dimanche 7 octobre 2007

Honneur Fraternité Justice

Faut-il changer la devise de la république?


Notre devise nationale a une valeur constitutionnelle certaine. L’article 9 de la constitution de 1991 dispose que «La devise de la république est : Honneur , Fraternité, Justice ». Mais cette devise a-t-elle encore un sens aujourd’hui ? Peut-on encore soutenir de nos jours que l’Etat mauritanien défend l’honneur , la fraternité et la justice ? Ne devrions-nous pas élaborer une devise à la mesure de ce que nous sommes ?
Cette devise fut adoptée par les fondateurs de la Mauritanie à la vielle de l’indépendance. Elle reflétait le caractère et l’ambition d’hommes intègres voulant bâtir une nation à laquelle ils croyaient et qui croyait en eux. Il avaient l’honneur de ceux qui ont défendu leur pays, ils avaient la fraternité des frères d’armes et ils réclamaient la justice pour leur pays colonisé.
Mais que reste-t-il de cette devise que les pères fondateurs de la nation ont voulu pour la république ?

I- De l’honneur ….détourné

L’honneur, dît-on, est le sentiment que l’on a de sa propre dignité. C’est en somme de ne jamais accomplir des actes qui puissent porter atteinte à cette dignité. Comportement basé sur « un ensemble de principes moraux qui incitent à ne jamais accomplir une action qui fasse perdre l'estime qu'on a de soi ou celle qu'autrui nous porte ».
Et qui mieux que tout dans une nation est l’image de sa dignité ? Ses gouvernants. Et qu’advînt-il de leur gouvernance depuis plus de 30 ans ?
Si l’honneur se conçoit à travers le sentiment que l’on a de sa propre dignité alors le déshonneur a bien gravi les échelons de l’Etat.

Durant tant d’années où le peuple vivant dans la misère on pillait ses ressources à tour de bras. Durant tant d’années où des responsables se sont succédés à la tête de l’Etat pour accaparer à tour de bras les maigres ressources du pays laissant un peuple exsangue et une nation parmi les plus pauvres du monde. Qu’advînt-il alors de l’honneur dans un pays qui en porte la devise ?

Voilà un mot devenu depuis belle lurette creux et ne sert plus qu’à miroiter au reste du monde ce à quoi, par nos actes, nous ne pouvons prétendre. Mais le reste du monde n’est pas dupe de ce que cette nation est devenue. Ayant l’indice de développement humain au ras du sol, les infrastructures les plus vétustes de la planète, l’éducation la plus médiocre du continent, le système hospitalier le plus insalubre de la sous-région , qu’ont fait, depuis ces dizaines d’années de gouvernance, ces gouvernants qui prônent l’honneur en devise ?
Les détournements de fonds publics, les malversations , les concussions à l’échelle nationale et jusque la falsification des chiffres des comptes nationaux. Qui valurent comme récente facture plus de 6 millions de dollars non épongées de la dette publique. De l’enrichissement illicite des responsables au pillage des caisses de l’Etat, voilà ce que l’honneur veut bien dire dans notre pays.

En supposant que la laïcité ait fait faillite dans les esprits des gouvernants d’une république islamique, les principes de notre sainte religion prônant la dignité et l’honneur ne devaient-ils pas venir à leur secours ? Les enseignements de l’islam qui devraient guider leur actes ne furent cependant pas l’ultime rempart contre de tels actes .
Une République qui n’ a pu consacrer l’honneur dans ses actes en adoptant les principes de sa laïcité ou ceux de sa religion ne peut prétendre conserver cette distinction dans sa devise.

II- De la fraternité …en poudre

La fraternité est le lien qui unit les membres d’une même famille à savoir l’espèce humaine. Elle implique la solidarité d’êtres qui se soutiennent mutuellement et se portent secours et assistance.
Qu’en est-il dans notre pays ? La fraternité est un mot que l’Etat ignore. La fraternité n’ a jamais été la préoccupation des pouvoirs publics au sens d’une obligation morale.
Les pouvoirs publics ont toujours conçu la fraternité dans une optique matérielle comme une distribution de vivres de l’aide internationale. Une « fraternité du lait en poudre », confondant ainsi fraternité et charité internationale.

En Mauritanie, la fraternité n’est pas un concept de nation, mais celui de tribus et de clans, de village et de hameau. L’inscrire dans la devise de la République c’est vouloir en faire , un principe directeur des pouvoirs publics or cela est bien loin d’être le cas. La raison en est aussi simple à comprendre qu’il est facile de la déduire du paysage socioculturel mauritanien.
En effet, la fraternité ne peut souffrir la division or le peuple mauritanien est bien divisé. Division à tous les niveaux qui nourrit les extrêmes pour que jamais le peuple ne puisse fraterniser. Une classe riche, une classe extrêmement pauvre ; des maures, des négro-africains ; des quartiers maures, des quartiers négro-africains ; des partis politiques à dominante maure , des partis politiques à dominante négro-africaine ; un courant pro-arabe, un courant pro-africain, et la fraternité s’en trouve annihilée

L’Etat n’ayant pu réaliser par ses actes et par ses programmes cette fraternité, la structure religieuse n’a pu elle aussi dans cette république islamique le faire. Pourtant l’Islam est la religion du peuple et la fraternité est un précepte fondamental de l’Islam. La fraternité entre tous les musulman est inscrite dans le saint Coran. Comment se fait-il alors que ce peuple souffre d’une misère criante et développe une indigence et une mendicité à tous les coins de rue?

Pourtant l’Etat Mauritanien est riche et le pays à des ressources propres suffisantes pour faire vivre un peuple de trois millions d’habitants. Mais est-ce là les préoccupations réelles d’un Etat longtemps gangrené par la mauvaise gestion et dont les ressources furent dilapidées par des individus sans foi ni loi ? Il n y a pas de fraternité là où l’égoïsme des gouvernants domine et où l’égocentrisme de l’Etat est le principe directeur de ses actes.

Une république qui n’a pas su depuis son indépendance instaurer la fraternité parmi le peuple, qui n’a jamais inculqué les valeurs de solidarité et de tolérance, ne peut se prévaloir d’inscrire ce principe dans sa devise. Ce serait un manque d’une crédibilité dont l’Etat déjà souffre l’absence.

III- De la justice…sans droit

La justice en Mauritanie, c’est un flot d’institutions dans un désert de droit. Une machine qui fonctionne au service du politique. L’histoire récente le confirme et le moindre citoyen l’affirme. Une justice qui fut si erratique que la confiance du peuple en fut retirée. De ces procès commandités contre les personnes à ceux réglés en argent comptant entre les mains de magistrats et de greffiers, la justice n’a pas bonne figure.

Le citoyen va à la justice comme on va au marché. Aux riches, le jugement sans peine aux pauvres le jugement dernier. Et pourtant tout se sait, on connait le magistrats véreux, les juges corrompus, les avocats vendus, les greffiers achetés, les procureurs graissés et pourtant on laisse faire car le système si étriqué, si étalé dans ses habitudes, appuyé sur des soutiens et des connivences aux quatre coins de l’Etat, qu’il sait qu’il est pérenne. En témoigne la dernière réforme de la justice qui fît tant de remous et qui accoucha d’une souris . Encore aujourd’hui, la justice est ce que les pouvoirs publics veulent qu’elle devienne. Et jusque-là elle n’est rien qu’un troisième pouvoir constitutionnel qui ne fait pas honneur à la République. Il ne passe pas un jour sans que cette justice montre ses défaillances et ses limites. Une justice qui s’est « épanouie » dans la corruption et qui s’exerce dans un non-droit; pire encore, dans une allégeance perpétuelle au politique et dont les magistrats ont, pour la plupart, développé un clientélisme et une soumission ostensible, pour le moindre justiciable, à l’argent et au pouvoir.
Des fameux procès politiques sous le régime précédent à l’incapacité actuelle de la justice à servir le bon droit, le système judicaire a développé une inertie qui contrebalance toute volonté de changement.

Une république qui tolère que son système judicaire soit dans cet état de délabrement avancé au mépris des droits du citoyen et de la garantie de bonne justice à son peuple ne peut prétendre à prendre la Justice comme devise.

Honneur, fraternité, justice. Ne répondant pas à cette devise, l’Etat mauritanien souffre d’une inconstitutionnalité de ses actes. C’est une devise qui sonne creux et ne correspond pas aux réalités. Les réalités politiques et climatiques répondent d’avantage à une autre devise : « lenteur, calamité, préjudice »

Et pourtant, l’on ne peut se résigner à croire que l’Etat mauritanien ne puisse réagir pour porter remède à tout cela . Pour être conforme à sa devise. Car si la devise se définit comme étant une formule qui indique une règle de conduite. Nous nous prendrons bien à penser qu’elle peut aussi valoir pour le futur, mais un « futur immédiat » qui reste à construire. En somme comment l’Etat peut-il restaurer sa devise ?

L’honneur, la fraternité et la justice … à retrouver

Il est impossible qu’un peuple si ancrée dans une civilisation arabo-africaine et musulmane puisse continuer à souffrir du manque de principes de son Etat.. Et l’on ne croit pas que tout soit perdu. Tant que l’espoir subsiste en l’existence d’une volonté de changement.

« Il y'a en l’homme plus de choses à admirer qu’a mépriser » disait Camus, en conclusion à son roman «la peste ». Cette peste qui ravagea Oran et qui mit les hommes à rude épreuve. Une peste qui sépara tant de familles, qui fit tant de morts et qui révéla aussi que dans l’adversité, il émerge toujours des hommes qui par leur courage et leur sens de l’honneur savent donner de grandes leçons d’humanisme.

Tous ceux qui ont réduit l’Etat mauritanien à ce qu’il est aujourd’hui ne sont pas partis, ils sont encore dans ses rouages, mais avec l’ère démocratique et des hommes nouveaux à la tête de l’Etat, il est un espoir que l’honneur soit retrouvé. Que la moralisation de la gestion publique soit une priorité, que ceux qui ont pillé les ressources du peuple fassent amende honorable et que l’Etat retrouve le chemin du peuple. Son origine et sa finalité.

Que l’honneur se matérialise dans la lutte contre tout ce qui peut ternir l’image de l’Etat, que la fraternité se développe dans le cœur et dans les actes de chaque mauritanien, toutes races confondues et que la justice désintéressée règne enfin pour protéger les droits et garantir les libertés.

C’est à cette seule condition que nous mériterons notre devise. Et que nous gagnerons au change sur la bourse des valeurs humaines.

Pr ELY Mustapha
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Le tableau illustratif est de Karine Brailly et s'intitule "Dunes". http://www.technografi.com/art.html

8 commentaires:

  1. Espérons qu'ils vont vous écouter sur ce que vous dites car c'est très intéressant.ça va changer les mentalité figées

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  2. Prof,

    Cette dévise c'est pour qu'on nous croit honnêtes mais c'est un rêve. Personne ne croit à ça. Par exemple le seul honneur économique que nous avons encore c'est la Snim est ils vont la mettre à la vente. lz fraternité la justice et tout ça c'est pour les pauvres qui croient tout.

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  3. Cher professeur, comme vos articels d'avant, vous avez signé ici une belle réflexion et je suis entièrement d'acord avec vous que notre dévise ne veut plus rien dire. Mais vous dîtes que si les actes des gouvernants ne suivent pas la devise (honneur, fraternité et justice) il sont alors anticonstitutionnels donc il faut les attaquer en justice?

    FOD

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  4. Je viens de visiter le site de l'IGE. Rien n'a changé avec la nouvelle situation: le middle management est aussi corrompu qu'avant. Rien ne pourra changer ttant qu'on ne changera pas les hommes de l'ancien sustème. Faut-il augmenter les salaires si l'occasion se presente? Oui. Doit-on faire avec jusqu'en 2012? J'ai bien peur que oui.

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  5. Il n'ya rien a dire la realité est criante:nous ne meritons pas cette devise.Elle a été faite par des gens qui croyaient en une mauritanie honnorable,fraternelle et juste :aujourd'hui on l'utilise a mauvais escient pour faire croire ce que nous ne sommes plus.Bravo prof pour vos exellents écris qui mettent en lumiere ce que d'autres ont terni.

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  6. je vous remercie pour cette proliference d'articles objectifs et mésurés sur la situation du pays.Vos analyses sont pertinentes et relevent d'un haut niveau d'interêt pour la cause national.Merci

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  7. Professeur ELY, mes amitiés du plus profond de mon coeur, c'est mon fils qui m'a appélé tout-à-l'heure pour lire votre article sur le blog alors qu'il était devant son ordinateur et j'ai eu les larmes aux yeux en vous lisant car moi j'ai vécu les premières années de l'indépendance et je sais ce que cela veut dire.

    Actuellement je suis à l'étranger, je suis âgé et handicapé moteur mais je ne perds rien de l'actualité de notre pays,mais ce que vous avez écrit m'a profondément ému.
    Puisses Dieu vous protéger et guider vos pas. Merci encore mon fils.

    Isselmou Ould Khlil

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Pr ELY Mustapha

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Poésie de la douleur.