lundi 24 octobre 2011

Rapport critique du bâtonnier sur la Justice mauritanienne

Mais les avocats n’y sont-ils pas pour quelque chose ?

Wooden gavel and law bookUn rapport du bâtonnier de l’ordre des avocats était-il vraiment nécessaire pour prouver les errements de la justice mauritanienne ? Un rapport pour prouver ce que chacun sait n’est-il pas redondant ?

En fait Me Ould Bouhoubeiny, nous invite à regarder à travers les yeux d’un avocat averti, l’état de la Justice et du système judiciaire en Mauritanie. Et c’est en cela que son rapport est utile car si les évidences sont…évidentes, elles restent les plus difficiles à démontrer.

Le rapport du bâtonnier comme on s’en doutait a mis sur les dents la machine judiciaire et, à travers elles, ses commanditaires de l’exécutif en la personne du ministre de la Justice. Pour lequel, et on le comprend (s’il tient à son poste) la justice mauritanienne est celle du « meilleur des mondes possibles » et les prisons, sont des Beverly Hill en grandeur nature.

En fait, en Mauritanie, un ministre de la Justice, ne connait son département que s’il va en prison et souvent en détenu. C’est d’ailleurs pourquoi Aziz envoie souvent les responsables en prison pour s’imprégner de sa vision politique. Le Ministre de la Justice n’a pas encore goûté à ce privilège.

Quant à Me Ould Bouhoubeiny, son rapport est cinglant mais ayant moi-même pu visiter nos tribunaux et nos prisons (en incognito et en ONG ), j’avais déjà dénoncé en 2007 , les dérives du système carcéral mauritanien ( voir l’article : « Les enfants de Bayla : A quoi rêvent nos enfants ? »). Quant à la prison centrale que j’ai visitée en compagnie d’une ONG la situation était des plus alarmantes. La promiscuité, la surpopulation, l’insalubrité et la criminalité intramuros, étaient le lot quotidien des détenus. Et cela n’a pas changé depuis, sinon de mal en pis. Aujourd’hui encore croupissent des innocents dont les dossiers manuellement tenus, sont introuvables, des individus mis en dépôt suivant des procédures douteuses, au faciès et à la mauvaise humeur de magistrats commandités ou incompétents - ou les deux à la fois.

Ce que dénonce le bâtonnier, à travers son rapport, c’est le constat commun de tous ceux qui ont eu à recourir au « service public » de la Justice et qui en ont pâti jusque dans leurs biens et leur personne. Les jugements expéditifs, les vices de fonds et de formes, les jugements tronqués et mal rédigés, les exécutions dilatoires et les audiences de complaisance etc.

L’on pourrait dire que le rapport du bâtonnier des avocats n’est que la transcription d’une réalité de tous les jours du justiciable mauritanien. Toutefois, ce rapport ne montre que la partie visible de l’iceberg. Le mal est plus profond. Il est dans l’incompétence d’une frange des magistrats auxquels on a confié de hautes responsabilités et qui utilisent leurs fonctions pour couvrir leur carence et celle de leurs subordonnés. Il est aussi dans le manque de moyens dont disposent les juridictions qui sont sous le dictat financier de l’exécutif et dans l’inertie intéressée de leur administration qui gère le fonctionnement des tribunaux (de l’enregistrement des requêtes par les greffes à la préparation des audiences en passant par la transmission des dossiers aux magistrats, conseillers et rapporteurs via les présidents des juridictions).

De la responsabilité de l’avocat dans la situation de la Justice mauritanienne

La justice mauritanienne, organiquement et fonctionnellement est malade. C’est un état ostensible. Le bâtonnier le constate. Toutefois, il ne nous dit pas quelle est la responsabilité des avocats dans cet état de fait. Je sais que nul n’est tenu de témoigner contre lui-même, donc l’on ne peut s’attendre du bâtonnier de rapporter une preuve négative contre son ordre.

Cependant, si la justice mauritanienne est erratique c’est aussi à cause de la façon avec laquelle la profession d’avocat est exercée par certains membres de la profession qui se soucient davantage de bas intérêts que de la bonne marche de la justice.

Cette situation qui touche bon nombre d’avocats est à la foi due au système politique en place (compromission, favoritisme, copinage, pressions, corruption, trafic d’influence, laisser-aller), à la formation (diplômes douteux, connaissances éclectiques, stages de complaisance) et à l’inexpérience et le non professionnalisme (dossiers négligés, bâclés, mal préparés et mal rédigés, clients rabroués, absence continue du bureau, audiences et comportements dilatoires…).

Si l’image du juge en Mauritanie est exécrable celle de l’avocat n’est pas non plus encensée. Loin de là. Il souffre d’une image d’opportuniste, de boite à Pandore financière et surtout d’inefficacité. Cette dernière « qualité » est due à la fois, à sa compétence mais aussi au système judiciaire auquel il fait face.

Ceci dit, ce tableau n’est pas celui de toute la masse des avocats mauritaniens. Mais ceux qui ont opté pour le professionnalisme, pour l’honnête, et la probité, qui n’ont pas voulu se fourvoyer avec le pouvoir ou s’acoquiner avec les dictateurs d’un jour, ceux-là ont souffert de cette situation, ils sont soit pauvres à en mourir et tirent le diable par la queue, soit ils se sont exilés ou tournés vers l’international et sont perdu pour le système judiciaire interne. Mais combien sont-ils ?

Le bâtonnier ne peut nous le dire, ce qui est certain c’est que se sont ceux-là qui participent au maintien d’une certaine intégrité du système. L’on a pu voir en effet, des collectifs d’avocats mauritaniens quitter les audiences pour protester contre les abus au sein des audiences contre le non-respect des procédures de formes ou de fonds. Protestations et autres revendications légitimes qui, hélas, ne sont pas soutenues par la masse des avocats mauritaniens. Car qu’on le veuille ou non l’ordre des avocats mauritaniens est une mosaïque d’intérêts dont certains ne disent pas leurs noms. Et le pouvoir, comme à l’accoutumée, s’accorde bien des divergences s’il ne les anime pas.

Le fonctionnement des tribunaux, la probité des magistrats et la qualité de l’acte juridictionnel sont intimement liés à la façon avec laquelle, cet inestimable auxiliaire de justice, qu’est l’avocat, exerce sa fonction.

Le constat que nous dégageons donc est : Si la magistrature mauritanienne boite d’un pied c’est parce que aussi “l’avocatie” mauritanienne boite de l’autre et la justice mauritanienne n’en est plus que cul-de-jatte.

Le ministre de la Justice pourrait bien faire un rapport sur les dysfonctionnements de la profession d’avocat en Mauritanie.

Mais en le faisant, il témoignerait contre lui-même, ce que le bâtonnier a déjà fait contre lui-même dans son propre rapport sur la Justice en vertu du constat précédent. Comme quoi la preuve négative, contre soi-même, n’est pas toujours irrecevable. Elle profiterait même à l’accusé. Le rapport du bâtonnier en est un brillant exemple.

Pr ELY Mustapha

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Poésie de la douleur.