dimanche 18 mai 2025

Mauritanie : incohérences majeures du Tableau des Opérations Financières de l’État (TOFE) 2025 . Par Pr ELY Mustapha

La connexion entre le TOFE des trois premiers mois de 2025 et la Loi de Finances Initiale révèle des erreurs méthodologiques majeures et des incohérences de présentation. Pour garantir une gestion budgétaire efficace et transparente, il est impératif d’adopter des pratiques conformes aux standards internationaux, permettant un pilotage réel et dynamique de l’action publique. Sans correction rapide de ces pratiques, la crédibilité et l’efficacité de la gestion des finances publiques risquent d’être gravement compromises.


Le TOFE (Tableau des Opérations Financières de l’État) est un document de synthèse budgétaire et comptable qui présente, de manière structurée et normalisée, l’ensemble des opérations financières réalisées par l’État sur une période donnée (généralement mensuelle, trimestrielle et annuelle). Il regroupe et met en perspective les principales catégories de recettes et de dépenses publiques, permettant ainsi de suivre l’exécution du budget voté par la Loi de Finances.

Le TOFE distingue généralement :
-    Les recettes (fiscales, non fiscales, dons, emprunts, etc.)
-    Les dépenses (dépenses courantes, dépenses d’investissement, charges de la dette, subventions, transferts, etc.)
-    Le solde budgétaire (différence entre recettes et dépenses)
-    Le financement (recours à l’emprunt, variation des avoirs, etc.)
Le TOFE est un outil central de la gestion des finances publiques. Il permet :
-    d’assurer la transparence et la traçabilité de l’exécution budgétaire,
-    de comparer les réalisations aux prévisions de la Loi de Finances,
-    de détecter les écarts, retards ou sur-exécutions,
-    d’évaluer la soutenabilité du déficit budgétaire et les besoins de financement de l’État.
En Mauritanie, comme dans la plupart des pays, le TOFE est élaboré par le ministère chargé des finances et sert de référence pour l’analyse de la situation financière de l’État, tant pour les autorités nationales que pour les partenaires techniques et financiers.


Le TOFE est le tableau de bord officiel qui retrace toutes les opérations financières de l’État, permettant de mesurer l’exécution réelle du budget par rapport aux prévisions, d’assurer la transparence, et de piloter la politique budgétaire.

-    Analyse générale et détection des incohérences
À la lecture des données budgétaires pour les trois premiers mois de l’année 2025, une incohérence majeure apparaît : dans la quasi-totalité des rubriques, les montants exécutés (consommés) sont strictement égaux aux crédits ouverts, et ce dès janvier. Ce phénomène se répète pour chaque type de dépense – qu’il s’agisse des dépenses de personnel, des subventions, des investissements ou des comptes spéciaux. Par exemple, pour les traitements et salaires de l’Agence Mauritanienne d’Information, le montant consommé est exactement celui voté (102 321 704 UM), tout comme pour Radio Mauritanie (103 047 758 UM), la Télévision de Mauritanie (149 932 552 UM), etc. Il en va de même pour les subventions, les dépenses d’investissement et les fonds spéciaux.
Or, il est administrativement impossible, dans une gestion budgétaire normale, que la totalité des crédits soit exécutée à 100% dès le premier trimestre, et encore moins dès janvier. Les dépenses de personnel, bien qu’assez régulières, devraient afficher un taux d’exécution proche de 25% à la fin du premier trimestre (correspondant à trois mois sur douze), sauf paiement exceptionnel d’arriérés ou primes, ce qui n’est pas indiqué ici. Quant aux investissements et subventions, leur exécution est généralement progressive, soumise à des procédures administratives, des appels de fonds, ou la réalisation de marchés publics. Cette présentation donne donc une image irréaliste et artificielle de l’exécution budgétaire.

Absence de ventilation temporelle et de suivi des phases de la dépense
Le TOFE analysé ne distingue pas les différentes phases de la dépense publique (engagement, liquidation, ordonnancement, paiement) et n’offre aucune ventilation mensuelle ou trimestrielle réelle. Il se contente d’aligner les crédits ouverts et consommés, sans préciser si les montants correspondent à des engagements juridiques, à des paiements effectifs, ou à des prévisions. Cela nuit gravement à la transparence et empêche toute analyse sérieuse de la gestion budgétaire, car il devient impossible de détecter les retards, blocages ou sur-exécutions.

Manque d’information sur les recettes et l’équilibre budgétaire
Un autre point faible majeur est l’absence totale d’informations sur les recettes dans le TOFE présenté. Or, l’analyse de l’exécution budgétaire doit impérativement intégrer la dynamique des recettes (fiscales, non fiscales, dons, etc.) pour apprécier l’équilibre du budget, la soutenabilité du déficit, et la gestion de la trésorerie de l’État. Cette omission empêche de juger la cohérence globale de la politique budgétaire et de détecter d’éventuels déséquilibres structurels.
 
Confusion entre prévisions et réalisations
Les montants affichés semblent relever d’une reconduction mécanique des crédits votés par la LFI, plutôt que d’une comptabilité des dépenses effectivement réalisées. Cela traduit soit une mauvaise compréhension de l’objet du TOFE, soit une volonté de masquer la réalité de l’exécution budgétaire. Cette confusion peut induire en erreur les décideurs, les partenaires techniques et financiers, et les citoyens, en donnant une image faussée de la gestion des finances publiques.
 
Absence de justification des écarts ou des anomalies
Aucune note explicative n’accompagne les chiffres pour justifier les éventuels écarts, retards ou sur-exécutions. En gestion rigoureuse, chaque écart significatif doit être expliqué (retard de passation de marché, économies réalisées, dépenses imprévues, etc.). L’absence de commentaire prive le lecteur d’éléments d’analyse et de compréhension, et limite la redevabilité des gestionnaires publics.
 
En résumé, le TOFE des mois de janvier, février et mars 2025, tel que présenté, ne remplit pas sa fonction de tableau de bord de l’exécution budgétaire. Il présente une image figée, irréaliste et non conforme à la réalité opérationnelle de la dépense publique. Cette pratique nuit à la transparence, à la redevabilité et à la qualité de la gouvernance financière. Il est donc vivement recommandé de :
-    Présenter les taux d’exécution réels à la date du TOFE, en distinguant les différentes phases de la dépense (engagement, paiement, etc.) ;
-    Ventiler les dépenses par mois ou trimestre pour une meilleure lisibilité ;
-    Intégrer le volet recettes et le solde budgétaire dans le TOFE ;
-    Ajouter des commentaires explicatifs sur les écarts ou anomalies constatés ;
-    Mettre en place un suivi de performance pour chaque programme ou projet.
 

Pr ELY Mustapha


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