Les groupes djihadistes au Mali, principalement le JNIM, cherchent à étouffer le régime malien par un blocus progressif des frontières ouest et des corridors Dakar‑Bamako et Nouakchott‑Bamako, afin d’asphyxier l’économie et d’isoler Bamako des échanges vitaux avec le Sénégal et la Mauritanie. Cette stratégie combine attaques coordonnées à Kayes, Nioro, Diboli et Gogui, enlèvements de routiers et menaces directes contre les citernes de carburant pour provoquer pénuries, inflation et érosion de la légitimité du pouvoir.
Comme mentionné dans notre article précédent ("Mauritanie: le piège malien"), durant l’été 2025, le JNIM a lancé des offensives synchronisées contre des positions militaires et des nœuds administratifs à l’ouest et au centre, ciblant notamment Kayes, Nioro du Sahel, Gogui et Diboli dans une logique d’extension du front vers la frontière sénégalaise. Ce déplacement de l’effort vers l’ouest s’inscrit dans une évolution de la stratégie, confirmée par des attaques récurrentes et des accrochages dans la région de Kayes jusqu’en début du mois de septembre courant .
Le JNIM a annoncé puis commencé à faire respecter un siège sur Kayes et Nioro, en ciblant spécifiquement les transporteurs et en menaçant les convois de carburant, afin de couper les flux logistiques et d’imposer un coût économique direct au régime. Cette méthode nous rappelle curieusement un précédent éprouvé avec le blocus de Tombouctou en 2023, où les djihadistes avaient bloqué les routes depuis l’Algérie et la Mauritanie et frappé le trafic fluvial, entraînant pénuries et envolée des prix. Stratégie qui avait eu des conséquences remarquées sur le trafic commercial sur place.
Tout observateur averti des évènements ne pourra que
relever que les points de pression prioritaires sont le corridor nord Bamako‑Dakar
et ses postes frontaliers, notamment Diboli (axe de Kidira) et Gogui, ainsi que
la route que l'on pourra qualifier de fortement stratégique et pénétrante de Nouakchott‑Bamako
via Nioro et, plus au nord, l’axe de Nara vers la Mauritanie.
Ce que l'on remarque c'est que les opérations ont explicitement visé des postes douaniers et des carrefours routiers pour perturber le transit international et forcer la mise à l’arrêt des flux commerciaux, comme l’illustrent l’enlèvement de routiers sénégalais et les interceptions de véhicules près de Nioro.
Notons qu'environ 70% des importations‑exportations maliennes transitent par le port de Dakar, et 60% à 80% du commerce passe par le corridor nord Bamako‑Dakar, ce qui rend tout bouclage à l’ouest immédiatement déstabilisant pour l’approvisionnement du pays. Le carburant est particulièrement vulnérable, le Mali important quasi tout son pétrole de Côte d’Ivoire (environ 60%) et du Sénégal (environ 35%), si bien que les menaces et attaques contre les citernes entraînent un risque rapide de pénuries et d’inflation.
D'un autre côté , et non pas des moindres, la région de Kayes concentre près de 78% à 80% de la production aurifère industrielle, et les attaques contre les sites miniers, carrières et infrastructures économiques visent directement les recettes fiscales et les devises de l’État. Des frappes, des sabotages ainsi que des enlèvements d’expatriés, s’inscrivent dans une guerre économique destinée à tarir les revenus extractifs et à décourager l’investissement.
Au plan militaire, l’effet recherché est la dislocation des lignes logistiques de l’armée et l’isolement progressif de la capitale sans bataille décisive, par une pression continue sur les hubs urbains et les axes d’approvisionnement.
Sur le plan politique, l’asphyxie des flux de biens essentiels doit saper le moral des populations , miner le soutien populaire au régime malien et accroître la contestation , que les autorités maliennes toutes orientées vers une lutte multidimensionnelle (anti-jihadiste , anti-indépendantiste, anti-communautariste….) craindraient par-dessus tout. Ce serait, dans la stratégie des juhadistes, le talon d'Achille du régime malien
Sur le plan doctrinal, le bouclage territorial s’apparente à une opération d’interdiction qui vise à retarder, désorganiser et détourner le potentiel adverse en frappant ses lignes de communication et ses flux logistiques avant emploi.
En ciblant goulots logistiques, corridors frontaliers et points de passage, l’interdiction prolonge la vulnérabilité des convois, concentre des cibles et transforme la liberté de mouvement en risque permanent, dégradant l’efficacité opérationnelle sans bataille décisive. Au niveau stratégique, cette logique transpose à terre les principes du blocus corbettien (un classique de la stratégie maritime): isoler, interrompre le commerce et exercer une pression économique pour infléchir la volonté politique de l’adversaire. Elle s’inscrit aussi dans la logique de la coercition par le déni, niant l’accès aux ressources et à la mobilité plutôt que recherchant l’anéantissement, conformément aux cadres interarmées sur la maîtrise de l’adversaire. En contexte insurrectionnel, ou approchant, la véritable cible est la population: perturber services essentiels et économie locale pour délégitimer l’État et ouvrir des espaces de gouvernance de substitution.
Ainsi pour atteindre ces objectifs, les djihadistes combinent attaques complexes et simultanées avec l’emploi de drones explosifs, raids éclairs sur postes de sécurité et checkpoints, et harcèlement de convois pour saturer la réponse sécuritaire. Ils ajoutent une coercition ciblée contre les acteurs économiques, bus, camions‑citernes, entreprises minières, tout en diffusant des messages de menace pour amplifier l’effet psychologique et dissuader le trafic.
Le « bouclage » de l'espace occidental a des retombées directes pour le Sénégal et la Mauritanie, qui partagent ce bassin économique et énergétique, rendant critiques les mécanismes de coopération et de patrouilles conjointes dans la zone Kayes-Kidira-Gogui-Nioro. L'intensification de la pression autour de la frontière accroît le risque d’essaimage vers l’est du Sénégal, où des vulnérabilités frontalières et des réseaux de contrebande peuvent être exploités
La priorité, pour la Mauritanie et le Sénégal consiste en urgence à durcir les nœuds de transit (Diboli, Gogui, Nioro) par des forces conjointes, capacités anti‑drones, escortes de convois sensibles et équipes d’intervention rapide, afin de rouvrir et maintenir un débit minimal sécurisé sur les axes.
En parallèle, des mesures de résilience économique, stocks stratégiques de carburant, facilitation assurantielle des transporteurs, et diversification temporaire des routes, sont nécessaires, tout en sachant que les alternatives routières restent limitées et exposées.
Spécifiquement pour notre pays, le bouclage djihadiste de l’ouest malien transforme un risque périphérique en choc sécuritaire, économique, énergétique et humanitaire intérieur, en exposant simultanément le corridor Nouakchott-Bamako, les zones frontalières du Hodh et les interconnexions régionales de l’OMVS.
L’extension du JNIM vers Kayes-Nioro accroît la pression d’essaimage vers Kobenni-Gogui et Nara, avec risques d’infiltrations, de contrebande et d’actions opportunistes en Hodh El Gharbi et Hodh Ech Chargui, ce qui impose des patrouilles coordonnées, une dissuasion crédible et une gouvernance affûtée des frontières déjà activée au niveau régional mauritanien.
Un ralentissement des flux sur l’axe Nouakchott-Bamako transmettrait immédiatement des chocs de prix et d’emploi aux écosystèmes de transit, du camionnage et de la logistique mauritaniens, en raison de la dépendance croisée des corridors maliens et sénégalo‑maliens que le JNIM cherche précisément à perturber par une « guerre économique » ciblant convois et hydrocarbures.
À moyen terme, toute perturbation durable autour de Kayes menace le fonctionnement optimal des barrages de Manantali, Félou et Gouina de l’OMVS, avec effets en chaîne sur l’approvisionnement électrique partagé entre Mali, Mauritanie, Sénégal et Guinée, donc sur la stabilité macroéconomique et sociale mauritanienne.
La pression militaire et économique au Mali alimente en outre des flux de déplacés et de réfugiés vers le sud‑est mauritanien, ajoutant une contrainte budgétaire et opérationnelle aux dispositifs d’accueil et de sécurité déjà sollicités. D’où un impératif pour Nouakchott de combiner neutralité active et fermeté opérationnelle: sécurisation des axes et hubs logistiques, mécanismes tripartites de renseignement et de patrouilles, et posture de médiation prudente pour prévenir l’extension du conflit tout en préservant l’accès au corridor stratégique Nouakchott-Bamako.
Pr ELY Mustapha
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