" S’envoyer de petits cailloux peut se terminer par s’envoyer de grosses pierres. "
Proverbe
Mandingue
Depuis 2022, les relations entre Bamako et Nouakchott se sont envenimées.
Ce qui était autrefois une coopération régionale s’est transformée en méfiance
et en gestes hostiles. Tout a commencé avec des incidents meurtriers près de la
frontière. Des civils mauritaniens ont été tués lors d’opérations menées par
l’armée malienne et ses alliés. Nouakchott a protesté, Bamako a promis des
enquêtes, mais rien de concret n’a suivi. La blessure est restée ouverte et la
confiance s’est brisée.
Les relations entre Bamako et Nouakchott se sont donc dégradées à un rythme inquiétant. La récente
fermeture de nombreux commerces tenus par des Mauritaniens au Mali est
l’illustration la plus visible de cette rupture. Elle traduit une rancune
malienne que les responsables mauritaniens n’ont pas su anticiper ni
désamorcer.
Le Mali reproche à la Mauritanie une attitude jugée ambivalente face à la
crise sécuritaire sahélienne. Alors que Bamako a pris des distances avec ses
partenaires traditionnels, notamment la France et la CEDEAO, Nouakchott a
maintenu une ligne prudente, évitant toute confrontation mais sans offrir non
plus de soutien clair au régime de transition malien. Cette posture, perçue au
Mali comme de l’hypocrisie, nourrit l’idée que la Mauritanie profite de la
fragilité malienne sans assumer de solidarité politique.
À cela s’ajoutent les tensions frontalières. Les communautés maliennes accusent régulièrement l’armée mauritanienne de bavures contre des civils près de la frontière. Ces accusations, même non prouvées, alimentent un ressentiment populaire que les autorités maliennes exploitent pour justifier une fermeté à l’égard des intérêts mauritaniens sur leur sol. Dans ce climat, les commerçants mauritaniens, longtemps intégrés dans les marchés maliens, deviennent des boucs émissaires faciles.
La
tension s’est renforcée avec la question migratoire. La Mauritanie, soutenue
par ses partenaires européens, a procédé à des expulsions de ressortissants
maliens. À Bamako, ces mesures ont été vécues comme une humiliation. Le
discours souverainiste malien a trouvé là un terreau fertile a conduit le
régime malien à ce qu'il fasse des gestes symboliques pour montrer sa fermeté, allant donc jusqu’à fermer de
nombreux commerces tenus par des Mauritaniens. Cette décision, sans
justification claire, a plongé la diaspora mauritanienne dans l’inquiétude et
dans la perte de revenus.
La faillite d'une diplomatie
La diplomatie mauritanienne n’a pas su anticiper ni désamorcer la crise. Elle a maintenu une position de neutralité, sans stratégie de gestion des incidents ni mécanisme conjoint avec Bamako. Les commerçants, longtemps moteurs de l’économie locale, se retrouvent exposés. Faute d’une protection consulaire forte et d’une communication active, Nouakchott a laissé le récit se construire du côté malien. La Mauritanie apparaît comme égoïste, alignée sur ses partenaires extérieurs, et incapable de défendre ses citoyens.
La diplomatie mauritanienne, réputée pour son pragmatisme, montre ici ses limites. Elle s’est enfermée dans une neutralité de façade, sans développer une stratégie claire vis-à-vis de Bamako. Résultat, la Mauritanie perd à la fois la confiance des autorités maliennes et la protection de sa communauté installée dans ce pays voisin. Faute d’initiatives diplomatiques fortes, elle subit la colère malienne au lieu de l’infléchir.
Le problème n’est pas seulement bilatéral. Il touche à l’équilibre du Sahel. Le Mali, replié sur lui-même, attend des voisins une loyauté sans faille. La Mauritanie, soucieuse de préserver ses liens avec l’Occident et d’afficher sa stabilité, se retrouve dans une position inconfortable. En ne tranchant pas, elle provoque la méfiance de Bamako et affaiblit sa capacité d’influence régionale.
La faillite de la diplomatie mauritanienne est donc double. Elle n’a pas su protéger ses ressortissants, et elle n’a pas su préserver la relation stratégique avec un voisin clé. Dans une région où chaque geste compte, l’absence de choix devient un choix coûteux.
Si la Mauritanie continue dans l’attentisme, elle risque de perdre plus qu’une relation bilatérale. C’est sa crédibilité régionale qui s’effrite et sa diaspora qui se fragilise. Le Mali a choisi la confrontation pour affirmer sa souveraineté. Face à cela, l’inaction n’est plus une option pour Nouakchott.
Pour sortir de l’impasse, Nouakchott doit changer d’approche.
Trois leviers s’imposent.
Le premier est sécuritaire, en mettant en place une commission d’enquête conjointe sur les incidents frontaliers et un couloir pastoral protégé pour les éleveurs et transporteurs.
Le second est économique et consulaire, avec un moratoire négocié sur les fermetures, une cellule de crise à l’ambassade, et un fonds de garantie pour soutenir la diaspora.
Le
troisième concerne les migrations, avec un protocole bilatéral qui encadre les
expulsions et offre des recours clairs. Ces mesures doivent être accompagnées
d’une diplomatie publique plus offensive, en communiquant des résultats et en
rétablissant un climat de respect mutuel.
…Et le temps joue contre tous.
Pr ELY Mustapha