jeudi 26 mai 2011

Etes-vous Docteur, docteur?

 

Combien y a–t-il de docteurs en Mauritanie ?

Lors d’un récent séjour à Nouakchott et visitant quelques administrations publiques  de la place, je fus surpris par le nombre de personnes qui s’interpelaient par le terme “Docteur”. Dans un ministère j’en ai même compté une vingtaine dans un étage. Tous les directeurs, les chefs de services, et la plupart des cadres se donnaient du “Docteur”. Du “Docteur” en veux-tu , en voilà.

J’aurai été ravi de cette situation si elle n’était pas quelque peu bizarre. Et ce n’est point un jugement de valeur puisque je connais le cursus universitaires de certaines des personnes rencontrées et qui  ne pouvaient ni de près, ni de loin se prévaloir du titre de docteur. Et pourtant, elles s’en targuaient. Alors que se passent-il pour qu’un titre universitaire aussi prestigieux, chèrement acquis aux prix de l’intellect,  et du sacrifice d’années entières d’une vie de recherche souvent difficiles, et durement passées, puisse aujourd’hui devenir un titre que chacun porte?

Cette situation porte gravement atteinte au développement du pays (I) et se doit de trouver une solution à travers l’analyse  de la situation, ses origines et de son ampleur (II) vu les préjudices causés aux véritables diplômes mauritaniens (accaparation des emplois par les faux diplômés, ternissement de l’image du véritable diplômé mauritanien) et au développement du pays (incompétence, culture de la médiocrité, atteinte au développement dans tous les secteurs).

I) Les faux doctorats et les conséquences sur le développement du pays

Les développements qui suivent peuvent être appliqués, quant aux conséquences, à tous les faux diplômes. Toutefois, la falsification du doctorat revêt une importance particulière du fait de la nature de ce diplôme (a) et des conséquences que ce diplome peut avoir sur le développement du pays (b)

a) Le doctorat qu’est-ce que c’est?

Le doctorat (du latin doctorem, de doctum et  supin de de docere, enseigner) est généralement le grade universitaire le plus élevé. Le titulaire de ce grade est le docteur. Dans la plupart des pays, la préparation d'un doctorat dure en général trois ans (durée jugée normale en sciences formelles et naturelles) et peut se prolonger plus longtemps en sciences humaines et sociales (six ou sept ans en droit)(Wikipédia).

La durée du doctorat et son appellation dépendent des pays et des universités. Sur cette variété, voir cet article qui sans être exhaustif résume la situation pour un certain nombre pays (article).

Nous nous attacherons simplement à donner le schéma classique d’aboutissement au Doctorat. Schéma qui correspond à la plupart des cursus universitaires sérieux et reconnus. Ainsi distinguons trois types de diplômes qui portent cette appellation de “doctorat”, mais qui ne sont ni équivalent dans leur durée ni dans l’échelle des études universitaires. Le Doctorat de troisième cycle, le doctorat d’université et le doctorat d’Etat.

Le doctorat de troisième cycle, comme son nom l’indique sanctionne des études de troisième cycle. Il porte l’appellation Doctorat suivant les universités, certaines universités ne délivrent   que des diplôme de troisième cycle équivalent appelés DEA (Diplômes d’Etudes approfondies), ou plus récemment Mastères de troisième cycle. Ces derniers suivant les récentes réformes se subdivisent, grosso modo, en “Masters spécialisés (ou “professionnels”) et en Masters généraux ( ou de “recherche”). Seuls ces derniers donnent la possibilité de s’inscrire en doctorat. Mais ni les premiers, ni les seconds ne confèrent, en tant que diplômes de troisièmes cycles , le titre de Docteur.

Le titre de docteur est attribué aux titulaires d’un Doctorat d’Etat, premiers doctorats reconnus par les universités,  et les titulaires des doctorats d’université, crées ces dernières années.

Ainsi,  sans entrer dans l’exhaustivité , mais quelle que soit  la pluralité des systèmes, le règle est claire: n’est docteur que celui qui est titulaire d’un doctorat d’Etat ou  d’université ou d’un titre équivalent en nombre d’années de recherche , et cela après l’obtention d’un diplôme de troisième cycle quelle qu’en soit l’appellation (d’une durée de deux ans dont une année d’étude et une année de recherche) après une maitrise ou un licence de ( trois à quatre ans ). Le doctorat (notamment d’université lui-même variant dans sa durée entre 3 ans et 5 ans. Le doctorat d’Etat, pouvait aller jusqu’à 7 ans et l’on a pu constater qu’il pouvait même aller au-delà.

Pour résumer : Baccalauréat >> Maitrise >> Diplôme de Troisième cycle >>Doctorat.

Tout autre circuit  pour l’obtention d’un  Doctorat est incomplet et dans tous les cas douteux. Et cela quelle que soit l’université ou le pays qui le délivre.

Ceci ne concernant pas les Doctorats “Honoris Causa”,  qui sont des doctorats d’honneurs délivrés par des universités à des personnalités pour leur action dans des domaines divers à l’échelle nationale ou internationale (politique, diplomatique, social etc.). Mais même là encore, ce diplôme n’honore pas forcément l’université qui la délivré ni celui qui le reçoit (certains dictateurs avaient reçu ce doctorat honoris Causa). C’est autant dire donc  que l’obtention d’un Doctorat est une affaire à prendre avec la plus haute importance et cela est d’autant plus impératif que les conséquences des faux diplômes sur le développement des pays sont extrêmement graves.

b) Les conséquences faux doctorats sur le développement en Mauritanie: la destruction du capital humain

Dans l’approche économique, les différentes théories (du capital humain, du filtre et du signal et du statut social, notamment)  attribuent des fonctions extrêmement importantes  aux  diplômes dans le développement .   Il ne fait pas de doute qu’ils sont l’indicateur premier des qualifications du capital humain dont dispose un pays.On série les qualifications suivant le niveau du diplôme obtenu,  l’expérience acquise venant renforcer ces qualifications. Les statistiques sur les  diplômés permettent de donner un image non seulement du niveau d’éducation mais des capacités des ressources humaines dont dispose le pays. Le diplôme est aussi dans la théorie du filtre et du signal, un moyen de détecter ceux qui sont potentiellement capables de remplir les fonctions attendues. Ils signalent un niveau d’étude et permettent de prétendre passer par le “filtre” de sélection des recruteurs publics ou privés. Ce qui est extrêmement important, pour l’emploi des compétences;  et des études récentes montrent que l’existence de ces filtres sont des  déterminants de l’investissement de compagnies étrangères dans certains pays en développement.

Enfin, dans la troisième approche, le diplôme permettant à celui qui le détient un statut social spécifique, il lui offre un positionnement non seulement sur le marché du travail (théorie du capital humain, du filtre et du signal), mais aussi sur le plan social. Le niveau du diplôme déterminant sa prétention à de fonctions plus élevées, à une meilleure rémunération et à un niveau de vie plus élevé.

Le doctorat est par essence un diplôme délivré à une personne qui , à travers un cursus universitaire accompli a acquis après plusieurs années de recherche,  un savoir et une certaine maitrise de son domaine de compétence. Dans les universités de renom, seuls ceux qui ont obtenu de bonnes mentions à la fin des différents cycles par lesquels ils sont passés, sont autorisés à s’inscrire en Doctorat. C’est autant dire que le Doctorat est par essence sélectif et concerne des personnes qui ont une certaine latitude scientifique et veulent continuer dans ce sens pour le développement de la connaissance. C’est autant dire donc que celui qui obtient son doctorat a un précieux bagage scientifique et intellectuel qu’il est appelé à enrichir  et à transmettre.

Le docteur c’est, donc celui qui a accumulé une importante somme de connaissances dans son domaine, qui a maitrisé les outils conceptuels, méthodologiques, pédagogiques et techniques lui permettant de faire de sa discipline un champ fructueux de recherche, de développement et de progrès. C’est autant dire que son apport pour le développement est important.

Le diplôme de docteur, permettant à son titulaire d’occuper des hautes fonctions du moins des fonctions clefs dans l’enseignement, la recherche, l’administration publique et privée (tous secteurs confondus), ont comprend alors non seulement la déperdition que subit la nation entière en ne l’employant pas. Et l’on comprend par là même, la catastrophe que pourrait subir une nation en employant de faux docteurs.

Et il ne fait pas de doute que l’existence de ces faux docteurs va pénaliser les véritables titulaires des doctorats. D’abord en introduisant l’incompétence, l’ignorance et l’inefficacité dans les emplois qu’ils occupent indument, ils ternissent l’image de ce titre et de ses porteurs. D’autre part, cette incompétence va entrainer  une chute certaine de la croissance dans tous les secteurs du développement où l’emploi des compétences est requis.

II- La situation en Mauritanie des faux docteurs: quelle ampleur, quelles solutions?

Eut égard, à la situation qui prévaut actuellement, et qui est perceptible à tous les échelons de la vie économique, il convient de s’interroger sur ses causes (a), pour proposer quelques solutions (b)

a- Les causes de la floraison des docteurs en Mauritanie

Si l’on entend souvent parler de faux diplômes,  on entend, par contre,  peu parler des “faux-vrais” diplômes (ou de “vrais-faux” diplômes)

Il convient de  les distinguer, bien qu’ ils aient les mêmes objectifs ( infiltrer l’ensemble de l’appareil politique, économique et social du pays par des individus sans foi ni loi) et ils  ont tous les mêmes effets ( profiter d’un droit indu, engendrer l’incompétence, la médiocrité et le sous–développement).

Les faux diplômes :

Qu’est ce qu’un faux diplôme?

 “Une façon simple de définir les faux diplômes serait de procéder par exclusion, en les définissant comme tous les prétendus diplômes ne satisfaisant pas aux conditions de définition des vrais diplômes. Malgré son caractère englobant, une telle définition ne permet pas d’approfondir l’analyse, d’où la nécessité de la dépasser. Les faux diplômes peuvent être classés en deux grands types, à savoir, la contrefaçon pure et simple d’un vrai diplôme et la création ex nihilo d’un document écrit attestant un titre ou un grade, délivré par une institution souvent virtuelle et non habilitée à le faire.

Dans le premier cas, le faux diplôme en question porte des signes distinctifs cherchant à imiter le vrai diplôme, comme le nom ou le logo de l’institution dument habilitée à le délivrer. Une telle falsification est relativement similaire, au moins sur le plan analytique, aux faux billets ou aux fausses pièces d’identité. Dans le deuxième cas, qui retiendra la majeure partie de notre attention, le faux diplôme est un document délivré (ou plutôt vendu) par une institution non reconnue, et ne répondant pas aux critères minimaux (personnel qualifié, cours, examens, etc.) permettant de délivrer le titre concerné. La notion de faux diplômes est étroitement liée à celles d’« usines à diplômes » (diploma mills), c’est-à-dire d’institutions non habilitées ou bénéficiant d’habilitations douteuses. Ces habilitations douteuses peuvent correspondre à une large variété de stratégies, comme l’habilitation par des organismes eux-mêmes non habilités à le faire, des « usines à accréditation » (accreditation mills) ou le mensonge pur et simple en affichant une habilitation contrefaite d’un organisme réellement accrédité” 1

 

Site chinois proposant les diplômes d’universités françaises à 1000 euros le diplôme.

Bon de commande en ligne de Trois masters d’universités françaises

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Sans préjuger des droits des véritables  détenteurs de vrais diplômes de ces pays et qui exercent en Mauritanie, il reste que  beaucoup de pays ont été la source de délivrance à grande échelle de faux diplômes de la  licence au doctorat. De ce fait les pays arabes sont touchés de façon dramatique. Le Koweit, la Syrie, l’Arabie Saoudite, le Soudan, l’Irak, la Jordanie, l’Egypte, pour ne citer que ceux-là, ont une “élite” qui s’est illustrée par les faux diplômes.  Comme en témoigne la revue de Presse suivante 2:

  • Journal koweïtien Al-Nahar

A publié un article le 7 Juillet 2008, de l'écrivaine, kafieh Ramadan dans lequel elle a révélé la propagation du phénomène au Koweït.

  • Quotidien saoudien Al-Wasat

Publié un article le 14 Novembre 2010 de l'écrivain Mohammed Haidar intitulé "la farce des titulaires de doctorats".

  • Journal Saoudien Okaz

A révélé dans un article daté du 17 avril 2010 l'arrestation d'u vendeur de contrefaçon de doctorats

  • Le Forum indépendant - Jordanie

Ce journal a publié le texte suivant  le 3 août 2008

"Des dizaines de médecins jordaniens qui ont acquis de la notoriété, ont acheté leurs doctorats d'un américain, pompier de son état et le vendeur de faux certificats. Cet américain travaillant avec sa femme dans le commerce des diplômes aux États-Unis.

  • L'Echo de Syrie

Ce journal a publié le texte suivant le 14 Septembre 2009 : "Mise à pied d'agents de police à la suite de la découverte de leurs faux diplômes"

Sur le même site on peut lire le 20 août 2008 la fermeture de l'institution internationale "El Maamoun" qui vend des faux certificats à Alep et à Mezze à Damas.

  • Site  « Iris » de Jordanie

Article du 3 février 2009 Février: " 200 faux Ph.D. travaillant au sein du ministère de l'Éducation.

  • Voix de l'Iraq

A publié le 27 Octobre 2010: " de faux certificats et les diplômés sont au chômage".

  • Le journal américain "Spokesman Review" d'Août 2008

A publié 180 noms de ressortissants du Golfe AYANT obtenu de faux certificats des Émirats arabes unis, Bahreïn, Qatar, etc.

  • Le journal,  « la ville » saoudienne

A publié un article le 5 Septembre, Septembre 2010, que "50 fonctionnaires éducatifs et enseignants ainsi que les directeurs d'école ont reçu des diplômes de doctorat de manière informelle délivrés pas des universités ne reconnues.

  • Site Web de la Province de « Tarif » Arabie saoudite

Publié le 19 août 2008 la liste des noms de centaines de personnes qui ont acheté leurs doctorats.

  • Site Souria.Com

La chambre sociale de Syrie a écrit le 11 avril 2009 à l'adresse suivante: 3 faux doctorats de collaborateurs du ministre de l'Intérieur.

  • Le Réseau des Nouvelles du Najaf

A publié un article le 5 Septembre 2009 sous la rubrique "La Commission d’intégrité poursuis cas de 905 faux diplômes détenus par des responsables irakiens."

  • Le Réseau des Nouvelles d’Irak:

Publié le 26 avril 2008, une longue enquête menée contre des ambassadeurs portant faux diplômes et ayant des niveaux d’éducation très faibles..

Sur des sites du Soudanais : «De faux titres scientifiques et des faux diplômes pour des doyens d’université iraquiennes travaillant au Soudan.

  • Forums des contributeurs au développement économique (Saoudien) spécialisé dans les actions et les titres saoudiens sur les marchés financiers.

A publié le 13 Août 2008 : « 68 Docteurs saoudiens ont acheté leur doctorat aux États-Unis au prix de 8000 $. »

  • Qods Al-Arabi - Londres

A publié un rapport le 1er Septembre 2009 Rapport qui a révélé que 1088 propriétaires de faux diplômes occupent des hauts postes dans le gouvernement irakien. Et Selon des rapports irakiens on a découvert 3165 documents d’études falsifiés dans des domaines sensibles qui ont été achetés d’un certain nombre de pays européens.

  • Echarq el awsat 16 Septembre 2010

Dans un style ironique Fandy Mamoun a écrit, « on appelle le chauffeur de taxi, docteur . De même pour l’employé public lorsqu’il apparaît à la télévision on l’appelle toujours « Docteur ». Et l’on ne sait pas si ce doctorat obtenu est un doctorat coutumier ou doctorat de convenances.

Dans un article récent (12 avril 2011) sur le site irakien « Massress », intitulé : « Le phénomène de la contrefaçon des diplôme un aspect de la corruption », l’auteur , Mustapha Mohamed gharib, écrivait : « L’estimation de ces diplômes falsifiés en Irak est de 35 000 (universités iraniennes notamment, et des certificats contrefaits délivrés par les universités dans les États du Golfe, le Liban et le Maghreb arabe )»3.

Aux Etats-unis beaucoup d’entreprises –dîtes “moulins à diplômes” - très lucratives se sont spécialisées dans le marché des diplômes. Et le site “spokesman review a publié , en 2008, suite aux enquêtes judiciaires,  une partie  “des noms de près de 10.000 personnes apparues dans une enquête fédérale d'un moulin à diplômes  à Spokane-qui vendait des faux diplômes ainsi que la contrefaçon des études secondaires… .4

D’autres part des milliers d’entreprises à travers le monde, vendent des diplômes. Tel ce site chinois qui convertit les diplômes en euros ou cette entreprise américaine qui  délivre les diplômes par téléphone et retour de courrier.

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Le vrai-faux diplôme:

Si les faux diplômes sont, en principe, facile à découvrir notamment en écrivant à l’institution qui les a délivrés (quant il s’agit d’une université reconnue) ou en vérifiant l’existence, la réalité et la validité de l’institution auprès des autorités du pays (Ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche scientifique ou de l’Education, par exemple), par contre le faux-vrai diplôme ne peut être prouvé que d’une seule façon: l’incompétence de celui qui le détient.

Un faux-vrai diplôme est celui qui est obtenu d’une véritable université accréditée et reconnue par les autorité du pays, mais ce n’est pas son titulaire qui a fait le travail pour l’obtenir.

Ainsi  le mémoire de fin d’études ou la thèse qu’il a présentée ont été confectionnés par d’autres personnes, souvent un enseignant de ladite université et qui l’aide  dans sa soutenance à travers des jurys de complaisance. Le diplôme reçu est donc vrai mais la personne le reçoit indument. C’est un incompétent diplômé. Les détenteurs de “faux-vrais” diplômes participent souvent aux recrutements sur dossier et évitent les concours, et les entretiens de recrutement. Sinon ils tomberaient sous l’effet de la théorie du filtre et du signal (développée plus haut).

Mais qu’il soit détenteur d’un faux diplôme ou d’un vrai-faux diplôme, cet individu est assimilable à un délinquant. Dans le premier cas, il tombe sous le coup de la répression pénale sous le chef d’accusation de “faux et d’usage de faux”.  Dans le second, il sera souvent mis sous la sellette dans le cadre de l’activité professionnelle dans laquelle il sera toujours un clandestin. Et dans tous les cas ces deux délinquants porteront atteinte gravement à la profession qu’ils rejoindront et au développement du pays tout entier.

b) Quelles solutions pour endiguer le fléau des faux diplômes

Les stratégies les plus utilisées ont été toutes guidées par la volonté des pouvoirs publics d’enrayer le phénomène. C’est ainsi que certains pays ont,  à travers leurs institutions habilitées (Ministère de l’Education, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique), adopté des mesures administratives, judicaires et professionnelles à l’égard de porteurs de faux diplômes. Parmi ces pays  on retrouve notamment l’Irak, le Togo , Madagascar etc. Dans ce dernier pays un programme a été mis en place avec l’aide la Banque mondiale et de la coopération française pour faire face aux faux diplômes. D’intéressantes mesures ont été prises dans le cadre de ce programme (pouvant être consultées ici).

Toutefois l’ampleur du phénomène a poussé à une réflexion qui est allé très loin jusqu’à concevoir une “dématérialisation du diplôme”, c’est-à-dire de supprimer le support papier et d’en faire un document numérisé auquel on adjoindrait alors toute une technologie de cryptage et de d’authentification électronique. D’autres pays ont envisagé des diplômes “biométriques” à l’image de la carte d’identité “infalsifiable”, c’est le cas des Comores.

Le secteur public des pays en développement souffre beaucoup de l’embauche des faux diplômés et cela n’est pas sans conséquences sur son rendement, mais fonctionnant sur des ressources publiques, produisant des biens non marchands et non soumis aux critère d’efficacité et d’efficience, il est le lieu privilégié des faux diplômés. Et pour trouver une solution , il faut passer nécessairement par la volonté des pouvoirs publics. Sans cette volonté,  l’Etat tout entier continuera à souffrir de cette plaie.

Par contre le secteur privé et notamment les moyennes et les grandes entreprises ne peuvent souffrir une charge financière d’un personnel incompétent. Il en va de leur propre existence. C’est pourquoi, la chasse aux faux diplômes y trouve plus d’attention. C’est ainsi que pour répondre à ce besoin,  des sociétés se sont spécialisées dans la vérification des diplômes des prétendants aux emplois. Ce service est payant pour la société qui recrute mais cela lui fait souvent gagner beaucoup plus. Parmi ces entreprises on trouve “verifdiploma” qui offre aux entreprises la vérification des diplômes des candidats en quelques secondes sur son site.

En Mauritanie, la solution ne pouvant provenir que des pouvoirs publics, il est nécessaire cependant que la volonté y soit. Ainsi la création d’une commission nationale de vérification des diplômes serait une solution. Toutefois on sait pertinemment que c’est une solution qui ne manquera pas de rencontrer les difficultés suivantes:

- La crainte de l’ampleur que peut prendre la découverte du phénomène et le nombre de personnes impliquées à tous les échelons de la vie politique, économique te sociale de la nation

- la force d’inertie de l’administration publique elle-même qui ne fera pas avancer les investigations puisqu’elle est, elle-même, concernée par le phénomène des faux diplômés.

Aussi, à notre avis, seule une commission indépendante du système politico-administratif mauritanien et comprenant des membres neutres pourra accomplir cette mission. Nos proposerons, dans un prochain article une commission de vérification de l’intégrité des diplômes en Mauritanie.  Elle comprendra un panel de personnes (dont la diplomation aura été dument vérifiée) qui aura chacune, et suivant le pays où elle se trouve, une mission de vérification des diplômes délivrées par les institutions de ce pays.  Un site web, comprenant une base de données et publiant les vérifications des diplômes, en commençant par l’administration publique et les personnes publiques en Mauritanie, sera mis en place.

Pr ELY Mustapha

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1.  Gilles Grolleau et Tarik Lakhal « Éléments d'analyse économique des faux diplômes », Revue internationale de droit économique 2/2007 (t. XXI, 2), p. 115-128.
URL :
www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-economique-2007-2-page-115.htm.  DOI : 10.3917/ride.212.0115.

2.Ces références de Presse sont rapportées par M. Nahed Ismail dans son article publié sur le site « ettagyir » à l’adresse : http://www.al-tagheer.com/arts6353.html

3.http://www.masress.com/shbabmisr/7400

4.http://www.spokesmanreview.com/data/diploma-mill/by-orgs/

samedi 21 mai 2011

Lettre à Ahmed Daddah

 

 

Monsieur Ahmed Daddah,

Depuis le temps que vous êtes dans l’opposition, vous êtes vous rendu compte que jamais l’opposition n’a accédé au pouvoir? Même pas une seule fois depuis l’accession de l’Etat mauritanien à l’indépendance.Vous êtes vous rendu compte que le pouvoir appartient toujours à ceux qui le détiennent, de fait,  depuis toujours et vous n’en êtes pas?

Monsieur Ahmed Daddah,

Réduisez-vous à l’évidence: votre opposition ne vous a  jamais conduit, ni vous ni les autres opposants au pouvoir. Vous y conduira-t-elle?

Dans  la configuration actuelle du pouvoir vous êtes encore plus loin du pouvoir que vous ne l’étiez du temps de Maaouia ould Sid’ahmed Taya. Aussi depuis tout ce temps, vous êtes toujours opposant. Jusqu’à quand?

Monsieur Ahmed Daddah,

Nous savons pourquoi vous êtes opposant mais vous êtes vous posé la question: “pourquoi suis-je toujours dans l’opposition?” .

A moins que vous n’ayez décidé d’inventer l’opposition professionnelle, vous devez savoir qu’une opposition ne peut être que conjoncturelle et que vous devez forcément en sortir et en sortir ceux qui depuis des décennies militent avec vous et qui croient en vous. Sinon laisser la place.

Monsieur Ahmed Daddah,

Une opposition ça a pour vocation d’exercer le pouvoir. Et que faites-vous pour cela? Des déclarations conjoncturelles , des affirmations spectaculaires (“la Mauritanie, n’a pas de Président, pillage organisé des ressources etc. etc.”) suivant en cela, les envolées de l’autre opposant, Ould Boulkheir (“il faut renverser le régime…etc.”). Mais cela mène-t-il à quoi? Et que rapporte-t-il?

Le ridicule ne tuant pas en politique, celui de l’opposition engraisse la “majorité” (si elle existe).

Monsieur Ahmed Daddah,

La raison pour laquelle vous êtes toujours dans l’opposition, c’est vous-même.  C’est à cause de vous que l’opposition  est ce qu’elle est aujourd’hui: un faire-valoir du pouvoir en place.

Avez-vous fait une analyse de votre propre comportement à l’égard de tous ceux qui par la force accaparèrent le pouvoir? Savez-vous que c’est durant ces six dernières années que vous avez porté du tort, non seulement à l’avenir de votre parti le RFD pour l’exercice du pouvoir, mais aussi à la Mauritanie tout entière?

Saviez-vous qu’en tant que Président d’un parti politique dont toute l’action est régie par la loi, vous aviez entériné  le coup de force contre le Premier magistrat de la République  (en 2005 et en 2008)?

Saviez-vous qu’un potentiel candidat à la Présidence de la République ne peut  pas entériner les coups de force contre les institutions de la République. Ce que vous avez fait.

Comment Pouviez-vous en tant qu’ancien candidat à la présidence de la République et   challenger du Président élu que vous aviez félicité pour son élection, vous aviez quand même entériné son renversement  ?

Comment un chef de l’opposition pouvait-il affirmer, en 2008, qu’il « comprend le geste » de militaires putschistes et accepter de dialoguer avec eux en faisant fi du respect des institutions et du président élu qui représentait la volonté du peuple.

Comment, à l’époque,  en tant que Président de parti politique, pouviez vous  déclarer que les militaires soient habilités à « redresser les déviations de la Démocratie », en éludant totalement le rôle strict que la constitution confère à l’armée nationale et non pas de porter atteintes aux institutions républicaines et à leurs représentants?

Comment après avoir rendu visite à l’actuel président vous l’aviez reconnu en tant que “Président de la République”, puis de déclarer récemment “la Mauritanie, n’a pas de Président”?

Ce comportement erratique ne vous a-t-il pas convaincu qu’il y a quelque chose à revoir dans votre stratégie de conquête du pouvoir? Votre expérience passée ne vous a-t-elle pas convaincu que ce n’est point payant de s’allier au premier qui accède au pouvoir mais plutôt de le combattre en s’armant d’une conviction de l’Etat de droit et non pas d’une compromission qui frise l’opportunisme.

Monsieur Ahmed Daddah

Le paysage politique mauritanien, a plus que jamais besoin d’une opposition forte. Le RFD l’était à la veille du coup d’Etat de 2005. Le RFD avait tout pour contraindre et s’imposer sur la scène politique. Hélas, il n’en fut rien. Le “dialogue” que vous avez initié avec les putschistes de l’époque a tourné à leur avantage et au détriment de l’opposition alors que vous auriez dû faire front aux plans national et international.

Au plan national, descendre dans la rue, initier des protestations continues, des grèves, des sittings , des meetings, ameuter les populations sur le viol de la constitution et la prise en otage du Président de la République. Refuser catégoriquement de dialoguer avec les militaires, demander la libération immédiate et sans conditions du Président de la République et de son premier ministre. Rétablir la légalité au plus vite et rétablir les choses en l’état en retirant tous les communiqués militaires, en rétablissant les fonctionnaires limogés à leurs postes et de dissoudre immédiatement le haut conseil d’Etat.

Sur le plan international, ameuter la communauté internationale, alerter les organisations internationales, investir les médias internationaux de prises de positions fermes et des dénonciations des violations que le pays subi. Demander l’intervention immédiate de la communauté internationale pour obliger les militaires à quitter le pouvoir.

Mais vous n’en fîtes rien. Pourquoi? Et qu’avez-vous récolté?  La défaite et la confiscation du pouvoir par ceux-là dont “vous compreniez le geste”.

Quelles leçons en avez-vous tiré? 

En 2008, vous négociez les accords de Dakar alors que  le président élu était en détention.

Monsieur Ahmed Daddah,

La politique est un engagement, non pas seulement pour accéder au pouvoir et mettre en application les idées pour lesquelles on se bat, mais aussi faire que l’acte même d’opposition soit un acte respectable et respecté.  Faire que l’opposition soit une référence pour le peuple. Or qu’arrive-t-il aujourd’hui?  Une opposition défaite qui se débat dans ses contradictions et qui, à défaut, de rechercher à accéder à un semblant de pouvoir par la petite porte (“gouvernement d’union nationale”), n’a aucune stratégie, si ce n’est les déclarations tonitruantes et la compromission incessante ( avec une “majorité” qui n’en a que le nom).

Monsieur Ahmed Daddah,

Je ne sais si vous ne voyez que votre parti, ou vos objectifs politiques, mais par cette forme “d’opposition”,  vous portez gravement atteinte à l’avenir politique de la Mauritanie. En ce sens, que vous occupez un espace institutionnel appelé “opposition” et votre existence, elle-même, justifie le pouvoir.   En effet, le pouvoir en place ne justifie son essence démocratique que parce que vous existez! Vous êtes donc une opposition qui, malgré elle, est instrumentalisée pour justifier un Etat de droit. Or celui-ci n’existant pas, votre présence porte préjudice à la réalité politique en Mauritanie. Et par ce fait vous condamnez le peuple mauritanien à végéter dans le semblant d’un Etat de droit que le pouvoir justifie par l’existence d’une opposition qui n’arrive pas à jouer ce rôle.

Monsieur Ahmed Daddah,

Le RFD, à l’image des autres partis de l’opposition qui regroupent certainement des hommes et des femmes exceptionnels, se doit de revoir sa  stratégie. Et cela est d’autant plus impératif que ce n’est pas du RFD qu’il s’agit, mais d’une structure partisane qui reflète, à côté des autres  partis,  l’image institutionnelle de “l’opposition”. Une institution sans laquelle il n y a pas de démocratie. Et dont la présence, au yeux du monde,  est une preuve de cette démocratie. Aussi c’est une lourde responsabilité que de continuer à être l’image partisane d’une opposition qui n’existe pas.  il  ne peut y avoir d’opposition sans partis, mais l’existence de partis ne constitue  pas une opposition.

Or c’est ce dont souffre aujourd’hui la Mauritanie: une opposition qui justifie le pouvoir en place et qui n’est pas en mesure de jouer son rôle. Le RFD y est pour quelque chose en considération de la place qu’il occupe dans le paysage partisan.

Pour lever ce tort au  peuple et à la nation, il convient de revoir la stratégie du RFD dans ses moyens, ses objectifs  pour l’exercice du pouvoir. Mais cela ne peut se faire que si, en tant que Président du RFD, vous revoyez  vous-même votre comportement à l’égard du pouvoir ainsi que les voies et moyens utilisés dans le passé pour y arriver. Et pour cela il y a une formule miracle qui vaudra particulièrement pour vous: tirer des leçons urgentes de votre comportement, à l’égard des détenteurs de fait du pouvoir, durant ces six dernières années. Et en prendre le contrepied.

Pr ELY Mustapha

 

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mercredi 18 mai 2011

Les perles de la République

 

Le président fantôme, la justice fantôme et les morts-vivants

 

Le blog haut-et-fort inaugure depuis longtemps cette rubrique. Elle   recense “les perles de la république”. Elle a pour vocation de recenser les bêtisiers verbaux de nos admirables dirigeants et de les classer par ordre de “préférence”,  c’est à dire leur degré de contribution à notre ignorance entretenue.

perleLes perles de la république de cette semaine sont attribuées à trois hautes personnalités politiques de notre cher pays qui, a défaut de croire aux vivants, se sont mis du côté des fantômes.

perleLa perle de bronze

Elle revient à Ahmed Daddah. Après  son fameux “pas de chasse aux sorcières”, sous la transition (CMJD), puis sa fameuse trouvaille “ la démocratie rectifiée” suite au second coup d’Etat (HCE), voilà qu’il croît maintenant au président  fantôme:  “La Mauritanie vit sans Président” a-t-il déclaré.(Voir Source ici). On le savait, depuis longtemps, le seul président qui ne soit pas un fantôme c’est le Président du RFD. CQFD.

perleLa perle d’argent

Elle revient à Ould Abdel aziz lui-mêmeLe président promet à Mme Ould Khattry la libération de son époux  (source ici). Un président qui promet de libérer un détenu supposé l’avoir été pour délinquance cela ne peut signifier qu’une chose: c’est en fait lui qui le détient. Et la Justice ? C’est un fantôme. Après tout un “président fantôme” (dixit Ahmed Daddah), ne peut avoir qu’une justice fantôme (dixit Ould Abdel Aziz).

perleLa perle d’or

Elle revient, sans conteste et haut la main,  au  ministre des affaires islamiques, Ahmed Ould Neiny .

"Une source du ministère des affaires islamiques a indiqué à Sahara média que le ministre Ahmed Ould Neiny, a informé les fonctionnaires et agents du département que le président Mohamed Ould Abdel Aziz « lui a demandé d’ouvrir un pont de contact entre les vivants et les morts » (source ici).

Mais pourquoi Ould Abdel Aziz a-t-il demandé à ce ministre, très spirituel,  d’ouvrir un pont avec les morts? Pour que les morts débarquent chez les vivants? Pour que les morts-vivants viennent donner une coup de main à Ould Abdel Aziz qui ne croit plus aux vivants?

Voilà une bonne infrastructure spirituelle. Après le goudron, le pont.

Le goudron des pauvres. Le pont des morts. Et si le goudron allait vers le pont?

Pr ELY Mustapha

mardi 17 mai 2011

Chambre 2806

 

Le pouvoir et la libido: faut-il castrer nos dirigeants?

 

DSK, menottés conduit par des policiers, qui pouvait y penser quelques heures auparavant et pourtant le monde s’est réveillé avec cette image. Dominique Strauss-Kahn, le patron du Fond monétaire international rejoignant le club des Clinton (affaire Monica Lewinsky) des Berlusconi (Affaire Ruby) et autres dirigeants historiques (voir ici) etc. etc. La libido, toujours la libido… comme l’écrivait un commentateur d’un article sur DSK (ici) : “Comme quoi on peut avoir 62 ans, une Porsche, une Rolex et rater sa vie !!!”. Cynique n’est-ce pas?

Mais la question que nous allons poser est la suivante: la libido prend-t-elle une forme spécifique avec la détention du pouvoir? En d’autres termes, le pouvoir développe-t-il  chez celui qui le détient une addiction à la chose. Si c’est le cas alors nous avons plein de choses à découvrir dans le giron du pouvoir. Auparavant, essayons de comprendre pourquoi la détention du pouvoir a des effets sur la libido.

La connexité des deux sujets, pouvoir et libido, va forcément faire intervenir le sujet de cette libido - pour ne pas dire son objet-, la gente féminine. Et comme l’excès de libido n’a, jusque-là,  été exhibé que par les hommes à pouvoir à l’égard des femmes, il y a donc une forte corrélation entre le “pouvoir” et la “femme”. (Ce raisonnement peut aussi être tenu en sens inverse, mais les scandales actuellement ne concernent que le hommes au pouvoir, les hommes ne dénoncent pas leurs viols par les femmes à pouvoir, allez savoir pourquoi.)

Quelle peut donc être cette corrélation entre le “Pouvoir” et la “Femme”?  Pourquoi un homme qui conquiert le pouvoir finit-il par vouloir conquérir toutes les femmes? Le pouvoir et la femme sont-ils de même nature…aux yeux de l’homme.

L’homme qui part à la conquête du Pouvoir aurait-il la même configuration mentale que celui qui part à la conquête de la Femme? Au vu des comportements récents des potentats, la question se pose. Plus de pouvoir et donc plus de femmes?

Comparons: Le pouvoir se conquiert (par le consentement ou par la force), la femme se conquiert (par le consentement, la force est un crime), le pouvoir séduit, la femme aussi. Le pouvoir confère à l’homme une autosatisfaction quand il le conquiert, la femme aussi.

La conquête du pouvoir peut alors exacerber les rapports que l’homme peut entretenir à l’égard de la femme. La structure mentale de l’individu détenteur du pouvoir se reporte alors sur un “objet” de son désir qu’il voudra conquérir dans les mêmes termes que le pouvoir. Puisque cet “objet” du désir se présente à lui dans le mêmes caractéristiques que le pouvoir: conquête, séduction, autosatisfaction.

En fait à y regarder de près, celui qui conquiert le pouvoir cherche à prouver quelque chose aux autres (“je vais vous guider, puisque je suis le meilleur d’entre-vous”) et en conquérant la femme, il  cherche à prouver quelque chose à lui-même ( “ je suis au dessus de vous, donc je séduis qui je veux”).

La conquête du pouvoir est une séduction collective, la conquête de la femme est une séduction individuelle. Mais c’est toujours la même mécanique mentale:  conquérir l’autre. Individuellement ou collectivement.

Le pouvoir corrompt. Et le pouvoir est une perpétuelle conquête. Historiquement,  l’expansion des empires , l’expansion du colonialisme et aujourd’hui, l’expansion des multinationales, l’expansion des puissances, l’expansion des cartels etc. ne sont que l’expression d’une perpétuelle conquête de ceux qui détiennent le pouvoir.

Les “califes” d’aujourd’hui (les puissants de ce monde) comme les califes d’autrefois partagent la même structure mentale, le harem en est l’expression la moins dévoilée, en occident, et la plus voilée en orient. La différence est que les califes d’autrefois avaient des harems reconnus, les califes d’aujourd’hui  n’ y ont pas légalement droit. Et c’est toute leur misère. Des califes qui s’attaquent à des bonnes, à des secrétaires…

Aussi si tous ceux qui ont conquis le pouvoir ne sont pas allés à la conquête de la gente féminine, c’est soit parce qu'ils ont bien caché leur jeux (ex: Mitterrand) soit que la conquête du pouvoir ne s’exacerbe que chez ceux qui y sont mentalement prédisposés.  La conquête féminine,s’assimilant chez eux  à la conquête du pouvoir.

C’est pourquoi il serait bon de proposer dans un amendement aux constitutions modernes (et aux statuts des organisations internationales, y compris celle de Bretton woods) de castrer tout détenteur de pouvoir qui ferait apparaitre des syndromes de la “chambre 2806”.

Le seul problème, à craindre c’est que nous manquerons alors cruellement de dirigeants pour nos pays. Mais est-ce un vrai problème, vu ce qui leur arrive?

Des institutions renversées, des constitutions violées, des peuples violentés. Le pouvoir a, depuis longtemps, rejoint la libido.

Pr ELY Mustapha

lundi 16 mai 2011

Les leurres du Fond Monétaire International

 

La croissance…du sous-développement.

cameleonEn visite le mois dernier à Nouakchott et à l'issue d'une mission de deux semaines, le, chef de division du FMI au cours d'une conférence de presse  a déclaré que les résultats macroéconomiques enregistrés en 2010 ont été dans l'ensemble satisfaisants",  et que  "le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) réel s'est chiffré à 5,2% (en 2010), et, enfin, pour la même période le "taux d'inflation a été contenu à 6,1%”

Cela fait longtemps que l’on écrit sur les déclaration tonitruantes du Fond monétaire international en Mauritanie. Avec leur lot de “croissance attendue”, de “bon comportement de l’économie”, d’inflation “acceptable”, de “perspectives encourageantes”  etc. etc. (voir ici: “Faut-il croire le FMI ?” ou encore “ Croissance? Quelle Croissance? ”)

 

Et nous n’allons pas continuer à suivre cette institution dans ses élucubrations induisant les pauvres pays en erreur sur leur situation économique et sur leur devenir et gonflant à escient les chevilles de nos dirigeants insouciamment incompétents (voir nos articles précédents sur ce blog) . Aussi avons-nous décidé, face à cette institution,  d’utiliser un approche intuitive simple, mais économiquement redoutable: le bon sens. Nous allons simplement poser les deux  questions suivantes : S’il y a croissance (comme l’affirme le FMI) QUI réalise cette croissance? (I) et s’il y a croissance, pourquoi n’ y a-t-il pas développement ?

 

I- Qui réalise la croissance en Mauritanie?

 

Ce “QUI” est l’Alfa et l’Omega des Développement qui vont suivre.

En effet, comme déjà défini dans nos articles précédents, la croissance nait de la somme des  valeurs ajoutées de l’ensemble des unités économiques d’un pays. Elles  suit les variations constituées par l’agrégation de ces  valeurs ajoutés dénommées PIB (Produit intérieur brut), PNB (Produit national brut), RN (Revenu National) etc. Mais qu’importe l’appellation, il convient simplement de retenir que l’accroissement de l’un de ces agrégats, après correction par le taux d’inflation de la période (un an généralement), est le premier indicateur de la croissance. C’est le dada du FMI. Et son erreur perpétuelle.

Mais prenons le contrepied de ce raisonnement: S’il y a croissance, il faudrait bien qu’il y ait une combinaison de facteurs pour sa réalisation. Ce sont les facteurs de production de biens et de services. Et ces facteurs sont notamment: le capital et le travail .

Neutralisons la première variable, le capital et cela  pour trois raisons: la première est que jamais les richesses en Mauritanie n’ont été recensées. La seconde est que ce capital, s’il existe, est diffus et détenu par une petite minorité de la population: des banquiers et/ou des commerçants. La troisième raison la plus importante est que le capital ( même s’il existe),  sans le travail est improductif.

Cette troisième remarque est la clef du raisonnement: QUI travaille en Mauritanie pour générer la croissance? En d’autres termes qu’elle est  la population active économiquement pour générer, une telle croissance?

 

Posons d’abord les définitions:

 

Le taux d’activité est le rapport entre l’ensemble de la population active (actifs occupés et chômeurs) et la population en âge de  travailler.

 

Le taux d’emploi est le rapport entre la  population active occupée et la population en âge  de travailler (15 à 64 ans). Le taux d'emploi reflète la capacité d'une économie à utiliser ses ressources en main-d'œuvre.

 

Statistiquement: La Mauritanie compte  (2010):  3. 205 060  d’habitants Banque Mondiale)

Population de moins de 15 ans (2009) 41,0 %

Population de plus de 64 ans (2009)3,4 %

Taux de chômage des hommes : 23,9 %

 

Taux de chômage des femmes : 44 %

 

Sur cette base :

 

Il y a 1314074,6 d’enfants (-15ans) : valeur ajoutée nulle

il y a 108 972,04 de  personnes âgées (+ 64 ans): valeur ajoutée douteuse

Ainsi au total il convient d’éliminer ces deux franges de la population du décompte de la population active soit: 1. 423 047 individus.

 

 

Il reste alors : 1.782 013 individus parmi lesquels figure la population active.

Si l’on applique les taux de chômage 67,9% (hommes et femmes) de la population en âge de travailler (15 à 64 ans) soit 1 209 987 chômeurs, il ne reste plus que 572 026 individus qui devraient constituer la population en activité.

 

Mais quelle activité ?

 

Tel qu’il ressort des statiques de l’Office national de la statistique pour l’année 2008, la répartition des emplois selon le type d’employeur se présente comme suit:

 

image

 

 

Si l’on applique théoriquement ces pourcentages de répartition des emplois au chiffre précédent (572 026),  en maintenant les pourcentages constants (en principe en augmentation pour l’année 2010),  on obtient les résultat suivants:

 

Employeur % Chiffres
1.Gouvernement 12,3 70359,198
2.Para-public 2,3 13156,598
3.Entreprise privée 11,3 64638,938
4.Individus/ménage 24,4 139574,344
5. Autre (secteur informel) 49,8 284868,948
 

 

Du chiffre global ( 572 026 ) il convient de soustraire les secteurs 1, 4, et 5 dont la valeur ajoutée à l’économie est soit diffuse (production non marchande de l’administration publique) soit de subsistance, sinon sans réinvestissements  ( ménages appauvris ,  activité informelle). Soit un total de  494 802 individus. Il ne  reste plus que  77 223 individus. Ces individus sont répartis entres les entreprises privées et le secteur  parapublic.

 

Pour les entreprises privées elles exercent principalement dans le secteur du commerce et des services. Or on le sait, ces entreprises sont détenues par environ 20% de la population employée (statistiques ONS). Cette approximation est correcte puisque 20 % du nombre d’actifs occupés (hors secteur informel )  donnent un chiffre de 57 431 individus approchant  celui figurant dans le tableau précédent pour les entreprises privées. Ce secteur est constitué  de quelques commerçants et de banquiers  qui accaparent les richesses (marchés publics, pêche…), le reste est constitué de salariés, véritable force de travail.

 

Le secteur de la pêche est le monopole de lobbies de commerçants installés depuis les années quatre-vingt dix sur ce secteur par les régimes successifs. Sa valeur ajoutée, sous forme de capital,  revient à des individus détenteurs des sociétés de pêche et des licences de pêche, et non pas réinvesti dans des secteurs économiques productifs mais fait l’objet souvent de transferts dans des comptes à l’étranger. La valeur ajoutée de la Pêche calculée dans le PNB se doit d’être révisée car les revenus de la pêche ne profitent nullement aux populations, mais à des privilégiés. Les personnes travaillant dans le secteur spécifiquement la pêche ne bénéficient que d’un revenu salarial, une minorité d’entre-elles détient le capital ,  l’outil de production, et les bénéfices.

 

Reste la production du secteur des entreprises d’extraction et de commercialisation des ressources naturelles (pèches et mines) du secteur parapublic  (13 156 individus dont près de 4500 personnes permanentes employées par la SNIM ).

Donc en définitive et tous calculs faits:  sur les 3 205 060 mauritaniens, les actifs occupés  (voir définition plus haut ), réalisant une activité de valeur ajoutée ne représentent que 0,41 %  de ce chiffre!

 

Ces 0,4  se retrouvent dans le secteur des ressources naturelles et principalement dans le secteur parapublic .

 

A la question s’il y a croissance QUI la réalise? Il peut être répondu 0,41% de la population!

 

C’est ce secteur qui ferait grimper le PNB et sur lequel le FMI indexe l’évolution de la croissance économique du pays!

 

Les constats sont alors les suivants:

 

- L’économie mauritanienne vit sur une économie informelle,

 

- La valeur ajoutée est réalisé à travers l’exploitation de ressources naturelles,

 

- Seul 0,41 % de la population fournit une valeur ajoutée,

 

- L’économie est accaparée sous forme d’accumulation de capital entre les mains de commerçants et de banquiers exportant les ressources soit réalisant des investissement improductifs.

 

Et la réalité est tout autre !Alors le FMI est-il en droit de dire qu’il y a une croissance économique?

 

Non. car non seulement il induit les pays pauvres en erreur, mais il entretient une confusion entre la “croissance” d’une rente et le développement économique et social.

 

 

II- La croissance et le sous-développement: le FMI en contradiction.

 

La majorité de la population mauritanienne souffre de misère et l'infrastructure publique est un champ délabré au milieu des détritus qui couvrent les rues et les avenues.

Nos rues sont peuplées d'enfants et de vieillards mendiants;  nos hôpitaux sont des cimetières à ciel ouvert,  notre parc automobile national est un ramassis de carcasses rouillées qui sentent la mort à plein nez…

Vue de l'extérieur, la Mauritanie n'a aucune industrie qui exporte un produit national compétitif et générateur d'emploi et de revenus. Nous ne produisons rien commercialement ou technologiquement qui vaille la peine d'être exporté. Et pourtant le taux de croissance est estimé à 5,2% (2010), il était déjà de 5,7 en 2007!

 

Et pourtant nous croissons! Incroyable. Qui l’aurait crû?

Pathétique, n’est-ce pas? A défaut d’être révoltant.

Voici la preuve d’un discours économique incohérent:

Le 15 mars 2010, à la suite de la mission du FMI à Nouakchott et à l’issue des délibérations du Conseil d'administration du FMI, M. Murilo Portugal, Directeur général adjoint et président du Conseil d'administration par intérim a fait la déclaration suivante :

« La situation économique (en Mauritanie) s’est nettement dégradée en 2008-09 à la suite de chocs tant internes qu’externes. Le PIB réel a baissé et la situation des finances publiques s’est affaiblie. Tandis que l’inflation est restée maitrisée, le déficit extérieur courant est élevé (12,7 % du PIB), et les réserves internationales couvre seulement environ deux mois d’importations.”  (source FMI, cliquer ici)

Comparez avec la déclaration de la mission du FMI conduite par M. Dominique Guillaume  à Nouakchott du 8 au 20 mars 2008

La mission a aussi revu l’exécution du programme qui continue de se dérouler d’une manière satisfaisante. Tous les critères de performance et les repères pour fin décembre 2007 ont été atteints. Les évolutions macroéconomiques au quatrième trimestre 2007 ont été globalement conformes aux objectifs du programme malgré une conjoncture difficile. La croissance du PIB non-pétrolier a atteint presque 6% sur l’année 2007 bénéficiant du rebond de la production agricole et du développement de nouveaux projets miniers. Le niveau des réserves extérieures a dépassé légèrement l’objectif fixé pour fin 2007. Le déficit budgétaire a été maintenu dans les limites prévues par le programme.” ( source FMI, cliquer ici )

 

Comparez avec les déclarations du chef de mission à Nouakchott (en 2010):

“le, chef de division du FMI au cours d'une conférence de presse  a déclaré que les résultats macroéconomiques enregistrés en 2010 ont été dans l'ensemble satisfaisants",  et que  "le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) réel s'est chiffré à 5,2% (en 2010), et, enfin, pour la même période le "taux d'inflation a été contenu à 6,1%”

Comment en quelques mois on soit passé  d’une situation où “tous les critères de performance et les repères pour fin décembre 2007 ont été atteints” à une situation dégradée (2008-2009),puis  à une situation satisfaisante (2010)?

 

Les grands agrégats économiques feraient-ils du hip-hop !

 

 Voilà la désinformation qui s'inscrit dans d'autres désinformations dont les "chiffreurs" de notre économie ont fait une gymnastique politique.

 

Depuis les fameux chiffres "falsifiés" livrés au FMI (qui nous ont couté des centaines de millions de dollars du fait du report de six mois de l'effacement de la dette) le plus grand mensonge à venir fut celui de la croissance à deux chiffres !

 

Si la croissance économique résulte de la production totale de tous les biens et services d’un pays au cours d’une période donnée, alors on comprendra qu'en Mauritanie la croissance est bien négative; car où sont les biens et services qui en Mauritanie engendrerait une telle croissance à 5,7 % et celle des années précédentes?

 

En fait ce chiffre est trompeur et porte sur la croissance au sens de "l’expansion du revenu national", c’est-à-dire ce "fourre-tout" dans lequel on fait figurer le revenu de la Nation quelle que soit sa provenance!

 

La croissance est ainsi celle du "revenu national" pas celle de la somme des valeurs ajoutées des unités économiques du pays et qui s'exprimeraient par des variations du Produit Intérieur Brut (PIB) réel (corrigé de l'inflation) ou nominal (exprimant la valeur marchande des biens et des services produits par un pays.).

Donc la croissance dont il s'agit est bien celle du Revenu National et non pas de l'économie nationale!

 

En effet, la croissance économique, telle qu’elle est calculée, ne mesure que la variation quantitative d’un agrégat économique, elle n’est donc pas synonyme de développement. Le développement est généralement associé à la croissance, mais il peut y avoir croissance sans développement. C'est le cas de la Mauritanie où les taux de croissance affichés ne sont que ceux du revenu national (rente nationale).

 

La vraie croissance et la fausse croissance

 

Ainsi si la vraie croissance économique traduit la variation quantitative, durable, auto-entretenue et non réversible de la production de biens et services, la fausse croissance en Mauritanie traduit la variation quantitative non durable, auto-entretenue et réversible d'un revenu national (d'une rente pétrolière et autre) au profit d'une minorité qui a depuis longtemps (et depuis toujours) planifié son détournement au détriment du développement. La vraie croissance repose sur la fonction de production et non pas d'accumulation de revenu national (issu de la rente).

 

Cette fonction de production repose sur l'utilisation des facteurs de production, travail et capital. La croissance dépend donc des quantités de facteurs de production disponibles et de la manière dont ils sont utilisés.

Le facteur travail : la croissance est possible grâce à une augmentation de la quantité de travail disponible ou par une augmentation de la qualité du facteur travail utilisé.


Le facteur capital : la croissance se traduit par des Investissements qui viennent accroitre ou améliorer le stock de capital technique disponible ce qui permet une augmentation des quantités de biens et services produites.

 

Et enfin, le progrès technique : qui accroit la productivité des facteurs de production utilisés. Près de la moitié de la croissance économique serait le fait de ce progrès technique.

 

Alors au vu de ce qui précède (le travail, le capital, la technique), vous la voyez où la croissance en Mauritanie ?

 

Pr ELY Mustapha

 

Quelques références:

 

- http://www.state.gov/r/pa/ei/bgn/5467.htm 

- Office National de la Statistique (www.ons.mr)

-http://www.carim.org/index.php?callContent=364&callCountry=1500 (et particulièrement pour les tableaux l’article de Sidna Mohamed-Saleh, La migration des Mauritaniens et ses tendances récentes (2009))

- http://www.statistiques-mondiales.com/mauritanie.htm

http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/ACCUEILEXTN/PAYSEXTN/AFRICAINFRENCHEXT/MAURITANIAINFRENCHEXTN/0,,menuPK:469145~pagePK:141132~piPK:141109~theSitePK:469117,00.html

vendredi 13 mai 2011

Comment apprendre la langue française…et les autres langues

Une langue peut-elle acculturer un peuple ?

francafriqueIl ne fait pas de doute que la connaissance d’une langue est une extraordinaire ouverture sur le monde et sur ses cultures. Apprendre une nouvelle langue est un enrichissement sans pareil à la fois pour les rapports entre les hommes, les sociétés et les civilisations. Et il ne s’agit pas seulement d’un enrichissement linguistique facilitant la communication et la compréhension de l’autre, mais la connaissance d’une langue introduit dans le cœur et l’esprit de son détenteur l’humanisme et la tolérance. Les arabes grands voyageurs, commerçants et conquérants avaient compris cela. Ils ont traduit dans une tradition millénaire, en adages, proverbes et maximes l’importance de la connaissance de la langue de l’autre :

  •   « Qui apprend une langue s’enrichit en humanisme »
  •   « qui apprend la langue d’une communauté se prémunit contre sa haine »
  •   « Qui ignore une chose (culture) à tendance à la haïr »
  •   « Parle aux gens la langue qu’ils comprennent »

Le prophète Mohamed, Paix soit sur lui, incitait à aller quérir le savoir même en chine !

C’est autant dire la place dans laquelle la civilisation arabo-musulmane a mis l’apprentissage des langues en tant que véhicule de fraternité dans le savoir et la culture.

Hélas ! Aujourd’hui certaines langues n’entretiennent plus ce rôle, elles sont devenues de véritables instruments aux mains de pays appuyés par des individus dans un but d’acculturation manifeste.

Ces propos peuvent sembler curieux. Car d’aucuns pourraient se poser la question : Comment une langue peut être un instrument d’acculturation ?

Pourtant, il ne s’agit pas d’une vue de l’esprit mais d’un amer constat de tous les jours face à ce que certains pays, groupes ou individus font de leur langue. Un instrument d’une acculturation qui ne dit pas son nom. Examinons ce cas pour une langue que nous utilisons dans nos échanges quotidiens : le français.

D’abord, donnons la définition de ce que nous entendons dans les limites de cet article par « acculturation ». L’acculturation est le fait de perdre sa propre culture, soit en lui substituant une autre culture, soit en l’ignorant.

Cette acculturation est due, pour la langue française, à trois facteurs : d’abord, la politique linguistique de la France à l’étranger, appelée communément « francophonie » et qui considère le  français comme « un moyen de modernité », ensuite le comportement d’intellectuels « snobés » par la langue française (dans le système éducatif) , et, enfin, l’ignorance manifeste d’une classe sociale acquise au français et qui considère cette langue comme la panacée pour son développement socioculturel (I). Cette acculturation a des incidences non négligeables sur l’éducation et sur le développement économique et social du pays (II)

I- Les facteurs de l’acculturation

Les trois facteurs  contribuant à l’acculturation sont : Le leurre du français comme moyen de modernité (1), le comportement de certains intellectuels, « snobés » par la langue française (2), et d’une classe sociale acquise au français (3).

1- Le français, moyen de modernité : Un leurre permanent.

Il est indéniable que l’utilisation de la langue française a eu des aspects positifs indéniables :

• Le français a permis a des communautés de langues différentes de pouvoir communiquer entre-elles, notamment dans les pays africains ;

• Le français a permis une ouverture sur la culture française et celles de pays francophones.

Ces aspects ont, cependant, constitué un arbre qui cache la forêt. Et c’est moins dû à la politique d’un pays qui, somme toute, défend sa culture et ses intérêts dans le monde, que ce que nos pays, à travers leur système éducatif, font de la langue française.

La charte de la francophonie considère que le «français est un héritage », « précieux » souligne-t-elle. Mieux encore, elle affirme que le français est un moyen d’accès à la « modernité ».

Mais ce que ne mentionne pas cette charte, c’est que le français est un « héritage » forcé et que la langue française, n’est pas forcément un moyen d’accès à la modernité mais avant tout, un instrument vital de la stratégie géopolitique de la France.

Ainsi, l’on devrait moins considérer le « français » comme un héritage que comme une langue qui, parmi toutes les autres, pourrait contribuer à la communication et au dialogue. Et qu’en faire « un héritage », revient à la mettre au niveau d’une transmission d’une langue héritée d’une filiation qui n’a jamais existé. A moins que l’on revienne aux concepts de mère-patrie et à la philosophie de la « françafrique ».

La stratégie linguistique de la France à l’étranger, à travers toute l’instrumentation politique et économique au service de sa « coopération internationale », ne fait pas perdre de vue que l’intérêt premier de ce pays est « le rayonnement linguistique et culturel de la France » dans le monde. Affirmer le contraire en s’appuyant sur les concepts francophiles de « communauté de langue », « d’échanges culturels », « de coopération », relève d’une naïveté qui n’est pas permise. Naïveté qui hélas ; prédomine chez nos élites francophones. Nous y reviendrons plus loin.

Quant à l’affirmation selon laquelle le français est un moyen d’accès à la  « modernité », elle mériterait une révision fondamentale. Au contraire pour beaucoup de pays le « français » est devenu un handicap vers l’acquisition du savoir et la maitrise de la technologie.

En effet, le français imposé à ces pays, ou l’ayant volontairement adopté, les a placés dans une situation de dépendance vis-à-vis de la langue française par laquelle « ils boivent et respirent ».

Ce qui n’est pas sans conséquence sur leur devenir, culturel, scientifique et technologique.

Le français aujourd’hui n’est pas le véhicule des technologies avancées, ni de la recherche de pointe, ni des idées d’avant-garde dans le monde de la littérature et de la pensée mondiale.

Le français n’est dans le contexte du savoir, de la connaissance et de la technologie qu’une langue de seconde zone. C’est une langue de « traduction » de ce qui se fait ailleurs, en savoir, littérature, technologie dans les puissances anglophones et d’autres pays asiatiques.

Les pays qui utilisent le français sont dans une voie de développement de « seconde main ». Le français est un simple canal de transmission avec les problèmes qu’un tel canal peut engendrer et les manipulations qu’il peut subir.

Aujourd’hui, les pays francophones sont, à travers le français dans une dépendance que modulent les détenteurs des leviers de la francophonie.

Certains pays francophones ont compris cela et développent d’autres voies pour sortir de cette situation. Il en est ainsi, notamment du Rwanda qui est devenu en 2009,  le 54e pays membre du Commonwealth. “ Cette adhésion s’inscrit dans les efforts entrepris par le président Paul Kagamé pour tourner le dos au monde francophone, et arrimer son pays au monde anglo-saxon.”

Déjà en 2008, la ministre rwandaise de l’Education Daphrose Gahakwa annonçait, à l’AFP, que “ L’enseignement secondaire et universitaire sera désormais dispensé exclusivement en anglais au Rwanda.”

Une telle attitude s’explique par un constat, de plus en plus ressenti par les francophones, que le français sert d’écran entre ces pays et tout ce qui se fait ailleurs. La littérature scientifique et technique française ne fait souvent que traduire les innovations qui se font ailleurs, elle même parfois un miroir déformant non voulu (comme c’est le cas de toute traduction) ou voulu (la rétention de l’information ou sa cession au prix fort).

Cet article n’est pas une apologie de l’anglais et nous n’allons pas dénier à la recherche scientifique et technique française dans plusieurs domaines son intérêt mais me constat est là: elle reste toujours moins avancée et dépendante elle-même pour son développement des recherches dans d’autres puissances (USA notamment)

Il suffit pour cela de faire une simple recherche bibliographique sur internet pour saisir l’infime place qu’occupe le français dans les sources du savoir scientifique, technique et culturel dans le monde.

On comprend donc que cette affirmation de la francophone comme « moyen de modernité » peu même s’avérer dangereuse pour les pays qui arriment leur développement à l’utilisation exclusive du français.

L’apprentissage du français doit se faire dans cette optique. C’est-à-dire ramener le français à ses justes proportions mondiales, connaitre la culture française et savoir qu’elle n’est pas universelle, d’autres cultures se développent bien plus rapidement et donc ne pas, au nom d’une quelconque recherche de modernité la substituer à sa propre culture.

Bien que la charte de la francophonie affirme haut et fort que la francophonie est une communauté dans « le respect des cultures », il n’en demeure pas moins que c’est un vœu pieux.

Car les moyens financiers, culturels, médiatiques et autres utilisés par la France font que le « francophone » finit par faire l’amalgame puisque sa propre culture, n’ayant pas les mêmes moyens, finit par être réduite en minorité.

2. Les intellectuels du « français » : la dangereuse conviction de la primauté d’une langue étrangère

Enseigner une langue ou l’utiliser ne doit pas s’accompagner d’une volonté de porter atteinte à l’identité culturelle. Le français n’échappe pas à cette règle.

Malheureusement beaucoup d’intellectuels acquis à la langue française, en ont fait non seulement un moyen de communication, mais s’en servent comme un instrument de substitution permanente à leur propre langue mais aussi et surtout de substitution de leur propre culture lui préférant celle que la langue française véhicule ; Langue française véhiculant principalement la culture française et accessoirement les autres cultures.

Cette lame de fond est constituée «d’élites »soutenues par une coopération française qui en fait des « têtes de pont » dans les pays où la langue française est présente.

N’en déplaise aux défenseurs de la langue française, et malgré la sincérité de certains d’entre-eux, la langue française ne véhicule pas une culture « francophone » mais une culture française.

Car la culture francophone n’existe pas. Il n’a que des cultures que la langue française véhicule… et c’est là où il convient de faire attention à ne pas confondre la « culture » et le support linguistique qui la véhicule. Cet amalgame est destructeur de la culture elle-même et promoteur de la langue française.

Et c’est là où le « danger » de la langue française pour les cultures, notamment africaines, prend toute sa dimension.

En effet, une culture a besoin de sa propre langue pour assurer sa pérennité et son développement, or l’on remarque que l’utilisation de la langue française comme vecteur de ces cultures s’il sert à les faire connaitre, n’en constitue pas moins une aliénation qui n’est pas sans conséquences sur la transmission, l’intégrité et la pérennité de ces cultures.

Un certain nombre d’intellectuels continuent à ignorer ce fait. Consciemment ou inconsciemment, ils participent à cette sape psychologique dont le résultat est d’entrainer la conviction du caractère obligatoire du français comme moyen impératif, sinon exclusif d’une communication scientifique ou culturelle véritable.

Une culture a besoin de sa langue. Toute culture qui voudrait de développer à travers une langue qui n’est pas la sienne y perdra son âme et finira par dépérir soit par assimilation soit par transformation.

francophonie

II- L’impact de l’acculturation par la langue sur l’Education et le développement économique et social.

On n’ignore sciemment pour des intérêts partisans et d’élites que c’est la culture qui est le vecteur premier du développement. En effet la culture est un organisme vivant qui a une sensibilité, une nature propre (1) et nourrit des structures mentales et des logiques que l’envahissement d’une langue étrangère risque de “dénaturer” , détruisant par là même des richesses intellectuelles de communautés entières les réduisant à d’autres logiques et d’autres valeurs (2)

1. Une culture ne se “lit que dans le texte”.

La culture n’est pas, comme ou voudrait le faire croire, une collection de comportements acquis par un groupe ou une communauté du fait de son évolution historique et de son interaction avec son environnement. La culture c’est bien plus que cela. La culture, c’est d’abord une identité qui prend sa source dans une structure mentale acquise à travers une vision du monde forgée à travers les siècles et qui définit celui qui s’y identifie. L’homme sans culture est un arbre sans racines; autant dire du bois mort. La langue est justement cette racine qui alimente la culture et sans laquelle cette culture dépérit. Et si par le hasard de l’histoire coloniale, comme c’est le cas pour la « francophonie », cette culture prend pour racine une langue qui n’est pas la sienne alors elle devient un parasite. Comme ces plantes parasites qui vivent au détriment des autres et qui en partagent la vie et la mort. En somme, qui ne sont maitres ni de leur destinée ni de leur sort.

La langue étrangère  ne peut être le support  d’une culture autre  que la sienne.  Elle ne peut en peut en être qu’une simple passerelle vers les autres cultures. Celles de ceux qui ont une langue en partage, telles que les langues coloniales. Une culture, contrairement aux œuvres littéraires qui se traduisent et peuvent se lire ainsi dans une autre langues que celle dans lesquelles elles ont été écrites, ne se “lit que dans le texte”. On ne traduit jamais une culture, on ne traduit que l’idée que l’on se fait des valeurs, des signes et symboles qui la sous-tendent.C’est autant dire le piège qui conduit à sa dénaturation à travers les valeurs, signes et symboles différents que forcément la langue étrangère porte en elle.

La langue d’une culture comporte en elle-même, une essence qui lui est propre et qui  imprime à cette culture un “parfum”, des sonorités, une sensibilité qu’il est vain de vouloir restituer autrement qu’à travers sa langue d’origine.

Ne serait-il pas vain de déclamer en français les poèmes d’El hadj Malick sy  à la gloire d’El Hadj oumar Tall? Ou ceux du grand poète arabe el Moutanabi dans  une langue autre que l’arabe?

Certes, le français permet de faire découvrir une culture mais il ne peut ni la traduire ni la véhiculer. Et toute tentative de vouloir asservir une culture à une langue est une forme d’aliénation de l’identité et d’assujettissement de l’esprit. 

Alors le combat des communautés  pour qu’on reconnaisse leur langue est une lutte pour la préservation de leur identité que véhicule leur culture. Ne pas reconnaitre leur langue c’est entrainer le dépérissement de leur culture. Et l’on sait pertinemment que toute volonté de vouloir détruire un peuple commence par interdire sa langue car c’est le vecteur premier de la culture et de la référence identitaire. Ainsi en fut-il du comportement des colons blancs d'Amérique pour détruire la culture amérindienne, c’est celui des colons européens en Afrique à l’égard des communautés ethniques et tribales. Et si aujourd’hui, le français et utilisé en Afrique, et s’il est présenté comme “un héritage”, “une langue partagée”,on oublie souvent qu’il porte en lui les velléités d’une langue de substitution qui risque à terme de phagocyter les spécificités des autres langues dans une danse des mots qui est en fait une farandole d’intérêts.

En effet, les langues africaines n’ont pas , et loin s’en faut, les moyens financiers,  matériels, médiatiques et humains dont dispose la francophonie pour disséminer le français. Elle n’ont pas non plus la formidable organisation  de la francophonie et l’appareillage stratégique dont elle dispose pour étudier, programmer et exécuter sa mission francophone. C’est autant dire que les langues africaines sont d’autant plus sur la défensive que les Etats africains laissent faire, faute de volonté, de stratégie et de moyens.

2. La culture d’un peuple est la source de sa pensée et l’essence de son esprit

Une langue n’est pas un jeu de mots. Et encore moins un jeu tout court. Elle est même devenue aujourd’hui un enjeu planétaire. La langue est au service de sa nation, elle en est le meilleur messager et la clef la plus fiable pour le portail politique, économique et social des autres nations. Le déploiement de la francophonie est avant d’être une question de langue en “héritage”, un enjeu pour la France qui sait que la langue française est le meilleur outil pour “s’introduire" dans le conscient et l’inconscient des peuples.

Dans le conscient d’abord, à travers sa présence permanente que constitue sa langue comme moyen premier de communication. Elle est le modulateur premier de cette communication et sait s’en servir au mieux de ses intérêts politiques, économiques et militaires.

Dans l’inconscient, ensuite, parce que la langue française n’est pas (comme toutes les langues d’ailleurs) “neutre”. Elle véhicule une logique et une structure mentale qui influencent celles de celui qui l’utilise. Elle est le vecteur d’une culture qui a ses tenants et ses aboutissants qui ne sont pas forcément communs avec les autres cultures auxquelles elle tend à s’imposer.

Ainsi la langue française, non “maitrisée” (au second sens que l’on  donne à ce mot plus bas), risque  d’inhiber la logique intellectuelle et la structure mentale que l’individu a hérité de sa propre culture. Elle devient alors un vecteur d’acculturation à travers l’uniformisation qu’elle engendre dans les esprits et l’accaparation de l’intellect qu’elle réalise. Elle contribue aussi à l’appauvrissement de la propre culture de l’individu en la réduisant à ses propre canons linguistiques et à ses moules intellectuels.

Alors  que faudrait-il faire pour qu’une langue, comme le français,  soutenue par tant de moyens n’acculture pas les peuples? La première des attitudes, bien entendue, n’est pas de la rejeter. Au contraire, il faudrait l’apprendre et découvrir la merveilleuse culture française qu’elle véhicule. Apprendre une langue et s’ouvrir sur sa culture est un don inestimable qui, non seulement enrichit intellectuellement son détenteur, mais développe en lui un humanisme rempart contre l’ignorance de l’autre et la xénophobie.

Cependant apprendre un langue c’est la maitriser.Et ce mot doit prendre ici un double sens. “Maitriser” la langue en l’apprenant du mieux possible mais aussi et surtout la “maitriser” pour qu’elle n’envahisse pas la sphère linguistique. Qu’elle en devienne un moyen de découverte pas un moyen de substitution. Qu’elle serve la culture mais ne l’envahisse pas au détriment de sa propre langue. Et c’est là tout l’effort intellectuel qui doit être aujourd’hui fait par les élites francophones de nos pays.

 Pr ELY Mustapha

Voir articles précédents sur ce sujet:

-  “Pour une Mauritanie plurilingue

-  “Bilinguisme et langue officielle

- “La francophonie tire sa langue à la Mauritanie

Un brin de poésie sur le bout…. de la langue:

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Poésie de la douleur.