lundi 27 juin 2011

Le supplice de la question

 

CensureSupposons un instant que vous soyez l’objet d’un recensement  civil et que  l’enquêteur vous pose  la question: “En quelle année fut brulée Jeanne D’arc?” dans le but de vérifier si vraiment vous êtes de nationalité “française”, comme vous l’affirmez. Ou encore si vous connaissiez Auschwitz, si vous êtes Allemand.

Eh bien c’est ce qui arrive en Mauritanie, dans ce pays d'Afrique de l’Ouest où se déroule un recensement de la population en vue d’établir… des pièces d’état civil. Surtout si vous êtes de race négro-africaine, vous êtes soumis au supplice de la question pour prouver que vous êtes Mauritanien. Pour établir votre “Mauritanité” vous devez répondre à des questions du genre: “parlez-vous arabe?”, “Connaissez-vous votre voisin un tel…”

Un avocat mauritanien, en l’occurrence maitre Lo Gourmo,  s’est insurgé à juste raison contre cette mascarade de recensement civil en écrivant: “J’ai honte et je proteste” contre de telles pratiques (voir ici). Négro-mauritanien, cet avocat s’est vu lui-même posé la question: “connaissez-vous un avocat untel habitant tel immeuble de Nouakchott…! “ .

Ce qui est étonnant  c’est que  si je devais moi-même me présenter à ce recensement on ne me posera jamais de question parce que je suis, par mon apparence et ma langue, un Maure. Donc forcément je suis Mauritanien. Et paradoxalement cela me fait encore plus honte que ce qui arrive à mon frère, ami de faculté et connaissance de longue date, maitre Lo Gourmo. C’est pourquoi, n’en déplaise aux autorités mauritaniennes, je ne me ferai pas recenser. Ce n’est pas l’inscription dans un registre qui fait le mauritanien. On est Mauritanien, par le droit du sang ou du sol ou les deux à la fois. Et à cela aucun recensement n y pourra rien.

Comment en est-on arrivé là. Comment accepte-t-on d’humilier les fils de ce pays? Parce qu’ils ne parlent pas l’arabe, parce qu’ils ne sont pas arabes, ni maures?

En 2001, de retour en Mauritanie, et après plusieurs années d’absence, je recherchais naturellement mes amis et surtout mes amis d’enfance. Ceux avec lesquels j’ai étudié à Nouakchott jusque dans les années soixante–dix et j’appris avec consternation que certains d’entre-eux avaient été chassés au Sénégal parce qu’ils n’étaient pas mauritaniens. Et curieusement parmi eux se trouvait un ami qui, bien que négro-mauritanien, était le meilleur en langue et en littérature arabes! C’est autant dire ma peine et celle de tous ceux qui ont été forcés de quitter leur pays parce que des illuminés pensaient qu’ils étaient bien plus mauritaniens qu’eux!

Aujourd’hui quand, en Mauritanie,  on se sert d’un recensement pour faire de l’épuration administrative sur des bases ethniques ou raciales, je ne crois plus en  ce pays. Non seulement je jette ma carte d’identité aux oubliettes, mais je m’insurge violemment contre un tel recensement, auquel ni ma conscience ni ma vision du devenir de mon pays, de la fraternité et de la concorde de ses enfants ne me pousse à participer. Et si le dernier à recenser se devait d’être vous, dîtes :”Niet! Mon frère négro-mauritanien d’abord!”.

C’est cela que devrait être la Mauritanie de la fraternité, de la justice et de l’honneur.  Tout le reste est aussi éphémère que nos dirigeants.

Pr ELY Mustapha

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Pr ELY Mustapha

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Poésie de la douleur.