dimanche 9 mars 2025

La Gestion de l'immigration en Mauritanie : entre responsabilités nationales et pressions internationales. Par Pr ELY Mustapha

 La Mauritanie occupe une position géostratégique cruciale, servant de pont entre l'Afrique du Nord et l'Afrique subsaharienne, tout en constituant un point de départ majeur pour les migrations vers l'Europe via les îles Canaries. Sa politique migratoire, pour mieux la comprendre,  se trouve aujourd'hui au carrefour de multiples enjeux : ses propres impératifs sécuritaires et économiques, ses engagements avec les pays voisins du Sahel, et ses accords avec l'Union européenne qui cherche à limiter les flux migratoires vers son territoire, les structures institutionnelles mauritaniennes chargées de la gestion migratoire, les récents accords bilatéraux et multilatéraux conclus avec différents partenaires, et, enfin plus important encore , les préoccupations persistantes concernant le respect des droits fondamentaux des migrants sur le sol mauritanien.

L'épine dorsale du dispositif mauritanien de gestion des flux migratoires est la Direction de la Surveillance du Territoire (DST). Cette institution, placée sous l'autorité du Ministère de l'Intérieur, est investie d'un large éventail de responsabilités qui englobent l'ensemble du spectre de la gestion migratoire. Ses compétences s'étendent de l'immigration et l'émigration à la surveillance des frontières terrestres, aériennes, fluviales et maritimes, en passant par la police des étrangers, la délivrance des passeports, des visas et titres de voyage. La DST joue également un rôle central dans la coordination des activités des services de Police en matière de migration, la recherche et la répression des réseaux de passeurs, ainsi que la gestion des centres d'accueil pour les migrants irréguliers. Cette concentration de pouvoirs fait de la DST l'interlocuteur principal pour toutes les questions relatives à la mobilité transfrontalière en Mauritanie.

Le cadre juridique mauritanien en matière d'immigration demeure, quant à lui, en partie obsolète, ne reflétant pas toujours les réalités migratoires contemporaines ni les engagements internationaux du pays. 
La loi n° 2010.021 détaille les dispositions pénales des infractions annexes au trafic illicite de migrants, telles que la fabrication de faux documents ou la fraude à l'identité, et prévoit des circonstances aggravantes dans certains cas spécifiques. Cependant, ce cadre juridique présente d'importantes lacunes, notamment en ce qui concerne le statut des demandeurs d'asile, la protection des réfugiés et la gestion des flux migratoires mixtes. Un projet de loi relatif à l'entrée et au séjour des étrangers et au droit d'asile est actuellement à l'étude, visant à moderniser le dispositif législatif mauritanien et à l'aligner sur les standards internationaux.

Campagnes de régularisation des migrants en situation irrégulière.


Dans la pratique administrative, la Mauritanie a lancé des campagnes de régularisation pour permettre aux migrants en situation irrégulière d'obtenir un titre de séjour légal. Une telle initiative a été mise en œuvre en 2022, bien que les statistiques officielles concernant le nombre de demandes déposées et de permis accordés n'aient pas été rendues publiques. Plus récemment, des mesures spécifiques ont été adoptées en faveur des ressortissants maliens, illustrant une approche différenciée selon la nationalité des migrants. Ces mesures incluent notamment l'exonération des frais de carte de séjour pour les Maliens, la création d'un cadre de concertation permanent entre l'ambassade du Mali et les autorités mauritaniennes, et l'intensification de l'accompagnement diplomatique pour faciliter leur régularisation.


L'Intensification récente des accords migratoires

Face à l'augmentation significative des arrivées de migrants aux îles Canaries depuis les côtes ouest-africaines, l'Union européenne et particulièrement l'Espagne ont intensifié leurs efforts diplomatiques pour impliquer la Mauritanie dans la gestion des flux migratoires. Le 7 mars 2024, l'UE et la Mauritanie ont signé à Nouakchott une déclaration de partenariat sur la migration irrégulière, par laquelle Mauritanie devrait recevoir 210 millions d'euros pour réduire le nombre de migrants transitant par son territoire vers les îles Canaries. Ce partenariat s'inscrit dans le cadre plus large du programme européen "Global Gateway" et couvre cinq domaines spécifiques en matière migratoire : les opportunités socio-économiques pour les jeunes, l'asile, la migration légale, la migration irrégulière (incluant le trafic de migrants, la traite des êtres humains, les retours et réadmissions), et la gestion et le contrôle des frontières.
Cette initiative européenne intervient dans un contexte où la route atlantique vers les îles Canaries est devenue l'une des plus fréquentées pour rejoindre l'Europe. Entre le 1er janvier et le 15 mars 2024, 12 393 migrants ont débarqué sur l'archipel espagnol, contre seulement 2 178 pour la même période en 2023, et plus de 80% des embarcations les transportant sont parties de Mauritanie ou ont transité par ses eaux territoriales. Ces chiffres alarmants expliquent l'urgence avec laquelle l'UE s'est tournée vers la Mauritanie, suite notamment à des désaccords avec la Tunisie et le Niger, deux pays sur lesquels elle avait partiellement fondé sa stratégie de contrôle des flux migratoires en provenance d'Afrique.

Parallèlement aux initiatives européennes, l'Espagne a renforcé ses relations bilatérales avec la Mauritanie en matière de gestion migratoire. Le 27 août 2024, l'Espagne a signé avec la Mauritanie un "mémorandum d'entente" sur la "migration circulaire", établissant un cadre concerté d'entrée régulière sur le sol espagnol pour des travailleurs mauritaniens formés en fonction des besoins de l'économie espagnole, avec une attention particulière accordée aux jeunes et aux femmes. Ce type d'accord vise à créer des alternatives légales à la migration irrégulière tout en répondant aux besoins du marché du travail espagnol, notamment dans le secteur agricole où la demande de main-d'œuvre saisonnière est importante.
En complément de cet accord sur la migration circulaire, l'Espagne et la Mauritanie ont également signé une "déclaration d'intention" ouvrant la voie à une collaboration renforcée contre la criminalité organisée, principalement axée sur la lutte contre le trafic d'êtres humains. Cette coopération sécuritaire se traduit concrètement par un soutien technique et logistique aux garde-côtes mauritaniens, notamment à travers la surveillance aérienne assurée par la "Guardia Civil" espagnole le long des côtes mauritaniennes. Ces mesures témoignent d'une approche de plus en plus externalisée de la gestion des frontières européennes, où les pays de transit comme la Mauritanie sont incités, par des moyens financiers et diplomatiques, à jouer un rôle de premier plan dans le contrôle des flux migratoires.
Les Relations avec les Pays Voisins du Sahel

Accords de libre circulation et gestion des frontières partagées

La position géographique de la Mauritanie, à l'interface entre le Maghreb et l'Afrique subsaharienne, a historiquement façonné ses relations avec ses voisins immédiats, particulièrement le Mali et le Sénégal. Des accords de mobilité de longue date structurent ces relations transfrontalières, les accords de circulation avec le Sénégal remontant à 1972 et ceux avec le Mali à 1963. Ces arrangements bilatéraux témoignent d'une tradition de perméabilité relative des frontières dans la région, favorisant les échanges commerciaux et les migrations économiques circulaires. Dans une démarche de facilitation des mouvements transfrontaliers, la Mauritanie a significativement augmenté le nombre de points d'entrée officiels sur son territoire, passant de 50 à 81, avec une majorité spécifiquement réservée aux ressortissants des pays voisins comme le Mali, le Sénégal et la Guinée.
Cependant, malgré ces dispositifs favorisant théoriquement la mobilité régionale, on observe un faible taux de régularisation administrative parmi les migrants en provenance des pays limitrophes. Selon les chiffres officiels, sur 130 000 arrivées enregistrées en 2024, seuls 7 000 migrants ont sollicité un renouvellement de leur titre de séjour, laissant environ 123 000 personnes en situation administrative précaire. Ce déséquilibre souligne les limites pratiques des accords de libre circulation et suggère l'existence d'obstacles administratifs, financiers ou informationnels qui entravent l'accès des migrants aux procédures de régularisation. Cette situation de précarité administrative place de nombreux migrants dans une position de vulnérabilité face aux contrôles d'identité et aux opérations d'expulsion.

La Gestion des réfugiés maliens et les défis humanitaires

L'instabilité politique et sécuritaire persistante au Mali a provoqué d'importants déplacements de population vers la Mauritanie voisine, transformant le pays en un important territoire d'accueil pour les réfugiés. Le Plan de Réponse et de Résilience pour les Réfugiés Maliens en Mauritanie 2025 (P3R Mauritanie) a été élaboré pour répondre aux besoins spécifiques de cette population vulnérable et des communautés d'accueil dans la région du Hodh Chargui. Selon les projections, environ 318 000 réfugiés maliens sont attendus en Mauritanie d'ici fin 2025, exerçant une pression considérable sur les ressources et les services dans cette région déjà économiquement fragile.
Face à cette situation, les récentes mesures d'exemption des frais de carte de séjour pour les Maliens et l'établissement d'un cadre de concertation permanent entre l'ambassade du Mali et les autorités mauritaniennes représentent des avancées significatives. Ces initiatives visent à faciliter l'intégration administrative des réfugiés maliens et à prévenir les retours forcés vers un pays toujours en proie à l'insécurité. Cependant, la mise en œuvre effective de ces mesures se heurte à des défis logistiques et administratifs considérables, notamment dans les zones frontalières éloignées où l'accès aux services publics demeure limité. Par ailleurs, la distinction entre migrants économiques et réfugiés n'est pas toujours clairement établie dans la pratique administrative mauritanienne, ce qui peut affecter l'accès aux protections spécifiques garanties aux personnes fuyant des persécutions ou des conflits.


Les pratiques d'arrestation et d'expulsion controversées

De nombreuses organisations de défense des droits humains ont documenté des pratiques préoccupantes dans la gestion des migrants irréguliers en Mauritanie. Amnesty International a rapporté des cas d'arrestations arbitraires où des migrants ont été appréhendés dans la rue ou à leur domicile et accusés, apparemment sans preuve tangible, d'avoir l'intention de rejoindre l'Espagne irrégulièrement. Ces arrestations sont d'autant plus problématiques que le fait de quitter le territoire mauritanien de manière irrégulière ne constitue pas une infraction au regard de la législation nationale, comme l'ont reconnu certains responsables de la Sûreté nationale et le procureur de Nouadhibou. Cette contradiction entre les pratiques et le cadre légal soulève d'importantes questions sur la base juridique des opérations de contrôle migratoire.
Plus récemment, en mars 2025, plusieurs associations mauritaniennes de défense des droits humains ont exprimé leur inquiétude face à une vaste campagne de contrôle ciblant les étrangers, particulièrement les ressortissants des pays d'Afrique subsaharienne. L'Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), l'Association mauritanienne pour la citoyenneté et le développement (AMCD) et le mouvement Citoyens et citoyennes debout (CCD) ont dénoncé dans un communiqué conjoint les opérations d'arrestation et d'expulsion forcée qui ont touché des centaines de migrants. Selon ces organisations, certains migrants ont été soumis à un traitement "inhumain", privés de droits fondamentaux tels que l'alimentation et la protection juridique, avant d'être expulsés via les postes frontaliers de Rosso et de Gougui.

Conditions de détention et procédures d'éloignement

Les conditions dans lesquelles sont détenus les migrants avant leur éloignement du territoire mauritanien suscitent également de vives préoccupations. Des témoignages recueillis par Amnesty International au centre de rétention de Nouadhibou indiquent que plusieurs migrants ont été brutalisés ou insultés au moment de leur arrestation par les forces de sécurité. La plupart ont été dépouillés de certains de leurs biens, et plusieurs ont vu leurs documents d'identité confisqués ou déchirés lors de leur interpellation, les plaçant ainsi dans une situation de plus grande vulnérabilité. Le Comité pour la protection des droits des travailleurs migrants s'est également inquiété des cas d'incarcération de migrants irréguliers avec des prisonniers de droit commun, en violation des textes en vigueur en Mauritanie. 
Les procédures d'éloignement sont souvent caractérisées par leur caractère expéditif et l'absence de garanties juridiques adéquates. Les arrestations sont fréquemment suivies de manière quasi automatique par des renvois à la frontière, sans possibilité de recours effectif devant un organe judiciaire. Dans certains cas, des quartiers où réside une majorité de migrants se seraient vidés en raison d'expulsions massives, parfois sans que les personnes concernées puissent emporter leurs biens. Des cas particulièrement alarmants d'individus abandonnés à la frontière du désert Mali-Mauritanie ont également été documentés. Ces pratiques soulèvent d'importantes questions quant au respect par la Mauritanie de ses obligations internationales en matière de droits humains, notamment celles découlant de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.
Évolutions Récentes et Perspectives

L'Impact des accords avec l'ue sur les pratiques mauritaniennes

La signature du partenariat entre l'Union européenne et la Mauritanie en mars 2024 a eu des répercussions tangibles sur les pratiques mauritaniennes en matière de gestion migratoire. Dans les mois qui ont suivi, on a observé une intensification des campagnes policières et des opérations de renvoi, ainsi qu'une augmentation des patrouilles des garde-côtes le long du littoral mauritanien. Cette évolution témoigne de l'influence des priorités européennes sur les politiques migratoires de la Mauritanie, qui se traduit par un renforcement des mesures de contrôle et de répression à l'égard des migrants irréguliers. Cependant, face aux critiques concernant cette approche principalement sécuritaire, le porte-parole du gouvernement mauritanien, a fermement rejeté l'idée que son pays agirait comme le "gardien" des frontières européennes. Il a souligné le caractère "unique" de la politique migratoire mauritanienne et mis en avant l'importante population de réfugiés que le pays accueille. 
L'efficacité de cette approche restrictive reste néanmoins questionnable. Comme le souligne l'analyse publiée par le Conseil européen sur les réfugiés et les exilés (ECRE), en l'absence de voies légales proportionnées à l'ampleur des arrivées, les mouvements non autorisés se poursuivront probablement, avec pour principale conséquence une augmentation des prix pratiqués par les passeurs en réponse au renforcement des dispositifs de surveillance. Par ailleurs, le programme de migration circulaire récemment annoncé, bien qu'il puisse apporter quelques changements positifs, s'adresse principalement aux ressortissants mauritaniens et ne répond pas aux besoins des nombreux migrants d'autres États d'Afrique de l'Ouest qui constituent la majorité des personnes tentant de rejoindre l'Europe depuis les côtes mauritaniennes.

Les tragédies en mer et l'urgence d'une réponse humanitaire

La route de l'Atlantique, empruntée par des milliers de migrants ces dernières années, notamment suite au renforcement des mesures de contrôle en Méditerranée, s'est révélée particulièrement meurtrière. La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a exprimé sa profonde préoccupation suite au naufrage d'une embarcation transportant environ 300 migrants au large de Nouakchott en juillet 2024, qui a fait plus de 25 morts, dont des enfants et des femmes. Cet incident tragique survient après un autre naufrage le 1er juillet 2024, lors duquel un bateau de pêche traditionnel a coulé au large de la Mauritanie, entraînant la découverte de 89 corps, avec 72 personnes toujours portées disparues. Ces drames humains soulignent les risques extrêmes auxquels sont confrontés les migrants sur cette route maritime, caractérisée par des forts courants et des vents violents qui déstabilisent les embarcations, souvent en mauvais état et surchargées.
Face à cette situation alarmante, plusieurs voix s'élèvent pour demander une réorientation des priorités dans la gestion des flux migratoires, en plaçant les opérations de recherche et de sauvetage au premier plan. Le Dr. Hassan Ould Moctar, dans son rapport pour l'ECRE, recommande notamment à l'UE de faire des opérations de recherche et de sauvetage une priorité absolue et de rappeler à son partenaire mauritanien l'importance du respect des droits de l'homme pour la continuité du partenariat. Il préconise également la création de voies légales pour les non-mauritaniens et une mise en œuvre des projets de développement indépendante des préoccupations liées à la migration. Ces recommandations s'inscrivent dans une vision plus équilibrée de la gestion migratoire, qui reconnaît la nécessité de concilier les impératifs sécuritaires avec le respect de la dignité humaine et des droits fondamentaux des personnes migrantes.


Concilier responsabilités humanitaires et  impératifs sécuritaires dans la gestion des flux migratoires.

En définitive, la gestion de l'immigration étrangère par les autorités mauritaniennes s'inscrit dans un contexte complexe, marqué par des pressions multiples et parfois contradictoires. D'un côté, la position géographique du pays et ses liens historiques avec ses voisins sahéliens en font naturellement un espace de transit et d'accueil pour de nombreux migrants et réfugiés. De l'autre, les partenariats récemment conclus avec l'Union européenne et l'Espagne orientent la politique migratoire mauritanienne vers un contrôle accru des frontières et une limitation des flux vers l'Europe. Cette tension entre tradition d'hospitalité et nouvelles exigences sécuritaires se reflète dans le discours officiel, qui insiste sur le caractère "unique" de l'approche mauritanienne tout en renforçant concrètement les dispositifs de surveillance et de contrôle.
Les préoccupations relatives aux droits humains demeurent au cœur des débats sur la politique migratoire mauritanienne. Les pratiques d'arrestation, de détention et d'expulsion documentées par diverses organisations de défense des droits humains appellent à une vigilance accrue et à des réformes substantielles pour garantir le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes migrantes. Par ailleurs, les tragédies récurrentes en mer témoignent de l'urgente nécessité d'une approche plus équilibrée, qui combine la lutte contre les réseaux de trafic de migrants avec le développement de voies de migration légales et sûres, ainsi que le renforcement des capacités de recherche et de sauvetage.
À l'avenir, le défi pour la Mauritanie consistera à développer une politique migratoire qui réponde simultanément à ses propres intérêts nationaux, à ses engagements internationaux en matière de droits humains, et aux attentes de ses partenaires européens. Cette politique devra nécessairement s'inscrire dans une approche régionale coordonnée, impliquant l'ensemble des pays d'origine, de transit et de destination, et mettant l'accent sur le développement socio-économique comme moyen de traiter les causes profondes de la migration irrégulière. Ce n'est qu'à travers une telle approche holistique que la Mauritanie pourra véritablement concilier ses responsabilités humanitaires avec ses impératifs sécuritaires dans la gestion des flux migratoires.


                                                                                                                                          Pr ELY Mustapha

samedi 8 mars 2025

Coup d'État en Mauritanie : les tribus ont pris le pouvoir. Par Pr ELY Mustapha

 "Il n'est pas des nôtres celui qui appelle au tribalisme. Il n'est pas des nôtres celui qui combat pour le tribalisme. Il n'est pas des nôtres celui qui meurt pour le tribalisme."

Hadith du Prophète Mohamed que la paix soit sur lui

 (Sunan Abu Dawud 5121, Livre 41, Hadith 133)

 "Ô peuple ! Votre Seigneur est Un et votre père [Adam] est un. Un Arabe n'a aucune supériorité sur un non-Arabe, ni un non-Arabe sur un Arabe ; un blanc n'a aucune supériorité sur un noir, ni un noir sur un blanc, si ce n'est par la piété et les bonnes actions." 

Sermon d'Adieu (Khutbatul Wada) du Prophète Muhammad (PSL)

 (Musnad de l'Imam Ahmad ibn Hanbal (hadith n° 23489) 

Sahih al-Bukhari (partie du long hadith du Sermon d'Adieu)

 

 La mort institutionnelle de l'Etat

La Mauritanie contemporaine offre un cas d'école de la déliquescence institutionnelle : l'État, en tant qu'entité régulatrice, n'existe plus. À sa place s'est imposé un système de gouvernance parallèle, dirigé par des tribus arabo-berbères qui contrôlent les leviers économiques, sécuritaires et politiques du pays.L’État mauritanien fonctionne comme une coquille vide, où les tribus dictent lois, budgets et nominations Ce « coup d'État silencieux » ne s'est pas produit en une nuit, mais résulte d'un processus historique de captation des ressources et de neutralisation méthodique des institutions.

Aujourd'hui, analyser la Mauritanie sans placer les logiques tribales au cœur de l'équation relève de la cécité académique.


I-    Les racines historiques de l'hégémonie tribale

La colonisation française : architecte précurseur du tribalisme mauritanien moderne

L'administration coloniale française a codifié les hiérarchies tribales en s'appuyant sur des chefs tribaux comme relais locaux, marginalisant les Haratines (descendants d'esclaves) et les AfroMauritaniens. Ce système néopatrimonial a survécu à l'indépendance (1960), les élites tribales reproduisant les schémas de domination via le parti unique La réforme foncière de 1983, permettant l'expropriation des terres afro-mauritaniennes au profit des tribus, a marqué un tournant. En 1989, des purges ethniques chassèrent des milliers d'afro-mauritaniens, redistribuant leurs terres à des alliés tribaux du régime.

L'emprise des tribus sur les institutions politiques mauritaniennes est profonde et multiforme. Au cœur du système se trouve un monopole parlementaire et exécutif sans précédent. Les tribus arabo-berbères contrôlent 72 % des sièges au Parlement et 85 % des postes exécutifs. Cette domination n'est pas le fruit du hasard, mais le résultat d'une stratégie délibérée de captation du pouvoir. Les clans Awlad Bu Sba et Smassid, en particulier, ont réussi à s'arroger les ministères-clés tels que la Défense, l'Intérieur et les Finances, leur permettant ainsi de verrouiller l'ensemble des décisions stratégiques du pays. Cette mainmise sur les institutions trouve ses racines dans l'histoire post-coloniale de la Mauritanie. Sous la présidence de Moctar Ould Daddah (1960–1978), le Parti du Peuple Mauritanien (PPM) a institutionnalisé le tribalisme en cooptant systématiquement les chefs tribaux, transformant de facto l'État en un outil de légitimation et de renforcement des hiérarchies traditionnelles.

Le tribalisme comme doctrine d'État

Aujourd'hui, les tribus contrôlent 72% des sièges parlementaires et 85% des postes exécutifs. Les tribus dominantes (Awlad Bu Sba, Smassid, Oulad Delim) ont transformé l'appareil d'État en outil de prédation, utilisant les lois et budgets publics pour consolider leurs fiefs économiques.

Le processus électoral lui-même est devenu un théâtre où se joue la domination tribale. Le parti au pouvoir, El Insaf, alloue 65 % de son budget (estimé à 4,8 millions de dollars par an) à la mobilisation électorale des communautés arabo-berbères. Cette stratégie repose sur un système élaboré de clientélisme, où des concessions de terres et des promesses d'immunité judiciaire sont échangées contre des votes. L'oppression politique des opposants issus des communautés marginalisées est monnaie courante. En 2014, la candidature présidentielle de Biram Dah Abeid, militant anti-esclavagiste, a été systématiquement sabotée. Des partisans subissaient des confiscations de terres, illustrant la collusion entre pouvoir religieux, économique et politique au service des intérêts tribaux.


II-     L'économie capturée : Tribus contre Trésor public

Les secteurs-clés sous contrôle tribal

La captation des ressources économiques par les tribus dominantes illustre de manière flagrante leur influence sur le gouvernement. Dans le secteur minier, stratégique pour l'économie mauritanienne, la tribu Awlad Bu Sba, étroitement liée à l'ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz, a mis en place un système de perception de « royalties informelles » sur l'exploitation du fer à Zouérat. Ce mécanisme opaque permet de détourner entre 8 et 12 millions de dollars par an des revenus de la SNIM (Société Nationale Industrielle et Minière), privant ainsi l'État de ressources cruciales pour son développement. Le secteur des pêcheries n'échappe pas à cette logique prédatrice. 

Les coopératives tribales  basées à Nouadhibou ont réussi à s'octroyer le contrôle de 38 % des exportations de poulpe vers l'Union Européenne, grâce à un système de quotas opaques négociés au plus haut niveau de l'État. Cette mainmise leur assure des revenus annuels de l'ordre de 14 millions d'euros, au détriment des communautés côtières non-arabo-berbères et du Trésor public.
Soit:
•    Pêcheries : Les coopératives tribales de Nouadhibou contrôlent 38% des exportations de poulpe vers l'UE, générant 14 millions d'euros annuels via des quotas opaques-
•    Mines : La tribu Awlad Bu Sba perçoit des «royalties informelles » sur l'exploitation du fer à Zouérat, détournant 8 à 12 millions de dollars/an des revenus de la SNIM (société minière nationale).

Or et drogue : Les tribus Reguibat et Oulad Delim contrôlent 30 % du trafic de cannabis marocain (270 tonnes/an) et 15 % de la cocaïne sud-américaine transitant par le Sahel, avec des complicités douanières (150–300 €/véhicule).

Les systèmes de prédation sont variés et multiples. Parmi ceux utilisés: l'Intégration (Hawala) et la Syndication des ressources.

L'Intégration (Hawala): Des bureaux de change tribaux de Nouakchott ont traité des millions de dollars de dons intraçables du Golfe, tirant parti des liens tribaux pour contourner la surveillance de la Banque centrale mauritanienne.
La Syndication des ressources : Le contrôle sur les collectifs de pêche artisanale permet aux tribus  de rediriger les cargaisons de poulpes à destination de l'UE vers les marchés de Dubaï, capturant des millions de dollars de profits illicites.

La prédation systémique


La structure étatique de Solidarité, destinée à lutter contre la pauvreté, canalise 40% de son budget (6 millions de dollars) vers des «projets» tribaux servant à acheter des loyautés tribales. Parallèlement, l'État perd 220 millions de dollars/an via la contrebande d'or, facilitée par l'absence de scanners financiers à 88% des postes frontaliers.

III. L'effacement de l'État de droit

Justice sélective et impunité tribale

Le Conseil Supérieur de la Magistrature, dominé à 60% par des tribus, bloque les enquêtes visant les élites tribales. En 2011, le président Aziz a gracié 30 trafiquants de drogue condamnés, tous issus de tribus influentes. En 2023, une saisie de 1,2 tonne de cocaïne à Nouadhibou a été étouffée quand les enquêteurs ont découvert des liens familiaux avec un ancien ministre de la Défense.

L'instrumentalisation du système judiciaire

L'instrumentalisation du système judiciaire au profit des intérêts tribaux est un autre exemple frappant de cette influence. 

L'impunité dont jouissent les membres des tribus dominantes est devenue systémique. En 2011, un cas emblématique a choqué l'opinion publique : le président Aziz a gracié 30 trafiquants de drogue condamnés, tous issus de tribus influentes. Cette décision, prise par décret présidentiel, a démontré de manière éclatante la subordination du pouvoir judiciaire aux intérêts claniques. Plus récemment, en 2023, une affaire de trafic de drogue à grande échelle a mis en lumière les mécanismes de protection tribale. Une saisie de 1,2 tonne de cocaïne à Nouadhibou, qui aurait dû conduire à des poursuites judiciaires d'envergure, a été rapidement étouffée lorsque l'enquête a révélé des liens familiaux entre les trafiquants et un ancien ministre de la Défense. 


En 2024, à l'occasion de l'enquête sur le clan Cheikh Eyah, un système de blanchiment de 30 millions de dollars via des bureaux de change à Nouakchott et des exportations frauduleuses de poulpe vers Dubaï a été mis à jour. Les charges ont été abandonnées en 24 heures pour « vice de procédure » - un scénario classique de protection tribale.Cette affaire, au-delà de la présomption d'innocence qui doit prévaloir à l'égard des présumés,  illustre non seulement la sophistication des réseaux financiers tribaux, mais aussi leur capacité à neutraliser le système judiciaire.
Ces exemples illustrent comment le système judiciaire, censé être le garant de l'État de droit, est devenu un instrument au service des intérêts tribaux.

 Armée et sécurité : des milices tribales déguisées

 L'armée et les forces de sécurité n'échappent pas à l'emprise tribale, compromettant sérieusement la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'État mauritanien.  90 % des postes d'officiers supérieurs sont occupés par des tribus. Les promotions au sein de l'armée sont basées non pas sur le mérite ou les compétences, mais sur l'allégeance tribale, créant ainsi une force armée plus loyale envers les clans qu'envers l'État. Cette situation est exacerbée par l'existence de milices tribales quasi-autonomes. Le cas le plus flagrant est celui de la tribu Oulad Delim, qui dispose d'une force paramilitaire de 800 hommes, armée via des réseaux libyens. Cette milice patrouille les frontières et contrôle des territoires entiers sans aucune supervision ou contrôle de l'État central, illustrant la fragmentation de la souveraineté nationale au profit des intérêts tribaux.

 Enfin, les alliances entre certaines tribus du nord  et des groupes jihadistes représentent peut-être la manifestation la plus inquiétante de cette influence tribale.. Cette collusion entre intérêts tribaux et réseaux terroristes non seulement sape les efforts de lutte antiterroriste de l'État mauritanien, mais pose également un défi sécuritaire majeur pour toute la région sahélienne.


IV. Conséquences : un pays en déliquescence

La Mauritanie n'est plus un État au sens wébérien du terme (soit une communauté humaine, qui à l’intérieur d’un territoire déterminé (...) revendique pour elle-même et parvient à imposer le monopole de la violence physique légitime),   mais une constellation de fiefs tribaux régis par des lois parallèles. 

Les « élections » ne sont que des mises en scène validant des rapports de force claniques.

Ainsi , pour faire face à ces  mécanismes de prédation, toute réforme devra nécessairement passer par :
•    La restitution de 30% des actifs miniers et halieutiques aux coopératives non tribales
•    Le renforcement des tribunaux anticorruption sous supervision internationale
•    Le déploiement de douanes intelligentes (IA, blockchain) à Nouakchott et Nouadhibou

Sans rupture radicale, la Mauritanie restera un État fantôme, où la citoyenneté s'efface devant l'appartenance tribale.

Les exemples  concrets n'en finissent plus qui démontrent que l'État mauritanien fonctionne aujourd'hui comme une coquille vide, où les tribus  dictent les lois, contrôlent les budgets et décident des nominations clés. 

Cette hégémonie tribale, héritée de l'ère coloniale et renforcée par des décennies de clientélisme, explique l'échec persistant des tentatives de réformes démocratiques et la perpétuation des crises humanitaires et sécuritaires que connaît le pays. 

Toute analyse ou initiative politique concernant la Mauritanie doit impérativement prendre en compte cette réalité tribale qui structure profondément la gouvernance du pays.


La Mauritanie se trouve, donc, à un carrefour critique. Sans une action décisive pour freiner le pouvoir tribal et reconstruire les institutions étatiques, le pays risque de compléter sa transition d'un État fragile à un simple consortium tribal, où la gouvernance est effectivement mise aux enchères au plus offrant et où la citoyenneté se réduit à l'allégeance clanique.


La disparition de l'État mauritanien n'est pas une menace lointaine ou une préoccupation théorique - c'est la réalité vécue par des millions de personnes piégées dans un ordre néoféodal, qui les détruit, les appauvrit et  qui a supplanté la gouvernance moderne. Le défi à venir est monumental, nécessitant non seulement des changements de politique mais une réinvention fondamentale de la relation entre l'État, les tribus et les citoyens dans la société mauritanienne.


L'alternative - accepter la suprématie tribale comme un fait accompli - condamnerait la Mauritanie à un avenir d'inégalités croissantes, de dégradation environnementale et d'insécurité perpétuelle, avec des répercussions ressenties bien au-delà de ses frontières dans une région déjà volatile.

 

 Il y a environ 1431 ans, le 9è jour de Dhul-Hijjah, alors qu'il se tenait  dans la vallée d'Uranah  au Mont Arafat, le Prophète Muhammad (SAW) a délivré son sermon d'Adieu (Khutbatul Wada) :

« Ô Peuple, prêtez-moi une oreille attentive, car je ne sais si après cette année, je serai de nouveau parmi vous. Par conséquent, écoutez très attentivement ce que je vous dis et apportez ces paroles à ceux qui n'ont pas pu être présents ici aujourd'hui.

Ô Peuple, tout comme vous considérez ce mois, ce jour, cette ville comme sacrés, considérez la vie et les biens de chaque musulman comme une responsabilité sacrée. Restituez les biens qui vous sont confiés à leurs propriétaires légitimes. Ne blessez personne pour que personne ne vous blesse. Rappelez-vous que vous rencontrerez en effet votre Seigneur et qu'il évaluera en effet vos acte
s. (....)

Mais  qui aujourd'hui, l'entend encore ?


« Si vos cœurs n’étaient pas absorbés par les paroles et que vous n’en raffoliez, vous entendriez ce que j’entends. » (Hadith du Prophète Mohamed que la paix soit sur lui)

Certainement pas par des gouvernants d'un  Etat pris en otage par des tribus, avec laquelle l'Alliance  avait été formellement interdite par le prophète Mohamed (PSL) de son vivant.

 Paix aux innocents.

Pr ELY Mustapha


mercredi 5 mars 2025

La Conditionnalité de l'aide américaine et son impact sur les relations avec les pays en développement. Par Pr ELY Mustapha

La conditionnalité de l'aide américaine représente un enjeu majeur pour les pays en développement, configurant profondément leurs relations avec la première puissance mondiale. La récente suspension de l'USAID par l'administration Trump en février 2025 illustre de façon dramatique comment les mécanismes de conditionnalité peuvent affecter la souveraineté des États bénéficiaires, leur stabilité socio-économique et leur capacité à définir leurs propres trajectoires de développement. j'examine, ici, les multiples dimensions de cette conditionnalité et ses conséquences concrètes pour les pays récipiendaires.

La Nature et les Mécanismes de la Conditionnalité Américaine

La conditionnalité de l'aide représente l'ensemble des exigences qu'un pays donateur impose comme condition préalable à l'obtention ou au maintien de son assistance financière et technique. Cette pratique, loin d'être nouvelle, s'inscrit dans une longue tradition de la politique étrangère américaine remontant au Plan Marshall. Comme le souligne le document d'analyse historique, "la politique américaine à travers le Plan Marshall est à l'origine de l'aide publique au développement (APD)". Cette politique s'est transformée au fil des décennies, prenant différentes formes selon les contextes géopolitiques, tout en conservant sa dimension d'instrument d'influence.
Les conditionnalités imposées par les États-Unis se déclinent en plusieurs catégories distinctes. D'abord, les conditionnalités économiques exigent des réformes structurelles comme la libéralisation des marchés, les privatisations ou les ajustements fiscaux. Ensuite, les conditionnalités politiques concernent les exigences en matière de gouvernance, démocratie et respect des droits humains. S'y ajoutent des conditionnalités de sécurité liées à la lutte contre le terrorisme et au contrôle des frontières, ainsi que des conditionnalités sociales touchant aux politiques de santé ou d'éducation.
Ces mécanismes s'appliquent à travers des instruments précis, comme le décrit un rapport spécialisé sur la question: "Les conditionnalités se répartissent en trois grandes catégories - Les actions préalables : mesures qui doivent être prises par le gouvernement avant tout prêt des IFI afin de démontrer son engagement... Les critères de performance : conditions périodiques qui doivent être remplies à différentes étapes d'un programme... Les critères structurels : critères permettant de vérifier qu'un programme est bien en cours". Ce système complexe constitue un puissant levier d'influence sur les politiques intérieures des pays bénéficiaires.

L'USAID et sa Récente Suspension
L'Agence américaine pour le développement international (USAID) représente l'un des principaux instruments de l'aide extérieure américaine. Avec "un budget de plus de 40 milliards de dollars, destiné à l'aide humanitaire et l'aide au développement à travers le monde", cette agence emploie "quelques 10.000 personnes, dont les deux-tiers sont en poste à l'étranger". Elle finance des projets dans des domaines essentiels comme la santé, l'éducation, la sécurité alimentaire et la gouvernance.
Cependant, la décision de l'administration Trump de suspendre les activités de l'USAID, annoncée en février 2025, représente un tournant majeur. Dès son arrivée au pouvoir le 20 janvier, le président a "ordonné, par décret, un gel massif des financements pendant 90 jours". Cette décision s'inscrit dans sa politique de "l'Amérique d'abord" et répond à des critiques internes considérant l'agence comme "dirigée par une bande de fous extrémistes". Elon Musk, désormais chef du "département de l'Efficacité gouvernementale", a même qualifié l'agence de "nid de vipères marxistes".
Cette suspension ne signifie pas l'arrêt définitif de toute aide américaine, mais plutôt "un changement de méthode", comme l'a précisé Marco Rubio: "Il ne s'agit pas d'une organisation caritative. Il ne s'agit pas de fonds privés. Il s'agit de l'argent des contribuables américains. Nous avons l'obligation de le dépenser avec sagesse". L'administration prévoit notamment de réorienter l'aide pour cibler ses propres priorités politiques, notamment en excluant les programmes favorisant la diversité ou l'accès à l'avortement.

Les Conséquences pour les Pays en Développement

L'Impact Humanitaire et Social Immédiat
La suspension de l'USAID provoque des conséquences immédiates et dramatiques pour de nombreux pays en développement, particulièrement en Afrique. Comme le témoigne Ibrahim Oulem, volontaire dans une association locale au Burkina Faso: "Nous craignons une situation catastrophique en Afrique avec la suspension de cette aide. Par exemple, chez nous au Burkina, cela aide beaucoup à faire face à la situation humanitaire due à la crise sécuritaire avec la menace des groupes armés". La suspension affecte des secteurs essentiels comme l'alimentation, l'accès à l'eau potable, la santé et l'éducation.

Dans le domaine de la santé, le directeur médical de la région Nord du service de santé du Ghana exprime des préoccupations graves: "Nous sommes confrontés à d'éventuelles ruptures de stock, qui pourraient entraîner une augmentation des maladies évitables, des décès maternels et une résurgence de virus comme le paludisme et la tuberculose". Un chercheur de l'African Population and Health Research estime que "la plus grande perte pour l'Afrique sous l'égide de l'USAID sera le financement du PEPFAR, qui soutient les programmes de prévention, de dépistage et de traitement du VIH".

L'agriculture, secteur vital pour de nombreuses économies africaines, est également touchée. Un agriculteur ghanéen témoigne: "Si nous ne recevons pas les engrais et les semences à temps, nos rendements chuteront considérablement (...) cela signifie moins de nourriture sur les marchés, des prix plus élevés pour tout le monde et d'éventuelles pénuries alimentaires dans tout le pays. Cela signifie moins de nourriture pour ma famille et moins d'argent pour payer les frais de scolarité de mes enfants". Ces témoignages illustrent l'impact immédiat et concret de la suspension de l'aide américaine sur les populations les plus vulnérables.

L'Atteinte à la Souveraineté et à l'Autonomie Politique
Au-delà de l'impact humanitaire immédiat, la conditionnalité de l'aide américaine soulève des questions fondamentales concernant la souveraineté des États bénéficiaires. Comme le soulignait en 2005 le président malien Amadou Toumani Touré: "Un véritable partenariat suppose l'autonomie des pays bénéficiaires lorsqu'ils demandent une aide... En revanche, les pays donateurs ne sauraient utiliser leur aide ou allègement des dettes pour imposer des politiques économiques aux pays pauvres". Cette déclaration reste d'une actualité saisissante dans le contexte actuel.

La conditionnalité impose souvent des orientations politiques et économiques précises qui peuvent être déconnectées des priorités nationales des pays bénéficiaires. Une analyse critique décrit l'approche prescriptive de l'aide américaine comme "une forme de supra conditionnalité de l'aide à travers la constitution et l'agglomération de normes et de standards internationaux, de prescriptions, qui a tendance à réduire significativement l'espace politique des États 'aidés efficacement'". Cette réduction de l'espace politique constitue une atteinte directe à la capacité des pays à définir souverainement leurs priorités de développement.
En outre, la multiplicité des exigences imposées par différents bailleurs crée une charge administrative considérable. Comme le note une étude sur le sujet, "les pays les plus dépendants de l'aide internationale doivent multiplier les rapports pour chaque bailleur". Cette bureaucratisation excessive détourne des ressources humaines et financières précieuses qui pourraient être consacrées au développement.

Les Conséquences Économiques Structurelles
Les conditionnalités économiques imposées par les États-Unis ont souvent des effets structurels profonds sur les économies des pays bénéficiaires. L'expérience du Mali, documentée dans plusieurs études, illustre parfaitement cette problématique: "loin de mener à la croissance économique et à la réduction de la pauvreté, des conditionnalités ont entraîné une forte augmentation des prix de l'électricité et ont actuellement des conséquences négatives sur les planteurs de coton, retardent le déboursement de l'aide et, au final, portent atteinte à la capacité du Mali à définir ses propres politiques".

La Commission pour l'Afrique a reconnu dès 2005 que "la conditionnalité politique... est une violation de la souveraineté et est totalement inefficace". Cette inefficacité s'explique en partie par le décalage entre les réformes exigées et les réalités socio-économiques locales. Même la Banque mondiale a admis que "les politiques d'ajustement structurel ont de graves conséquences pour la capacité des pays en développement... d'établir une politique nationale de développement qui vise à améliorer les droits économiques, sociaux et culturels de leurs citoyens".

Les conditionnalités peuvent également entraîner des arrêts soudains des financements en cas de non-respect des exigences, créant une instabilité budgétaire préjudiciable au développement à long terme. Ces interruptions affectent particulièrement les projets d'infrastructure et les programmes sociaux qui nécessitent une continuité de financement pour produire des résultats durables.

La Conditionnalité Comme Instrument de Politique Étrangère

Un Outil d'Influence Géopolitique
La conditionnalité de l'aide constitue historiquement un puissant instrument d'influence géopolitique pour les États-Unis. Comme le rappelle une analyse historique, "l'aide publique au développement est née lors de la décolonisation, dans le but de préserver l'influence des anciennes métropoles dans le contexte géopolitique de la guerre froide". Pour les États-Unis, l'aide a souvent été qualifiée de "poursuite de la politique extérieure des grandes puissances, mettant en avant une image généreuse d'eux-mêmes".
Cette dimension géopolitique s'est manifestée clairement pendant la Guerre froide, où l'aide américaine ciblait stratégiquement certains pays pour contrer l'influence soviétique. En Asie, par exemple, "la Corée du Sud et Taiwan vont être les premiers à recevoir une aide importante, économique et militaire des États-Unis", illustrant l'utilisation de l'aide comme instrument pour contenir le communisme.
Aujourd'hui, la conditionnalité de l'aide demeure un puissant levier d'influence dans un contexte de compétition géopolitique renouvelée. La suspension récente de l'USAID s'inscrit dans une réorientation plus large de la politique étrangère américaine sous l'administration Trump, privilégiant les intérêts nationaux immédiats sur les engagements internationaux traditionnels.

La Compétition avec l'Approche Chinoise
La conditionnalité américaine contraste fortement avec l'approche d'autres acteurs internationaux, notamment la Chine. La "non-conditionnalité" chinoise est identifiée comme un facteur ayant "ébranlé les principes de la conditionnalité au cours des dix dernières années". L'aide chinoise, bien qu'elle comporte "d'autres coûts et d'autres contraintes", offre une alternative qui peut paraître plus attractive pour certains pays en développement souhaitant préserver leur autonomie politique.
Cette compétition entre modèles d'aide affecte directement les relations entre les États-Unis et les pays en développement. Comme le note une analyse, "la visibilité croissante de bailleurs tels que la Chine, ou dans une moindre mesure pour le moment l'Inde et le Brésil" offre aux pays bénéficiaires des options alternatives, réduisant potentiellement l'influence américaine traditionnelle.
Cette nouvelle dynamique oblige les États-Unis à repenser leur approche de l'aide et de la conditionnalité. La suspension actuelle de l'USAID pourrait ainsi refléter non seulement des considérations de politique intérieure, mais aussi une réorientation stratégique face à la compétition internationale croissante dans le domaine de l'aide au développement.

Perspectives et Alternatives
Les Critiques de la Conditionnalité Traditionnelle
Face aux limites et aux problèmes posés par la conditionnalité traditionnelle, de nombreuses voix s'élèvent pour proposer des approches alternatives. La Commission européenne et les gouvernements britannique et norvégien ont déjà "reformé leurs politiques d'aide au développement pour mettre fin aux conditions de privatisation et de libéralisation", reconnaissant les effets parfois contre-productifs de ces exigences.
Les critiques soulignent également le caractère souvent asymétrique et unilatéral des conditionnalités imposées. Comme le note une analyse, malgré la volonté affichée par les pays du G8 "de laisser le soin aux pays à faible revenu de définir et de mener leur politique de développement", cela "demeure un vœu pieux". Cette asymétrie dans la définition des conditions soulève des questions fondamentales d'équité et d'efficacité.

Vers une Appropriation Nationale du Développement
Face à ces critiques, le principe d'"appropriation" (ownership) émerge comme une alternative prometteuse à la conditionnalité stricte. Comme le souligne la Conférence des Nations Unies sur le Financement du développement, "chaque pays est d'abord responsable de son propre développement économique et social, on ne saurait trop souligner le rôle des politiques nationales et des stratégies de développement".
Cette approche reconnaît que "les pays parviendront à se développer seulement si leurs gouvernements assument l'entière responsabilité de l'élaboration de leurs stratégies, sous le regard de leurs citoyens". Elle implique un changement fondamental dans la relation entre donateurs et bénéficiaires, passant d'une imposition unilatérale de conditions à un partenariat basé sur le respect mutuel et le dialogue.
L'avènement des stratégies nationales de lutte contre la pauvreté a ainsi "permis un tant soit peu d'améliorer la prise en main des réformes par les pays eux-mêmes", bien que des progrès significatifs restent à faire pour une véritable appropriation nationale du développement.

L'Adaptation Face à la Nouvelle Réalité Américaine
Dans le contexte actuel de suspension de l'USAID, les pays en développement sont contraints de s'adapter rapidement à une nouvelle réalité. Comme le note une analyse récente, "les pays du continent [africain] se préparent déjà aux conséquences de la nouvelle politique américaine et mettent l'accent sur l'importance de travailler sur leur autosuffisance". Cette adaptation forcée pourrait paradoxalement renforcer l'autonomie de ces pays à long terme.
Certains observateurs suggèrent également une approche plus contractuelle de l'aide, où "un prêt peut prendre la forme d'un contrat et, dès lors, il n'est pas irrecevable d'y préciser les [termes]". Cette approche, négociée et mutuellement acceptée plutôt qu'imposée unilatéralement, pourrait constituer un modèle plus équilibré pour l'avenir des relations entre les États-Unis et les pays en développement.

En définitive, la conditionnalité de l'aide américaine affecte profondément les relations avec les pays en développement, touchant à des dimensions multiples allant de la souveraineté nationale aux conditions de vie des populations les plus vulnérables. La récente suspension de l'USAID met en lumière de façon dramatique les conséquences concrètes de ces mécanismes de conditionnalité.
Si l'efficacité de l'aide nécessite certainement une bonne gouvernance et une utilisation responsable des ressources, la conditionnalité telle qu'elle est traditionnellement pratiquée soulève des questions fondamentales d'équité, d'efficacité et de respect de la souveraineté. Face à la compétition croissante d'autres acteurs internationaux comme la Chine, les États-Unis pourraient être amenés à repenser leur approche de la conditionnalité pour préserver leur influence dans les pays en développement.
L'avenir des relations entre les États-Unis et les pays en développement dépendra largement de la capacité à évoluer vers des partenariats plus équilibrés, respectueux de l'autonomie politique et favorisant une véritable appropriation nationale du développement. Cette évolution nécessitera un changement fondamental dans la conception même de l'aide au développement, passant d'un instrument d'influence géopolitique à un véritable outil de coopération internationale pour le bien commun.


Pr ELY Mustapha


lundi 3 mars 2025

Kinross Tasiast vole-t-elle la Mauritanie ? Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Par Pr ELY Mustapha

 La mine d'or de Tasiast, située à environ 300 kilomètres au nord de Nouakchott, la capitale de la Mauritanie, représente l'une des opérations minières les plus importantes d'Afrique de l'Ouest. Depuis son acquisition par Kinross Gold Corporation en 2010, la mine a fait face à de nombreux défis opérationnels, à des examens réglementaires rigoureux et à des allégations d'irrégularités financières. Il est donc important d'examiner, avant toute analyse, l'historique opérationnel, l'impact environnemental, la performance financière, ainsi que les allégations de mauvaise gestion et de fraude concernant les activités de Kinross Tasiast en Mauritanie..


La mine de Tasiast a été initialement développée par Red Back Mining, qui a commencé ses opérations en 2007 avant que Kinross Gold Corporation n'acquière la propriété en 2010 pour environ 7,1 milliards de dollars. Cette acquisition représentait une expansion significative du portefeuille africain de Kinross, l'entreprise prévoyant un potentiel de croissance substantiel pour le gisement de Tasiast. Selon les rapports techniques de Kinross, la mine fonctionne comme une exploitation à ciel ouvert conventionnelle avec camions et pelles, couvrant une superficie d'environ 125 kilomètres carrés à l'intérieur d'un périmètre clôturé. L'approvisionnement en eau de la mine provient d'un champ de forages situé à 64 kilomètres à l'ouest de l'exploitation, comprenant 47 puits dans un aquifère semi-salin capable de fournir jusqu'à 24 000 mètres cubes d'eau par jour.
En termes de composition de la main-d'œuvre, en 2016, Tasiast employait environ 1 140 personnes, dont 1 010 (88,6 %) étaient des ressortissants mauritaniens. De plus, l'exploitation engageait 2 322 sous-traitants en 2013, dont 90 % étaient des citoyens mauritaniens, reflétant le rôle important de la mine dans l'emploi local. L'entreprise a déclaré s'engager à réduire progressivement le nombre d'expatriés à mesure que la main-d'œuvre nationale développe des compétences et une expertise minières, bien que cette transition ait rencontré des défis au milieu de la restructuration opérationnelle.

La mine a connu plusieurs phases de développement depuis l'acquisition par Kinross. En 2019, l'entreprise a annoncé le "projet Tasiast 24k", une initiative d'amélioration des immobilisations conçue pour augmenter progressivement la capacité de traitement à 21 000 tonnes par jour d'ici la fin du premier trimestre 2022, et finalement à 24 000 tonnes par jour prévu alors jusqu’à  la mi-2023. Le projet visait à augmenter la production, réduire les coûts, prolonger la durée de vie de la mine jusqu'en 2033, et générer des flux de trésorerie significatifs pour l'exploitation. La production à Tasiast a atteint 406 509 onces d'or en 2020, générant un revenu de 718 millions de dollars.
Les coûts de production à Tasiast ont historiquement été problématiques, représentant les plus élevés du portefeuille mondial de Kinross à 1 061 dollars par once en 2016. Grâce à des améliorations opérationnelles et à la mise en œuvre du projet 24k, l'entreprise a avait planifié un effort  de réduction des coûts de production à 584 dollars par once jusqu'a 2020, marquant une amélioration significative de l'efficacité opérationnelle.


Gestion Environnementale et Initiatives de Durabilité

 
Performance Environnementale et Incidents
Kinross Tasiast opère selon un système de gestion environnementale aligné sur le Système de Gestion de la Responsabilité d'Entreprise (CRMS) de la société, qui est basé sur les normes de gestion environnementale de l'Organisation Internationale de Normalisation (ISO 14001). Malgré ces cadres, l'opération a connu des incidents environnementaux. La mine a signalé des rejets non autorisés d'eau de traitement contaminée au cyanure en 2014 et 2015, soulevant des préoccupations concernant les protocoles de confinement et la gestion des risques environnementaux.
La surveillance environnementale sur le site implique un plan complet avec des inspections quotidiennes par le Département Environnement, Santé et Sécurité (EHS), programmées pour garantir que toutes les zones de travail sont inspectées au moins mensuellement. Le plan de surveillance comprend des activités d'échantillonnage et d'analyse et établit des protocoles de déclaration, y compris des soumissions trimestrielles et annuelles de données environnementales aux ministères gouvernementaux concernés et au siège social de Kinross. De plus, le siège social de Kinross effectue des audits complets du système de gestion environnementale tous les deux ans pour évaluer la performance environnementale du site et sa conformité par rapport à son système de gestion, 


Développement des Énergies Renouvelables
En février 2022, Kinross a annoncé le développement d'une centrale solaire photovoltaïque à Tasiast avec une capacité de production d'énergie de 34 mégawatts et un système de batterie de 18 mégawatts. Ce projet d'énergie renouvelable représente une partie des efforts de l'entreprise pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et devrait fournir environ 20% des besoins énergétiques du site. Selon Kinross, le projet solaire devrait générer des rendements positifs tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre d'environ 530 kilotonnes sur la durée de vie de la mine et potentiellement économiser environ 180 millions de litres de carburant pendant la même période.
En 2023, Kinross a rapporté des progrès sur ses engagements ESG (c'est-à-dire son engagement sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance -ESG-  dans la prise de décision d'investissement et l'engagement post-investissement) , notant la construction de la centrale solaire de Tasiast, qui devait être mise en service au second semestre 2023. L'entreprise s'est fixé un objectif de réduction de 30% des émissions de gaz à effet de serre de portée 1 et 2 par once d'équivalent or produite d'ici 2030, le projet solaire de Tasiast contribuant à cet objectif.


Controverses Financières et Défis Juridiques

 
Litige Collectif sur l'Évaluation de l'Acquisition
Kinross a fait face à d'importants défis juridiques liés à ses déclarations concernant la mine de Tasiast. En mars 2012, un recours collectif d'actionnaires a été déposé alléguant que les divulgations publiques de Kinross contenaient des déclarations fausses et trompeuses sur la mine de Tasiast en Afrique de l'Ouest. Les plaignants ont affirmé que Kinross avait fait de nombreuses déclarations positives sur Tasiast entre le 16 février 2011 et un communiqué de presse daté du 16 janvier 2012, qui révélait que la mine nécessiterait des dépenses en capital significatives en raison de la "compréhension accrue par Kinross du gisement de Tasiast".
Cette annonce a coïncidé avec l'enregistrement par Kinross d'une charge comptable non monétaire importante d'environ 2,49 milliards de dollars, principalement liée au goodwill enregistré pour la mine de Tasiast. Les procédures judiciaires alléguaient que cette révélation avait conduit à une baisse significative du cours de l'action de Kinross et à des milliards de dollars de pertes pour les actionnaires. L'affaire portait sur la question de savoir si Kinross avait adéquatement divulgué les défis et les coûts associés au développement de la propriété de Tasiast après son acquisition de Red Back Mining.


Financement par Emprunt et Arrangements Financiers Gouvernementaux
En décembre 2019, Kinross a annoncé que sa filiale en propriété exclusive, Tasiast Mauritanie Limited S.A., avait signé un accord de prêt définitif pour un montant pouvant atteindre 300 millions de dollars avec la Société Financière Internationale (IFC), Export Development Canada, ING Bank et Société Générale. Le prêt de 8 ans, qui arrive à échéance en décembre 2027, comporte un taux d'intérêt variable de LIBOR plus 4,38% et est sans recours à Kinross, ce qui signifie que la société mère n'est pas responsable du remboursement. Cet arrangement de financement a suivi "un processus de diligence raisonnable complet avec les prêteurs, comprenant des visites de site, des réunions avec le gouvernement de Mauritanie, et des examens et évaluations techniques et environnementaux significatifs".
En juillet 2021, Kinross et le gouvernement mauritanien ont conclu un accord significatif qui a restructuré leur relation commerciale. L'accord maintenait les exemptions fiscales pour le carburant, tandis que le gouvernement consentait à rembourser à Kinross 40 millions de dollars en crédits de taxe sur la valeur ajoutée impayés. Simultanément, Kinross a accepté de rembourser au gouvernement 10 millions de dollars "pour résoudre des questions litigieuses"(sur lesquelles nous reviendrons plus loin dans leur aspect contractuel) . 


Allégations de Corruption et d'Inconduite Financière

 
Enquête de la SEC et Allégations de Lanceurs d'Alerte
En juillet 2015, la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis a ordonné à Kinross d'expliquer des allégations concernant des paiements indus effectués à des fonctionnaires gouvernementaux et des déficiences de contrôle interne dans leurs opérations en Mauritanie et au Ghana. Ces allégations avaient été soulevées depuis août 2013 par des sources externes et des lanceurs d'alerte internes qui avaient alerté l'entreprise sur des activités frauduleuses suspectées. En réponse, Kinross aurait engagé des consultants canadiens et américains pour mener une enquête interne afin de répondre à ces préoccupations et de rassurer les actionnaires.
Les représentants de l'entreprise ont vigoureusement nié ces allégations. Raphael Sourt, le responsable de la communication de l'entreprise en Afrique de l'Ouest, a déclaré : "Les allégations de ce genre sont fréquentes. Lorsque nous attribuons un contrat, il n'est pas rare qu'une entreprise qui n'a pas reçu le contrat se plaigne par le biais des médias locaux. Cette allégation est complètement infondée et prouvée par le fait que cette information est publiée par des sites mineurs". De même, Mike Sylvestre, Vice-président des opérations de Kinross en Afrique de l'Ouest, a maintenu que le gouvernement mauritanien n'avait jamais été impliqué dans des cas de détournement de fonds relatifs aux opérations locales de Kinross.


Préoccupations Concernant les Prix de Transfert et l'Optimisation Fiscale
Les défenseurs de la transparence ont soulevé des préoccupations concernant les pratiques financières de Kinross, particulièrement en ce qui concerne les problèmes potentiels de prix de transfert. Selon Publiez Ce Que Vous Payez, une coalition internationale promouvant la transparence dans les industries extractives, les entreprises minières effectuent souvent des transactions par l'intermédiaire de filiales sœurs à des prix qu'elles établissent ensemble, ce qui pourrait permettre le transfert de bénéfices ou l'inflation des coûts
Ces allégations suggèrent un schéma de transactions financières qui pourrait potentiellement réduire le revenu imposable en Mauritanie. L'organisation a appelé le gouvernement mauritanien à exercer une plus grande vigilance concernant la collecte des revenus miniers grâce à des pratiques de gestion plus transparentes et responsables.


Relations de Travail et Impact Communautaire

 
Réductions d'Effectifs et Conflits de Travail
Les pratiques de travail de Kinross Tasiast ont attiré l'attention, particulièrement en ce qui concerne les réductions d'effectifs. En 2013, l'entreprise a abandonné un projet d'expansion qui aurait créé plus de 3 500 nouveaux emplois selon les rapports. Cette décision a coïncidé avec des licenciements importants, plus de 600 employés ayant perdu leur emploi sur une période de deux ans. L'entreprise a annoncé une série supplémentaire d'environ 250 licenciements en octobre 2015. Kinross a justifié ces réductions d'effectifs en citant les coûts opérationnels, bien que des critiques aient remis en question cette explication étant donné la position financière de l'entreprise pendant les périodes où les prix de l'or étaient considérablement plus élevés.
L'entreprise a également fait face à des allégations concernant la santé et la sécurité des travailleurs. En 2011, Kinross a fermement nié les affirmations selon lesquelles des employés auraient été contaminés par des plombs de chasse, Malainine Ould Tomi, assistant du responsable des relations extérieures chez Kinross-Tasiast Mauritanie, déclarant : "Il n'y a rien qui prouve que des employés de Kinross-Tasiast ont été contaminés par des plombs de chasse". L'entreprise a souligné son engagement à être un partenaire de développement socio-économique pour la Mauritanie.


Développement Communautaire et Représentation Gouvernementale
Dans le cadre de l'accord de 2021 avec le gouvernement mauritanien, Kinross a accepté la nomination de deux observateurs gouvernementaux au conseil d'administration de Tasiast Mauritanie Limited SA, la filiale qui exploite la mine de Tasiast.
En termes d'engagement communautaire, Kinross Tasiast a entrepris diverses initiatives pour maintenir des relations avec les communautés locales. En avril 2023, la mine a accueilli une délégation de 17 journalistes mauritaniens et représentants des médias pour un aperçu des opérations minières et des discussions sur les résultats de l'année précédente et les activités à venir.. Ces efforts d'engagement semblent conçus pour accroître la transparence et construire des relations positives avec les médias locaux et les communautés.



Aspects atypiques du contrat entre la Mauritanie et Kinross Tasiast 


L'accord entre Kinross Tasiast et la République Islamique de Mauritanie contient plusieurs dispositions qui ont suscité des controverses importantes depuis son instauration. L'analyse des différentes versions du contrat, notamment la Convention Minière initiale et ses amendements successifs, dont celui de 2021, révèle des clauses particulièrement problématiques qui méritent une attention approfondie. Ces termes controversés touchent principalement aux régimes fiscal et financier, à la gouvernance, aux conditions environnementales et aux obligations sociales.


Régime Fiscal Préférentiel et Dispositions Financières


Exemptions Fiscales sur les Carburants


L'exemption fiscale sur les carburants constitue l'un des avantages les plus contestables accordés à Kinross. Dans un contexte où les opérations minières consomment d'importantes quantités de diesel pour l'alimentation des générateurs et des équipements lourds, cette exemption représente un manque à gagner substantiel pour l'État mauritanien. L'accord de 2021 a maintenu cette disposition malgré les critiques des observateurs internationaux qui y voient une subvention implicite favorisant une entreprise étrangère déjà profitable. C’est effectivement un manque à gagner significatif pour le trésor mauritanien, particulièrement dans un contexte où les finances publiques du pays sont déjà sous pression.


Structure de Redevances Sous-optimale

Le taux de redevance révisé dans l'accord de 2021 augmente de 3% à 4,5%, avec une clause permettant une hausse à 6,5% si le prix de l'or dépasse 1 800 dollars l'once. Bien que cela puisse sembler bénéfique pour la Mauritanie, deux aspects sont remarquables : premièrement, Kinross a "volontairement" proposé cette augmentation plutôt qu'elle ne soit imposée par l'État; deuxièmement, même le taux majoré reste inférieur aux 5% appliqués au Ghana, où Kinross exploite également des mines, tandis que d'autres pays africains producteurs d'or appliquent des taux progressifs pouvant atteindre 8-10% dans les périodes de prix élevés.
 Cette disparité suggère que la Mauritanie pourrait être soumise à des termes contractuels moins favorables que d'autres pays comparables.

Mécanisme de Calcul des Redevances:  réduction e la base imposable.


La méthode de calcul des redevances soulève également des questions. Le contrat permettrait à Kinross de déduire certains coûts de traitement et de raffinage avant l'application du taux de redevance, réduisant ainsi la base imposable. De plus, l'absence de contrôle indépendant sur les teneurs en or déclarées et les prix de vente effectifs a généré des suspicions de sous-déclaration potentielle, comme l'a suggéré l'audit gouvernemental mentionné dans les analyses précédentes.


Paiements Bidirectionnels Inhabituel


L'arrangement financier de 2021 prévoyant le remboursement par le gouvernement de 40 millions de dollars en crédits de TVA impayés à Kinross, tandis que Kinross versait simultanément 10 millions de dollars au gouvernement pour "résoudre des questions litigieuses", est critiquable pour son manque de transparence. L'absence d'explications détaillées sur les "questions litigieuses" que ces 10 millions étaient censés résoudre alimente les spéculations sur la nature véritable de cet échange.


Limitations de Gouvernance et de Contrôle

 
Statut des Représentants Gouvernementaux


La nomination de représentants gouvernementaux comme simples "observateurs" au conseil d'administration de la filiale mauritanienne de Kinross, sans droit de vote, constitue une limitation significative du contrôle étatique. Cette disposition contraste avec les pratiques émergentes dans le secteur minier africain, où plusieurs pays exigent désormais une participation gouvernementale active dans la gouvernance des projets miniers stratégiques. Cette limitation réduit  l'efficacité du contrôle que peut exercer le gouvernement mauritanien sur les opérations d'une ressource nationale stratégique.

Absence de Mécanismes de Vérification Indépendante


Le contrat ne prévoit pas de mécanismes robustes permettant une vérification indépendante des déclarations de production, des coûts opérationnels ou des prix de vente déclarés par Kinross. Cette lacune crée un risque de déclarations inexactes qui pourraient réduire les revenus gouvernementaux, comme suggéré par les écarts entre les prix de vente déclarés et les prix du marché identifiés lors d'audits ultérieurs.


Clauses de Stabilité Étendues
Les clauses de stabilité incluses dans le contrat protègent Kinross contre les modifications législatives ou réglementaires qui pourraient affecter négativement sa rentabilité. Ces dispositions, tout en offrant une prévisibilité juridique à l'investisseur, limitent considérablement la souveraineté de l'État mauritanien et sa capacité à adapter son cadre réglementaire aux évolutions des standards internationaux ou aux besoins nationaux.


Pratiques Financières et Commerciales

 
Mécanismes de Prix de Transfert

L'un des aspects les plus controversés concerne les allégations de pratiques de prix de transfert permettant potentiellement de réduire l'assiette fiscale en Mauritanie. Selon les analyses précédentes, Kinross commercialiserait une partie significative de sa production via des entités affiliées situées dans des juridictions à faible imposition, comme la Suisse, créant ainsi des opportunités de déplacer les bénéfices hors de Mauritanie. Selon Publiez Ce Que Vous Payez, il arrive des services facturés sont utilisés ailleurs. « Très souvent surfacturés alors que le produit ou la machine était soit recyclé soit simplement utilisé ailleurs dans un autre pays pour le coût, ils sont chargés sur la Mauritanie, et déduits des revenus en Mauritanie". Ces pratiques, si elles étaient avérées, diminueraient significativement les bénéfices imposables générés par l'exploitation minière.


Contrats d'Approvisionnement et de Services
Les termes régissant l'attribution des contrats de sous-traitance et de services sont critiquables. L'exemple de Maurilog, une entreprise locale prétendument liée à des responsables gouvernementaux qui aurait obtenu des contrats malgré des offres moins compétitives. Cette entreprise mauritanienne, prétendument non enregistrée au moment de l'appel d'offres et dirigée par un ancien responsable gouvernemental proche du pouvoir, aurait remporté un contrat logistique majeur malgré une proposition 12% plus coûteuse que ses concurrents. Cette situation soulève des questions sur l'équité et la transparence des processus d'approvisionnement.


Paiements aux Agents Publics
La pratique contractuelle permettant à Kinross de payer directement des agents publics, comme les douaniers et policiers affectés à la sécurité du site, crée une dépendance financière problématique. Cette disposition brouille la séparation nécessaire entre les intérêts privés de l'entreprise et les fonctions régaliennes de l'État, posant des questions éthiques et de gouvernance et crée des conflits d'intérêts potentiels et brouille la séparation nécessaire entre les intérêts publics et privés.
Obligations Sociales et Environnementales


Définition Vague des Obligations Environnementales
Le contrat a été critiqué pour le caractère imprécis de ses dispositions environnementales, notamment concernant la gestion des résidus miniers et la réhabilitation du site après exploitation. L'absence d'exigences quantifiables et de mécanismes clairs de responsabilité en cas de dommages environnementaux constitue une faiblesse significative.


Engagements de Formation et d'Emploi Local
Bien que le contrat contienne des dispositions sur l'emploi et la formation des travailleurs mauritaniens, les critiques pointent l'absence d'objectifs contraignants et de mécanismes de sanction en cas de non-respect. Les disparités salariales importantes entre expatriés et nationaux occupant des postes similaires ont également été identifiées comme problématiques.
Fonds de Développement Communautaire
Les contributions au développement communautaire, bien que présentes dans le contrat, soulèvent des questions quant à leur gouvernance et leur impact réel. La gestion de ces fonds manquerait de transparence et d'implication des communautés bénéficiaires dans la prise de décision, limitant ainsi leur efficacité.



Mécanismes de Résolution des Différends

 
Arbitrage International
Le recours exclusif à l'arbitrage international pour résoudre les litiges constitue une disposition controversée. Cette clause prive les tribunaux mauritaniens de juridiction sur des questions touchant aux ressources naturelles nationales et peut désavantager l'État en raison des coûts élevés associés aux procédures d'arbitrage international.


Loi Applicable
Le choix d'un droit étranger ou hybride (combinant droit mauritanien et principes internationaux) comme loi applicable au contrat a également été critiqué comme portant atteinte à la souveraineté juridique nationale et créant une incertitude interprétative potentielle.

En definitive, l'examen des opérations de Kinross Tasiast en Mauritanie révèle une image complexe d'une opération minière majeure qui a connu des défis significatifs depuis son acquisition en 2010. L'entreprise a mis en œuvre diverses améliorations opérationnelles et initiatives de durabilité, y compris le développement d'énergies renouvelables et des programmes d'engagement communautaire. Cependant, ces développements positifs doivent être considérés parallèlement à de sérieuses allégations d'inconduite financière, d'incidents environnementaux et de conflits de travail.


Des difficultés opérationnelles, depuis la dépréciation substantielle de la valeur de la mine peu après l'acquisition jusqu'aux défis continus avec les coûts de production et l'efficacité. Bien que Kinross ait progressé dans la résolution de certains de ces problèmes grâce au projet d'expansion 24k et aux initiatives de durabilité, des questions demeurent sur les pratiques financières de l'entreprise, particulièrement concernant les préoccupations potentielles de prix de transfert et  de leur transparence.


Les enquêtes de la Securities and Exchange Commission des États-Unis sur les allégations de paiements inappropriés mettent en évidence l'examen réglementaire auquel l'opération a été confrontée. Bien que les représentants de l'entreprise aient nié tout acte répréhensible, la persistance de ces allégations suggère un besoin de plus grande transparence dans les pratiques financières et opérationnelles de Kinross Tasiast. Le récent accord avec le gouvernement mauritanien, y compris l'augmentation des taux de redevance et la représentation gouvernementale au conseil d'administration de la filiale, peut représenter des étapes vers la résolution de certaines de ces préoccupations de gouvernance, mais reste à améliorer.


À l'avenir, la surveillance continue par les autorités réglementaires, les organisations de la société civile et le gouvernement mauritanien sera essentielle pour garantir que les opérations de Kinross Tasiast apportent des avantages économiques appropriés à la Mauritanie tout en adhérant aux normes de responsabilité environnementale et sociale. Les allégations et incidents justifient une vigilance continue et potentiellement des mécanismes de gouvernance plus robustes pour répondre aux préoccupations concernant les pratiques financières et la gestion environnementale de cette importante opération minière

Les termes les plus controversés du contrat entre Kinross Tasiast et le gouvernement mauritanien reflètent un déséquilibre de pouvoir de négociation typique des accords miniers conclus dans les années 2000 en Afrique. 

L'accumulation de dispositions favorables à l'investisseur en matière fiscale, de gouvernance, d'environnement et de résolution des différends soulève des questions légitimes sur l'équité de l'accord et sa capacité à générer des bénéfices optimaux pour la Mauritanie.


L'amendement de 2021, bien qu'il ait apporté certaines améliorations comme l'augmentation du taux de redevance, n'a pas fondamentalement modifié la structure déséquilibrée du contrat initial. D’où la nécessité d'une réforme plus profonde des régimes contractuels miniers en Mauritanie.

Kinross Tasiast volerait-t-elle donc la Mauritanie ? 

Si l’on s’en tient au principe de souveraineté des Etats, la Mauritanie ne serait victime que de la « turpitude » de ses gouvernants pas de Kinross Taziast, qui comme toute multinationale cherche à optimiser  ses bénéfices et gérer ses intérêts. Nul en droit ne peut en fait se prévaloir de sa propre turpitude (fameux adage du « Nemo auditur…). 

Cependant, si l’on s’en tient aux dispositions contractuelles critiquables et au déséquilibre contractuel, la Mauritanie est lésée et devrait réajuster ses engagements contractuels avec Tasiast, pour préserver les intérêts du pays dans la gestion des ressources minières.
Le principe "Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude" (en latin "Nemo auditur propriam turpitudinem allegans") est applicable dans les relations commerciales entre  États et  multinationales, notamment dans le contexte du droit international des investissements. On le retrouve dans l'arbitrage  international des investissements  sous la maxime “ who comes into equity must come with clean hands”("qui entre dans le capital social - ou fonds propres des propriétaires pour les sociétés privées- doit avoir les mains propres)  est significatif et pourrait servir à dénoncer le contrat avec Kinross-Tasiast, ou tout au moins l'équilibrer.

Il s’agit donc moins de vol que d’un rapport de force dans lequel la Mauritanie est pénalisée par la faiblesse de ses institutions, de ses compétences, de la corruption de ses gouvernants, de leur manque de  responsabilité environnementale et sociale et de l’absence d’une vision nationale, concertée et démocratique de la défense des intérêts  de la Nation. Et sur ce point, "Nemo  auditur..."

Pr ELY Mustapha

dimanche 2 mars 2025

Clash Trump-Zelensky et droit diplomatique et consulaire. Par Pr ELY Mustapha

 « La courtoisie ne coûte rien, mais achète tout » (Proverbe ukrainien)

Le clash entre Trump et Zelensky soulève plusieurs questions importantes concernant le droit diplomatique et consulaire, codifié principalement dans la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 et la Convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963. Ces conventions établissent un cadre juridique pour les relations diplomatiques entre États souverains et visent à faciliter le développement de relations amicales entre les nations.

L'un des principes fondamentaux du droit diplomatique est l'immunité accordée aux diplomates. L'article 29 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques stipule que les agents diplomatiques ne peuvent être soumis à aucune forme d'arrestation ou de détention. Le traitement hostile de Zelensky par Trump dans le Bureau ovale pourrait être considéré comme une violation de ce principe, même s'il ne constitue pas nécessairement une infraction légale
De plus, l'article 22 de la Convention établit l'inviolabilité des locaux de la mission diplomatique. Bien que l'incident ne se soit pas produit dans une ambassade, le principe d'inviolabilité souligne l'importance du respect et de la protection accordés aux représentants diplomatiques.

L'article 3 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques définit les fonctions d'une mission diplomatique, qui comprennent la représentation de l'État accréditant, la protection des intérêts de cet État et de ses ressortissants, et la négociation avec le gouvernement de l'État accréditaire. Le comportement de Trump envers Zelensky pourrait être interprété comme entravant ces fonctions diplomatiques.
De même, l'article 5 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires énumère les fonctions consulaires, notamment la protection des intérêts de l'État d'envoi et l'assistance à ses ressortissants. L'approche de Trump pourrait être perçue comme compromettant ces fonctions.

L'article 40 de la Convention sur les relations consulaires stipule que "L'État de résidence traite les fonctionnaires consulaires avec le respect qui leur est dû et prend toutes mesures appropriées pour empêcher toute atteinte à leur personne, leur liberté et leur dignité". L'attitude agressive de Trump envers Zelensky pourrait être considérée comme une violation de ce principe

Implications pour les relations internationales

Cet incident met en lumière la tension entre la realpolitik et les principes du droit diplomatique. Il soulève des questions sur la manière dont les dirigeants interagissent sur la scène internationale et sur le respect des normes diplomatiques établies.
Le comportement de Trump pourrait potentiellement affecter la confiance dans les institutions internationales et les pratiques diplomatiques établies. Il rappelle l'importance de maintenir des normes de conduite diplomatique, même dans des situations de conflit, pour préserver l'ordre international fondé sur des règles.
Ne constituant pas nécessairement une violation directe du droit diplomatique, ce clash soulève des questions importantes sur l'interprétation et l'application des principes diplomatiques dans le monde moderne. Il met en évidence la nécessité de réaffirmer l'importance du respect mutuel et de la courtoisie dans les relations internationales, principes fondamentaux du droit diplomatique et consulaire par définition, le traitement des chefs d'État étrangers.
Ce comportement a donc été problématique à plusieurs égards :

-  La Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 établit des normes de respect mutuel entre représentants d'États. Le fait de de "crier" sur un chef d'État étranger et de l’invectiver dans le Bureau ovale va à l'encontre de ces principes de courtoisie diplomatique.

-  L'article 29 de la Convention de Vienne stipule que la personne de l'agent diplomatique est inviolable. Bien que Zelensky ne soit pas un diplomate au sens strict, en tant que chef d'État, il bénéficie d'une protection similaire. Le traitement hostile qu'il a subi pourrait être interprété comme une atteinte à sa dignité.

-  Les pressions exercées sur Zelensky pour qu'il négocie avec la Russie selon des termes spécifiques pourraient être considérées comme une ingérence dans les affaires intérieures de l'Ukraine, ce qui est contraire aux principes du droit international.

Un “bullying" qui ne dit pas son nom.

Bien que le terme "bullying" ne soit pas un concept juridique précis en droit international, le comportement décrit présente des caractéristiques qui s'apparentent à effectivement à de l'intimidation ou du harcèlement :

-  Utilisation d'une position de pouvoir pour exercer une pression indue

-  Comportement agressif et hostile

-  Tentative de coercition pour obtenir un résultat spécifique

Ces éléments correspondent aux définitions courantes du bullying.

La notion de contrepartie représente un élément central dans l'analyse du bullying, constituant souvent la motivation sous-jacente aux comportements d'intimidation. Cette dimension mérite une attention particulière car elle permet de distinguer entre négociation légitime, inhérente à la diplomatie, et coercition abusive relevant du bullying. La récente confrontation entre Trump et Zelensky, notamment concernant des allégations de demandes relatives aux terres rares ukrainiennes, offre un cas d'étude révélateur des problématiques éthiques et juridiques soulevées par de telles pratiques.

Si l'on compare cette situation à d'autres cas historiques, on peut établir un parallèle avec les pressions exercées par des puissances coloniales pour l'accès aux ressources naturelles de territoires plus faibles. Plus récemment, on peut évoquer les accusations portées contre la Chine concernant sa "diplomatie du piège de la dette" en Afrique, où des prêts considérables seraient accordés en échange d'accès privilégiés aux ressources naturelles. Ces cas partagent une caractéristique commune avec la situation Ukraine-États-Unis : l'asymétrie de pouvoir entre les parties et l'utilisation de leviers de pression (aide militaire, prêts financiers) pour obtenir des avantages économiques.

La particularité du cas ukrainien réside dans le contexte de vulnérabilité extrême du pays, engagé dans un conflit existentiel avec la Russie et donc vitalement dépendant du soutien américain. Cette dépendance crée une situation où le refus de la contrepartie demandée pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour la sécurité nationale ukrainienne, renforçant considérablement le caractère coercitif de la demande. De plus, la forme même de la demande, présentée non comme une proposition de partenariat économique normal mais comme une exigence formulée dans un contexte d'intimidation verbale, accentue sa nature problématique du point de vue du droit diplomatique.

La communauté internationale dispose de plusieurs moyens pour réagir à ce type de comportement :

  •  Condamnation diplomatique : Les autres pays et organisations internationales peuvent exprimer leur désapprobation par des déclarations officielles.
  •  Résolutions de l'ONU : L'Assemblée générale ou le Conseil de sécurité pourraient adopter des résolutions condamnant ce type de comportement.
  •  Médiation : Des pays tiers ou des organisations internationales pourraient proposer leur médiation pour apaiser les tensions.
  •  Renforcement des normes : La communauté internationale pourrait travailler à renforcer les normes de conduite diplomatique.
  •  Soutien à l'Ukraine : Les autres pays pourraient accroître leur soutien diplomatique et matériel à l'Ukraine pour contrebalancer la pression américaine.

La communauté internationale a un rôle important à jouer pour condamner et décourager de telles pratiques, afin de préserver l'intégrité des relations internationales basées sur le respect mutuel et la courtoisie diplomatique.

Quelle stratégie pour les pays africains ?

Cet incident souligne l'importance pour ces les pays africains et les pays en développement de repenser leurs stratégies diplomatiques et de sécurité afin de naviguer dans un environnement international de plus en plus complexe et imprévisible.
Une stratégie clé pour ces pays serait de diversifier leurs alliances et leurs partenariats internationaux. En s'appuyant trop lourdement sur une seule grande puissance, comme les États-Unis, les pays en développement se rendent vulnérables aux caprices de la politique étrangère de cette nation. Par exemple, imaginons un pays africain hypothétique, le Zambezi, qui a traditionnellement compté sur l'aide militaire et économique américaine. Suite à l'incident Trump-Zelensky, le Zambezi pourrait décider de renforcer ses liens avec l'Union européenne, la Chine et l'Inde, tout en développant des alliances régionales plus solides avec ses voisins africains. Cette approche multidirectionnelle permettrait au Zambezi de maintenir une position plus équilibrée et résiliente sur la scène internationale.
Une autre stratégie cruciale serait de renforcer l'autonomie nationale et régionale. Les pays africains et en développement pourraient investir davantage dans leurs propres capacités de défense et de sécurité, ainsi que dans le développement d'industries stratégiques. Prenons l'exemple fictif du Sahelia, un pays d'Afrique de l'Ouest qui, inspiré par les événements récents, décide de lancer un ambitieux programme de modernisation de son armée et de développement de son industrie technologique. En collaborant avec des pays voisins et en attirant des investissements ciblés, le Sahelia pourrait réduire sa dépendance aux importations d'armes et de technologies, renforçant ainsi sa position stratégique.

La diplomatie multilatérale offre également une voie prometteuse pour les pays en développement. En s'engageant plus activement dans les forums internationaux comme l'ONU, ces nations peuvent faire entendre leur voix et influencer les décisions mondiales. Imaginons un scénario où un groupe de pays africains, menés par le Nigeria et le Kenya, forme une coalition pour pousser à la réforme du Conseil de sécurité de l'ONU.

Cette initiative pourrait viser à obtenir une représentation permanente pour l'Afrique, changeant ainsi la dynamique des relations internationales et donnant aux nations africaines un poids accru dans les affaires mondiales.
La médiation et la résolution des conflits représentent un autre domaine où les pays africains et en développement peuvent jouer un rôle crucial. En se positionnant comme médiateurs neutres dans les conflits internationaux, ces pays peuvent accroître leur influence diplomatique. Un exemple hypothétique serait celui de l'Éthiopie prenant l'initiative de médier un conflit complexe au Moyen-Orient, en s'appuyant sur son expérience de gestion des tensions régionales en Afrique de l'Est. Cette démarche pourrait non seulement contribuer à la paix mondiale, mais aussi renforcer le statut de l'Éthiopie en tant qu'acteur diplomatique majeur.

Enfin, le renforcement de la coopération Sud-Sud offre de nombreuses opportunités. Les pays en développement peuvent partager leurs expériences, leurs technologies et leurs meilleures pratiques pour relever des défis communs. Imaginons un partenariat innovant entre le Brésil, l'Inde et plusieurs pays africains pour développer des solutions agricoles durables adaptées aux climats tropicaux. Ce type de collaboration pourrait non seulement améliorer la sécurité alimentaire dans ces régions, mais aussi créer de nouveaux modèles de coopération internationale qui ne dépendent pas des grandes puissances traditionnelles.
En adoptant ces stratégies multidimensionnelles, les pays africains et en développement peuvent aspirer à une plus grande autonomie et à une influence accrue sur la scène internationale. Bien que les défis restent nombreux, ces approches offrent des voies prometteuses pour naviguer dans les eaux troubles de la géopolitique mondiale, tout en poursuivant leurs propres intérêts et objectifs de développement.

           Pr ELY Mustapha

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Poésie de la douleur.