dimanche 23 mars 2025

Too BAD or not too BAD : les chances de Ould Tah. Par ELY Mustapha

La candidature de Sidi Ould Tah à la présidence de la Banque Africaine de Développement (BAD) suscite à la fois espoir et scepticisme dans le paysage politique africain. Ancien ministre mauritanien et actuel président de la Banque Arabe pour le Développement Économique en Afrique (BADEA), Ould Tah présente un profil d'expert reconnu, mais sa route vers la présidence est semée d'embûches géopolitiques complexes.

Le candidat mauritanien peut se targuer d'un parcours remarquable. Son mandat à la tête de la BADEA a été marqué par un triplement du capital de l'institution et l'obtention d'une notation AAA, démontrant ses compétences en matière de gestion financière. Sa maîtrise de l'arabe, du français et de l'anglais lui confère un avantage certain dans la communication avec divers acteurs du continent et au-delà. Cependant, ces atouts techniques semblent peser moins lourd face aux considérations géopolitiques qui dominent souvent ce type d'élection.

La position géographique ambiguë de la Mauritanie, à cheval entre l'Afrique du Nord et l'Afrique de l'Ouest, place Ould Tah dans une situation délicate. Cette ambiguïté territoriale complique sa capacité à mobiliser un bloc régional homogène, contrairement à ses concurrents qui bénéficient d'un soutien plus clairement défini de leurs régions respectives.


À ce jour, Ould Tah a obtenu le soutien officiel de trois pays africains : la Côte d'Ivoire, le Congo-Brazzaville et la Tunisie. Le ralliement de la Côte d'Ivoire, sous l'influence du président Alassane Ouattara, constitue un atout majeur, offrant une légitimité au sein de l'espace francophone ouest-africain. Le soutien du Congo-Brazzaville lui permet de pénétrer la sphère d'influence de la CEMAC, tandis que l'appui de la Tunisie lui ouvre des perspectives en Afrique du Nord. Néanmoins, cette coalition reste limitée face aux blocs régionaux plus solides soutenant d'autres candidats.

La campagne de Ould Tah bénéficie d'une mobilisation sans précédent de l'appareil d'État mauritanien, avec la mise en place de comités stratégiques et opérationnels. Le ministre Sid'Ahmed Ould Bouh a mené une intense campagne diplomatique, multipliant les déplacements et les rencontres de haut niveau. Cependant, ces efforts se heurtent à la concurrence d'autres candidats bénéficiant de soutiens régionaux plus larges et à l'absence d'un projet fédérateur comparable à celui qui avait porté Akinwumi Adesina à la présidence en 2015.

Malgré 18 déplacements du ministre Sid’Ahmed Ould Bouh en 4 mois (dont des rencontres avec Kaïs Saïed en Tunisie et Giorgia Meloni en Italie), la campagne bute sur trois écueils :
D’abord, l’effet de saturation : cinq candidats se disputent les voix, dont Chad le Mahamat (Tchad) et Abbas Mahamat Tolli (Togo), fractionnant l’électorat. Ensuite, la concurrence des « poids lourds » : Maimbo, vice-président de la Banque mondiale, bénéficie d’un réseau international solide, tandis qu’Amadou Hott capitalise sur son expérience interne à la BAD. Et , enfin, comme mentionné l’absence de vague régionale : contrairement à Adesina en 2015, Ould Tah ne porte pas de projet fédérateur comme « Nourrir l’Afrique », se contentant d’un programme technique axé sur les infrastructures.


Un défi majeur pour Ould Tah réside dans la nécessité de convaincre les actionnaires non africains de la BAD, qui détiennent 40% des droits de vote. Son expérience à la BADEA, marquée par des prêts à des pays en tension avec l'Occident, pourrait susciter des inquiétudes chez certains créanciers occidentaux. La capacité de Ould Tah à se positionner comme un médiateur entre les intérêts occidentaux et arabes pourrait jouer un rôle crucial dans l'obtention de ces soutiens essentiels. Les États-Unis (6,5 % des voix), le Japon (5,4 %) et l’Allemagne (4,1 %) n’ont pas encore clarifié leur position.

Pour transformer ses chances en victoire, la Mauritanie devra élargir sa base de soutiens, en convainquant au moins cinq autres États africains et en séduisant un actionnaire non africain majeur d'ici mai 2025.
La bataille finale ne se jouera pas tant sur le nombre de soutiens que sur leur capacité à créer un effet d'entraînement dans les régions non alignées. L'issue de cette élection pourrait redéfinir les équilibres géopolitiques au sein de la BAD, entre la recherche d'une méritocratie technique et les réalités de la politique régionale africaine.

Le cas de figure idéal où Ould Tah ira à la victoire se serait un report des voix de la CEDEAO après l’élimination d’Amadou Hott au premier tour. Le ralliement in extremis de la SADC, séduite par son expertise financière et enfin un soutien actif de l’Algérie et un revirement du Maroc à son profit, pays dont le dévolu se serait porté sur le candidat du Sénégal.  Algérie et Maroc, deux pays rivaux mais influents en Afrique du Nord.

Ce scénario nécessiterait cependant une division parfaite des autres blocs, peu probable compte tenu de leur cohésion affichée.
Les chances de Sidi Ould Tah, reflètent donc les contradictions d’une Afrique tiraillée entre méritocratie technique et realpolitik régionale.

La réussite de ould Tah, que tout compatriote devrait lui souhaiter marquerait une réussite des États qui cherchant à contrebalancer l’hégémonie anglophone (Nigeria, Afrique du Sud).
 L’élection est déjà révélatrice des nouvelles fractures continentales – entre Afrique « utile » et périphéries, entre légitimité technique et équilibres géopolitiques
.Reste à savoir si la BAD, au crépuscule de l’ère Adesina, choisira la continuité ou la rupture.



Tah, too BAD or not too BAD  ?  …That is the question.


Pr ELY Mustapha


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Poésie de la douleur.