mercredi 11 décembre 2019

Crimes et délits : La Cour des comptes mauritanienne est-elle crédible ?




Face aux révélations des rapports de la Cour des comptes et en l’absence d’instructions du Président de la république au Ministre de la Justice de saisir le ministère public sur les centaines de crimes et délits économiques et financiers (avec leur conséquence de responsabilité directe et indirecte sur toute la société) et dont les auteurs sont encore en activité, la question que se poserait tout citoyen est de savoir à quoi sert la Cour des comptes ?

Cette question est d'autant plus pertinente si l’on sait que le Commissaire du gouvernement, qui représente le Ministère public auprès de la Cour des comptes, est tenu par loi, au cas où le contrôle fait apparaître des faits susceptibles de constituer un délit ou un crime, de transmettre le dossier au ministre de la justice. La loi est même plus explicite puisqu’elle impose au commissaire de dénoncer au ministre de la justice des faits de nature à motiver l’exercice d’une action pénale, et d’en aviser le ministre intéressé, ainsi que le ministre chargé des Finances.

Dans les rapports de la Cour des comptes, cette saisine est fort limitée. A titre d’exemple dans son dernier rapport, la mise en œuvre d’une telle action publique (saisine de la justice) ne l'a été que dans 2 cas (Centre Hospitalier National, Ecole Talha relevant de la commune de Riadh) à l’égard des présumés délinquants qu’elle dénonce dans son rapport.

LA RESTITUTION CONTRE L’IMPUNITE

Et curieusement, la Cour utilise, dans ces cas transmis à la justice,  la  formule suivante : « Suite à la non-exécution de cette demande de restitution, ce dossier a été transmis à la justice. » Entendre par « restitution », celle des sommes détournées ou manquantes.

La Cour des comptes considère donc que la restitution arrête les poursuites pénales et ne transmet pas le dossier à la justice. Ce qui est vérifié dans son rapport par des dizaines de cas où le délinquant restitue et ne fait pas l’objet de poursuites.

En voici des exemples :

- « Sur la base d’une demande de remboursement en date du 06/04/2018, ce montant de 1.454.064 MRU a été restitué par le Maire d’EL Mina. Ce dernier a versé ledit montant au trésor public (cf. quittance N°C00036101). »

- (..) un montant total, toutes taxes comprises, de huit millions huit cent dix mille quatre cent cinquante-deux ouguiyas anciens (8.810.452 A-UM, soit 881.045,2 MRU) sont injustifiées et leur montant net arrêté à sept millions quatre cent mille sept cent quatre-vingt ouguiyas anciens (7.400.780 A-UM, soit 740.078 MRU). Sur la base d’une demande de remboursement, ce montant a été restitué par le Maire de Teyarett. Ce dernier a versé ledit montant au trésor public »

La cour demande même la restitution sans en tirer les conséquences sur le plan pénal :

-         « La Cour considère que la prise en charge de ces créances est injustifiée car les intéressés ont été nommés et mis fin à leurs fonctions par décision du Conseil des Ministres et que par conséquent, les dispositions de la convention collective ne s’appliquent pas à leur cas. Elle considère que ce montant doit être restitué. »

Or, il ne fait pas de doute que La restitution est un préalable avant toute poursuite pénale, mais ne l’arrête pas. D’ailleurs même la tentative de ce délit est punie pénalement comme le délit lui-même.

En effet, comme le mentionne le code pénal : « Préalablement à toute poursuite, les auteurs des délits susvisés auront été mis en demeure, par l'agent de l'Etat chargé de l'enquête, de rendre ou de représenter les effets, deniers, marchandises ou objets quelconques, billets, quittances ou écrits, contenant ou opérant obligation ou décharge qu'ils avaient détournés, soustraits ou obtenus frauduleusement. » (Art 166 Al.2)

Ainsi, en matière pénale la restitution n’arrête pas les poursuites pénales elle sert uniquement à un accorder le sursis d’exécution de la peine après jugement ou à accorder des circonstances atténuantes et cela sous certaines conditions strictes : « si les deniers et effets détournés ou les objets obtenus frauduleusement ont été restitués spontanément par l'auteur du délit ou par son complice ou sur leurs indications ou dénonciations expresses » (Article 167 Al.3 du Code pénal.)

L'application des circonstances atténuantes est subordonnée à la restitution ou au remboursement, avant jugement, du tiers au moins de la valeur détournée ou soustraite.

Le bénéfice du sursis ne pourra être accordé qu'au cas de restitution ou de remboursement avant jugement des trois quarts au moins de ladite valeur.

Il faudrait, par ailleurs, s’interroger si la « demande de restitution » formulée par la Cour des comptes suite à la découverte de l’infraction pénale, entre dans le champ « de la restitution spontanée », permettant le sursis ou les circonstances atténuantes de l’article 167, mais constituerait plutôt la découverte d’une infraction pénale accompagné d’acte de dissimulation et de manœuvres frauduleuses.

UNE NECESSAIRE QUALIFICATION JUDICIAIRE DES ACTES COMMIS

Il faudrait que tous les cas ayant fait l’objet « de restitution spontanée » (aux dires de la Cour des comptes) soient transmis au Ministère public pour la qualification pénale (délictuelle ou criminelle) des actes commis. Et c’est à la Justice d’instruire l’affaire, la juger ou la classer.

En effet, par application des dispositions du code pénal, des centaines d'actes relevés par le rapport de la Cour des comptes sont frauduleux et relèvent par nature de la justice pénale, au sens du délit et du crime tels que définis par le code pénal mauritanien dans toute une section consacrée à la forfaiture, les crimes et délits des fonctionnaires publics dans l'exercice de leurs fonctions.

«  Tout agent civil ou militaire de l'Etat d'une collectivité publique ou d'un établissement public, d'une coopération ou association bénéficiant du soutien de l'Etat, d'une société dont l'Etat ou une collectivité publique détient la moitié au moins du capital, qu'il soit ou non comptable public, toute personne, revêtue d'un mandat publie ou tout officier public ou ministériel qui aura commis dans l'exercice de ses fonctions les détournements ou dissipations prévus à l'article 379 du présent code, sera puni d'un emprisonnement de cinq à dix ans; en outre, une peine d'amende de 5.000 UM à 1 million UM sera obligatoirement prononcée. « (art 164)

Ainsi, l'institution de "Commissaire de Gouvernement » permettrait à la Cour des comptes de lutter efficacement contre l'impunité ce qui contrebalancerait l'absence de suite donnée à ses rapports et recommandations par l’Exécutif.

En France la Cour des comptes et ses chambres régionales dénoncent les actes constitutifs de crimes et délits et une abondante jurisprudence concerne à la fois la saisine des juridictions pénales par les juridictions financières et  les modalités de traitement quant au fond des saisines  ( Voir « L’étude statistique relative aux transmissions de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes faites à l’autorité judiciaire », publiée en annexe de l’ouvrage du ministère de la Justice, ministère de la Justice, Relations entre l’autorité judiciaire et les juridictions financières, Paris, Imprimerie Nationale, juin 1996, p. 4 de l’annexe 1)

CORRUPTION ET PRESOMPTION DE CORRUPTION

Or, Il appert des rapports de la Cour des comptes mauritanienne des centaines d’actes relevant du pénal:

-         Fraude avérée à la législation sur les marchés publics de l’Etat des collectivités publiques locales et des établissements publics
-          Fraude manifeste sur les contrats de biens de services et sur la cession du domaine public.
-         Détournements de deniers publics,
-         Concussion évidente,
-         Dilapidation des ressources publiques,
-         Détournement de procédures budgétaires, financières et comptables,
-          Fraude et forte présomption de corruption sur les contrats de mines et de pèches,
-         Recrutements de complaisance,
-         Dissimulation, de falsification de documents budgétaires, comptables et financiers
-         Manipulation de dispositions de contrats publics
-          Enrichissement sans cause, paiement de l’indu,
-         Gestion frauduleuses d’établissements publics et de projets etc.

Tous ces actes, sont le pendant de corruptions active et passive généralisées, et constituent au moins des présomptions sérieuses qui se doivent d’être traitées conformément à la loi n° 2016.014 relative à la lutte contre la corruption :

« Sont punis d’un emprisonnement de cinq (5) à dix (10) ans et d’une amende de cinq cent mille (500.000) à un million (1.000.000)  d’ouguiya : 1°  L’agent  public  qui  sollicite  ou  accepte,  directement  ou  indirectement,  un avantage  indu,  soit  pour  lui-même  ou  pour  une  autre  personne  ou  entité,  afin  qu’il accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte dans l’exercice de ses fonctions;    2° Toute personne qui promet, offre ou accorde à un agent public, directement ou  indirectement,  un  avantage  indu  au  profit  du  fonctionnaire  lui-même  ou  pour l’intérêt  d’un  individu  ou  d’une  autre  entité  afin qu’il  accomplisse  ou  s’abstienne d’accomplir un acte relevant de ses fonctions. »


Les gestionnaires publics de l’Etat, de collectivités publiques locales, d’établissements publics, auteurs de tous ses actes, qui ont englouti les ressources publiques, tués des milliers de personnes (détournement des budgets des hôpitaux, de l’équipement, des infrastructures hospitalières et routières…), réduit à la misère et à l’ignorance des milliers de personnes (détournement des ressources de l’Education, de l’enseignement, de la formation, de la recherche …), etc., sont encore à la tête d’administrations ou mieux encore promus à d’autres emplois.

LA CREDIBILITE DE LA COUR AUPRES DE L’EXECUTIF

Le président de la République a l’obligation de sanctionner cette impunité flagrante qui a coûté, et qui continue encore de coûter, à la nation des centaines de milliards d’ouguiyas, et de vies en souffrance, mettant à genoux tout le pays et le jetant dans la pauvreté, la misère et le sous-développement.

Si le ministère public n’est pas saisi de ces actes et faits flagrants dont les preuves sont rapportées par la Cour des comptes, l’on ne pourra qu’en tenir deux conclusions :

-         Où le rapport de la Cour des comptes n’est pas fiable et ne constitue pas pour l’Exécutif un travail d’une institution crédible de contrôle.

-         Où l’impunité fait partie de la gouvernance publique en Mauritanie


Dans le premier cas, si l’on considère que le degré de crédibilité accordée à la cour des comptes, par l’Exécutif, est inversement proportionnel au temps que passent ses rapports dans le tiroir présidentiel, alors cette crédibilité est inexistante. Jamais le contenu des rapports ou les recommandations de la Cour des comptes depuis sa création n’ont été suivis d’effets. Et la Cour des comptes reconnait elle-même cet état de fait.


UNE INSTITUTION QUI COUTE CHER, RAPPORTEE A SA CONTRIBUTION


Pourquoi donc maintenir une institution de contrôle qui coûte annuellement des millions au contribuable mauritanien et dont le travail de contrôle est inexploité?


Ainsi son budget de fonctionnement s’élève en 2019 à plus de 37 millions d’ouguiyas) … Si l’on additionne tous les moyens budgétaires (en fonctionnement et investissement) accordés à cette cour depuis sa création on comprend le gaspillage des ressources publiques. La Cour des comptes pourrait elle-même être considérée comme source de dilapidation des ressources publiques et exemple de mauvaise allocation de ressources publiques. Dans une gestion budgétaire par objectif, la mission « Cour des comptes » et le programme « contrôle des finances publiques » aurait des résultats négatifs avec une performance nulle et des indicateurs de réalisation au rouge.


A moins qu’on lui redonne la place qu’elle mérite dans le système de contrôle des finances publiques et que l’on accorde une effectivité à ses recommandations et au contenu de ses rapports.

C’est moins une question de crédibilité qu’une absence de volonté politique d’appliquer le contenu du rapport.

Dans le second cas, en effet, l’impunité fait depuis longtemps partie de la gouvernance publique en Mauritanie

Et sur ce point, à moins que Ghazouani n’inaugure une nouvelle forme de gouvernance contre l’impunité des gestionnaires publics, l’on ne peut qu’être pessimiste eu égard au sort ayant été réservé aux rapport de la Cour des comptes depuis sa création.


Ainsi aucun de ses rapports depuis 2006 n’a été un instrument pour l'Exécutif pour éradiquer l’impunité dans tous ses aspects précités.



Alors en serait-il autrement, avec le récent rapport 2016-2017 ?

VERBA VOLANT SCRIPTA MANENT : Les paroles s'envolent, les écrits restent.

La Cour elle-même reconnait que tous ses rapports dénoncent les mêmes faits mais qu’ils n’ont jamais été suivis d’effets y compris le dernier rapport dans lequel elle admet, explicitement, l’ineffectivité de son contrôle, à travers le peu de considération pour ses rapports : 


« La Cour rappelle, par ailleurs, que la plupart des observations contenues dans le présent rapport n’ont cessé de se perpétuer dans ses rapports précédents sans qu’elles puissent être évitées ou corrigées. Cette situation amène à attirer l’attention que tout contrôle dont les suites ne sont pas accompagnées d’application restera en déphasage par rapport à ses objectifs et donc sans effet. » (Recommandations du rapport 2016-2017, page 227).


A moins que les pouvoirs publics ne voudraient voir dans le rapport de la Cour des comptes, qu’un ennuyeux « dictionnaire d’argot », comme se l’avouait Céline : « Un livre tout entier d'argot est plus ennuyeux qu'un rapport de la Cour des comptes. »

En effet, faudrait-il chercher ailleurs, une explication plausible à cette impunité, si ce n’est dans l’ignorance de tout ce qui pourrait contribuer à l’éradiquer ?

Verba volant scripta manent. Ce sera certainement cet adage qui, sur le temps, justifiera le travail de cette Cour.

Pr ELY Mustapha

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Poésie de la douleur.