A la mémoire de
Khadijetou Oumar Sow
et Moyma Mint Mohamed
Amar.
Du ministère de l’intérieur, l’on
ne connait que les images sanguinolentes d’étudiants battus en sang ou de manifestants
pacifiques violentés et bastonnés pour l’on ne sait quelle raison. Du ministère
de l’intérieur l’on ne connait que ces agents aux carrefours qui monnayent les
passe-droits.
Du ministère de l’intérieur, l’on
ne connait que cette administration routière qui cautionne, les milliers de
véhicules, ces tombereaux de la mort, ces carcasses tétaniques qui sillonnent
les villes et qui tuent tous les jours.
Du ministère de l’intérieur, l’on
ne connait que les milliers d’enregistrements d’accidents, de décès de la
route, de constat de viols et d’agressions devenus le quotidien de la vie
urbaine.
Du ministère de l’intérieur, l’on
ne connait que ces patrouilles arrogantes qui, souvent, ignorent la loi, ridiculisent et molestent le
citoyen lui refusant toute dignité.
Du ministère de l’intérieur, l’on
ne connait qu’une police violente ignorant toute déontologie, formée à la
matraque et à la répression de toute expression d’opinion. La police générale
chargée du maintien et du rétablissement de l’ordre public, une police
notoirement répressive.
Quant à la sécurité civile et la
gestion des crises relevant des compétences su ministère, voilà que le
ministre vient de déclarer, à la suite du conseil des ministres du 30 septembre
2020 : « Selon les chiffres en notre possession, une baisse de la
criminalité a été observée sur les 7 derniers mois. Nous rappelons qu'un centre
de coordination de l’action des forces sécuritaires a été créé avec pour
objectif de rendre la ville de Nouakchott beaucoup plus sûre. Cela passe par
l’usage des méthodes traditionnelles mais également d’outils modernes de
surveillance, des marchés et lieux publics notamment",
Les chiffres, quant à la baisse
de la criminalité, n’étant pas publiés, c’est le citoyen qui en est juge, jour
et nuit.
Les déclarations contredisant la réalité, la question est
alors de savoir : d’où vient l’impuissance des autorités publiques à
juguler cette criminalité ascendante ?
L’actuel ministre de l’Intérieur et de la décentralisation
est l’héritier d’une situation de criminalité qui a prévalu depuis des
décennies et la combattre relève du mythe…de Sisyphe.
En effet, ce ne sont pas les mesures répressives ni le
renforcement des capacités en « surveillance de lieux publics et des
marchés », ni la capture et le dépôt des délinquants dans des prisons
surpeuplées qui va résoudre la problématique de la criminalité.
Cette criminalité continuera à se renforcer et à exister
parce que sa solution ne réside pas dans la coercition et la répression mais dans
une stratégie qui dépasse le ministère de l’intérieur, et qui s’ancre dans la
structure même de gouvernance.
Voici ce que rapporte en 2020, l’OSAC (Overseas
Security Advisory Council) du Département d’Etat Américain ( Mauritania 2020
Crime & Safety Report) :
« Le Département d'État des
États-Unis a évalué Nouakchott comme étant un lieu de menace CRITIQUE pour le
crime dirigé ou affectant les intérêts officiels du gouvernement américain.
« Le gouvernement mauritanien signale une
augmentation des crimes violents (par exemple, meurtre, voies de fait, coups et
blessures, vols, cambriolage occupé, enlèvement, détournement de voiture) et
non violents (par exemple, vol, cambriolage de véhicule, vandalisme,
cambriolage inoccupé) depuis 2015, qui affectent tous de manière prédominante les
Mauritaniens; Les criminels ont tendance à ne pas cibler spécifiquement les
Occidentaux, bien que des ressortissants américains et d'autres expatriés
occidentaux aient été victimes de crimes à Nouakchott ces dernières années,
notamment de vols et d'agressions sexuelles.
Les gangs criminels sont actifs
dans les principales villes.
Le gouvernement mauritanien a
pris de petites mesures pour atténuer la criminalité. Par exemple, la garde
nationale et la gendarmerie patrouillent dans les quartiers les plus criminels,
en particulier dans le sud de Nouakchott. Ces initiatives ont permis de réduire
l'activité criminelle à la fin de 2017, mais les forces de l'ordre étant de
plus en plus impliquées dans des crimes, y compris un vol à la lumière du jour
très médiatisé de la banque BMCI et de multiples cas d'agression sexuelle, il
est difficile de vérifier les allégations gouvernementales de progrès des
initiatives de réduction de la criminalité.
Les crimes de rue et les crimes
d'opportunité sont également en augmentation à Nouakchott.
Les crimes de rue typiques
incluent le vol à la tire, l'arrachement de sac à main, le vol de téléphone
portable, le vol de véhicules et les agressions. Il y a également des rapports
de piétons signalant des automobilistes (un type courant de covoiturage) pour
voler leur véhicule ou leurs effets personnels. Des risques similaires de
criminalité existent à Nouadhibou, Rosso et dans d'autres villes (..). »
Conduire
en Mauritanie peut être extrêmement dangereux.
Les
règles de circulation et l'étiquette du conducteur diffèrent considérablement
des règles de la route à la américaine. De nombreux Mauritaniens conduisent
sans se soucier des limites de vitesse, des panneaux de signalisation ou des
feux de signalisation. Il est courant que les conducteurs se frottent aux
véhicules adjacents lorsqu'ils se précipitent pour se positionner sur la voie.
Les conducteurs changent de voie sans vérifier au préalable la présence
d'autres véhicules. Les conducteurs passent illégalement sur les accotements et
peuvent pousser les autres automobilistes lorsqu'ils reviennent sur la
chaussée. Ce mépris flagrant pour la sécurité de base entraîne de fréquents
accidents de la route et des blessures aux conducteurs et aux passagers. Pour
réduire le risque d'accident ou de blessure, adoptez une posture de conduite
défensive. Cela signifie souvent céder la priorité aux conducteurs plus
agressifs.
De plus, les obstructions et les dangers de la
chaussée causée par le sable à la dérive, les animaux et le mauvais entretien
affligent souvent les automobilistes. Les piétons tentent souvent de traverser
des rues animées sans attendre que la circulation transversale ralentisse ou
s'arrête. Ces risques, associés au nombre de conducteurs non formés et de
véhicules mal entretenus, rendent impérative une plus grande prudence.
Conduisez avec une extrême vigilance et portez toujours une ceinture de
sécurité Évitez de conduire la nuit.
Les
transports publics ne sont pas sûrs en Mauritanie, en particulier à l'intérieur.
Les taxis et les transports
publics ne sont pas des moyens de transport sûrs pour les visiteurs occidentaux.
(…). Presque tous les taxis et autres
formes de transports publics ne sont pas réglementés et en mauvais état.
Des agressions sexuelles ont eu lieu la nuit dans des taxis.
Refusez les promenades d'étrangers; les
sujets proposant des manèges ont attiré des victimes dans leur véhicule pour
une agression sexuelle.
(https://www.osac.gov/Content/Report/37f54420-a772-4254-af59-1875fb6f7f5a
La situation n’est donc pas sous contrôle comme pourrait le
faire croire la déclaration du ministre de l’intérieur sur la baisse de la criminalité.
Le rapport 2020 de l’OSAC précité mentionne, en effet, « qu’il est difficile
de vérifier les allégations gouvernementales de progrès des initiatives de
réduction de la criminalité. »
Aussi, posons-nous simplement les bonnes questions et éliminons les
mauvaises.
Les mauvaises questions, qui ne servent que les solutions à court terme, sont les suivantes :
-
Comment renforcer les
effectifs et les moyens de la police pour réprimer davantage?
-
Comment aggraver les peines
pour des sanctions plus lourdes?
-
Comment déployer des
centaines d’agents pour dissuader de la criminalité ?
Etc.
Autant de questions que tous les ministres
de l’intérieur, présent et passés, se sont posées en appelant des millions d’ouguiyas en
renforcements budgétaires annuels, sans que cela ne donne le moindre résultat.
En effet, la lutte contre une
criminalité, passe d’abord par la question que tout commun des mortels se poserait : pourquoi la criminalité s’accroit de jour en jour?
La réponse à cette question coule
de source : parce que les méthodes et les moyens utilisés sont inadaptés.
En effet, prenons juste un exemple. Voici
une machine industrielle qui se met à produire une barre métallique tordue
alors qu’elle devait produire une barre métallique bien droite. La question est :
faudrait-il continuer à vouloir, redresser, entre l’enclume et le marteau,
chaque barre métallique produite, ou plutôt réparer la machine ? La
situation devient alors ingérable si la cadence de production augmente, sans intervention.
Car à ce moment-là, ni les moyens matériels , ni les moyens humains alloués à la production,
ne suffiront.
C’est exactement, ce qui arrive à
ce ministère Sisyphe qui est celui de l’intérieur. Un ministère au bout d'une
chaine de production d’une délinquance qu'il poursuit, réprime et emprisonne,
sans succès. Car la « machine » qui les produit est détraquée et
continuera à en produire de milliers.
Cette machine « sociale »
qui n’est autre que la société produit, par fournées entières des délinquants,
que ni la répression, ni la correction, ni la privation de liberté ne va
arrêter.
La vraie question est alors la
suivante : Pourquoi ?
Réponse : parce que le délinquant
est le produit de ceux-là même qui veulent le supprimer.
En effet, qu’est-ce qu’un
délinquant produit par la société mauritanienne ?
C’est un reflet de la délinquance
qui sévit au sommet de l’Etat. Qu’il vit chaque jour et à laquelle il s’identifie
chaque jour. En effet, les gouvernants, eux-mêmes n’ayant pas donné l’exemple,
comment voudrions-nous que ceux qui les contemplent n’agissent pas de même.
Pire, ils les prennent en exemple.
Le délinquant est un paria, un
chômeur, un laisser pour compte familial ou social, un dépendant des stupéfiants
ou tout simplement une progéniture de la classe bourgeoise corrompue qui a phagocyté l’Etat
et qui a pris sa parentèle en modèle.
Et ce délinquant ne disparaitra
pas par la répression. Il s’en créera des milliers tous les jours, tant que les
conditions de son existence perdurent toujours et dictent son comportement criminel.
Et l’impuissance du ministère de l’intérieur
de juguler s’explique justement par le fait que les facteurs qui président à la
délinquance lui échappent, il ne fait que « redresser » une barre
métallique indéfiniment tordue et produite à une cadence qu’il ne peut
maitriser.
Alors ce ministère ne fait plus que jouer de la matraque, de
la répression, des arrestations, des emprisonnements de façon indéfinie
engagent des moyens humains matériels et financiers grandissant avec les
résultats que l’on sait.
C’est ainsi qu’il convient de repenser totalement la lutte contre
la criminalité en Mauritanie, et elle ne passe pas en priorité par le
ministère de l’intérieur.
Elle passe par un modèle de gouvernance qui doit:
-
Mettre à contribution le
chef de l’Etat lui-même qui doit être « visible », présent pour dynamiser
par ses directives la société et lui donner confiance en son action.
-
Moraliser la vie politique,
en donnant l’exemple d’une bonne gestion transparente et des résultats probants
-
Assainir l’administration publique,
en éradiquant les poches de la corruption et de l’incompétence (voir : mon
article : «Khadijetou Sow, le crime
en col blanc » http://cridem.org/C_Info.php?article=739257
)
-
Appliquer urgemment un
programme national de création de l’emploi doté de moyens suffisants pour résorber
le chômage.
-
Apporter un soutien massif
aux structures de l’éducation nationale. En renforçant le tissu éducatif en
moyens humains et matériels en quantité et en qualité.
-
Mettre en place une
politique de formation professionnelle efficiente, privilégiant le formations
moyennes et courtes à forte valeur ajoutée et à forte employabilité pour les
jeunes.
-
Améliorer par des actions
ciblées et efficaces les conditions économiques et sociales de la jeunesse
défavorisée (des banlieues et de l’intérieur du pays)
-
Juguler les poches de
pauvreté dans les zones sensibles et lutter contre le dénuement des populations
à risque de développement de « sites » de délinquance.
-
Mettre en place une
véritable politique de lutte contre la criminalité à travers l’éducation, l’emploi,
l’entreprenariat et adossée sur de véritables structures de conseil et d’assistance
aux jeunes dans tous les lieux de rencontre (clubs, maison de jeunes, complexes sportifs, événements) afin de créer le contact et générer
la confiance.
-
Encourager les forums
publics pour l’expression de la jeunesse sur ses préoccupations et ses
doléances et affecter une structure administrative pour leur suivi et leur
concrétisation avec les organismes concernés.
Si tout cela n'est pas fait, l’on pourrait, sans se tromper, dire que la lutte livrée
par le ministère de l’intérieur et de la décentralisation est perdue d’avance,
ses résultats épisodiques n’en garantissent pas la pérennité.
En effet, la véritable lutte contre la criminalité ne relève pas du
ministère de l’intérieur mais d’abord et avant tout de la volonté du chef de l’exécutif,
lui-même de mettre en place une véritable gouvernance de l’intégrité, de la transparence
et de l’efficacité dans la gestion de la chose publique.
C’est uniquement à travers une tel mode de bonne
gouvernance, que la criminalité pourra être résorbée.
En effet, tant que la société se reflète dans un Etat de corruption,
ses membres ne seront que l’exemple le plus affiné de la délinquance de ses
dirigeants. Une criminalité devenue endémique.
Et des victimes innocentes, connues et inconnues, continueront,
chaque jour et chaque nuit, à payer de leur vie la turpitude des gouvernants. Faillite d’un ministère, reflets d’une
société.
Pr ELY Mustapha