vendredi 14 mars 2025

Mauritanie - Emirats Arabes Unis : Quelles relations peuvent résulter d'une situation où un pays octroie à l'autre un prêt d'un montant égal à 40 % de son PIB ? Par Pr ELY Mustapha

 « Celui qui dépend financièrement n’existe pas » (vieil adage) auquel j’ajouterai cependant :  «… à moins de réinventer les conditions de son existence..et de sa liberté ».

Le succès des dirigeants mauritaniens dans l'obtention d'un prêt émirati équivalent à 40% du PIB national témoigne d'une remarquable habileté diplomatique combinant plusieurs atouts déterminants. 

 

 L'amitié personnelle de longue date entre le président Ghazouani et le prince héritier Mohammed Ben Zayed, établie depuis 2008, a créé un socle de confiance inestimable pour ces négociations d'envergure.
 Les responsables mauritaniens ont judicieusement positionné leur pays comme un partenaire fiable dans le Golfe, notamment en rompant leurs relations avec le Qatar en 2017 en alignement avec la position émiratie, tout en maintenant globalement une politique étrangère équilibrée dans une région complexe. Leur sens aigu du timing leur a permis de solliciter ce financement crucial à un moment où les caisses de l'État étaient pratiquement vides suite à la transition présidentielle de 2019. 


La participation mauritanienne à la coalition militaire au Yémen menée par l'Arabie saoudite et les Émirats a renforcé son image d'allié stratégique fiable, tandis que les visites régulières aux Émirats et la signature continue d'accords témoignent d'une constance diplomatique remarquable. Cette combinaison de relations personnelles privilégiées, d'alignement géopolitique stratégique, d'opportunisme bien calibré et de compétences de négociation leur a permis d'obtenir non seulement un financement massif mais aussi des conditions favorables incluant un "prêt à taux réduit", démontrant leur capacité exceptionnelle à naviguer dans la complexité des relations internationales au bénéfice des intérêts nationaux.


En février 2020, la République Islamique de Mauritanie a donc bénéficié d'une allocation financière majeure de 2 milliards de dollars de la part des Émirats arabes unis, représentant un tournant significatif dans les relations bilatérales entre ces deux nations. Ce financement, d'une ampleur exceptionnelle équivalant à environ 40% du PIB mauritanien, mérite une analyse approfondie quant à sa nature, ses modalités et ses implications pour les finances publiques mauritaniennes.


Le financement émirati de 2 milliards de dollars se présente comme un package financier hybride comportant plusieurs composantes distinctes. D'après les informations disponibles, les Émirats ont annoncé "l'allocation de deux milliards de dollars pour financer des projets d'investissement et de développement, ainsi qu'un prêt à taux réduit pour la Mauritanie". Cette formulation suggère une structure composite incluant des investissements directs dans des projets spécifiques et un volet de prêt concessionnel.
Bien que les conditions précises du "prêt à taux réduit" mentionné dans les communications officielles ne soient pas détaillées dans des sources disponibles, on pourrait cependant déduire de façon pragmatique plusieurs éléments.. La mention explicite d'un "taux réduit" indique clairement la nature concessionnelle du prêt, impliquant des conditions plus favorables que celles du marché. 

Ce type de prêt se caractérise généralement par:


•    Un taux d'intérêt inférieur aux taux du marché
•    Une période de grâce potentielle avant le début des remboursements
•    Des échéances de remboursement échelonnées sur une durée relativement longue


La dimension concessionnelle de ce prêt représente un avantage considérable pour la Mauritanie par rapport à d'autres sources de financement auxquelles le pays pourrait avoir accès. À titre de comparaison, un financement similaire obtenu sur les marchés internationaux aurait vraisemblablement comporté des taux d'intérêt substantiellement plus élevés, reflétant la perception du risque associé à l'économie mauritanienne.
Les  émirats ont explicitement mentionné,  lors de l'octroi,  que le financement est destiné à "des projets d'investissement et de développement", suggérant qu'une partie significative des 2 milliards de dollars serait allouée directement à des projets spécifiques plutôt qu'au budget général de l'État mauritanien. Cette distinction est cruciale pour l'analyse de l'impact sur les finances publiques.


L'arrivée de ce financement émirati s'est produite dans un contexte de fragilité particulière des finances publiques mauritaniennes. Lorsque Mohamed Ould Ghazouani a succédé à Mohamed Ould Abdelaziz le 1er août 2019, "les caisses de l'État étaient vides et le versement des salaires des fonctionnaires a dû être étalé". Le Premier ministre mauritanien avait lui-même qualifié la situation de la trésorerie publique héritée par le nouveau pouvoir de "catastrophique".


Ce contexte explique en grande partie pourquoi ce financement externe représentait une bouée de sauvetage pour le nouveau gouvernement mauritanien. Dans cette perspective, le rapprochement stratégique avec les Émirats et l'obtention de ce package financier ont constitué l'un des premiers succès diplomatiques et économiques de la présidence Ghazouani.


L'impact de ce financement émirati sur la soutenabilité de la dette mauritanienne doit être cepandant évalué avec nuance, en distinguant les différentes composantes du package financier.


La partie du financement constituée d'investissements directs dans des projets spécifiques n'augmente pas directement la dette publique mauritanienne, contrairement à la composante "prêt" du package. Cette distinction est fondamentale pour évaluer l'impact réel sur les finances publiques. Malheureusement, la répartition exacte entre ces deux composantes n'est pas précisée..


Pour mettre en perspective l'impact du prêt émirati, il est utile de le comparer avec d'autres financements externes obtenus par la Mauritanie. Par exemple, en décembre 2024, le FMI a accordé un prêt de 47,4 millions de dollars à la Mauritanie, qui s'inscrit dans le cadre d'accords plus larges comprenant une Facilité Élargie de Crédit (FEC) et un Mécanisme Élargi du Crédit (MEDC). Ce montant, bien que significatif, est nettement inférieur au financement émirati, soulignant l'importance exceptionnelle de ce dernier.
L'ampleur du financement émirati par rapport à l'économie mauritanienne soulève légitimement la question d'une potentielle dépendance financière.

 Avec un montant représentant environ 40% du PIB mauritanien, ce financement crée une relation asymétrique pouvant influencer les orientations économiques et politiques du pays. Cette dimension géopolitique du financement ne peut être ignorée dans l'analyse de son impact sur les finances publiques.
Toutefois, l'impact réel du financement émirati dépend fondamentalement de l'utilisation effective des fonds et de la mise en œuvre des projets financés par la Mauritanie.Nous aborderons cet aspect crucial plus loin en proposant des approches pour face à la relation asymétrique qui pourrait découler de ce prêt.


Plusieurs projets spécifiques financés par les Émirats ont été identifiés depuis l'accord initial de 2020:


•    En 2023, le Fonds d'Abu Dhabi s'est engagé à participer au financement du projet d'alimentation en eau potable de la ville de Kiffa, à partir du fleuve Sénégal, pour un montant estimé à 30 millions de dollars.
•    La société émiratie Al Dhafra a obtenu la cession de 2000 hectares de terres arables en Mauritanie pour un projet agricole représentant un investissement d'environ 13,5 millions de dollars.
Ces projets illustrent l'approche ciblée des investissements émiratis, orientés vers des secteurs stratégiques comme l'eau et l'agriculture.


En février 2025, les ministres de l'économie mauritanien et émirati ont examiné "l'état d'avancement du portefeuille de projets financés par le gouvernement des Émirats arabes unis en Mauritanie" et ont discuté "des mécanismes permettant d'améliorer et d'accélérer la mise en œuvre de ces projets". Cette formulation suggère , à notre avis, l'existence de défis dans la mise en œuvre effective des projets financés, potentiellement dus à des contraintes administratives, techniques ou de gouvernance.


En tout état de cause, le recours à un financement externe d'une telle ampleur soulève des questions fondamentales concernant la gouvernance des finances publiques mauritaniennes.


L'opacité relative concernant les conditions précises du prêt et la répartition exacte du financement entre prêts et investissements directs, limite la capacité d'analyse approfondie de son impact réel sur les finances publiques. Cette situation illustre les défis plus larges de transparence dans la gestion des finances publiques mauritaniennes.


Selon la législation mauritanienne, "les comptes de prêts retracent les prêts d'une durée supérieure à deux ans consentis par l'État dans la limite des crédits ouverts à cet effet, soit à titre d'opérations nouvelles, soit à titre de consolidation". Cette disposition suggère l'existence d'un cadre formel pour la gestion des prêts publics, mais ne précise pas les modalités spécifiques appliquées au financement émirati.
L'impact à moyen et long terme du financement émirati dépendra donc  fondamentalement de plusieurs facteurs clés.


Si les projets financés par les fonds émiratis génèrent des rendements économiques significatifs (création d'emplois, augmentation de la production agricole, amélioration des infrastructures), ils pourraient contribuer positivement à la croissance économique mauritanienne et, par conséquent, améliorer la capacité du pays à honorer ses engagements financiers.


La relation entre la Mauritanie et les Émirats s'est considérablement renforcée depuis 2020, avec des rencontres régulières entre les dirigeants des deux pays. Cette évolution suggère que le financement de 2020 n'était pas un événement isolé mais plutôt le début d'un partenariat stratégique à long terme, ce qui pourrait influencer durablement l'orientation des finances publiques mauritaniennes.


La Mauritanie a continué à diversifier ses sources de financement externe, comme en témoignent les accords avec le FMI, la Banque européenne d'investissement et la Banque islamique de développement. Cette diversification constitue une stratégie prudente pour éviter une dépendance excessive envers un seul partenaire financier.


Le financement émirati de 2 milliards de dollars représente un tournant majeur pour les finances publiques mauritaniennes, tant par son ampleur exceptionnelle que par le contexte de fragilité fiscale dans lequel il est intervenu. Combinant prêts concessionnels et investissements directs, ce package financier a indéniablement fourni une bouffée d'oxygène cruciale pour le nouveau gouvernement Ghazouani en 2020.


Cependant, son impact à long terme sur la soutenabilité des finances publiques mauritaniennes demeure ambivalent. D'un côté, les conditions concessionnelles du prêt et le potentiel de développement économique des investissements représentent des avantages considérables. De l'autre, l'ampleur du financement crée une relation de dépendance potentielle et soulève des questions concernant l'influence émiratie sur les orientations économiques et politiques mauritaniennes.


L'enjeu fondamental pour la Mauritanie réside dans sa capacité à utiliser efficacement ce financement pour générer une croissance économique durable et inclusive, renforcer ses institutions financières et progressivement réduire sa dépendance aux financements externes.

 L'évolution des relations économiques et diplomatiques mauritano-émiraties dans les années à venir sera un indicateur clé de l'impact réel de ce financement sur la trajectoire économique et financière du pays.


Les Relations bilatérales prévisibles  d'un prêt massif

L'octroi d'un prêt d'un montant équivalent à 40% du PIB De la Mauritanie constitue un engagement financier d'une ampleur exceptionnelle qui transforme fondamentalement les relations avec les Emirats Arabes unis. Cette transaction financière dépasse largement le cadre d'un simple accord économique pour devenir un vecteur de reconfiguration des rapports diplomatiques, économiques et géopolitiques.

Dépendance financière et asymétrie de pouvoir

Un prêt d'une telle magnitude crée inévitablement une relation asymétrique entre le créancier et le débiteur. Cette asymétrie se manifeste à plusieurs niveaux et façonne profondément la dynamique bilatérale qui en résulte.

Lorsqu'un pays contracte une dette équivalente à 40% de son PIB auprès d'un seul créancier, il se place dans une position de vulnérabilité financière significative. Cette situation peut affecter sa souveraineté économique et sa capacité à conduire des politiques macroéconomiques indépendantes. Cette dépendance peut s'accentuer si le pays débiteur connaît des difficultés de remboursement, créant ainsi un cycle de refinancement et d'endettement croissant.

L'ampleur de ce prêt expose également le pays récipiendaire à des risques considérables en matière de soutenabilité de sa dette. Si ce financement ne génère pas un retour sur investissement suffisant pour couvrir son service, le pays pourrait se retrouver dans une spirale d'endettement difficile à inverser. Particulièrement en Mauritanie qui devrait beaucoup investir dans la performance de son administration publique, inefficace et contre-performante et dans l’intégrité de gestion des projets publics bénéficiant de ces investissements. Les coûts du service de la dette peuvent rapidement devenir une charge importante pour le budget national, réduisant ainsi les ressources disponibles pour les dépenses sociales et d'investissement.

Conditionnalités et influence politique

Les prêts de grande envergure s'accompagnent généralement de conditionnalités qui peuvent s'étendre bien au-delà des simples modalités financières. Le créancier peut influencer significativement les politiques économiques du pays bénéficiaire, exigeant des réformes structurelles, des ajustements fiscaux ou des changements dans la gouvernance économique.


La notion de "piège de la dette" illustre parfaitement cette dynamique : "les prêts consentis par des pays riches et par des institutions internationales à des pays en développement auraient enfermé ces derniers dans une dépendance vis-à-vis de leurs créanciers et de leurs décisions". Dans le contexte d'un prêt bilatéral massif, cette dépendance peut être encore plus prononcée, car elle se concentre sur un seul créancier plutôt que sur un ensemble d'institutions internationales.

Mécanismes financiers et implications économiques    

La structure et les conditions du prêt déterminent en grande partie la nature de la relation qui s'établit entre les deux pays.

Toutefois, nous convenons que le caractère concessionnel ou non du prêt joue un rôle décisif dans l'évaluation de son impact sur le pays bénéficiaire. Un prêt concessionnel, caractérisé par "un élément don d'au moins 35%"3, offre des conditions plus favorables qu'un prêt aux conditions du marché. Si le financement inclut une composante significative de don ou des taux d'intérêt substantiellement inférieurs à ceux du marché, l'impact sur la soutenabilité de la dette sera moins sévère.
La définition technique de la concessionnalité varie selon les institutions, mais elle implique généralement "un taux d'intérêt inférieur aux taux du marché, une période de grâce potentielle avant le début des remboursements, et des échéances de remboursement échelonnées sur une durée relativement longue". Ces éléments peuvent considérablement alléger le fardeau de la dette pour le pays récipiendaire.

Asymétrie d'information et risques associés


L'asymétrie d'information entre le prêteur et l'emprunteur constitue un défi majeur dans cette relation financière. Cette asymétrie peut conduire à une "surévaluation des risques"par le créancier, entraînant des conditions de prêt plus strictes ou des garanties excessives. Parallèlement, elle peut aussi mener à une utilisation sous-optimale des fonds par le débiteur si les mécanismes de supervision sont inadéquats.
Les études sur le marché du crédit montrent que "la forte asymétrie d'information entre banquiers et entrepreneurs est un obstacle important au financement". À l'échelle internationale, cette dynamique peut se transposer dans les relations entre États, créant des défis supplémentaires dans la gestion du prêt et son utilisation productive.

Implications géopolitiques et stratégiques

Au-delà des aspects purement économiques, un prêt d'une telle ampleur s'inscrit généralement dans une stratégie géopolitique plus large du pays créancier.
L'octroi d'un financement massif signale souvent une volonté du créancier d'établir ou de renforcer une alliance stratégique. Il peut viser à consolider son influence dans une région particulière ou à s'assurer le soutien du pays débiteur dans les forums internationaux. Cette dimension est particulièrement pertinente dans un contexte de rivalités géopolitiques entre grandes puissances.

Les tensions géopolitiques peuvent également affecter la relation de crédit elle-même. Les recherches montrent que l'augmentation du risque consécutif à des événements géopolitiques à l'étranger  ont un impact systématique et négatif sur les conditions de prêt. Cette interconnexion entre risque géopolitique et conditions financières souligne la nature complexe de telles relations bilatérales.

Accès privilégié aux ressources et opportunités économiques

Le prêteur peut chercher à obtenir un accès préférentiel aux ressources naturelles ou aux marchés du pays bénéficiaire. Des accords parallèles concernant les investissements, le commerce ou l'exploitation des ressources accompagnent fréquemment ces prêts massifs. Ces arrangements peuvent conférer des avantages économiques substantiels au créancier, constituant parfois une forme de "retour sur investissement" complémentaire aux intérêts financiers du prêt.
La cession de terres ou de droits d'exploitation peut faire partie de ces arrangements, comme l'illustre le cas mentionné d'une "société émiratie [qui] a obtenu la cession de 2000 hectares de terres arables [...] pour un projet agricole". De tels accords peuvent susciter des inquiétudes quant à la souveraineté du pays bénéficiaire et l'équité des termes d'échange.


Stratégies de gestion et d'atténuation des risques


Face aux défis inhérents à un prêt d'une telle magnitude, diverses approches peuvent être adoptées pour équilibrer la relation et maximiser les bénéfices pour les deux parties.

Pour la Mauritanie,  la diversification des sources de financement constitue une stratégie cruciale pour atténuer sa dépendance envers un seul créancier. L'établissement de relations avec plusieurs partenaires financiers internationaux permet de réduire les risques associés à une concentration excessive de la dette et de limiter l'influence politique d'un créancier unique.
Cette diversification peut inclure des financements provenant d'institutions multilatérales comme "la Banque mondiale, le FMI, les banques de développement régionales", qui offrent souvent des conditions plus standardisées et moins susceptibles d'être influencées par des considérations géopolitiques bilatérales


Transparence et bonne gouvernance
La transparence dans la gestion des fonds empruntés et dans les conditions du prêt représente un facteur déterminant pour la réussite de l'arrangement financier. Des mécanismes de contrôle efficaces et une communication claire sur l'utilisation des ressources peuvent renforcer la confiance entre les parties et réduire les risques de mauvaise allocation des fonds.
La mise en place d'un "cadre formel pour la gestion des prêts publics" s'avère essentielle pour assurer que le financement contribue effectivement au développement économique du pays bénéficiaire et ne se transforme pas en fardeau insoutenable.


Recommandations face à une dépendance financière majeure

Face à une situation où un prêt unique représente une proportion aussi significative que 40% du PIB national, le gouvernement mauritanien doit mettre en œuvre une stratégie globale et cohérente pour préserver sa souveraineté financière tout en maximisant les bénéfices de ce financement. Notre analyse des documents relatifs à la gestion de la dette mauritanienne permet d'identifier plusieurs axes d'intervention prioritaires pour répondre efficacement à ce défi économique et financier majeur.

La concentration excessive de l'endettement auprès d'un seul créancier constitue un risque majeur pour la souveraineté économique et financière de la Mauritanie. Face à cette vulnérabilité, la diversification des sources de financement apparaît comme une nécessité stratégique.

Le gouvernement mauritanien devrait intensifier ses efforts pour obtenir des financements auprès d'institutions multilatérales qui offrent généralement des conditions plus favorables. Comme le souligne l'analyse de la situation de la dette mauritanienne, le pays devrait "adopter une politique d'endettement prudente, en privilégiant les dons et les financements à des conditions concessionnelles et à moindre coût". Cette approche permettrait non seulement de diluer la dépendance envers un créancier unique, mais également d'améliorer le profil global de la dette en termes de coût et de maturité.


La Stratégie de Gestion de la Dette à Moyen Terme (SDMT) 2025-2027 de la Mauritanie suggère d'ailleurs explicitement de "pourvoir aux besoins de financement de l'État et de ses obligations de paiements futurs aux moindres coûts possibles à long terme tout en minimisant les risques liés à l'endettement". Cette orientation stratégique souligne l'importance d'une approche équilibrée qui ne privilégie pas uniquement le volume de financement, mais également ses caractéristiques qualitatives.

Une autre piste nous parait prometteuse consiste à développer davantage le marché domestique des titres publics. Le document de stratégie mauritanien indique clairement l'objectif de "favoriser le développement du marché des titres publics", ce qui permettrait de réduire la dépendance aux financements extérieurs et d'atténuer l'exposition aux risques de change.


La Stratégie 2 mentionnée dans le document SDMT 2025-2027 propose notamment de "maintenir le choix de continuer à privilégier le financement concessionnel tout en recourant de façon plus importante au financement semi-concessionnel et introduire une maturité de 5 ans au niveau de la dette intérieure". Cette approche permettrait d'allonger progressivement la maturité moyenne de la dette domestique, réduisant ainsi le risque de refinancement.

Optimisation de l'allocation des ressources empruntées

L'on ne peut qu'admettre qu'un prêt représentant 40% du PIB constitue une opportunité exceptionnelle de financement pour notre pays qui, si elle est correctement exploitée, peut générer un impact transformationnel sur l'économie nationale. L'allocation stratégique de ces ressources est donc cruciale.

Les autorités mauritaniennes devraient veiller à ce que ces fonds soient prioritairement orientés vers des projets d'infrastructure et des secteurs productifs capables de générer des retours économiques tangibles.

 Selon l'analyse de la Commission économique et sociale pour l'Asie occidentale (CESAO), dans son rapport - Dette publique et stratégies d'optimisationde la dette pour la Mauritanie -  "l'élaboration d'une stratégie d'optimisation de la dette avec une trajectoire de stabilisation du ratio dette/PIB à moyen terme, plutôt qu'une trajectoire de réduction de ce ratio, peut aider à réaliser la croissance potentielle de la production de la Mauritanie".


Cette approche implique la sélection rigoureuse de projets d'investissement à haute rentabilité sociale et économique, particulièrement dans les secteurs prioritaires identifiés dans les documents stratégiques nationaux, comme l'agriculture, les infrastructures de transport, l'énergie et les technologies de l'information et de la communication.

Développement du capital humain

Une partie significative des ressources empruntées devrait être consacrée au renforcement du capital humain, facteur essentiel pour la transformation structurelle de l'économie mauritanienne. Comme le souligne la Banque africaine de développement, rapport pays 2024 sur la Mauritanie ,mentionné plus haut, il est nécessaire de "développer le capital humain, en rehaussant la qualité de l'enseignement et en développent davantage la formation technique, notamment pour les femmes".


Cet investissement dans le capital humain permettrait d'améliorer la productivité économique nationale et de maximiser les retombées des autres investissements financés par l'emprunt, créant ainsi un cercle vertueux de développement.

Renforcement des mécanismes de gouvernance de la dette

L'efficacité de la gestion d'un prêt d'une telle ampleur requiert un cadre institutionnel robuste et transparent, garantissant que ces ressources seront utilisées conformément aux intérêts nationaux et de manière efficiente.

Le gouvernement mauritanien devrait renforcer les mécanismes de transparence et de redevabilité dans la gestion de la dette publique. Le projet d'appui à la gestion des finances publiques (PAGEFIP) souligne l'importance d'agir sur la mobilisation des ressources publiques, l'accroissement de l'efficacité de la gestion publique et l'amélioration de la transparence budgétaire et de la redevabilité".
Cette transparence accrue permettrait non seulement d'améliorer la confiance des partenaires techniques et financiers, mais également de renforcer le contrôle citoyen sur l'utilisation des ressources publiques, y compris celles issues de l'emprunt.

Le développement des compétences techniques des institutions responsables de la gestion de la dette est crucial. Comme le souligne la CNUCED, un projet récemment achevé "a aidé la Mauritanie à améliorer sa gestion de la dette publique" (CNUCED- Améliorer la gestion de la dette en Mauritanie – Juillet 2023), mais ces efforts doivent être poursuivis et intensifiés, particulièrement face à l'enjeu que représente la gestion d'un prêt d'une telle ampleur.
Le renforcement des capacités devrait notamment porter sur l'analyse de la viabilité de la dette, l'élaboration de stratégies d'endettement optimales, et l'évaluation rigoureuse des projets d'investissement public.

Mise en place d'une stratégie de réduction progressive de la dépendance

Si la diversification des sources de financement constitue une réponse immédiate à la dépendance excessive envers un créancier unique, une stratégie à plus long terme visant à réduire progressivement cette dépendance est également nécessaire.

L'amélioration de la mobilisation des ressources fiscales domestiques constitue un levier essentiel pour réduire la dépendance aux financements extérieurs. Le document de stratégie de la Banque africaine de développement recommande explicitement d'"accroitre la mobilisation des ressources intérieures, pour financer la transformation structurelle".
Les réformes fiscales entreprises dans le cadre des projets de loi de finances successives depuis 2024 témoignent certainement de cet engagement de la Mauritanie à "optimiser la collecte des revenus et à rationaliser les dépenses, contribuant ainsi à la stabilité macroéconomique du pays". Ces efforts doivent être poursuivis et amplifiés pour élargir l'assiette fiscale et améliorer l'efficacité de la collecte des impôts.

La transformation structurelle de l'économie mauritanienne est essentielle pour réduire sa vulnérabilité aux chocs exogènes et sa dépendance aux financements extérieurs. Selon la Banque africaine de développement, "le déficit de financement annuel pour accélérer la transformation structurelle de l'économie mauritanienne est évalué à 8,4 milliards d'USD pour la réalisation des ODD en 2030".
Cette transformation nécessite notamment "l'amélioration de la productivité du secteur agricole", "l'amélioration de la qualité des infrastructures dans les secteurs des transports, de l'énergie, des TIC", et "le développement du secteur industriel et du secteur privé". Ces orientations stratégiques devraient guider l'allocation des ressources empruntées, afin que celles-ci contribuent effectivement à la transformation structurelle de l'économie.



En définitive, l’on pourra affirmer qu’un prêt équivalent à 40% du PIB du pays récipiendaire transforme fondamentalement la relation entre les deux nations concernées, créant une interdépendance asymétrique aux multiples ramifications. Cette transaction financière exceptionnelle génère une dynamique complexe mêlant opportunités de développement et risques de dépendance excessive.

La nature de la relation qui en résulte dépend largement des intentions des deux parties, des conditions spécifiques du prêt et du contexte géopolitique plus large dans lequel il s'inscrit. Si le créancier privilégie une approche de partenariat à long terme axée sur le développement mutuel, le prêt peut catalyser une croissance économique bénéfique pour les deux nations. En revanche, si les motivations sont principalement extractives ou dominatrices, le financement risque de perpétuer ou d'accentuer les inégalités et les déséquilibres de pouvoir.

Dans tous les cas, un tel engagement financier crée une interdépendance durable entre les deux pays, transformant leur relation bilatérale en un partenariat stratégique aux dimensions multiples qui dépasse largement la simple transaction financière pour s'inscrire dans une reconfiguration plus profonde des équilibres géopolitiques et économiques.


Face donc à cette situation où un prêt unique représente 40% du PIB national de notre pays, le gouvernement mauritanien doit adopter une approche multidimensionnelle combinant diversification des sources de financement, optimisation de l'allocation des ressources empruntées, renforcement des mécanismes de gouvernance, et mise en place d'une stratégie de réduction progressive de la dépendance.


Nous pensons , enfin, que cette approche devrait s'inscrire dans le cadre plus large de la stratégie nationale de développement, avec pour objectif ultime de transformer ce défi en opportunité pour accélérer la transformation structurelle de l'économie mauritanienne. Comme le souligne la CESAO dans son rapport mentionné plus haut, "avec un service de la dette projeté à plus de 3,1 milliards de dollars entre 2024 et 2030, soit une moyenne de 450 millions de dollars par an, l'optimisation des stratégies de gestion de la dette avec des solutions innovantes est cruciale".


En adoptant ces recommandations, la Mauritanie pourrait non seulement gérer efficacement sa dette actuelle, mais également construire les fondations d'une économie plus résiliente et moins dépendante des financements extérieurs à l'avenir. Enfin, nous l'espérons. Camus, n'avait-il pas écrit "qu'il ya en l'homme plus de choses à admirer qu'à mépriser". Surtout qu'il s'agit du devenir d'une nation. La nôtre.

Pr ELY Mustapha


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Poésie de la douleur.