
Le dernier prêt signé cette semaine est de 68 millions d’Euros de la France (AFD).
Et cela pour des investissements et des projets sans rendre compte ni de leur nécessité, ni même parfois de leur objet.
Le citoyen doit se poser la question : pourquoi son pays s’endette (199,7 milliards MRU, à ce jour) et pourquoi cette dette hypothèque la vie de générations futures, et cela sans en rendre compte ?
Cette opacité je l’avais révélée à maintes reprises par mes écrits et sur mon blog. Et j’avais lancé à son propos des alertes tout au long de la gestion calamiteuse des régimes successifs (lettres d’éclaircissement adressées aux instances financières internationales). Convaincu que je suis que les errements des gouvernants se révèlent par la conscientisation du citoyen. Car s’ils sont le fait de régimes prédateurs, ils sont davantage la conséquence de l’ignorance du citoyen.
Et lorsque le scandale éclate, il est un catalyseur d’une opinion qui se réveille…devant le fait accompli.
C’est qui vient d’arriver au Sénégal, n’est pas sans nous rappeler qu’en Mauritanie c’est aussi arrivé. Et cela a couté à la Mauritanie le remboursement au FMI de 3,6 millions de DTS (Droit de tirage spéciaux) soit plus de 6 millions de dollars.
Cependant à la différence de la Mauritanie, au Sénégal la gouvernance a changé. Et ceux qui sont au pouvoir, n’ignorant ni les finances publiques ni la macroéconomie de leur pays, et mieux encore les intérêts de ceux qui les ont élus démocratiquement, révèlent la gabegie.
Ainsi, la récente révélation d’une dette « cachée » de 7 milliards de dollars au Sénégal entre 2019 et 2024 a secoué les marchés financiers africains. Toutefois, cette pratique n'est pas isolée, elle est même au voisinage du Sénégal : la Mauritanie a eu également recours à une gestion non transparente de ses finances publiques qui a coûté des millions de dollars en ressources nationales.
J’expose, d’abord, dans ce qui suit les faits, et, ensuite, pour une meilleure clarté je fais une comparaison entre ce qui est arrivé au Sénégal et ce qui est arrivé en Mauritanie pour en tirer des leçons utiles pour l’avenir et, enfin, je propose des voies de contrôle et un renforcement des institutions de contrôle, notamment la Cour des comptes.
Sénégal : une dissimulation systémique sous Macky Sall (2019-2024)
Le FMI et la Cour des comptes sénégalaise ont confirmé en février 2025 une sous-estimation délibérée de la dette publique. Les mécanismes employés incluaient:
1. Exclusion de dettes bancaires : 4,13 milliards $ de prêts locaux non déclarés au Trésor public.
2. Manipulation des ratios dette/PIB : Un écart de 25,27 points de PIB entre les chiffres officiels (74,4 %) et la réalité (99,67 %).
3. Stratégies de camouflage : Utilisation de clauses de confidentialité dans les contrats d’emprunt et fragmentation des circuits financiers.
Ces pratiques ont permis au Sénégal d’emprunter à des taux avantageux sur les marchés internationaux, tout en évitant les contrôles du FMI. Conséquence : la suspension du programme de 1,8 milliard $ du FMI et un risque accru de surendettement.
Mauritanie : des antécédents de fausses déclarations (2003-2005)
Des épisodes de graves d’opacité financière ont marqué sa gestion sous l’ère du président Mohamed Ould Abdel Aziz :
1. Dépenses extra-budgétaires massives : En 2003-2004, des dépenses équivalant à 50 % du PIB ont été financées par la Banque centrale sans reporting au FMI, entraînant un décaissement non conforme de 0,92 million de DTS.
2. Pratiques chroniques de malversation : Entre 1999 et 2003, des inexactitudes répétées dans les données macroéconomiques ont conduit au remboursement de 2,7 millions de DTS au FMI.
3. Contournement des règles du PRGF : En 2007, la Mauritanie a contracté des prêts non concessionnels de 146,6 millions $ sans approbation du FMI, nécessitant une dérogation.
Différences clés entre les deux pays : suspension du programme pour le Sénégal et remboursement forcé pour la Mauritanie
Les différences clés entre le Sénégal et la Mauritanie en matière de gestion de la dette publique et de transparence financière sont les suivantes :
Nature de l'opacité : Au Sénégal, il s'agissait d'une exclusion délibérée de dettes du bilan officiel, tandis qu'en Mauritanie, le problème concernait de fausses déclarations de flux financiers.
Période concernée : Pour le Sénégal, les irrégularités ont été constatées sur la période 2019-2024, soit cinq années récentes. En Mauritanie, les problèmes remontent à une période plus ancienne, de 1999 à 2007.
Montant concerné : Dans le cas du Sénégal, la dette cachée s'élève à environ 7 milliards de dollars, ce qui représente 23% du PIB du pays. Pour la Mauritanie, l'ampleur était plus importante, atteignant 50% du PIB pour les seules dépenses des années 2003-2004.
Sanctions du FMI : Face à ces irrégularités, le FMI a réagi différemment pour chaque pays. Pour le Sénégal, l'institution a suspendu son programme d'aide en attendant des mesures correctives.
En Mauritanie, les conséquences ont été plus sévères, avec des remboursements forcés exigés par le FMI. Soit plus de 6 millions de dollars.
Ces différences soulignent l'importance de la transparence financière et de la gestion responsable de la dette publique pour maintenir la confiance des institutions financières internationales et assurer la stabilité économique à long terme.
Quelle ont été les exigences du FMI du Sénégal et de la Mauritanie ?
Pour le Sénégal : Le FMI exige désormais une centralisation complète de la gestion de la dette et des réformes structurelles (compte unique du Trésor) avant toute reprise du programme.
Pour la Mauritanie : Le FMI a exigé des réformes dès 2015 (stratégie de gestion de la dette, audits réguliers) qui ont permis une réduction de la dette publique à 47,9 % du PIB en 2023.
Quelles leçons peut-on tirer de notre approche comparative, de deux pays au destin régional commun,
1. Dans les deux cas, les audits (Cour des comptes au Sénégal, consortium Franklin/Finexem en Mauritanie) ont été décisifs pour révéler les écarts. D’où l’éminent intérêt que nous devons accorder en tant que citoyens aux publications des rapports d'audits indépendants.
2. Les conséquences. Au Sénégal, les subventions énergétiques (4 % du PIB) sont menacées ; en Mauritanie, la pauvreté est passée de 40 % en 2002 à 57 % en 2015 sous l’effet des ajustements... avec impact ressenti sur les populations des pays.
3. Les deux pays doivent encadrer les partenariats public-privé, source majeure d’engagements implicites. D’où la nécessaire réforme de ces partenariats public-privé pour le suivi et le contrôle.
Que faire ?
Pour éviter ces comportements catastrophiques de nos gouvernants, ou tout au moins pour les juguler ou les mettre en lumière publiquement, renforcer nos institutions de contrôle des finances publiques
La cour des comptes mauritanienne
Outre le nécessaire renforcement des moyens humains, matériels et techniques de la Cour des comptes mauritanienne, quels contrôles la Cour des comptes mauritanienne pourrait renforcer pour prévenir ou détecter la dissimulation de la dette publique en Mauritanie ?
La Cour des comptes de Mauritanie, institution clé de contrôle des finances publiques, peut prévenir des cas similaires de dette cachée, tel celui révélée au Sénégal par sa Cour des comptes.
Voici les contrôles prioritaires qui me semblent adaptés.
1. Audit intégral des engagements publics
La Cour pourrait systématiquement vérifier :
- Les dettes des entreprises publiques (SNIM, SOMELEC) et des projets parapublics, dont les engagements ne sont pas toujours consolidés dans la dette souveraine. En 2023, la dette des entreprises publiques représentait 12 % du PIB.
- Les garanties d’État sur les prêts aux secteurs minier et énergétique, souvent opaques. Le rapport ESCWA (2023) souligne que 25 % des recettes minières échappent à la traçabilité.
- Les partenariats public-privé (PPP) : La Cour doit exiger la divulgation des clauses de confidentialité et des engagements implicites, comme le préconise le FMI.
2. Contrôle de la qualité des données via le SYGADE
Veiller à auditer les données du système SYGADE, utilisé pour gérer la dette, qui présente des lacunes critiques :
- Exactitude des données : En 2023, 27 % des prêts enregistrés dans SYGADE contenaient des erreurs dans les tableaux d’amortissement.
- Actualité : Seuls 60 % des opérations sont enregistrées dans les délais requis, retardant la détection des écarts.
- Cohérence : La fragmentation entre les institutions (Trésor, Banque centrale) entraîne des incohérences, comme observé dans le bulletin statistique de la dette 2024 (mai)
La Cour pourrait imposer des audits trimestriels avec la CNUCED pour corriger ces faiblesses.
3. Vérification des circuits de financement parallèles
Auditer les projets et marchés. Ainsi les rapports de la Cour précédents avaient révélé de dysfonctionnements graves :
- Utilisation illégale de fonds de projets (ex : détournement de véhicules ou de budgets dédiés à la lutte contre le Covid-19).
- Marchés publics non concurrentiels : 40 % des contrats analysés en 2023 violaient les procédures d’appel d’offres.
- Dons sans base juridique : Des transferts opaques vers des entités non contrôlées.
4. Surveillance des risques budgétaires cachés
La Cour gagnerait à évaluer :
- Les prêts garantis par l’État : Les engagements contingents peuvent représenter des pourcentages importants du PIB, selon l’ESCWA, qui est une institution-référence qui promeut et analyse le développement économique et social dans les pays de l'Asie occidentale et de l'Afrique du Nord.
- Les emprunts en devises : 85 % de la dette mauritanienne est libellée en Foreign Exchange (FX), soit en devises étrangères, principalement en dollars américains et autres monnaies qui s'y rattachent exposant le pays aux chocs de change. Cette forte exposition aux devises étrangères rend la Mauritanie vulnérable aux risques de change. Si la monnaie nationale, l'Ouguiya, se déprécie, le coût de remboursement de la dette en devises étrangères augmente. La structure de la dette en devises est dominée par le dollar américain. Au 31 mars 2024, le portefeuille de la dette mauritanienne avait une exposition aux risques de taux de change d'environ 85,3%, principalement due au dollar américain. Cette situation expose le pays à des risques financiers importants, car une dévaluation de l'Ouguiya rendrait les paiements de la dette en devises étrangères plus coûteux, réduisant ainsi les ressources disponibles pour les dépenses de développement
- Les échéances concentrées : 45 % de la dette doit être remboursée d’ici 2028, nécessitant une planification rigoureuse.
5. Application des réformes légales
Recours aux bulletins statistiques annuels de la dette publique.
Par arrêté N° 948/MF/2023 en date du 13 octobre 2023 portant production et publication des documents et informations à caractère économique, financier et budgétaire de la République Islamique de Mauritanie, l’Etat s’est engagé à produire et publier semestriellement un bulletin statistique de la dette au titre de l’année 2023 et par la suite trimestriellement à partir de 2024. Des bulletins statistiques annuels de la dette publique ont été produits et publiés au titre des années 2022 et 2023.
Cet arrêté n° 948/MF/2023 impose la publication trimestrielle d’un bulletin statistique de la dette. La Cour pourra :
- Vérifier la conformité des institutions avec cette obligation.
- Sanctionner les manquements (ex : retards de reporting, données incomplètes).
- Collaborer avec le Comité National de la Dette Publique (CNDP) pour valider les stratégies d’endettement.
6. Renforcement des capacités institutionnelles
Formation des auditeurs, si cela n’a pas déjà été fait, sur :
- La Maîtrise des outils comme le Cadre d’évaluation de la qualité des données (Debt-DQA), qui attribue des scores à la base de données mauritanienne. Le Debt-DQA étant le Cadre d'évaluation de la Qualité des Données sur la dette qui est utilisé pour évaluer, contrôler et valider la qualité des données enregistrées dans une base de données sur la dette tout au long du cycle de vie d'un instrument d'emprunt, de sa création à son échéance, ainsi que les données de référence qui y sont associées.
- L’Interconnexion des systèmes : Lier SYGADE aux données douanières et bancaires pour tracer les flux hors bilan.
- Collaboration internationale : S’appuyer sur l’expertise de la CNUCED et du FMI pour les audits complexes.
7. Déclencher les sanctions pour une transparence proactive
- Vulgariser intégralement les rapports : Y compris ceux des années précédentes, où la Cour a révélé des irrégularités manifestes des institutions contrôlées.
- Poursuites pénales : Appliquer des amendes allant jusqu’à 200 % du montant dissimulé, conformément aux normes ISSAI.Soit le cadre des déclarations professionnelles de l'INTOSAI favorisant la crédibilité et la pertinence du contrôle des finances publiques en définissant des normes et des principes professionnels reconnus à l'échelle internationale qui encouragent l'excellence dans l'application de la méthodologie et soutiennent le fonctionnement efficace des institutions supérieures de contrôle dans l'intérêt du public (INTOSAI).
- Alertes précoces : Utiliser des indicateurs comme le ratio dette/PIB (actuellement 47,9 %) pour anticiper les risques..
La Mauritanie a progressé avec la publication des bulletins de dette et l’adoption de SYGADE, mais des failles systémiques persistent. La Cour des comptes doit devenir un acteur proactif, combinant audits techniques, sanctions dissuasives et coopération internationale. Ces mesures sont cruciales pour éviter une crise similaire à celle du Sénégal, où la dissimulation a coûté ce montant astronomique de 7 milliards de dollars au Trésor public.
En définitive, je pourrai conclure que si le Sénégal représente un cas avéré de « dette cachée », la Mauritanie illustre les risques d’une gestion financière non transparente, avec des conséquences durables sur sa crédibilité.
Ces deux exemples soulignent l’urgence de mécanismes de contrôle renforcés en Afrique, où 35 % des dettes publiques restent opaques selon la Banque mondiale. Ou le FMI, dont les programmes sont suspendus dans 12 pays africains en 2025, renforce ses critères de surveillance pour éviter de nouvelles crises ou qu’il exclut ces pays de ses programmes, ou qu’ils s’excluent eux-mêmes. Ce qui reste une question de souveraineté. Mais quelle souveraineté quand on est financièrement dépendant ?
Et si ces révélations nous apprennent quelque chose, en tant que citoyens, (merci le Sénégal !) c’est que tant, que nos pays ne sont pas dirigés par des gouvernements démocratiques et soumis à la redevabilité de leurs actes devant le peuple, ce ne sera toujours là que la partie visible de l’iceberg ….
Et vogue le Titanic…de nos finances publiques.
Pr ELY Mustapha