
La Mauritanie affiche une croissance économique officielle de 4,6 % en 2024 selon le FMI, présentée comme le fruit d’une « gestion macroéconomique saine » et de réformes structurelles. Pourtant, cette vision optimiste masque des contradictions profondes et des indicateurs socio-économiques alarmants, remettant en cause la pertinence du discours officiel du FMI.
1. Une croissance en trompe-l’œil, minée par les inégalités
Le ralentissement de la croissance (6,5 % en 2023 contre 4,6 % en 2024) s’explique principalement par les défaillances du secteur extractif, notamment les retards du projet gazier GTA. Le FMI souligne une « résilience » économique, mais occulte le fait que 41 % de la population rurale vit toujours dans la pauvreté, et que le chômage des jeunes atteint 24 %. La Banque mondiale relève par ailleurs un déficit de financement annuel de 8,4 milliards de dollars pour atteindre les ODD, illustrant l’écart abyssal entre les chiffres de croissance et les besoins réels.
2. Dette publique : un optimisme fragilisé par les vulnérabilités structurelles
Le FMI célèbre une réduction du ratio dette/PIB à 44,5 %, grâce à une politique budgétaire restrictive. Pourtant, le stock de la dette extérieure s’élève à 169 528 millions de MRU (85 % de la dette totale), libellée à 85 % en dollars américains. Cette exposition aux risques de change, combinée à la dépendance aux prêts multilatéraux (60 % de la dette extérieure), rend la soutenabilité à moyen terme précaire. Le FMI lui-même admet des « risques significatifs » liés aux tensions géopolitiques et aux chocs climatiques, sans pourtant intégrer ces éléments dans son discours public.
3. Corruption et gouvernance : des réformes cosmétiques ?
Alors que le FMI salue l’adoption d’un nouveau code d’investissement et d’une loi anticorruption, la Mauritanie stagne au 131ᵉ rang de l’indice de perception de la corruption (2023). Les réformes législatives, bien que nécessaires, peinent à combattre un système où les entreprises publiques dominent des secteurs stratégiques, et où les conflits d’intérêts persistent. Le ministre de l’Économie reconnaît lui-même la nécessité d’une « cartographie des risques de corruption par secteur », aveu implicite de l’inefficacité des mesures actuelles.
4. Extractivisme et informalité : un modèle de croissance non inclusif
Le FMI mise sur le secteur privé pour une croissance « inclusive », mais 87 % des emplois relèvent du secteur informel, et l’agriculture – affectée par les changements climatiques – reste le principal pourvoyeur d’emplois précaires. Le rapport de la Banque africaine de développement note une productivité stagnante dans les services, soulignant l’échec de la diversification économique. Le discours du FMI sur les « dépenses prioritaires dans les infrastructures » contraste avec l’absence de mention des 15 % de la population n’ayant pas accès à l’eau potable.
5. Un discours du FMI en décalage avec les urgences sociales
Le représentant du FMI, M. Fischer, vante une « consolidation budgétaire » ayant permis de dégager des marges pour les secteurs sociaux. Pourtant, les dépenses sociales restent limitées : seuls 1,8 million de moustiquaires ont été distribués en 2023, une action ponctuelle qui ne compense pas un système de santé défaillant. Le FMI ignore aussi le recul des dépenses publiques en 2024, responsable d’une croissance par habitant réduite à 2,1 %, insuffisante pour améliorer le niveau de vie.
Conclusion : un récit économique tronqué
Les données du FMI, bien que techniquement exactes, construisent un récit de résilience qui néglige les fractures sociales et les dépendances structurelles. La focalisation sur les indicateurs macroéconomiques (déficit, dette, inflation) occulte l’urgence d’un modèle de développement réellement inclusif, capable de transformer la croissance en progrès social. Tant que les réformes resteront ancrées dans des logiques d’ajustement budgétaire sans répondre aux défis de gouvernance et de redistribution, le discours du FMI restera un outil de légitimation politique, bien éloigné des réalités mauritaniennes.
Lire aussi mes précédents articles (récents et passés) sur la « diplomatie » en trompe-l’œil du FMI. sur ce blog .
2008 : Déclaration de la mission du Fonds monétaire international à Nouakchott :
Faut-il croire le FMI ?
2011: Mission du FMI en Mauritanie :« Bonnes performances macroéconomiques » : Performances macro…mensongères et micro…fallacieuses
2011 Les leurres du Fond Monétaire International : La croissance…du sous-développement.
2012 : Lettre ouverte à Madame Christine Lagarde, Directrice générale du Fonds Monétaire International
2012 : La lettre que Madame Christine Lagarde ne m’a jamais écrite
2013 : J’accuse le FMI : Quand le FMI maintient mon pays dans le sous-développement
2019 : Le FMI a encore frappé en Mauritanie : Croissance, quelle croissance ?
Pr ELY Mustapha
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Bienvenue,
postez des messages respectueux des droits et de la dignité des autres. Ne donnez d'information que certaine, dans le cas contraire, s'abstenir est un devoir.
Pr ELY Mustapha