Cette hausse rapide de la dette intérieure (30 milliards MRU en septembre 2024) répondrait probablement à un objectif affiché de réduire la dépendance à l’extérieur, mais les conditions d’émission des titres (taux fixes, souscripteurs) restent opaques, augmentant les risques de liquidité.
La qualité des données est mise en cause par une évaluation indépendante (Debt-DQA), qui attribue un score de 73 % à la base de données sur la dette, exigeant des « mesures correctives majeures ». Les retards dans l’enregistrement des tirages et les erreurs dans les tableaux d’amortissement faussent la projection des échéances, compliquant la planification budgétaire.
Origines structurelles des dysfonctionnements
- Compétences techniques limitées : Le Comité National de la Dette Publique (CNDP) souffre d’un déficit criant en personnel qualifié et utilise des outils de prévision obsolètes, selon un rapport du FMI. Cette lacune explique en partie les incohérences entre les rapports trimestriels et la sous-estimation des risques de change (85,3 % de la dette libellée en dollars).
- Systèmes informatiques fragmentés : L’absence d’une plateforme intégrée pour le suivi des ressources extérieures entraîne des divergences entre la Direction de la Dette Publique (DDP) et d’autres entités, comme relevé dans les écarts sur les tirages de prêts.
- Pressions budgétaires et recours accru à la dette intérieure : Pour compenser la baisse de 11 % de la dette extérieure au premier semestre 2024, l’État a accru les émissions d’obligations domestiques de 25,3 %, atteignant 30 milliards MRU en septembre. Cette stratégie, bien qu’alignée sur la SDMT 2024-2026 visant à développer le marché local, s’accompagne comme souligné plus haut, de risques de liquidité et d’un manque de transparence sur les conditions d’émission.
Anomalies techniques identifiées :
Erreurs de valorisation : Les dettes libellées en devises (notamment en euros) sont converties à des taux de change fixes plutôt qu’aux cours du marché, faussant l’évaluation du risque de change.
Omissions comptables : 12% des engagements conditionnels (garanties d’État sur les projets miniers) ne figurent pas dans les annexes des rapports officiels.
Incohérences temporelles : Les délais de publication trimestrielle dépassent systématiquement les 45 jours réglementaires, limitant l’actualisation des données.
La viabilité de la dette exige une cohérence entre les objectifs macroéconomiques et les instruments de financement. Or, la Mauritanie accumule des contradictions :
• La priorité affichée aux prêts concessionnels contraste avec la hausse des emprunts commerciaux domestiques à taux fixes, mais sans publication détaillée des rendements ou des souscripteurs.
• Le ratio dette/PIB (47,5 % en 2023) masque une vulnérabilité aux chocs de change, non compensée par des mécanismes de couverture, pourtant recommandés dans les cadres de gestion des risques de dette.
L’approche néo-institutionnaliste met en lumière l’inadéquation entre les réformes ambitieuses (comme la publication trimestrielle des bulletins) et les capacités opérationnelles réelles. La publication tardive des rapports et les erreurs récurrentes sapent la crédibilité des engagements de transparence.
Les anomalies reflètent une faiblesse systémique combinant insuffisances techniques, manque de coordination et pression politique pour maintenir un récit de « dette maîtrisée ». Une réforme approfondie des systèmes d’information et un investissement dans la formation des gestionnaires publics s’imposent pour aligner les pratiques sur les standards internationaux.
Renforcer les effectifs et les compétences techniques de la Direction générale du Trésor en promouvant les certifications en analyse financière internationale (normes CIPFA). Les pratiques actuelles contreviennent aux principes de transparence budgétaire, où l’information exacte et rapide est pourtant un pilier de la crédibilité étatique.
Le biais d’un optimisme systémique
La rationalité dans les choix d’endettement doit être de rigueur. Le modèle d’équilibre intertemporel des dépenses publiques (Barro, 1979) suppose une rationalité des choix d’endettement. Or, les reports successifs de réformes fiscales (depuis 2018) ont généré un biais d’optimisme systémique dans les projections, avec une sous-estimation moyenne de 2,4 points de PIB sur le service de la dette.
Approaches correctives :
• Adoption immédiate des normes IPSAS en comptabilité publique
• Externalisation contrôlée des audits de dette via des partenariats avec le FMI
• Formation accélérée des cadres du Trésor aux instruments de couverture des risques
Cette situation appelle une refonte globale des mécanismes de gouvernance financière, alignée sur les bonnes pratiques préconisées par l’initiative PEFA.
Pr ELY Mustapha
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