mardi 17 juin 2008

Commissionné dans une commission

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V.I.P
(Very Important Person)


Ça y est je suis dans une commission. Oui, vous vous avez bien lu. Je suis dans une commision. En fin de liste. Oui tout-à-fait, en fin de liste. Oui comme un élève retardataire qui se place en bout de file. Les petits devant les grands derrière. Merci qui ? Merci le rédacteur de ce décret. Car par ordre alphabétique , j’aurai été certainement parmi les premiers de la liste. Mais voilà, je suis au bout, mais pas à bout. Bien que mon nom n’ait jamais figuré en fin d’une liste quelconque, dans ces circonstances cela avait-il un grand intérêt ? L’intérêt du décret n’est-il pas justement de rémédier à une situation qui, elle, est au bout du rouleau. L’Education nationale, dans toutes ses facettes, de la préscolaire à la professionnelle.

Mais deux questions "existentielles", me taraudent l’esprit, moi "l’outsider et le réfractaire" : d’abord, « pourquoi moi ? » et ensuite « que « veux-t-on de moi » ?

Je suis important

Et c’est alors que je découvris le décret n° 2008-111 daté du 7 mai 2008 qui dispose en son article 2 : « la commission comprend quatorze membres choisis parmi les personnalités de nationalité mauritanienne connues pour leurs compétences, leur intégrité morale, leur honnêteté intellectuelle et leur impartialité. » !

Voilà on vient de me le dire officiellement par un décret présidentiel, contresigné par pas moins de cinq ministres à la suite du Premier Ministre lui-même, que je suis une personnalité vraiment importante, je dirai même très très importante. Les Anglais appellent mon genre de personne : VIP (pour les non anglicisants cela signifie : « Très importante personne » -Very Important Person ».

Et tout cela c’est moi : Compétent, intégre moralement, honnête intellectuellement et même impartial ! », de quoi mériter le prix Nobel ! Ou le prix Chinguitty.

Aussi, je me jette un satisfecit et je me gonfle les chevilles.
Cependant, quelque chose me chiffonne un peu. Le rédacteur de ce décret, n’a pas pris le temps de nous dire si tous ces qualificatifs sont cumulatifs pour une même personne ou s’il faut en choisir un au hasard qui vous sied le mieux. Ou si chaque membre de la commission devait choisir celui qui lui plait.

Qu’à cela ne tienne, maintenant , je sais qui je suis. Tout-à-fait! Je suis tout cela. C’est formidable quand on vous renvoie votre image. Ça résoud bien des interrogations existentielles. Et surtout quand on le dit à votre place. Et en plus haut et fort ! Le bonheur quoi.

Donc un conseil si vous pouvez être membre d’une commission n’hésitez pas. Non seulement c’est bon pour le CV, (je dis bien « C » pas « R »). Ça ajoutera une ligne à votre CV : « ancien membre de la commission d’Etat... etc etc. »

Mais le pire dans tout cela c’est quand on dit que vous êtes tout ça, il faut soit prouver que vous l’êtes, soit que vous ne l’êtes pas. Et dans les deux cas, c’est le piège.

Soit on essaie de n’être rien du tout et être un membre tout court. Et comme dans cette commission nous sommes quatorze, c’est facile de passer inaperçu. Il suffit de se taire et de regarder. Ecouter ce qui se dit, noter sagement tous les propos et acquiescer de temps à autre de la tête surtout quand c’est le président de la commission qui parle. Cela aura des effets immédiats, il se retournera toujours vers vous quand il sera en difficulté, vous deviendrez alors son allié , muet et salutaire. Et comme après tout comme, l’a dit le décret, vous êtes une « personnalité très importante », même votre silence le sera aussi. Cette attitude est fortement recommandée dans le genre de commissions dont le rôle est d’adjuger quelque chose. Les commissions des marchés publics, élèvent ce genre de membre au rang suprême de la notoriété. Dans la commission pour l’Education, cette attitude n’est pas indiquée. Aussi j’ai décidé d’être très éduqué ( ce qui est – défense d’en rire – mon état naturel), c’est-à-dire jouer mon rôle de commissionné. Travailler sans concession aucune sur les principes et valeurs qui me sont chers et qui font la trame de ce blog. Et que certains de nos chers amis ont exprimé ( Voir les messages, sur ce blog, de Maatala, de Lambda, de Yanis, de Hamid et de tant d’autres.)

Qu’attend-t-on du VIP ?

La première question existentielle (sachant maintenant qui je suis) étant résolue , il me reste à resoudre la seconde question existentielle à savoir : « Que veux-t-on de moi ? »

En jetant un coup d’œil à l’article 5 dudit décret je suis effaré par ce qui m’attend : « Le cadre de la commission porte sur la définition des missions assignées à l’Education et à la formation , les contenus globaux de formation et la détermination d’aptitude et de compétences ainsi que des valeurs communes à promouvoir, en vue de former une génération de mauritaniens soucieuse de l’unité du pays, enracinée dans nos valeurs originelles et ouverte aux éxigences de la modernité. ».
La commission des Etat généraux, n’ est ni plus ni moins qu’une mission civilisationnelle. Son instrument « l’Education et la formation ». Vaste continent, puisque le décret en donne le contenu : « l’Education et la formation comprennent précisément :
- Le préscolaire
- Le fondamental
- L’enseignement originel
- Les enseignements secondaire et supérieur
- La formation technique et professionnelle »

En somme , un travail de coureurs de fond à perdre haleine. C’est autant dire que tous les qualificatifs rapportés par le décret créant cette commission ne suffiraient pas et qu’il faudrait y ajouter : « personnalité mauritanienne, sachant garder son calme, capable de se retenir dans les moments difficiles, pouvant travailler en milieu de stress permanent, ayant un haut degré de responsabilité pour ne pas mettre les pieds dans le plat, sachant parler en regardant droit dans les yeux son interlocuteur pour se faire comprendre sans ambiguité et surtout ayant le sens du travail collégial sans concesssion sur ses convictions personnelles. »

Bref, être « éduqué » aux commissions à plusieurs membres.

Comment la commission va-t-elle procéder pour abattre cette charge de travail? « La commission , suivant l’article 6 dudit décret, procède à la préparation, l’organisation et l’exécution des différentes phases des Etats généraux de l’Education et de la formation (EGEF). A ce titre, elle devra :

- Dresser un état des lieux exhaustif du système éducatif national dans son ensemble
- Engager et superviser un large processus de concertation à l’échelle du pays autour des problèmes de l’Education et de la Formation ;
- Formuler des solutions appropriées, en impliquant toutes les forces vives de la Nation
-Organiser et superviser le déroulement des Etats généraux de l’Education et de la formation et préparer les documents de synthèse. »
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Aussi dès son installation la commission s’atellera à :

- Définir son approche méthodologique et le chronogramme de ses activités ;
- Produire et soumettre au Gouvernement un rapport diagnostic du secteur Education-formation;
- Définir et soumettre au gouvernement un rapport définissant une stratégie de développment du secteur éducatif .

A la fin du processus, la commission devra remettre au gouvernement un rapport général des EGEF, comportant le diagnostic, la vision, la stratégie du secteur de l’Education/Formation et les actes des EGEF. »

On comprend maintenant pourquoi pour être membre de cette commission il faut être "VIP" (je le repète : Very Important Person- comme moi).

Mais rassurons-nous la commission ne va pas torturer ses VIP, elle va s’appuyer sur une pléiade d’individus pour l’aider à remplir sa mission. L’administration publique, tous secteurs confondus, avec ses experts et ceux qui pensent l’être , les consultants nationaux et internationaux et bien d’autres ressources humaines sont à sa disposition…

La commission devra aussi dans le cadre de sa mission « tenir des réunions avec les partis politiques , les élus, les organisations professionnelles et toutes autres parties jugées utiles , soit à son initiative, soit à la demande de ceux-ci »

Ainsi chacun peut demander à exprimer son avis devant la commission . Une bonne chose, les sans-voix constituant la majorité de ce pays. Ceci est renforcé par le fait que « La commission peut sur une question déterminée, entendre toute personne dont elle juge l’avis utile à l’accomplissement à sa mission, comme elle peut avoir recours à l’expertise nationale et internationale »

Donc la commission sera très bien secondée et aura davantage un rôle de supervision ce qui fait qu’en tant que VIP, je me demande d’ailleurs ce que je vais apporter à cette commission qui va faire appel à tous les experts de la république et d’ailleurs. Bon du moment que j’y suis, on ne sait jamais je pourrai être utile à quelque chose. Par exemple, dire ce que je pense. N’est-ce pas un grand privilège qui m’est, à l’instar de mes collègues, offert ?
Merci qui ? Merci celui qui, après mure réfléxion, m’a mis à la fin de la liste.

Le VIP face au budget de la commission

L’argent. Voilà ce qui nous unit dans le besoin et… dans l’opulence. Un VIP se doit d’être « budgétisé ». D’où viendra l’argent ? Et comment sera-t-il géré ? Préoccupations d’un VIP qui vient tout droit des finances publiques. L’argent du contribuable. Eduquer le contribuable avec son argent. Difficile mission n’est-ce pas ?

La commission dispose d'un budget qui est à la charge de l’Etat. Fixé, comme le mentionne le décret, en concertation avec le ministère de l’Education Nationale, il sera mis « à la disposition de la commission dès son installation pour lui permettre de remplir au mieux sa mission ».

La gestion du budget de la commission se fera suivant les règles, principes et techniques de la comptabilité publique puisqu’un comptable éxecutant ce budget sera nommé par le ministre des finances.

Rassurant n’est-ce pas ? C’est donc un contrôle de régularité sur les ressources financières mises à la disposition de la commission. En effet « les fonds alloués à la commission sont des deniers publics soumis à ce titre aux contrôles prévus par les lois et réglements en vigueur. »
L’ordonnateur principal du budget étant le président de la commission.

Pour ne pas s’étaler sur les défaillances du contrôle de régularité des finances publiques, je renvoie le lecteur à mes écrits et pour une appréciation globale, à ce lien

En conclusion, il s’avère qu’avec tous les VIPs qu’elle compte, et tous les qualificatifs qui les mettent dans le champ de l’infaillibilité, la commision semble partie pour accomplir sa mission.
Cependant toute institution ne se juge qu’à son action sur le terrain et la réalisation des missions qui lui sont assignées.

Aussi j’ai été ces derniers jours à Nouakchott, pour le vérifier.

La commission a-t-elle siégée ?

La commission a-t-elle commencé son travail ?

La commission travaille-t-elle d’arrache-pied pour réaliser ses objectifs ?

Ses membres s’entendent-ils tous très bien sur ses objectifs, sa mission et ses moyens ?

Hélas je ne pourrais vous le dire.

Article 4 du décret créant la commission: « Dans l’exercice de leurs fonctions, les membres de la Commissions sont soumis à une obligation de réserve ».

Heureusement pour nous, « la commission rend public ses activités et ses propositions par voie de presse ou par toute autre voie jugée utile », sans cela j’aurai été un « VIP » sans-voix et, pour moi , cela ne vaudrait pas toutes les commissions du monde.

Pr ELY Mustapha

2 commentaires:

  1. Bonjour,je viens de lire cet article de votre blog et grande fût ma surprise.C'est la premiére fois que je vois un "nommé" commenter avec autant de clarté et sincerité en quoi il sera destiné.D'habitude les"nommés" se casent,se taisent et commencent à jouir des priviléges offerts par leur bienfaiteur.Monsieur,vous derrogez au stereotype du politicien que nous connaissons dans ce pays.Un petit conseil,bien que je sais que vous êtes prudent,ouvrez bien les yeux vous êtes au pays de la magouille et de la corruption.

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  2. J'ai comme l'impression que vous n'etes pas a votre place a cote des RV dans cette commision .
    L'Histoire jugera un jour cette commission dotee d'un budget enorme mais dont les membres ne pensent qu'a leur propre "commission" ou a l'interet pecunier qu'ils peuvent en tirer en recompense a leur presence.
    Mais vous, Prof, vous n'etes pas de ce genre, a moins que vous voulez vous battre (tout seul ou presque..)et changer le le caractere inne de ces budgetivores et leur fait accepter que le developpement de ce pauvre pays passe ineluctablement par une education de base saine, citoyenne,professionnelle de nos enfants en bas age.
    la structure a laquelle vous appartenez, ne peut reussir que si elle commence par le bas de l'echelle, c'est a dire la maternelle et le fondamental. Le secondaire et le superieur sont deja biaises, vous perdrez votre temps et les sous du contribuable la dessus.
    Commencez par le commencement: Mettez en place un systeme qui permet au fondamental d'avoir un enseignemnt de qualite, des structures et des moyens de qualite, des enseignants et un environeement de qualite de sorte que ces enfants puissent s'habituer a ce rythme et refuseront plus tard tout manquement a cette qualite alaquelle ils sont habitues.

    prof, vous avez du pain, beaucoup de pain sur la planche.....

    hamid

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Pr ELY Mustapha

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Poésie de la douleur.