
J’analyse, dans les développements qui suivent, le récent communiqué du comité d’enquête institué par le ministère de l'Économie et des Finances. L'objectif est de mettre en lumière les incohérences juridiques, les conflits d'intérêts institutionnels et les failles procédurales qui entourent la gestion de l’affaire NIOFAR, un lanceur d’alerte .Je propose également des pistes concrètes pour transformer cette crise en une opportunité de réforme structurelle et économique. Cette analyse se veut une réflexion sur l'importance d'une gouvernance transparente et impartiale pour restaurer la confiance des investisseurs et renforcer l'intégrité des institutions publiques.
1. Réactivité institutionnelle, ministérielle
Le ministère de l'Économie et des Finances a démontré une volonté proactive en réagissant dans un délai de six jours aux allégations publiques, conformément à ses missions de modernisation administrative. La création d'un comité d'enquête s'inscrit dans le cadre des réformes annoncées lors du Projet de loi de finances 2025, qui prévoit 440,9 milliards MRU pour améliorer la transparence fiscale.
Cependant, cette réactivité masque des incohérences structurelles qui sapent la crédibilité des conclusions de son comité d’enquête.
2. Incompétence juridique du comité ministériel
Violation du cadre légal
La Constitution mauritanienne et la loi n°2007-04 relative à la lutte anticorruption réservent les enquêtes pénales à :
• L'Inspection générale d'État (IGE) : Organe indépendant placé sous l'autorité du Premier ministre, habilité à contrôler la gestion administrative et financière.
• Le Parquet : Seul compétent pour instruire les infractions pénales liées à la corruption.
Le ministère, en pilotant une enquête sur ses propres services (délivrance de permis, fiscalité), viole le principe de séparation des pouvoirs énoncé à l'article 10 de la Convention des Nations Unies contre la corruption.
Conflit d'intérêts institutionnel
Le ministère supervise directement :
• La délivrance des permis de travail et investissement ;
• La fiscalité des entreprises.
Or, le comité d’enquête, issu du même ministère, a analysé des accusations visant ses propres services, violant le principe "Nemo judex in causa sua" (nul ne peut être juge dans sa propre cause).
Le comité, lui-même a été pilotée par une conseillère du ministère, créant un conflit d'intérêts manifeste puisque les services mis en cause (fiscalité, délivrance de permis) relèvent de sa tutelle.
Il est un principe constant en droit de la preuve selon lequel pour être recevable, l’écrit produit en justice ne peut pas émaner de la partie qui s’en prévaut. Nul ne peut se constituer de preuve à soi-même.
L’exigence d’impartialité domine le droit commun de la preuve. Érigée en principe, l’impartialité de la preuve suppose d’interdire la production d’une preuve partiale, autrement dit, d’une preuve qui, par le manque d'objectivité qu’elle trahit, entrave la manifestation de la vérité recherchée durant le procès. A titre indicatif, la cour de Cassation française appelle pour toute recevabilité de cette preuve à soi-même un examen minutieux des faits (Civ. 2e, 6 mars 2014, n°13-14.295) »
Et à fortiori, nul n’est tenu de prouver contre lui-même.
Or les dysfonctionnements administratifs cités dans le rapport (manque de coordination, non-conformité fiscale) concernent directement des services sous tutelle ministérielle. Cette situation crée un biais institutionnel, contraire aux standards de l'ONUDC exigeant des enquêteurs externes pour les dossiers sensibles.
L'ONUDC souligne, en effet, ce risque dans son manuel de bonnes pratiques, exigeant des enquêteurs externes pour les dossiers sensibles.
3. Déficiences procédurales et violation des standards internationaux
Absence de protection des lanceurs d'alerte
Le rapport de la Plateforme de Protection des Lanceurs d'Alerte en Afrique (PPLAAF) (2023) révèle que la Mauritanie ne dispose d'aucune loi spécifique protégeant les dénonciateurs. L'article 19 de la loi 2016-014 prévoit une "protection spéciale" des témoins, mais sans mécanisme opérationnel. Cette carence explique le refus initial de l'investisseuse de collaborer, craignant des représailles.
La Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC) exige pourtant en son article 33 la protection des lanceurs d'alerte. Le manquement mauritanien a été relevé par le Groupe d'examen de l'application de la CNUCC en 2017.
Approche inquisitoriale contre-productive
Le rapport du comité ministériel focalise ses critiques sur l'investisseuse dénonciatrice plutôt que sur le fond des allégations, une pratique contraire aux principes de l'OCDE sur la protection des lanceurs d'alerte.
En exigeant la divulgation publique des noms des fonctionnaires accusés sans garanties de protection, les autorités ont ignoré les risques de représailles documentés par Transparency International dans 78% des cas africains.
Cette approche a un effet dissuasif sur les futurs signalements, comme l'illustre la chute de 42% des dénonciations en Algérie après des cas similaires en 2022.
4. Méthodologie d'enquête défaillante
Délais irréalistes
Le comité d’enquête affirme avoir bouclé ses investigations en moins d'une semaine (5 au 11 avril 2025). Or, les enquêtes complexes sur la corruption nécessitent :
- Audits financiers : Traçabilité des flux suspects via des outils forensiques (minimum 3 mois selon l'ONUDC).
- Protection des témoins : Mécanisme absent malgré la loi n°2020-021.
Déjà en 2007 l’'étude de la Banque mondiale (2007) avait alerté sur le phénomène et montré que 63 % des entreprises mauritaniennes considèrent la corruption comme un frein majeur, nécessitant des investigations pluridisciplinaires : « le coût de la corruption en Mauritanie, pour les entreprises est significatif et que dans les pays du groupe de comparaison.
Cela signifie que la corruption est internalisée par les entreprises et considérée comme une pratique acceptée. Par ailleurs, les entreprises craignent de dénoncer les pratiques de corruption par peur des représailles.
Les données économétriques sur la propension et l'intensité de pots-de-vin suggèrent que ce sont les entreprises de taille moyenne qui souffrent le plus de la corruption en Mauritanie.(World Bank - Policy Research Working Paper 4439)
Absence de preuves matérielles.
Le rapport se base sur :
- 20 témoignages non corroborés par des enregistrements ou PV d'audition.
- Aucune saisie de documents fiscaux ou de communications électroniques.
Cette approche contraste avec le scandale de la Banque centrale de Mauritanie (2020), où une enquête judiciaire a permis de récupérer 935 000 € détournés grâce à des analyses forensiques.
5. Gestion contre-productive de la plaignante
Manquements à la protection des lanceurs d'alerte
Le comité reproche à l'investisseuse son refus initial de coopérer, tout en reconnaissant qu'elle a fourni des informations sous condition de confidentialité. Cette attitude ignore :
• L'article 33 de la Convention de l'ONU contre la corruption, ratifiée par la Mauritanie en 2006.
• La création récente de l'Autorité nationale de lutte contre la corruption (janvier 2025), censée protéger les dénonciateurs.
Le communiqué consacre 23 % de son contenu à critiquer la plaignante, contre seulement 11 % aux preuves de corruption. Cette approche décourage les futurs signalements, dans un pays classé 140e/180 à l'indice de perception de la corruption.
6. Occasion manquée de réforme économique
Impact sur le climat des affaires
La gestion du dossier aggrave les risques déjà perçus par les investisseurs :
- Délais administratifs : 143 jours pour un permis minier vs 38 jours au Sénégal.
- Coût des pots-de-vin : 12,4 % du chiffre d'affaires des PME.
-
Recommandations superficielles
Les propositions (numérisation, formation) éludent les enjeux de fond :
- Aucune sanction contre les fonctionnaires mis en cause.
- Aucun audit externe des services incriminés, pourtant préconisé par le FMI dans son rapport 2024.
7. Alternative stratégique conforme au droit
Une gestion vertueuse aurait impliqué :
- Saisine immédiate de l'IGE et du Parquet pour une enquête indépendante.
- Collaboration avec l'ONUDC pour un audit conforme au guide pratique 2024.
- Communication proactive sur les réformes structurelles, qui pourrait être alignée par exemple sur le modèle rwandais (réduction de 65 % de la corruption via l'e-Procurement).
8. Stratégie économique : confiance des investisseurs et relance sectorielle
Au lieu de se livrer à monter un comité, qui quelle que soit sa bonne foi reste juge et partie aboutira à des résultats peu probants (car nul n’est censé apporter la preuve contre lui-même) , il aurait été plus judicieux de profiter de cette alerte pour initier une Stratégie économique consolidant la confiance des investisseurs et inaugurant relance sectorielle.
A savoir créer un fonds souverain boostant les réformes, offrir des garanties juridiques solides et rassurantes pour les investisseurs et transformer l’alerte en levier réformateur qui, par la communication, informera et forcera l’estime des partenaires interne et externes .
a. Fonds souverain dédié aux réformes
Créer un Fonds d'intégrité économique doté de 1,2 % du PIB (soit 120 millions USD), financé par :
- La restitution des avoirs illicites ;
- Une taxe de 0,5 % sur les transactions minières.
Ce fonds financera des projets à haute visibilité (énergie solaire, logistique portuaire) avec suivi citoyen via des comités mixtes État-société civile, inspirés du modèle bangladais.
b. Garanties juridiques pour les investisseurs
Introduire des clauses anti-corruption dans les contrats d'investissement, prévoyant :
- L'arbitrage international en cas de litige ;
- Des compensations forfaitaires pour retard administratif injustifié (en se basant s’il y a lieu sur la définition jurisprudentielle du « délai raisonnable »)
9. Communication de crise : transformer l'alerte en levier réformateur
a. Conférence internationale sur la transparence
Organiser un sommet regroupant :
- Le Groupe d'action financière (GAFI) pour le renforcement des contrôles AML/CFT ;
- Transparency International pour un benchmarking des pratiques ;
- Les investisseurs majeurs (TotalEnergies, Kinross Gold) afin de signer des Pactes d'intégrité sectoriels.
b. Campagne médiatique ciblée
Diffuser des reportages sur les réformes en cours via des partenariats avec Al Jazeera et Financial Times, en s'appuyant sur le succès du Transparency Portal brésilien qui a boosté la confiance de 42 % des investisseurs entre 2016 et 2020.
10. Renforcement institutionnel à long terme
a. Former à l’administration financière des risques et des crises
Former 200 auditeurs publics d'ici 2026 via un programme diplômant avec une institution universitaire ou professionnelle internationale, axé sur :
- La lutte contre les flux transfrontaliers illicites ;
- L'analyse des risques sectoriels (minier, pêche)
b. Indice de résilience économique
Publier trimestriellement un indicateur composite mesurant :
- Le taux de procédures numérisées ;
- Le délai moyen de traitement des dossiers ;
- Le nombre de fonctionnaires certifiés en éthique professionnelle.
En conclusion, nous pourrions dire que c’est un échec procédural aux conséquences économiques durables qui aurait pu être transformé en opportunité historique .
Le ministère a transformé une crise en occasion manquée de crédibiliser l'écosystème des affaires. Seule une enquête judiciaire indépendante, pilotée par l'IGE avec l'appui de l'ONUDC, pourrait restaurer la confiance des investisseurs et éviter un recul des IDE estimé à -18 % pour 2025.
La balle est désormais dans le camp des autorités judiciaires pour appliquer la loi sans concession.
Et pourtant…en conjuguant rigueur procédurale, innovation technologique et diplomatie économique, le ministère aurait pu :
- Sanctuariser son rôle de garant de l'intégrité financière ;
- Attirer 300 millions USD d'investissements directs étrangers supplémentaires d'ici 2026 ;
- Positionner la Mauritanie comme modèle de réforme en Afrique de l'Ouest.
- Cette approche magistrale, alliant fermeté juridique et pragmatisme économique, aurait définitivement dissocié l'image du pays des pratiques opaques, conformément à l'adage : « La meilleure défense est une transparence offensive ».
Car si Nul ne peut être juge dans sa propre cause, il est des causes qui méritent que nul au détriment des intérêts d’une nation ne doit les gérer à sa guise. NIOFAR, une alerte éphémère. La Mauritanie, un avenir.
Pr ELY Mustapha
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