jeudi 20 octobre 2011

L’homme qui putsche plus vite que son ombre

Approche psychique d’un général emprisonnant

Plus_vite_que son_ombreAvant qu’il ne devienne Président (pour ceux qui le reconnaissent sous ce titre) et même général (grade qu’il a acquis de haute lutte… contre un vieil homme), nous avions consacré au personnage des analyses sur ses tendances politiques à divers moments de ses actes glorieux contre l’Etat. Ainsi avant le putsch (voir l’article : « Le général limogé ou la solution à la crise » ) au moment même du putsch ( Voir : « Analyse psychique d’un général (deux fois) putschiste, chef d’Etat ».) une analyse contextuelle lui fut consacrée. Tout comme des analyses furent consacrées aux victimes de ses collègues en Mauritanie (voir l’article « Sur le Divan : Analyse psychique d’un peuple qui se démène »)

Aujourd’hui, qu’il est au pouvoir malgré ceux avec qui il dialogue (opposition du désespoir), le général a acquis une tendance fâcheuse de mettre à l’ombre (en prison) tout ce qui bouge.

Ainsi, le « pauvre-riche » ould Khattri vient enfin d’être jugé. Il est libéré (jusqu’à nouvel ordre). Le « riche-pauvre » Ould Dadde croupit encore en prison. Sera-t-il un jour libéré (en attendant les ordres) ? (Voir l’article « le Bouc Commissaire »). D’autres suivront.

Mais au-delà de l’espèce de « justice » qu’ils subissent, la question est : Pourquoi le général Aziz garde les gens sans jugement à l’ombre si longtemps ?

La réponse est simple. Aziz aime l’ombre. Et à défaut d’y être il y place les gens.

Aziz est un militaire qui a fait sa carrière militaire dans la soie. A l’ombre du palais. C’est un putschiste de palais. Qui n’agit que dans l’ombre. La lumière le gène. Et la lumière en tout. La nature est ainsi faite qu’il y des dirigeants des lumières et des dirigeants de l’ombre.

En effet, c’est un personnage qui fut dans l’ombre de Taya, qu’il renversa. Dans l’ombre d’Ould Mohamed Vall, dans l’ombre de Sidioca, qu’il renversa. Avec Sidioca il accomplit (c’est dire l’exploit!) de renverser sa propre ombre. N’est-ce pas inimaginable ?

Bref, il fut dans tous les coins d’ombre du palais. On comprend donc que cet homme qui a toujours vécu dans l’ombre  et aujourd’hui en pleine lumière, se sent à découvert. Et comme, depuis qu’il a pris le pouvoir, il n’a plus d’ombre puisqu’il a renversé la sienne, il en cherche. Alors il met les gens à l’ombre assouvissant ainsi inconsciemment, son vœu intérieur d’être lui-même à l’ombre.

Pourquoi le général Aziz affectionne-t-il l’ombre, pour lui et pour les autres ? La réponse est à chercher dans la psychanalyse.

La psychanalyse jungienne nous donne la signification de « l’ombre » :

« L'ombre est la personnification de tout ce que le sujet refuse de reconnaitre et d'admettre en lui. Se mêlent en elle les tendances refoulées du fait de la conscience morale, des choix qu'il a faits pour sa vie ou d'accéder à des circonstances de son existence, et les forces vitales les plus précieuses qui n'ont pas pu ou pas eu l'occasion d'accéder à la conscience »[1]»

Dans l’analyse Jungienne « L'ombre est la personnification de tout ce que le sujet refuse de reconnaitre et d'admettre en lui ».

Effectivement Aziz ne veut pas admettre qu’il n’est  qu’une « ombre » et refuse de reconnaitre qu’il ne peut ni ne sait gouverner. Qu’il s’est contenté de s’assoir sur un fauteuil usurpé et pense gérer les affaires de l’Etat en les confiant à des individus acquis à sa vision limitée du devenir de la Nation. De même qu’il « refuse d’admettre » que les mesures qu’il prend (à part les inévitables permis de prospection minière qu’il entérine dans son conseil des « ministres ») sont néfastes et impopulaires ( le recensement en cours en est l’illustration la plus absurde). En poursuivant son ombre, il pense personnifier l’Etat, alors qu’en fait sa politique n’est que l’ombre de lui-même… et d’elle-même.

Toujours dans l’analyse Jungienne   « les tendances refoulées du fait de la conscience morale » prennent une place très importante dans « l’ombre » du sujet. Quelles sont, alors, celles qui sont refoulées dans le subconscient du putschiste de 2009 ?

L’on sait en effet, que le subconscient peut se manifester à travers les actes dominants du sujet, lorsqu’il doit, à travers ses actes, s’exprimer dans une situation critique. Or la première des mesures ostensibles que tout le peuple mauritanien a constatées c’est la prolifération des goudrons. Aziz s’est mis à goudronner les voies, à bitumer à tour de bras. C’est l’attitude d’un homme qui cherche à ouvrir une voie, un chemin. En somme une route.

Déjà au début de son mandat forcé il veut s’en sortir. C’est l’ombre, sa « conscience morale » qui le poursuit. Qu’à-t-il tant fait dans l’ombre pour que l’ombre semble pour lui le refuge idéal et dans laquelle il confine tous ceux qui, pour lui, auraient quelque chose à se “reprocher” ?

Toujours est-il qu’il craint que son ombre ne le rattrape. Pour preuve la dernière volonté de modifier la Constitution pour empêcher les coups d’Etat.

Ainsi on apprend, cette semaine, que « les dirigeants et des opposants en Mauritanie sont tombés d'accord pour modifier la Constitution afin d'interdire les coups d'Etat et favoriser le changement du pouvoir par voie démocratique, à l'issue mercredi d'un mois de dialogue à Nouakchott.

Les deux parties sont convenues d'inscrire dans la Constitution la criminalisation des changements anticonstitutionnels et des coups d'Etat militaires, selon le texte des accords lus et signés lors de la cérémonie de clôture du dialogue qui s'était ouvert le 17 septembre.

Les auteurs (de coups d'Etat), les personnalités et les partis politiques qui y auront contribué ou les auront encouragés ou facilités seront passibles de peines prévues par la loi, ajoute le texte. Il précise toutefois que ces nouvelles dispositions ne pourront pas avoir d'effet rétroactif et que les précédents coups de force ne pourront faire l'objet de poursuites et seront considérés comme étant définitivement prescrits. ».Le-Reve-de-joe-dalton(AFP)

Le général craint désormais son ombre comme le traduit bien le proverbe maure : «إخاف من ظـــــلٌّ ) ». Il est sur le qui-vive. August Jung n’est donc pas loin.

Criminalisation des coups d’Etat  sans effets rétroactifs. L’ombre se protège du soleil. Mais il n y a point d’ombre sans lumière. Et beaucoup de monde attend sa place au soleil.

Car même si elle les refoule, l’ombre sait que les «  forces vitales les plus précieuses qui n'ont pas pu ou pas eu l'occasion d'accéder à la conscience », finiront par y accéder.

Pr ELY Mustapha


[1] Elisabeth Leblanc, la psychanalyse jungienne, Collection Essentialis, éd. Bernet-Danilot, avril 2002, p. 34

1 commentaire:

  1. Simplement fascinant! Je ne connaissais pas les précedents articles. Merci pour cette belle culture de combat. A+

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Pr ELY Mustapha

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Poésie de la douleur.