vendredi 22 janvier 2010

Raison et déraison

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D'un extrémisme à l'autre

Une pléiade « d’ oulémas » introduits dans une prison pour rencontrer des salafistes. Quels sont leur objectifs ? Où ils veulent les ramener à la raison, les ramener au « droit chemin ». Ou ils veulent négocier avec eux pour obtenir des concessions politiques.

Deux questions alors se posent : peut-on ramener un extrémiste à la raison ? Quel intérêt à « faire entendre raison » à des extrémistes ?

I- Peut-on ramener un extrémiste à la raison ?

La « raison » pour laquelle l’extrémiste est justement extrémiste tient d’une perception du monde qui n’appartient qu’à ceux qui ont choisi le néant pour exprimer leur être. Mais tous les extrémistes, n’ont pas la même perception de ce néant. Ainsi pour certains, ce « néant », c’est la destruction de tout ce qui peut contredire leur imaginaire du monde, ou menacer leur propre existence qui est instrumentalisée pour faire de cet imaginaire une réalité. C’est l’extrémisme à vocation « domination du monde ». Pour d’autres, ce néant destructeur est l’expression d’un mal être, d’une oppression, d’une réaction à un anéantissement d’un peuple d’une civilisation.

Entre le palestinien qui se fait exploser et un salafiste qui tue des otages, il y a un point commun : ils utilisent la mort pour s’exprimer. Mais si l’extrémisme du premier est une contre-réaction, non-stratégique et machinale, à la volonté sioniste qui veut détruire son être dans la réalité, l’extrémisme du second est une réaction stratégique préméditée contre la volonté mécréante qui veut détruire son être dans son imaginaire. La réalité du premier : l’occupation, l’humiliation et l’extermination. L’imaginaire du second : la guerre sainte, le pouvoir absolu, l’autoritarisme.

L’extrémisme, même s’il ne s’exprime pas par le terrorisme, a une rationalité qui n’est donc pas saisissable uniquement sous l’angle spirituel. L’extrémisme c’est d’abord une dynamique qui trouve dans la raison errante (des diasporas, des minorités, des exclus, des humiliés, des opprimés, des apatrides), le catalyseur pour l’expression d’êtres en souffrance. L’extrémisme est ensuite, une machinerie politico-spirituelle qui met en action un moteur à explosion qui puise son énergie dans cette masse d’êtres en souffrance. Etres qui en recherchant les moyens d’expression de leur état trouvent dans les milieux extrémistes qui les reçoivent, les instruments et les encadrements nécessaires à la réalisation de cette expression. Et la voie choisie n’étant pas pacifique, l’extrémisme s’exprime alors par les moyens extrêmes, à son image : le néant destructeur.

Alors croire que l’extrémisme est seulement une affaire de religion et que le dialogue pourrait résoudre des extrémistes à renoncer à leur « combat » est d’une naïveté époustouflante. La religion, n’est pas le cœur de l’extrémisme, elle est son instrument. La religion ne sert pour l’extrémiste, qu’à justifier ses actes. Il trouve en elle, la solution psychologique de dilution de son « mea culpa ». Elle lui sert de bouclier pour endiguer sa mauvaise conscience et acquérir les autres à la sienne.

Pour l’extrémisme, la religion n’est pas la finalité, elle est un instrument au service d’ambitions sociales, politiques issues d’un imaginaire sur lequel est construit le monde tel qu’il veut qu’il soit. La connaissance de la religion chez les extrémistes est entièrement bâtie sur l’interdit, la coercition et la violence. Les aspects de cette religion qui prônent la non-violence, la tolérance et le dialogue sont, à escient, au second plan. La religion ne sert alors qu’à justifier l’acte de destruction au service du but assigné : l’accaparation du pouvoir.

La « raison » qui guide l’extrémisme, c’est donc moins la gloire de Dieu telle que cette gloire devrait ressortir d’une religion de tolérance où l’homme y est sacré, mais de la sienne propre qui ressort de la perception d’une religion violente où l’homme y est sacrifié.

Faire entendre « raison » aux extrémistes, en employant l’argumentaire religieux c’est justement oublier que leur « raison » puise ailleurs la dynamique de son action violente. Et cette instrumentalisation de la religion est d’autant plus pernicieuse, que la religion est par excellence dogmatique. Elle se prête tant et si bien à l’argumentaire qu’au contre-argumentaire où chacun pourrait y trouver les mille et un méandres justifiant son acte. Celui-ci invoquant la guerre sainte, celui-là la non violence. Celui-ci l’interprétation littérale des versets, celui-là leur valeur interprétative contextuelle.

Chacun développant ses sources principales et secondaires, en recourant au Coran, à la Sunna, à la doctrine, à la jurisprudence, à l’ijmaa, à l’ijtihad, à El kiyas. Et cette religion universelle et millénaire a développé, à travers ses érudits, ses écoles, ses obédiences, une galaxie doctrinaire dans laquelle chaque courant pourrait y puiser à satiété des éléments pour justifier de son action.

Alors l’approche à l’égard des extrémistes, ne doit pas, et ne peut, être celle de convaincre. L’argumentaire religieux pouvant toujours trouver un contre- argumentaire religieux à l’infini.

C’est autant dire que vis-à-vis de l’extrémisme, cette démarche spirituelle de vouloir « raisonner » va se heurter à la nature même de cette « raison » telle que nous avons pu la mentionner plus haut. Vouloir le faire c’est confondre entre l’instrument « religion » et le « mobile » réel de l’extrémiste qu’il faut chercher ailleurs dans une volonté de concrétiser son imaginaire.

La religion a certes servi à lui inculquer cet imaginaire dans un endoctrinement qu’il a subit et a permis de justifier, auprès de sa « conscience » ses actes de violence. Mais si la religion est un instrument, elle n’est pas le catalyseur. Et c’est là où le dialogue avec les extrémistes est faussé lorsqu’il prend la religion comme critère.

En effet, l’extrémiste, l’est devenu d’abord au nom de sa condition économique et sociale avant que la religion ne lui serve pour extérioriser son extrémisme. Le catalyseur premier est, comme déjà mentionné la situation précaire, humiliante ou opprimée qui jette dans l’extrémisme. C’est là où ceux qui servent de groupes de réseaux, de filières internationales, recrutent ces parias dans leurs rangs en leur faisant passer les étapes de l’endoctrinement et de la militarisation.

Alors qu’une poignée d’oulémas s’infiltre dans une prison pour faire « entendre raison » à un groupe d’extrémistes, on comprend qu’il s’agit d’un dialogue de sourds. Car ni la raison, ni la volonté, ni la détermination des uns et des autres ne sauraient trouver un point de rencontre.

II- Quel est l’intérêt de « faire entendre raison » aux extrémistes.

La question existentielle est : A quoi va servir cette volonté des oulémas, chapeautés par un département ministériel, de « ramener » ces extrémistes à la raison ?

- Ou l’objectif final est de leur « faire entendre raison », ce qui ne sert strictement à rien pour des individus devant d’abord rendre compte de leurs actes devant la justice.

- ou une telle initiative viserait à soustraire ces extrémistes à la Justice. D’où la gravité d’une telle démarche pour toute la nation.

- Ou de s’attirer leurs « faveurs » pour faire entendre raison à leurs homologues détenant des otages que la Mauritanie et ses partenaires voudraient faire libérer .Une stratégie pour amadouer des extrémistes…et libérer des otages.

Quoiqu’il en soit, on sait ce qui est arrivé à ceux qui ont voulu dialoguer avec les extrémistes. Les extrémismes s’infiltrent par les ouvertures politiques et profitent de la faiblesse des Etats.

Le dialogue avec l’extrémisme, ne se conçoit pas avec ceux endoctrinés qui, ayant pris les armes, ont semé la mort. Ceux-là ne doivent bénéficier ni d’un dialogue, ni d’une volonté de « les ramener à la raison ». Ce sont des prévenus qui doivent rendre compte à la société et être jugés comme tels. Ils relèvent de la justice. Et toute volonté de quelque partie qu’elle soit de dialoguer avec eux est une atteinte à la bonne marche de la justice et constitue une interférence grave avec le pouvoir judiciaire.

Avec cet extrémisme là, des réseaux terroristes nationaux et internationaux, on ne dialogue pas. On se bat.

Le dialogue que les oulémas se doivent d’avoir c’est avec la jeunesse des banlieues, des quartiers déshérités de ceux qui croupissent dans la misère et qui sont déjà par leur extrême dénuement, des extrémistes silencieux, mais qui, demain, exprimeront leur extrémisme autrement.

En effet, la société mauritanienne étant devenue depuis une trentaine d’année une société à forte tendance conflictuelle (lire ici « Une société mauritanienne traumatisée : les seigneurs de la guerre ») et l’extrémisme nait souvent là on l’attendait pas ( lire ici « la journée d’un terroriste : « Es-tu prêt à prendre ce qui t’appartient, avec l’aide de Dieu ? »).

Dans sa lutte contre l’extrémisme et le terrorisme international, l’Etat mauritanien aligne des oulémas, là ou des nations entières alignent leurs remparts sécuritaires et les alliances anti-terroristes.

C’est d’une naïveté mortelle que de croire qu’en dialoguant avec une poignée d’individus on aura vaincu le terrorisme, renforcé la sécurité nationale et libéré des otages réclamés par les occidentaux. Une raison déraison.

Pr ELY Mustapha

2 commentaires:

  1. C'est parfait Prof,c'est ainsi qu'on doit aborder la question du terrorisme en etudiant profondement le sujet ,en adoptant la strategie adequate et en traitant le sujet avec serieux comme vous venez de faire dans cette courte analyse.Le gouvernement Mauritanien doit prendre en compte vos analyses qui sont comme d'habitude pertinentes dans tous les domaines que vous abordez.Bravo

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  2. Bonjour, Professeur,
    J'ai remarqué que vous n'avez pas commenté le dernier rapport de la Cour des Comptes publié sur son site web www.cdcmr.mr

    Vos commentaires et réflexions sont très attendus.

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Pr ELY Mustapha

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Poésie de la douleur.