mercredi 4 octobre 2023

Du pénal et de la morale : Voilà pourquoi Aziz doit-être libéré. Par Pr ELY Mustapha

Démontrer la non-culpabilité de Mohamed Ould Abdelaziz n’est point une vue de l’esprit. Nous exposons ici les principes fondamentaux sur lesquels se base cette démonstration. 

Du droit de la procédure : Du traitement judiciaire de l’Affaire Ould Abdelaziz

 
Partons du principe que tout accusé, ne l’est qu’à propos d’une infraction (contravention, délit ou crime) dont la preuve admise et démontrée (ministère public) entraine sa condamnation par une juridiction, statuant sur des faits et appliquant des lois qui explicitement prévoient et sanctionnent cette infraction.
Sur cette base et eu égard aux investigations réalisées par la justice et les années qu’elle a consacrées pour réunir les preuves et envoyer Aziz devant la cour criminelle, nous enregistrons donc que la justice mauritanienne a souscrit aux édictions du code de procédures pénales et aux textes subséquents et connexes, sur la corruption, le blanchiment d’argent, en la matière.
Le ministère public a donc épuisé toutes les procédures d’enquêtes et de rapportage de preuves contre ould Abdelaziz. Il est donc mis en accusation et transféré devant la cour criminelle.
Puisque donc le ministère public renvoie ould Abdelaziz en jugement, force est pour nous, à défaut d’en prouver le contraire (n’étant pas son avocat) , d’admettre le postulat  que toutes les procédures menant à ce renvoi ont été accomplies à savoir :


-          Toutes les preuves des infractions ont été rapportées
-          Tous les droits de l’accusé dans sa détention préventive ont été respectés
-          Que dans la forme et dans le fond ses défenseurs ont suivi le déroulement de l’ensemble des procédures d’enquêtes et d’investigation réalisée par La Police Judiciaire et les décisions prises par le ministère public qu’ils ont été informés et associés durant tout le processus.


La cour criminelle aura donc à juger sur le fond et sur la forme. Ould Abdelaziz sera jugé…sur des faits criminels prévus et sanctionnés par la législation pénale.
Le procès prendra le temps qu’il prendra, la défense et l’accusation croiseront le fer en audience et en dehors. Qu’importe c’est ainsi que veut le droit. Mais est-ce vraiment ainsi que le veut la Justice avec un « J » majuscule ?
Et c’est là où le bât blesse quand on appréhende ce procès non pas dans l’optique procédurale (ci-dessus mentionnée) de l’intervention du droit pénal, prise dans l’absolu, mais dans la justification même de son intervention.
 
Du droit du fond : du jugement de Ould AbdelAziz .

 
La question (évacuée plus haut) n’est plus de savoir si l'on a réuni suffisamment de preuves pour condamner Aziz, mais peut-on condamner Aziz pour des infractions pour lesquelles nulle  personne de toute sa decennie, et au-delà, n'est et n'a été condamnée ?
A cette volonté judiciaire d’instrumentalisation du droit pénal, ne s’oppose-t-elle pas cette non-volonté d’évacuer la « moralité » qui est le moteur premier de tout acte de justice ?
Ainsi si toute la procédure judiciaire d’établissement de preuves a conduit à dégager les chefs d’accusation suivants :
-          Corruption
-          Détournement de bien publics
-          Trafic d’influence
-          Blanchiment d’argent,
Ould Abdelaziz est-il, cependant condamnable au titre de ces crimes ?
Certes non. Parce que l’instrumentalité du droit ne peut se départir de sa moralité. Une justice qui s’exerce dans un environnement socio-politique où le droit s’ignore,   peut-elle prétendre qu'elle peut y être rendue ?
Que veut sanctionner la justice au travers du procès de Mohamed Abdelaziz ?
La Justice, à travers le juge, peut rendre le droit, un certain droit, mais ni le droit ni le juge ne peuvent dire si justice a été rendue.
Le droit et la valeur :  le texte et le contexte
Le droit est par définition, le lieu normatif où l’égalité juridique et judiciaire de toute personne est garantie et protégée. Ce lieu ne saurait être que le reflet du milieu social, politique et économique dans lequel il s’exerce.
Le droit mauritanien est, sans conteste, le reflet de son milieu. La règle de droit, a-t-on dit, n’est que l’expression de valeurs d’une société donnée à un moment donné de son histoire.
C’est autant dire que le droit se trouvant dans le texte n’est pas forcément celui du contexte.
Si la justice mauritanienne dans sa mécanique met en œuvre règles et procédures, pour rendre jugement, il n’en demeure pas moins que tout jugement est rapportable, bien moins à sa valeur juridique mais à la valeur qu’il revêt dans le contexte où il s’édicte.  La première ferait le bonheur des juristes, la seconde celle de la société.
Or c'est dans une société où tout ce que l’on reproche à Aziz est endémique que l'on envoie le personnage en Cour criminelle.
Quand la corruption est une pratique généralisée, quand le détournement des biens publics est le lot d’administrations entières, quand le blanchiment d’argent enrichit et détruit toute une économie, quand le trafic d’influence est aussi ordinaire dans les sphères de l’Etat, quand les ressources internes et externes sont pillées sans aucune redevabilité, que reproche-t-on alors à Ould AbdelAziz ?
Que lui reproche-t-on qui n’a pas existé et qui existe toujours, depuis plus de 40 ans de régime militaro-tribalo-mercantile.
Une justice qui mettrait en œuvre un droit, aussi perfectionné ou mimétique soit-il, ne saurait l’être lorsque le contexte du jugement rendu est lui-même un déni de justice.


La Justice ne peut mettre en œuvre un droit, qui est le reflet d’un contexte de non-valeurs. Elle serait alors une simple mécanique procédurale qui sanctionnerait non pas au nom de ce que le droit doit véhiculer de hautes valeurs, mais au nom d’un contexte socio-politique dans lequel le droit instrumentalisé, réduit cette justice à sa plus simple expression.
Tout jugement appuyé sur un droit, qui est le reflet de valeurs socio-politiques ne peut qu’en être l’image. Et dans ce cas la Justice devrait déclarer Aziz innocent, par référence aux valeurs actuelles. Et donc l’acquitter.
En effet, la morale de référence du droit pénal mauritanien, n’est autre celle que véhicule sa société et celle de ceux qui la dirigent.
Les philosophes du droit distinguent dans le référentiel moral du Droit pénal celui qui réside dans une morale religieuse, aboutissant ainsi à ce qui a été appelé un moralisme « absolu ». Or le comportement social en Mauritanie est souvent bien loin de la morale religieuse pour prétendre à sanctionner pénalement par référence à sa vertu, et servir de référentiel au droit pénal.   Le référentiel moral du Droit pénal résiderait alors dans la morale publique ou collective dominante à un moment déterminé dans une société donnée ce qui fut appelé un moralisme « conservateur ».
Et la Cour criminelle condamnant Aziz elle aura commis une injustice, car l’essence même du droit pénal fait qu’au-delà de son instrumentalité de réprimer les actes contraventionnels, délictuels ou criminels, offensant la société et menaçant la paix sociale, son contenu ne peut se départir de la moralité, essence même de son existence. Et quand dans toute société, la valeur, fondement de la règle de droit ne véhicule plus cette moralité, alors la justice devient un instrument au service de cette non-valeur. 


La plus vertueuse des justices ne saurait échapper au contexte vicié de son droit.


Alors que reproche-t-on à Aziz, que l’on ne pourrait reprocher à tous ses collaborateurs dont certains exercent encore au sein de l’Etat et, au-delà, à tous ceux des régimes précédents ?
Si Aziz doit être jugé par une justice qui applique un droit qui n’est que le reflet de valeurs sociales de sa société à un moment donné de son histoire, alors, Aziz doit être libre.


Ceci dit, cet article n’est point un éloge de l’impunité. Mais comment dans un pays où l’impunité est louée sans peine, peut-on juger, avec peine, l’impunité ?

Pr ELY Mustapha


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Pr ELY Mustapha

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Poésie de la douleur.