dimanche 5 juin 2011

Dimi n’est plus

 

Une « griote » s’est tue, une culture en souffrance.

 

Plume-noireDimi tout court.

Dimi–sedoum, Ould Abbe, Ould khalifa.

Quel Mauritanien n’a pas écouté Dimi ; seule ou parmi tant d’autres qui avaient autant de belles voix. Mais Dimi rehaussait le chant de sa voix à nulle autre pareille. En disparaissant c’est un peu le calamus de cette fameuse plume de l’art, richetou el venni, qui s’est émoussé. Et qu’elle avait si bien chantée.

Il est des morts qui nous interpellent au-delà de la souffrance qu’elles génèrent. Celle de Dimi n’est pas passée inaperçue. Et pourtant c’est une simple « griote », une affidée d’une sous classe. Une classe qui se dispute avec les forgerons les bas fonds de la hiérarchie tribale mauritanienne, juste avant celle des haratines. Et pourtant qui, aujourd’hui, n’a pas senti avec la disparition de Dimi, l’effondrement d’un pan de la musique mauritanienne de ces  trente dernières années ?

Mieux encore qui n’a pas senti un lancinant pincement au cœur en se rappelant les vibrantes tonalités et les hauteurs de sa voix qui, en nous émouvant, réveillaient en nous, une sensibilité millénaire. Et c’est cela que représentait, physiquement Dimi, mais qui la dépassait pour nous interpeler davantage sur le devenir de notre art et de notre culture.

On aura compris que l’apport de Dimi, se devra d’être perçu différemment que comme une activité lucrative d’une sous-classe sociale à laquelle elle appartient et qui ne s’assimilerait qu’à une collection d’individus animant des soirées et autres rondes de thé que l’on paierait pour une prestation et pour laquelle , ils iraient mourir au bout du monde.

Il est temps en effet, de comprendre que la musique mauritanienne est non seulement un patrimoine, mais un véritable ciment qui unit tous les mauritaniens et dont l’apport est bien plus important que ce que toutes les autorités publiques, en terme de solidarité,  ont essayé de faire depuis l’indépendance.

Qui dans la rue se rappelle encore des inepties politiques de nos gouvernants depuis l’indépendance mais se rappelle encore, et toujours, des envolées de nos griots et de nos poètes ?

Qui d’entre-nous n’entend encore résonner dans ses oreilles, el hikayat de Feu Ould Sidibrahim et ses successeurs, des envolées de Dimi, et de ses prédécesseurs et ne se rappelle plus des éphémères discours de nos dirigeants.

Et pourtant, en seigneurs, nos musiciens et nos poètes se meurent sans clameurs ni trompettes alors que nos saigneurs s’en vont en fanfare.

Oui, la culture, contrairement à la bêtise, est pérenne et c’est elle qui maintient la nation en vie. C’est elle qui nous permet de survivre aux coups d’Etat qui déchirent notre dignité de citoyen, de survivre à l’injustice de nos gouvernants, de résister à l’asservissement et de faire de la pauvreté un pis-aller.

Mais que fait-on pour la culture ? Rien. Un ministère, une coquille vide, un budget ridicule. Mais pire que tout, une mentalité qui maintient ceux-là mêmes qui font vivre nos âmes et notre sensibilité par leur musique et leur art dans une situation de sous-classe inféodée et qui ne bénéficie de ce qu’elle reçoit que parce que justement elle appartient à cette sous-classe. Ses membres exploitant tant bien que mal ce statut, n’ont d’autre reconnaissance que d’être des griots.

Cette liaison de la culture mauritanienne à cette conception féodale, fait justement que notre culture se développe pas. Elle végéte toujours entre le maitre et le griot, entre l’Etat stérile et la difficile survie du musicien. Nos musiciens ne sont pas des « artistes », ce sont des griots. Ou assimilés. Ils iront alors chanter au bout du monde et en mourir.

Mais c’est justement quand leur voix s’éteint que l’on se rend compte de l’injustice qu’ils subissent et de la perte que nous subissons jusque dans nos racines.

Griots, sous-classe. Gardiens de notre culture. Ingratitude d’une société qui disparaitra certainement, lorsque ces gardiens disparaitront, car ce qui distingue le Mauritanien c’est cette musique qui lui est spécifique , qui joue dans son cœur et qui rythme son âme où  qu’il se trouve.

La disparition de Dimi, nous interpelle sur le sens que nous devons donner à notre culture, sur le statut de ceux qui la font vivre et sur sa place dans notre destinée commune. Et en cela, Dimi n’a pas disparue. Elle s’est simplement tue. Mais qui parlera pour que ne disparaisse pas notre culture en souffrance ?

Pr ELY Mustapha

Ecouter : RICHETOU EL VENI

2 commentaires:

  1. Loula n'est plus mais Dimi reste...

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  2. Merci Prof,
    ce témoignage est émouvant. Dimi était et restera éternellement un monument de la culture de ce pays. au delà de l'artiste la personne que j'ai eu a connaitre a Tunis etait une grande dame, tres patriotique.
    Errahme wel ghofrane

    le Bardolais

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Pr ELY Mustapha

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Poésie de la douleur.