratique tout en obéissant au droit national et international et sous le contrôle de citoyens libres et égaux en droit.

C’est pourquoi, il n’est pas faux de dire que dans la religion musulmane et particulièrement dans le courant malékite, l’obéissance au gouvernant est fortement prescrite (1) toutefois cette obéissance reste soumise à des conditions certaines pour être acceptée (2). Ce qui réduit son champ coercitif de la liberté des gens et d’affirmation de l’omnipotence des gouvernants; et n’en fait plus un dogme, comme certains zélateurs voudraient qu’il soit.

1. l’islam impose la soumission au gouvernant: l’ordre contre la zizanie

Nous avions cité plus haut le verset:إِنَّمَا يَخْشَى اللَّه مِنْ عِبَاده الْعُلَمَاء “ et la place dans laquelle Dieu met les savants. Cependant cette place que les savants ont auprès de Dieu , ils ne peuvent pas seulement la devoir au seul fait de leur érudition dans la matière religieuse (Coran et Sunna) mais comme l’explique  Ibn Messaoud images : “La science , ce n’est pas beaucoup parler de science mais davantage craindre Dieu”. la science dira Ibn Wahb,rapporté par Ahmed Ben Salah el Masri: “La science , ce n’est pas la prolifération dans la connaissance approfondie des faits et évènements (religieux), mais la science est une lumière que Dieu met dans le cœur”.

إِنَّمَا يَخْشَى اللَّه مِنْ عِبَاده الْعُلَمَاء إِنَّ اللَّه عَزِيز غَفُور " وَعَنْ اِبْن مَسْعُود رَضِيَ اللَّه عَنْهُ أَنَّهُ قَالَ : لَيْسَ الْعِلْم عَنْ كَثْرَة الْحَدِيث وَلَكِنَّ الْعِلْم عَنْ كَثْرَة الْخَشْيَة . وَقَالَ أَحْمَد بْن صَالِح الْمِصْرِيّ عَنْ اِبْن وَهْب عَنْ مَالِك قَالَ : إِنَّ الْعِلْم لَيْسَ بِكَثْرَةِ الرِّوَايَة وَإِنَّمَا الْعِلْم نُور يَجْعَلهُ اللَّه فِي الْقَلْب .

Ces érudits à travers les interprétations d’ Ibn Kuthair ramènent ce verset à sa juste dimension humaine. On ne devient donc pas savant, ouléma et jurisconsulte par la somme de connaissance accumulée mais  par la lumière que Dieu a placée dans le cœur de celui qui est sensé la détenir.

En somme, le savant est non seulement respectable par ce qu’il détient comme savoir mais aussi et surtout par la façon dont il utilise ce savoir (dans le sens du bien de la communauté) et par son comportement personne (image qu’il renvoie au commun des mortels).

le Prophète – Paix et Salut pour lui – a dit :

« Celui qui est commandé par un gouvernant, puis le voit commettre un quelconque péché, qu’il désapprouve ce péché sans qu’il ne retire sa main de son obéissance. »[1]

« Celui qui cesse d’obéir au gouvernant, se met à l’écart de la communauté, puis meurt, mourra comme dans l’époque pré-islamique ‘‘Jahiliya’’. »[2]

« Toute personne doit écouter et obéir dans les choses qu’elle aime et celles qu’elle déteste, sauf s’il lui est ordonné le péché, dans ce cas pas d’écoute, ni d’obéissance. »[3]

Lorsque le Prophète – Paix et Salut pour lui – annonça qu’il y aurait des gouvernants qui feront de bonnes choses mais aussi d’autres réprouvables, un compagnon questionna : Que nous ordonnes-tu ? Le Prophète – Paix et Salut pour lui – répondit : « Acquittez–vous de votre devoir et demandez vos droits à Allah. »[4]

°Ubâdat ibn El Sâmit  images[1]  a dit : « Le Prophète  sallAllahualayhiwasalam11  nous a fait prêter serment d’écouter et d’obéir dans ce que nous aimons et détestons, ce qui nous est facile et difficile, et de ne pas contester le pouvoir à ceux qui le détiennent. » Puis il dit : « Sauf si vous voyez un acte d’incroyance clair et évident dans lequel vous avez une preuve de la part d’Allah. »[5]

2. L’obéissance au gouvernant est soumise à condition: “l’obéissance n’est obéissance qu’au juste.”

La  portée  du verset  prônant l’obligation d’obéissance est, elle même, liée à d’autres versets qui la fondent et l’explicitent et ne peuvent justifier  l’invocation dogmatique  qui en est faite .

L’approche la plus simple du musulman, que nous sommes, c’est de croire en notre capacité et en notre force de réfléchir sur les problèmes qui nous concernent. Les oulémas ne sont pas des êtres infaillibles, seuls les prophètes le sont. Les oulémas ne sont pas des intercesseurs des hommes devant Dieu. Ce sont des dépositaires d’un savoir acquis qu’ils ont pour mission d’enrichir et de divulguer aux fins de la bonne parole et de la paix des âmes et des cœurs des croyants.

Les oulémas peuvent se tromper et parfois lourdement comme le commun des mortels et c’est en cela qu’il peuvent devenir extrêmement dangereux du fait que leur statut religieux et la place qu’ils occupent auprès des croyants et notamment ceux qui sont  leurs disciples.

Dans la société mauritanienne, croyante par excellence, ceci est d’autant plus grave que El alem (singulier de Ouléma) occupe une place telle que le Mauritanien croyant lui fait souvent, parfois par intérêt parfois par piété, une confiance quasi-aveugle. C’est notamment ce que traduit l’adage fort bien utilisé dans la société mauritanienne: Laisse à El almen  la responsabilité de ce qu’il dit et ne t’oppose pas (“Houtha alla eddhar allem wa mougrha  salem”). Une forme de fuite en avant qui explique cette facilité de se soumettre au premier venu.

قال البخاري: حدثنا عمر بن حفص بن غياث، حدثنا أبي، حدثنا الأعمش، حدثنا سعد بن عبيدة، عن أبي عبد الرحمن، عن علي - رضي الله عنه - قال: بعث النبي - صَلَّى اللَّهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ - سرية وأمّر عليهم رجلاً من الأنصار، وأمرهم أن يطيعوه، فغضب وقال: أليس قد أمر النبي - صَلَّى اللَّهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ - أن تطيعوني؟ قالوا: بلى، قال: قد عزمت عليكم لما جمعتم حطبا وأوقدتم نارا ثم دخلتم فيها. فجمعوا حطبا فأوقدوا نارا، فلما همّوا بالدخول فقاموا ينظر بعضهم إلى بعض فقال بعضهم: إنما تبعنا النبي - صَلَّى اللَّهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ - فراراً من النار أفندخلها؟ فبينما هم كذلك إذ خمدت النار وسكن غضبه، فذكر للنبي - صَلَّى اللَّهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ - فقال: "لو دخلوها ما خرجو منها أبداً، إنما الطاعة في المعروف".

El boukhari rapporte que le Prophète Mohamed sallAllahualayhiwasalam,  avait nommé à la tête d’un groupe de combattants, un  homme parmi ceux qui l’avaient supporté, ses partisans (El Ansar). Ce dernier leur dit: “Notre prophète Mohamed ne vous-à-t-il pas ordonné de m’obeir”, ils répondèrent : “oui”, alors il leur ordonna de rapporter une quantité de bois et d’allumer un brasier. Quand cela fut fait, il leur ordonna de se jeter dans le brasier. Les combattants allaient s’exécuter  mais se regardèrent les uns et les autres et dirent: “Nous avons suivi le prophete pour échapper au feu (enfer) et tu veux nous y faire entrer?”.Après que le brasier se fut éteint et que la colère de leur commandant s’en soit allée, le prophète Mohamed sallAllahualayhiwasalam l’apprit et dit: “ S’ils étaient entrés dans ce feu (l’enfer), ils n’en sortiront plus jamais car l’obéissance n’est obéissance qu’au juste.”

وفي الحديث الصحيح المتفق على صحته عن أبي هريرة عن رسول الله صلى الله عليه وسلم أنه قال " من أطاعني فقد أطاع الله ومن عصاني فقد عصا الله ومن أطاع أميري فقد أطاعني ومن عصا أميري فقد عصاني " فهذه أوامر بطاعة العلماء والأمراء ولهذا قال تعالى " أطيعوا الله " أي اتبعوا كتابه وأطيعوا الرسول أي خذوا بسنته وأولي الأمر منكم أي فيما أمروكم به من طاعة الله لا في معصية الله فإنه لا طاعة لمخلوق في معصية الله كما تقدم في الحديث الصحيح " إنما الطاعة في المعروف "

On comprend donc, comme l’a dit notre prophète Mohamed sallAllahualayhiwasalamdans cette admirable parabole universelle: "l’obéissance n’est obéissance qu’au juste

C’est la condition fondamentale de tout devoir d’obéissance. Il serait donc erroné et aller dans une mauvaise interprétation que de vouloir, au nom du précepte religieux de gouvernance, soumettre le musulman au gouvernant qui ne respecte pas l’homme dans sa vie, dans sa dignité, dans son honneur et dans les droits inaliénables qui sont attachés à sa vie et à sa condition humaine.

IV- L’Etat mauritanien n’est pas un Etat théocratique.

La difficulté souvent exploitée par ceux qui se déclarent des oulémas, c’est la complexité de la matière dans laquelle ils opèrent mais aussi son caractère sacré. Chacun y va de son interprétation et chacun y met une dose de sa personne à telle enseigne d’ailleurs, qu’une tradition fort malencontreuse s’est installée dans notre pays où il y a une confusion réelle entre la personne des oulèmas et ce qu’ils disent. Il suffit que tel ait dit ceci pour que cela coule de source. Or il est impératif de le dire, l’Etat mauritanien n’est pas une congrégation d’oulémas et sa constitution ne lui a pas conféré un régime théocratique.

Le malékisme, dans la soumission sine qua non qu’il impose au gouvernants,  serait-il contradictoire avec la démocratie? Qu’en est-il aujourd’hui du rôle que doivent jouer les imams, oulémas et hommes de Dieu dans un Etat mauritanien, non théocratique, soumis à une constitution libérale et des institutions démocratiques ?

Est-il aujourd’hui possible de soutenir l’assertion de  l’imam Malek ibn Enes: " Il est préférable de supporter un roi injuste pendant soixante-dix ans plutôt  que de laisser un peuple sans chef, ne serait-ce que le temps d'une heure. "?

Tout en sachant que nos présidents ne s’absentent pas seulement pour une heure, mais qu’ils sont toujours absents au propre et au figuré,  allons-nous souffrir qu’un président ( a fortiori même juste) règne pendant soixante dix ans alors que son mandat ne vaut que pour cinq ans?

Certes, non. L’imam Malek ibn Enes fils de son temps et de ses luttes fratricides au sommet du Califat était bien en droit de le dire. Lui-même en avait subit physiquement les conséquences.

Malek ibn Enes “était partisan de Ali ben Abi Talib  images16-, d'où son opinion politique Alide. Lorsque Mohammed ibn Abd Allah surnommé "l'âme pure" se révolta à Médine en 145 contre le Calife Al Mansour, ses partisans allèrent trouver Malek et lui demandèrent ce que valait le serment de fidélité qu'ils avaient prêté à Al-Mansour. Il répondit, qu'il était nul, comme ayant été arraché par la force. Ils le prièrent de prêter serment lui-même au prétendant, il s'y refusa. Mes'oudi raconte quand la révolte fut matée, il fut mis à la torture et sévèrement flagellé, on lui a même brisé les deux bras.

Lorsqu'en 145, Mohammed s'empara de Médine par un coup de main, Malek déclara dans une fetwa que le serment prêté à AI Mansour ne pouvait obliger en conscience parce qu'il avait été extorqué par la force. A la suite de quoi un grand nombre d'habitants qui seraient demeurés sur la réserve se déclarèrent pour Mohammed. Malek ne prit pas de parti active au soulèvement. Malgré cela en 147, après l'échec du mouvement, il fut emprisonné et puni de fustigation par Dja'far ibn Souleïman, gouverneur de Médine. Il lui en resta une dévitatino de l'épaule et une fracture des deux bras. Les mauvais traitements en prison dont parle Abou Hanifa sont calqués sur cet épisode de la vie de Malek “ 1

C’est autant dire que Malek ibn Enes avait forgé les préceptes de son temps en les appuyant sur les prescriptions religieuses. Et ont le sait, sociologiquement les prescriptions religieuses ne sont que des sources d’obligations qui s’imposent avec plus ou moins de rigueur en fonction du temps, de l’époque et des conditions politiques, économique et sociales d’une société donnée à un moment donné de son histoire.

L’exemple du premier des magistrats Omar ibn El khatab images16 (duquel le prophète Mohamed sallAllahualayhiwasalamdisait: “Dans ma communauté, il y a des gens inspirés. Par Dieu, 'Omar est l'un d'entre eux !”), est élogieux à cet égard. Omar ibn El khatab  images16 qui durant les temps de disette et de famine renonçait à appliquer pour les voleurs la peine dans toute sa rigueur. Il savait que le droit, dût-il être d’inspiration religieuse, devait épouser les exigences du temps.

Le commandeur des croyants , Omar ibn El Khatab, n’imposait jamais au musulman ce qu'il ne pouvait pas supporter. Et Malek ibn Enes en témoigne d’ailleurs lui-même:

Malek ibn Enes a dit : « Alors que nous étions chez ‘Omar (Ibn El Khattab)images16, celui-ci dit :  On nous a défendu de prescrire une chose au-dessus de nos moyens. ».

C’est autant dire que l’on est loin de l’approche rigide que certains oulémas ont des préceptes religieux éludant par là même les principes de base de l’édiction de tout précepte à caractère obligatoire  à savoir que la religion doit éviter la compléxité (الدين يسرٌ و ليس عسرٌ) et la coercition (لا إكراه في الدين).

En Mauritanie, l’amalgame se doit de ne pas être fait. Le Président de la république n’est pas un calife, il n’a aucune ascendance spirituelle sur le peuple; il ne tire sa légitimité d’aucune source religieuse . Son rôle,  est de veiller  “au respect de la constitution et des lois, à l’intérêt du peuple mauritanien, de sauvegarder son indépendance, la souveraineté du pays, l’unité de la patrie et l’intégrité du territoire national”.

Ces obligations, il les proclame par serment, non pas devant une assemblée “Choura” ou d’Oulémas mais devant le Conseil Constitutionnel, en présence des bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat et des présidents de la Cour suprême et du Haut conseil Islamique.

Si la source déclarée du droit mauritanien est l’islam, il n’en demeure pas moins que l’on ne retrouve nulle part dans la Constitution la mention des oulémas ou même du livre saint. Tous les principes des droits et obligations rapportés par la Constitution sont repris des constitutions modernes et à certains égards la Constitution mauritanienne est la sœur jumelle de la constitution de la Vème république française.

Il est certain donc que le document suprême régissant les pouvoirs de l’Etat ne fait nullement de ce dernier un Etat théocratique. Au contraire la Constitution du 20 juillet 1991, telle que modifiée en 2006 (Article 2) déclare que:  “ Le peuple est la source de tout pouvoir. La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants élus et par la voie de référendum.”

Une souveraineté populaire, du peuple qui est la source du pouvoir, n’est-elle pas antinomique avec le précepte dogmatique de l’obéissance sine qua non au gouvernant ?

Peut-on cependant au nom d’un tel argumentaire rejeter une prescription religieuse qui fait l’unanimité chez les oulémas quant à son intégrité textuelle et à son obligation à l’égard du musulman?

Certes non. Mais ce précepte se doit d’obéir à des règles quant à son édiction.

En effet,  s’il n’est pas adéquatement exposé , dans son contexte socio-historique, dans les conditions qui doivent accompagner cette obéissance (tel que nous l’avions fait plus haut) , ce précepte d’obéissance est une négation pure et simple de la Constitution mauritanienne. 

C’est la raison pour laquelle son invocation dans le cadre de l’Etat mauritanien par les oulémas vis-à-vis des croyants ne peut se faire que si les conditions suivantes sont remplies:

- Que le gouvernant soit juste

- Que le gouvernant soit légalement élu

- Que le gouvernant bénéficie d’une légitimité populaire certaine,

- Que le gouvernant ne soit pas un despote

- que le gouvernant agisse dans l’intérêt du peuple et de la nation.

Dans le cas contraire toute soumission et obéissance entérinent l’une des situations suivantes: La colonisation , la dictature, l’autoritarisme, le despotisme, l’autocratie, la tyrannie, l’absolutisme….

Et nulle part dans l’Islam un précepte n’impose au musulman de vivre dans la tyrannie. Au contraire, l’Islam invite à réagir face à l’injustice et la tyrannie.

le Prophète Mohamed sallAllahualayhiwasalam a dit : « Celui d’entre vous qui voit une chose répréhensible, qu’il la redresse de sa main ; s’il en est incapable, qu’il le fasse par le langage ; s’il est incapable, qu’il la réprouve dans son for intérieur et c’est là le stade le plus faible de la foi. » (Muslim (1/69), hadith n°49.)

‘Omar Ben ‘Abdelaziz  avait lui-même posé les conditions de celui qui doit rendre justice: « Le Cadi (Juge) doit avoir cinq qualités : Si une de ces qualités lui manque, il n’est pas digne d’exercer ses fonctions. Il doit être intelligent, posé, chaste, autoritaire, cultivé et assoiffé de science.”

Dans l’Etat moderne,  le premier garant de la Justice est le Premier magistrat de la république, à savoir le chef de l’Etat. Autant dire que si l’une des qualités lui manque” il n’est pas digne d’exercer ses fonctions et donc a fortiori lui obéir.

Sans pousser le raisonnement plus loin, on comprend aisément que nous avions peu de chef d’Etats dignes de nous gouverner, a fortiori de leur obéir. Et paradoxalement, les conditions posées par le Calife Omar prônent  la désobéissance au gouvernant. A beaucoup de nos gouvernants.

V – Des oulémas  et de leur infaillibilité:  oulémas du pouvoir et oulémas de la dignité

On comprend donc que le précepte religieux d’obéissance au gouvernant en place que certains oulémas ont posé comme condition sine qua non pour le musulman, n’est pas absolu. Tout comme n’est pas absolu le raisonnement des oulémas. L’infaillibilité , comme on le sait,  est l’apanage exclusif des prophètes. Or les oulémas, d’aujourd’hui, agissent comme tels.

Ceci nous pousse alors à nous poser la question sur le précepte de gouvernance: Pourquoi certains oulémas s’évertuent à interférer avec les régimes politiques en place, en servant les préceptes religieux de gouvernance au gré des circonstances et des détenteurs du pouvoir en place?

L’amalgame,  encore une fois, ne doit pas être fait entre le précepte religieux de gouvernance et le comportement des oulémas. Si le précepte est obligatoire,  le comportement des oulémas n’est pas infaillible. Si le précepte est immuable, l’intégrité des oulémas ne l’est pas forcément.

C’est au musulman d’obéir au précepte religieux, mais en vérifiant qui l’édicte, quels ont ses déterminants, ses motivations et l’environnement socio-politique dans lequel il proclame ce précepte.

Notons bien ici que nous ne traitons ici  que du précepte de gouvernance ( “obéir au premier commandeur d’entre-vous”) et non des préceptes religieux qui dictent les rapports entre le croyant et son Dieu (prière, jeûne, pèlerinage, zakat, aumône etc.) dans lesquels les oulémas sont les docteurs de la foi.

Pourquoi le musulman doit prêter attention au précepte religieux de gouvernance?

Parce contrairement aux autres préceptes de la foi, ce principe à haute charge politique peut être utilisé pour assujettir le musulman (comme du temps des califes), pour maintenir l’arbitraire des gouvernants et servir les intérêts d’une classe d’Oulémas dont les rapports d’intérêt avec le pouvoir sont étroits. Ces oulémas que certains ont appelé à juste titre “oulémas du pouvoir” existent et prennent en charge la perpétuation d’un régime d’un ordre en se servant de la religion au détriment du citoyen.

“Oulémas du pouvoir” que l’on oppose aux “oulémas de la dignité”. Oulémas qui sont qualifiés ainsi suivant leur attitude à l’égard du pouvoir et leur compromission avec les gouvernants. Il en est ainsi notamment de celui qui a émis une fatwa légitimant la barrière entre l’Egypte et la bande de Gaza.

“La controverse, écrit Ennasri Nabil,  qui secoue actuellement le monde arabe au sujet de la fatwa scélérate émise par le Cheikh d’Al Azhar légitimant, d’un point de vue islamique, la construction de la barrière métallique anti-tunnels entre l’Egypte et la bande de Gaza, révèle au grand jour le visage douteux de ces Oulémas du pouvoir qui, par leur compromission, jettent un trouble sur la catégorie des savants de la législation islamique (‘Oulémas As Shar’). L’assujettissement de l’institution Al Azhar au Raïs égyptien et à sa politique machiavélique d’étranglement du peuple de Gaza pose en effet la question des relations, en islam, entre le détenteur de l’autorité politique et la catégorie des savants religieux, plus connus sous le vocable de ‘Oulémas.

Pour saisir l’enjeu crucial qui tourne autour de cette relation, rappelons les faits. Il y a quelques semaines, la presse israélienne révélait que les autorités égyptiennes s’apprêtaient à construire un mur d’acier souterrain s’enfonçant jusqu’à 30 mètres de profondeur, l’objectif avoué étant de contrer la “contrebande“ due à la présence de centaines de tunnels entre le territoire palestinien et son voisin égyptien. Très vite, l’annonce de ce nouveau “Mur de la Honte“ allait déclencher une vive polémique et de nombreuses voix se sont élevées dans le monde arabe pour dénoncer cette ultime provocation émanant du gouvernement de Hosni Moubarak. Parmi celles-ci, on trouve le Cheikh Al Qardawi qui représente à l’heure actuelle l’Ouléma le plus connu et certainement le plus influent du monde musulman. Ce dernier s’est fermement prononcé contre l’édification de cette barrière qui finira par étouffer complètement la bande de Gaza. Qualifiant ce projet de “crime“, celui qui est également le Président de l’Union Mondiale des Oulémas a dans le même temps considéré le mur égyptien comme étant “illégal au regard de la Loi islamique“. Rejoint par de très nombreuses personnalités religieuses du monde musulman cette fatwa a provoqué l’ire des responsables égyptiens qui ont immédiatement répondu en passant commande auprès de leurs fonctionnaires du ministère des Affaires religieuses d’une contre-fatwa légitimant l’opération égyptienne…” 7

C’est, donc, autant dire que tant que les oulémas du pouvoir existent, les fatwas du ventre continueront à induire le peuple en erreur.

En conclusion,

Il ne fait pas de doute que la république a besoin de ses oulémas, mais non pas pour interférer avec le politique mais s’occuper d’une spiritualité nationale affirmée jusque dans la Constitution mauritanienne.

L’indépendance des oulémas par rapport au pouvoir doit  d’être affirmée et qu’ils soient protégés des incursions et influence des autorités politiques. Ces autorités qui n’hésitent pas à des fins de maintien au sommet de l’Etat à fonctionnaliser la religion et à fonctionnariser les docteurs de la foi.

Nous avons aussi besoin d’Oulémas imbus de leur temps et vivant les réalités de ce monde pour leur permettre de comprendre le sens de leur mission spirituelle. Il n’est pas de mission spirituelle qui se concevrait sans les impératifs de la situation temporelle de ceux qu’elle vise: les musulmans. Et les musulmans ont besoin aujourd’hui, et plus que jamais dans ce monde trouble de violence et d’intolérance,  d’oulémas qui interagissent avec leur réalités .

Ces oulémas pourraient-ils y arriver s’ils restent dans une sphère religio-religieuse (tant dans leur formation que dans leur attitude) n’intégrant ni  les savoirs nouveaux  ni l’évolution des sciences humaines, sociales ou exactes?

Certes que non. Les oulémas d’autrefois, chercheurs , penseurs, intégrant la pensée scientifique à leur quête spirituelle étaient de vrais oulémas. Car par la science, et par ce que le savant découvre de merveilles qu’il est plus proche de Dieu. N’est-ce pas le sens et l’essence du verset coranique cité plus haut: إِنَّمَا يَخْشَى اللَّه مِنْ عِبَاده الْعُلَمَاء “

Quant au précepte religieux de gouvernance, il est partie intégrante de la foi. Faut-il cependant qu’il réponde aux conditions requises (voir plus haut),  que celui qui l’édicte (Alem) ne fasse pas de doute sur ses intentions et que celui qui s’y soumet (le musulman) le fasse en connaissance de cause (à savoir que le gouvernant auquel il se soumet n’enfreint pas le interdictions de sa fonction).

Autrement, il n y a ni obligation, ni obéissance.

Car si les oulémas peuvent nous guider dans la spiritualité  il ne sont en aucun (et ne peuvent être) des intercesseurs pour nous devant Dieu pour nos actes d’ici-bas. Faisons que parmi ces actes dont on devra rendre compte devant l’éternel, il n’ y ait jamais l’un des plus odieux d’entre-eux:  une soumission volontaire à l’arbitraire et à l’injustice des gouvernants.

Et quelle  que soit la congrégation des oulémas et leur voie religieuse, leur œuvre se doit toujours être imbue de la  compassion envers le genre humain. C’est cette compassion qui aujourd’hui se perd dans l’attitude officielle et le raisonnement partisan de certains de nos oulémas. .

Quel que soit le “Alem”, son savoir n’atteindra jamais, face à Dieu, la mesure d’un atome et ne vaudra parmi les hommes que si son cœur est imbu de compassion comme l’a enseigné notre prophète MohamedsallAllahualayhiwasalam qui  dans la Crise et de la Douleur qui le frappait, jusque dans sa sainte personne, recommandait la compassion.

L’épisode suivant  fort douloureux et  si tragique à faire exploser tout musulman en larmes et le jeter à terre de piété, ne saurait nous échapper. Non seulement, il interpelle ceux qui croient détenir  “la science infuse” sur les réalités de la religion musulmane qui est une religion de compassion comme le fut son prophète sallAllahualayhiwasalam, le dernier des prophètes et le premier d’entre-eux.

Ossama Ben Zeïd a dit : « Nous nous trouvions chez le Prophète quand un messager envoyé par une de ses filles vint le prier de se rendre au chevet de son fils qui était mourant.

Le Prophète s’adressa a l’émissaire et lui dit : - Repars auprès de ma fille et informe-la, qu’à Dieu appartient ce qu’Il donne et ce qu’Il reprend, qu’Il a fixé un terme déterminé pour toute chose et invite-la à se soumettre et à espérer en Dieu. Le messager repartit puis revint une nouvelle fois annoncer que la fille du Prophète suppliait son père de la rejoindre. Le Prophète se leva alors et partit chez sa fille en compagnie de Sa’d Ben ‘Obada et de Mo’ad Ben Djabal. Une fois sur place, on lui tendit l’enfant qui exhalait un souffle ressemblant au bruit d’une vieille outre. Alors les yeux du Prophète se répandirent en larmes. Comme Sa’d lui disait : - Ô Envoyé de Dieu, qu’est-ce ceci ? – C’est, répondit le Prophète, la marque de la compassion que Dieu a mis dans le cœur de l’homme et Dieu n’est Miséricordieux qu’envers ses adorateurs compatissants. »

Une religion de la compassion ne peut avoir que des oulémas dont la vertu première est la compassion. Compassion pour ceux que Dieu a recommandé au musulman de protéger et de respecter (le pauvre, le diminué, l’handicapé, le meurtri, le violé, la veuve, l’orphelin, l’exploité, l’apatride, l’opprimé) et nul Alem ne pourra au nom d’un précepte de gouvernance sacrifier cette compassion, aux intérêts d’un gouvernant.

Selon Djarir Ben ‘Abdallah,  l’Envoyé de Dieu, Mohamed sallAllahualayhiwasalam a dit : « Dieu n’aura pas de compassion vis-à-vis de ceux qui ne l’auront pas pour leurs semblables. »

Et l’homme, à travers Adam, est le représentant de Dieu sur terre :" (وإذ قال ربك للملائكة إني جاعل في الأرض خليفة‏(‏ البقرة‏:30)‏).

Les oulémas se doivent alors de mettre l’homme en général et l’homme musulman, en particulier, au centre de leurs préoccupations. C’est la voie vers Dieu. Elle est plus salutaire, ici-bas et dans l’au-delà, que la voie des palais où la compassion ne s’inscrit pas à l’ordre du jour.

Pr ELY Mustapha

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[1] Ahmed (6/24,28), Muslim (1855) et d’autres, d’après un hadith de °Awf ibn Mâlik El Achja°î – qu’Allah l’agrée.

[2] Ahmed (2/296) et Muslim (1848), d’après un hadith d’Abû Hureyra – qu’Allah l’agrée.

[3] Muslim (1839) et El Nassâï (7/160), d’après un hadith de °Abd Allah ibn °Umar – qu'Allah les agrée tous deux.

[4] Bukhârî (7052) et Muslim (1843), d’après un hadith d’Ibn Mas°ûd – qu'Allah l'agrée.

[5] Bukhârî (7056) et Muslim (1709).

[6] http://www.sajidine.com/

[7 ]Chronique parue sur le site http://www.saphirnews.com/, le jeudi 21 janvier 2010.

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Poésie de la douleur.