dimanche 23 mars 2025

Too BAD or not too BAD : les chances de Ould Tah. Par ELY Mustapha

La candidature de Sidi Ould Tah à la présidence de la Banque Africaine de Développement (BAD) suscite à la fois espoir et scepticisme dans le paysage politique africain. Ancien ministre mauritanien et actuel président de la Banque Arabe pour le Développement Économique en Afrique (BADEA), Ould Tah présente un profil d'expert reconnu, mais sa route vers la présidence est semée d'embûches géopolitiques complexes.

Le candidat mauritanien peut se targuer d'un parcours remarquable. Son mandat à la tête de la BADEA a été marqué par un triplement du capital de l'institution et l'obtention d'une notation AAA, démontrant ses compétences en matière de gestion financière. Sa maîtrise de l'arabe, du français et de l'anglais lui confère un avantage certain dans la communication avec divers acteurs du continent et au-delà. Cependant, ces atouts techniques semblent peser moins lourd face aux considérations géopolitiques qui dominent souvent ce type d'élection.

La position géographique ambiguë de la Mauritanie, à cheval entre l'Afrique du Nord et l'Afrique de l'Ouest, place Ould Tah dans une situation délicate. Cette ambiguïté territoriale complique sa capacité à mobiliser un bloc régional homogène, contrairement à ses concurrents qui bénéficient d'un soutien plus clairement défini de leurs régions respectives.


À ce jour, Ould Tah a obtenu le soutien officiel de trois pays africains : la Côte d'Ivoire, le Congo-Brazzaville et la Tunisie. Le ralliement de la Côte d'Ivoire, sous l'influence du président Alassane Ouattara, constitue un atout majeur, offrant une légitimité au sein de l'espace francophone ouest-africain. Le soutien du Congo-Brazzaville lui permet de pénétrer la sphère d'influence de la CEMAC, tandis que l'appui de la Tunisie lui ouvre des perspectives en Afrique du Nord. Néanmoins, cette coalition reste limitée face aux blocs régionaux plus solides soutenant d'autres candidats.

La campagne de Ould Tah bénéficie d'une mobilisation sans précédent de l'appareil d'État mauritanien, avec la mise en place de comités stratégiques et opérationnels. Le ministre Sid'Ahmed Ould Bouh a mené une intense campagne diplomatique, multipliant les déplacements et les rencontres de haut niveau. Cependant, ces efforts se heurtent à la concurrence d'autres candidats bénéficiant de soutiens régionaux plus larges et à l'absence d'un projet fédérateur comparable à celui qui avait porté Akinwumi Adesina à la présidence en 2015.

Malgré 18 déplacements du ministre Sid’Ahmed Ould Bouh en 4 mois (dont des rencontres avec Kaïs Saïed en Tunisie et Giorgia Meloni en Italie), la campagne bute sur trois écueils :
D’abord, l’effet de saturation : cinq candidats se disputent les voix, dont Chad le Mahamat (Tchad) et Abbas Mahamat Tolli (Togo), fractionnant l’électorat. Ensuite, la concurrence des « poids lourds » : Maimbo, vice-président de la Banque mondiale, bénéficie d’un réseau international solide, tandis qu’Amadou Hott capitalise sur son expérience interne à la BAD. Et , enfin, comme mentionné l’absence de vague régionale : contrairement à Adesina en 2015, Ould Tah ne porte pas de projet fédérateur comme « Nourrir l’Afrique », se contentant d’un programme technique axé sur les infrastructures.


Un défi majeur pour Ould Tah réside dans la nécessité de convaincre les actionnaires non africains de la BAD, qui détiennent 40% des droits de vote. Son expérience à la BADEA, marquée par des prêts à des pays en tension avec l'Occident, pourrait susciter des inquiétudes chez certains créanciers occidentaux. La capacité de Ould Tah à se positionner comme un médiateur entre les intérêts occidentaux et arabes pourrait jouer un rôle crucial dans l'obtention de ces soutiens essentiels. Les États-Unis (6,5 % des voix), le Japon (5,4 %) et l’Allemagne (4,1 %) n’ont pas encore clarifié leur position.

Pour transformer ses chances en victoire, la Mauritanie devra élargir sa base de soutiens, en convainquant au moins cinq autres États africains et en séduisant un actionnaire non africain majeur d'ici mai 2025.
La bataille finale ne se jouera pas tant sur le nombre de soutiens que sur leur capacité à créer un effet d'entraînement dans les régions non alignées. L'issue de cette élection pourrait redéfinir les équilibres géopolitiques au sein de la BAD, entre la recherche d'une méritocratie technique et les réalités de la politique régionale africaine.

Le cas de figure idéal où Ould Tah ira à la victoire se serait un report des voix de la CEDEAO après l’élimination d’Amadou Hott au premier tour. Le ralliement in extremis de la SADC, séduite par son expertise financière et enfin un soutien actif de l’Algérie et un revirement du Maroc à son profit, pays dont le dévolu se serait porté sur le candidat du Sénégal.  Algérie et Maroc, deux pays rivaux mais influents en Afrique du Nord.

Ce scénario nécessiterait cependant une division parfaite des autres blocs, peu probable compte tenu de leur cohésion affichée.
Les chances de Sidi Ould Tah, reflètent donc les contradictions d’une Afrique tiraillée entre méritocratie technique et realpolitik régionale.

La réussite de ould Tah, que tout compatriote devrait lui souhaiter marquerait une réussite des États qui cherchant à contrebalancer l’hégémonie anglophone (Nigeria, Afrique du Sud).
 L’élection est déjà révélatrice des nouvelles fractures continentales – entre Afrique « utile » et périphéries, entre légitimité technique et équilibres géopolitiques
.Reste à savoir si la BAD, au crépuscule de l’ère Adesina, choisira la continuité ou la rupture.



Tah, too BAD or not too BAD  ?  …That is the question.


Pr ELY Mustapha


jeudi 20 mars 2025

Le jour où Ibn Khaldun vînt en Mauritanie : « Va mon fils … » Par Pr ELY Mustapha

Sous un soleil de plomb qui fait danser les mirages sur l'asphalte craquelé, une charrette brinquebalante s'arrête à la lisière d'un bidonville de Nouakchott. Son propriétaire, un livreur d'eau à la peau tannée et aux yeux fatigués, s'affaisse sur son siège de fortune. Les bidons vides cliquettent doucement, comme pour rappeler l'aridité omniprésente.

Assis à ses côtés, comme surgi d'un mirage dans la chaleur accablante, se tient un homme à la barbe grisonnante et au regard pénétrant. Il s'agit ni plus ni moins que du grand Ibn Khaldun, historien et père de la sociologie, miraculeusement transporté à travers les siècles pour offrir sa sagesse à ce simple citoyen mauritanien.
Intrigué et assoiffé de connaissances autant que d'eau, le livreur saisit cette occasion unique. Il engage alors avec le savant un dialogue dense et percutant sur les maux qui affligent son pays. Ibn Khaldun, fidèle à son esprit critique et à sa vaste expérience des sociétés humaines, va analyser sans concession la situation de sous-développement de la Mauritanie actuelle, puisant dans son savoir millénaire pour éclairer les défis du présent.
Ce qui suit est la transcription de cet échange extraordinaire, où l'humour côtoie la sagesse, et où les leçons du passé résonnent étrangement avec les enjeux d'aujourd'hui

Citoyen : Ô grand sage de l’Histoire, je viens à vous le cœur lourd… Comment expliquer que la Mauritanie, terre de nos ancêtres, reste engluée dans la pauvreté malgré ses richesses ? Nos dirigeants invoquent la fatalité, mais…

Ibn Khaldun (l’interrompant d’un rire tonitruant) : La fatalité ? Par les plumes de ma Muqaddimah ! Lorsque les Banu Marin prirent Fès en 1248, ils blâmaient déjà les étoiles… avant de découvrir que leur trésorier dilapidait l’or dans les bains publics ! (baisse la voix, malicieux) Le vrai destin, jeune homme, c’est celui qu’on écrit par la qualité de ses institutions.

Citoyen : Mais nos chefs tribaux disent que notre force vient de la pureté de nos lignées…

Ibn Khaldun (tapant sur un parchemin imaginaire) : "La 'asabiya ne naît pas du sang, mais du projet commun !" (Muqaddimah, Livre III). Regarde les Hilaliens : ils conquirent l’Ifriqiya en un siècle, puis s’entretuèrent pour des querelles de chameaux… tout en laissant leurs citadelles pourrir. (soupir théâtral) Votre noblesse tribale ressemble à un puits sans eau - belle apparence, mais aucune utilité pratique.

Citoyen : Pourtant, nos imams enseignent que la pauvreté est une bénédiction divine…

Ibn Khaldun (levant un doigt accusateur) : Mal interprétation ! "La charité ne construit pas de routes, ne creuse pas de canaux" (Muqaddimah, Livre V). Au temps des Almohades, chaque mosquée avait son école coranique ET son atelier d’ingénieurs hydrauliques. Aujourd'hui, vous avez transformé la résignation en vertu… comme ces dromadaires qui refusent d’avancer sous prétexte que le sable est trop chaud !

Citoyen : Et nos gouvernants qui promettent le développement…

Ibn Khaldun (éclatant de rire) : Ah ! Les promesses des puissants… (sort une figue de sa manche) Vois-tu ce fruit ? Le sultan mérinide Abu Inan Faris en offrait des cageots pour qu’on oublie qu’il vidait les caisses de l’État. (mord dans la figue) Le goût sucré ne dure qu’un instant, l’amertume de la dette, des siècles…

Citoyen : Que faire alors, ô vizir des savoirs ?

Ibn Khaldun (posant une main sur son épaule) : Rappelle-toi la leçon des Zirides : "Quand le fisc prélève plus que le cinquième des récoltes, les paysans fuient et les terres se meurent" (Muqaddimah, Livre II). Organisez des guildes d’artisans comme à Tlemcen, des coopératives de pêcheurs comme à Béjaïa… (cligne de l’œil) Et méfie-toi des "conseillers étrangers" - les Fatimides en employaient 300, résultat : Le Caire est devenu un nid de compteurs de pièces !

Citoyen : Mais l’espoir est-il permis ?

Ibn Khaldun (sortant une carte ancienne) : Regarde Kairouan en 850 : marécages transformés en grenier à blé. Comment ? Par la "science pratique des canaux et la justice fiscale" (Muqaddimah, Livre IV). Votre désert pourrait fleurir… à condition de bannir deux fléaux : la paresse intellectuelle qui se cache derrière la religion, et la cupidité qui se pare des oripeaux du tribalisme !

Citoyen (souriant enfin) : Vous parlez comme si vous aviez voyagé dans notre temps…

Ibn Khaldun (faussement indigné) : Moi ? Je ne suis qu’un vieux chroniqueur ! (baisse soudain la voix) Mais entre nous… (tapote sa tempe) J’ai écrit toute l’Histoire humaine en observant simplement comment un groupe de nomades devient sultan… puis comment ses petits-fils dilapident tout en achetant des perruches savantes. La roue tourne, jeune ami… à vous de la faire tourner vers le haut !

Citoyen : Vos paroles sont comme une oasis dans le désert de notre ignorance, ô Ibn Khaldun ! Mais comment convaincre nos dirigeants, si attachés à leurs privilèges ?

Ibn Khaldun (prenant un air conspirateur) : Ah, les privilèges ! Laisse-moi te conter l'histoire du calife abbasside Al-Muqtadir. Il avait tant de concubines qu'il fallut construire un palais juste pour leurs chaussures ! (mime un équilibriste) Résultat ? Le trésor vidé, l'armée impayée, et les Bouyides qui s'emparèrent de Bagdad comme on cueille une datte trop mûre !

Citoyen : Mais nos chefs disent que leur pouvoir vient d'Allah...

Ibn Khaldun (levant les yeux au ciel) : Et les termites prétendent que leurs tunnels sont l'œuvre des djinns ! Écoute bien : "Le pouvoir ne vient pas du ciel, mais de la capacité à organiser les hommes pour un but commun" (Muqaddimah, Livre III). Regarde les Almoravides : de simples maîtres coraniques devenus bâtisseurs d'empire... en comprenant que la vraie force est dans l'union des hommes de valeur, pas dans les généalogies fantasmées !

Citoyen : Pourtant, nos élites semblent si instruites...

Ibn Khaldun (riant à gorge déployée) : Instruites ? Comme ces perroquets de la cour hafside qui récitaient des poèmes sans comprendre un mot ? (prend un air docte) "La vraie science n'est pas d'accumuler des connaissances, mais de les mettre en pratique pour le bien commun" (Muqaddimah, Livre VI). J'ai connu des bergers analphabètes qui géraient mieux leurs troupeaux que certains vizirs leurs provinces !

Citoyen : Que faire alors pour sortir de cette impasse ?

Ibn Khaldun (se lève, théâtral) : Ce qu'ont fait les bâtisseurs de Fès : transformer chaque goutte d'eau en or vert ! (mime un jardinier) Ils ont créé des jardins suspendus, des moulins hydrauliques, des tanneries... (s'arrête, malicieux) Et sais-tu leur secret ? Ils ont compris que la vraie richesse n'est pas dans les coffres, mais dans les mains et les cerveaux du peuple !

Citoyen : Mais comment changer les mentalités ?

Ibn Khaldun : Ah, voilà la question d'un futur sage ! (sort un petit miroir de sa poche) Regarde-toi : tu es le changement ! (range le miroir) Les Almohades ont transformé le Maghreb en commençant par les écoles. Chaque mosquée devint un centre de savoir pratique. (ton conspirateur) Et ils ont fait quelque chose de révolutionnaire : ils ont enseigné aux filles !

Citoyen (choqué) : Aux filles ?!

Ibn Khaldun (amusé) : Eh oui ! "Une société qui n'éduque que la moitié de ses membres est comme un oiseau qui ne vole que d'une aile" (Muqaddimah, Livre V). Résultat ? En une génération, leurs cités brillaient plus que Cordoue !

Citoyen : Vos paroles sont comme une lumière dans les ténèbres, ô Ibn Khaldun !

Ibn Khaldun (s'inclinant légèrement) : Ne me flatte pas, jeune homme. Je ne suis qu'un vieux scribe qui a trop vu le cycle des empires... (soudain sérieux) Mais rappelle-toi ceci : "Le vrai pouvoir n'est pas de dominer les autres, mais de les élever" (Muqaddimah, Livre I). C'est ainsi que les petites tribus berbères sont devenues les maîtres de l'Andalousie... avant de tomber dans le piège de l'arrogance et du luxe.

Citoyen : Comment éviter ce piège alors ?

Ibn Khaldun (souriant malicieusement) : En se rappelant que même le plus grand des sultans finit par avoir besoin d'un bon plombier ! La vraie grandeur d'une nation est dans l'équilibre entre tous ses membres, pas dans l'éclat trompeur de ses palais.

Citoyen : Mais alors, ô sage Ibn Khaldun, comment expliquer que certains se croient supérieurs à cause de leur peau plus claire ou de leur langue arabe plus pure ?

Ibn Khaldun (secouant la tête avec un sourire triste) : Ah, mon ami ! Cette illusion est aussi vieille que les pyramides et aussi fragile que les châteaux de sable de vos enfants. Laisse-moi te conter l'histoire du calife Al-Ma'mun...

Citoyen (intrigué) : Qui était-ce ?

Ibn Khaldun : Un grand calife abbasside, fils de Haroun al-Rachid. Il fit venir à sa cour des savants de toutes origines : grecs, persans, indiens, africains... (fait un geste englobant) Sais-tu ce qu'il disait ? "La sagesse est le bien perdu du croyant. Qu'il la prenne là où il la trouve."

Citoyen : Mais nos chefs disent que la pureté de la race...

Ibn Khaldun (l'interrompant d'un éclat de rire) : La pureté ? Par tous les saints  ! J'ai vu des Berbères plus éloquents que des Quraychites, et des Noirs d'Afrique plus savants que des Persans ! (prend un air docte) Écoute bien : "La valeur d'un homme ne réside ni dans sa couleur, ni dans sa langue, mais dans la noblesse de son âme et l'utilité de ses actes pour sa communauté." (Muqaddimah, Livre IV)

Citoyen: Pourtant, on nous dit que certaines tribus sont supérieures...

Ibn Khaldun (mimant un jongleur) : Et les hyènes se croient reines du désert ! Regarde l'histoire : les empires les plus puissants ont toujours été ceux qui ont su unir les talents de tous. Les Omeyyades de Cordoue mélangeaient Arabes, Berbères et Ibères. Résultat ? L'Andalousie est devenue un phare de civilisation !

Citoyen : Mais comment faire comprendre cela à nos dirigeants ?

Ibn Khaldun (posant une main sur l'épaule du livreur d'eau) : Par l'exemple, mon ami. Quand tu livres ton eau, la donnes-tu différemment selon la couleur de la main qui la reçoit ?

Citoyen (surpris) : Bien sûr que non !

Ibn Khaldun : Voilà ! Tu es plus sage que bien des rois. Car vois-tu, "Une nation est comme un corps. Si une partie souffre, c'est tout l'organisme qui s'affaiblit." (Muqaddimah, Livre III)

Citoyen : Alors, l'égalité et le respect mutuel sont la clé ?

Ibn Khaldun (hochant vigoureusement la tête) : Exactement ! Regarde les abeilles : elles ne rejettent pas une ouvrière parce que ses rayures sont différentes. Non, elles travaillent toutes ensemble pour la prospérité de la ruche. (prend un air malicieux) Et crois-moi, le miel de la fraternité est bien plus doux que le fiel de la division !

Citoyen : Ô sage Ibn Khaldun, j'ai remarqué que nos dirigeants sont toujours entourés de gens qui les flattent et semblent profiter de leur position. Est-ce un mal nouveau ?

Ibn Khaldun (riant à gorge déployée) : Nouveau ? Par tous les saints ! Les courtisans sont aussi vieux que le pouvoir lui-même ! Laisse-moi te conter l'histoire du calife Al-Mutawakkil..
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Citoyen (intrigué) : Que lui est-il arrivé ?

Ibn Khaldun : Ce pauvre homme était si entouré de flatteurs qu'il finit par croire qu'il pouvait marcher sur l'eau ! (mime quelqu'un qui se noie) Résultat ? Il se noya dans sa propre fontaine pendant que ses courtisans applaudissaient sa "performance aquatique" !

Citoyen (riant malgré lui) : C'est absurde !

Ibn Khaldun : Pas plus que vos ministres qui s'extasient devant chaque décision de leur chef, même quand il décide de peindre le désert en vert ! (prend un air docte) Comme je l'ai écrit dans ma Muqaddimah : "Les flatteurs sont comme des parasites qui se nourrissent de la sève du pouvoir jusqu'à ce que l'arbre de l'État se dessèche."

Citoyen : Mais comment un dirigeant peut-il s'en protéger ?

Ibn Khaldun (mimant un roi sur son trône) : En gardant les pieds sur terre et les oreilles ouvertes ! Le calife Omar ibn al-Khattab se déguisait en homme du peuple pour entendre la vérité. (baisse la voix) Et crois-moi, ce qu'il entendait n'était pas toujours agréable, mais c'était utile !

Citoyen : Nos chefs devraient faire de même alors ?

Ibn Khaldun (avec un clin d'œil) : S'ils le faisaient, ils découvriraient peut-être que leur "popularité" fond plus vite qu'un sorbet au soleil de Nouakchott ! (redevient sérieux) Écoute bien : "Un dirigeant entouré uniquement de 'oui' finira par gouverner un pays de 'non'."

Citoyen : Que voulez-vous dire ?

Ibn Khaldun : Quand le peuple n'est plus entendu, il finit par crier ! Regarde l'histoire des Abbassides : à force d'écouter leurs courtisans plutôt que leurs sujets, ils ont perdu leur empire morceau par morceau.

Citoyen : Alors, que faut-il faire ?

Ibn Khaldun (posant sa main sur l'épaule du livreur) : Cultiver la vérité, mon ami. Comme tu cultives l'eau dans ce désert. "Un conseil honnête est amer au goût, mais il guérit les maux de l'État." (Muqaddimah, Livre III) Encourage ceux qui osent dire la vérité, même quand elle déplaît.

Citoyen (hochant la tête) : Vos paroles sont sages, mais dangereuses...

Ibn Khaldun (avec un sourire malicieux) : La vérité est toujours un peu dangereuse, mon ami. Mais moins que le mensonge à long terme ! (prend un air conspirateur) Et rappelle-toi : même le plus puissant des sultans ne peut empêcher le vent du désert de lui mettre du sable dans les yeux. La nature a sa façon de rappeler l'humilité à tous !

Citoyen (riant) : Vous avez raison, ô Ibn Khaldun ! Vos paroles sont comme une oasis de sagesse dans le désert de notre ignorance !

Ibn Khaldun : Et ta soif de connaissance est comme une pluie bienfaisante sur les terres arides de l'esprit. Va maintenant, et rappelle-toi : un bon dirigeant est celui qui écoute plus qu'il ne parle, qui sert plus qu'il ne se sert !

Citoyen (souriant largement) : Vos paroles sont comme de l'eau fraîche pour mon esprit assoiffé, ô Ibn Khaldun !

Ibn Khaldun : Et ton désir d'apprendre est comme une oasis dans le désert de l'ignorance, mon ami. Rappelle-toi toujours : "La véritable noblesse n'est pas dans le nom que l'on porte, mais dans les actions que l'on accomplit."

Citoyen : Ô sage Ibn Khaldun, j'ai une question qui me tourmente. Que pensez-vous de nos dirigeants qui s'entourent de religieux pour asseoir leur pouvoir, alors que ces mêmes religieux s'enrichissent sur le dos des pauvres ?

Ibn Khaldun (soupirant profondément) : Ah, mon ami ! Ce mal est aussi vieux que la première pierre des pyramides ! Laisse-moi te conter l'histoire du sultan mamelouk Barquq...

Citoyen (curieux) : Que lui est-il arrivé ?

Ibn Khaldun : Ce rusé compère s'était entouré d'oulémas qui justifiaient chacune de ses décisions par un hadith sorti de leur turban ! (mime quelqu'un qui sort un lapin d'un chapeau) Un jour, il décida d'augmenter les impôts sur le pain. Devine ce que firent ses "savants" ?

Citoyen : Ils s'y sont opposés ?

Ibn Khaldun (éclatant de rire) : Si seulement ! Non, ils ont déclaré que payer plus pour le pain était une forme de djihad ! (prend un air grave) Comme je l'ai écrit dans ma Muqaddimah : "Quand la religion devient un outil du pouvoir, elle cesse d'être un guide pour les âmes et devient une chaîne pour les esprits."

Citoyen : Mais n'est-ce pas un blasphème d'utiliser ainsi la religion ?

Ibn Khaldun : Mon cher ami, le vrai blasphème est de faire souffrir les pauvres au nom de Dieu ! (pointe du doigt) Regarde les vrais savants de l'Islam : l'imam Abu Hanifa refusait les cadeaux des califes, Al-Ghazali a abandonné sa chaire pour vivre parmi les démunis...

Citoyen : Alors, que doivent faire les vrais croyants face à cela ?

Ibn Khaldun (prenant un air de conspirateur) : Se rappeler que la vraie piété ne se mesure pas à la longueur de la barbe, mais à la profondeur de la compassion ! (cite) "Le meilleur des hommes est celui qui est le plus utile aux autres" - voilà un hadith que ces "savants" semblent avoir oublié !

Citoyen : Mais comment distinguer les vrais des faux religieux ?

Ibn Khaldun : Observe leurs actes, pas leurs paroles ! Un vrai homme de Dieu vit simplement et partage ce qu'il a. (mime quelqu'un qui compte de l'argent) Si tu vois un "saint homme" avec plus de dirhams que de versets dans sa tête, méfie-toi !

Citoyen
(riant malgré lui) : Vos paroles sont dures, mais justes !

Ibn Khaldun : La vérité est comme l'eau de ton tonneau, mon ami : pure et essentielle, mais parfois difficile à avaler pour ceux qui se sont habitués au vin sucré du mensonge. (prend un air sage) Rappelle-toi : "La vraie richesse d'un savant est dans ce qu'il donne, pas dans ce qu'il garde pour lui."

Citoyen : Que faire alors pour changer les choses ?

Ibn Khaldun (posant sa main sur l'épaule du livreur) : Éduque-toi, mon brave ! La connaissance est l'arme la plus puissante contre la manipulation. (clin d'œil) Et n'oublie pas : même le plus grand des imams a besoin d'un bon livreur d'eau pour faire ses ablutions !

Citoyen (souriant largement) : Vos paroles sont comme une lumière dans l'obscurité, ô Ibn Khaldun !

Ibn Khaldun : Et ta soif de justice est comme une prière silencieuse qui monte vers le ciel. Va maintenant, et rappelle-toi : la vraie religion élève l'homme, elle ne l'écrase pas. Qu'Allah guide tes pas et éclaire ton cœur !
Maintenant, va ! Va mon fils !  Et fais de ta Mauritanie un jardin où toutes les fleurs, quelle que soit leur couleur, pourront s'épanouir ensemble !


Le soleil commençait, déjà,  à disparaître derrière les dunes de Nouakchott, Ibn Khaldun se leva de la charrette, époussetant sa djellaba. Le livreur d'eau, les yeux brillants de sagesse nouvellement acquise, observa le grand savant s'éloigner.
"Attends !" s'écria-t-il soudain. "Comment puis-je être sûr que tu n'es pas un djinn ou un mirage du désert ?"
Ibn Khaldun se retourna, un sourire malicieux aux lèvres. "Mon ami," dit-il, "si j'étais un djinn, j'aurais rempli tes tonneaux d'or plutôt que de paroles. Et si j'étais un mirage..." Il fit un clin d'œil espiègle. "Eh bien, tu serais en train de boire de l'eau imaginaire !"

Sur ces mots, le sage disparut dans un tourbillon de sable, laissant derrière lui un charretier perplexe mais enrichi, tenant dans ses mains non pas de l'or, mais quelque chose de bien plus précieux : des idées pour transformer sa Mauritanie bien-aimée.

Le livreur d'eau, riant de bon cœur, reprit les rênes de sa charrette. "Par Allah," murmura-t-il, "je crois que je viens de vivre la livraison la plus extraordinaire de ma vie !"

Et tandis qu'il repartait vers les rues animées de Nouakchott, il se promit de partager cette eau de sagesse avec tous ceux qu'il croiserait sur son chemin, comme une oasis mobile dans le désert de l'ignorance.

Pr ELY Mustapha


mardi 18 mars 2025

Budget 2025 : Erreurs et incohérences. De la qualité du contrôle au contrôle de qualité. Par Pr ELY Mustapha


« La qualité, c'est faire ce qu'il faut quand personne ne regarde »
(Quality means doing it right when no one is looking)
 (Henri Ford)




 

Fin 2007, j’assistais, au nom d’une organisation internationale, la commission des finances publiques du Sénat mauritanien pour l’audition des ministres à l’occasion des discussions parlementaires aux fins de vote du budget 2008 et j’avais noté des erreurs dans les calculs des masses financières, notamment relatives à l’équilibre budgétaire entre les charges et les dépenses.
Le Président du Sénat feu M’barré assisté du Président de la Commission, Soumaré, avaient posé la question au Ministre des finances de l‘époque assisté de son directeur général de budget.  Le Ministre après avoir conféré avec son directeur général, répondit : « …mais les chiffres sont corrects dans la version arabe du document de projet de budget ». Ce qui, malgré la réponse erronée, était bien joué car … la commission n’avait qu’une version française. Il fallait donc passer aux questions suivantes…  et à l’audition des autres ministres.  

Il s’agissait moins d’une question de langue que de contrôle de qualité de la production de l’administration publique mauritanienne. Il reste vrai que ce contrôle-qualité est, encore aujourd’hui, le parent pauvre de toute la chaine de gestion humaine, financière et matérielle, d’une production, par essence, non marchande de l’administration publique mauritanienne et bien entendu celle des finances publiques n’y échappe pas ; ce livre blanc portant, aussi, sur tous les ministères et administrations clefs de l’Etat. 


L'opposition entre "la qualité du contrôle" et "le contrôle de qualité" dans le contexte du budget mauritanien met en lumière deux aspects fondamentaux de la gestion financière publique.


La qualité du contrôle fait, ici, référence à la capacité des institutions à exercer un contrôle efficace sur les processus financiers, en veillant à ce que les règles et procédures soient respectées. Cela inclut la vérification des calculs, l'exactitude des données et la conformité aux normes budgétaires. Dans le cas du budget mauritanien, cette qualité de contrôle est souvent compromise par des erreurs de calcul et des incohérences dans les documents budgétaires, ce qui peut miner la crédibilité des institutions financières.
Quant au contrôle de qualité, il se concentre sur la mise en place de mécanismes systématiques pour détecter et corriger les erreurs avant la publication des documents budgétaires. Cela implique une vérification rigoureuse des données, une formation adéquate du personnel et l'utilisation de logiciels spécialisés pour automatiser les calculs. Le contrôle de qualité est essentiel pour assurer la transparence, la fiabilité et la crédibilité du budget, éléments clés pour renforcer la confiance des citoyens et des investisseurs.
L'intérêt de cette opposition réside dans le fait qu'elle souligne la nécessité d'une approche proactive et rigoureuse dans la gestion budgétaire. En passant de la qualité du contrôle, qui peut être réactive et parfois insuffisante, au contrôle de qualité, qui est proactif et systématique, la Mauritanie peut améliorer significativement la gestion de ses finances publiques. Cela permettrait non seulement de réduire les erreurs et les incohérences, mais aussi de renforcer la transparence et la crédibilité du budget, éléments essentiels pour attirer les investissements et promouvoir le développement économique et social du pays.

Cet article est un court extrait de ce Livre blanc sur les finances publiques mauritaniennes mis à la disposition du public il y a quelques semaines déjà.
 Un livre dense (dont les liens de téléchargement libre figurent en fin de cet article)  qui vise à informer le public mais aussi à donner aux corps constitués (Gouvernement, Parlement, IGE et Cour des comptes) et à la société civile, mais aussi à toute personne préoccupée par la gestion des ressources publiques,  une analyse critique mais constructive qui permettrait de mieux suivre et contrôler les finances publiques de la nation comme cela se doit dans un pays en développement dont les précieuses ressources doivent aller à son peuple dans un Etat démocratique.
 Cet article tout comme le contenu entier du livre blanc, vise moins le sensationnel que d’interpeler qui de droit sur la gestion des finances publiques de notre pays, pour le meilleur de son devenir humain, économique et social.


 

La nomenclature budgétaire constitue le cadre de référence fondamental pour la classification et la présentation des informations financières de l'État mauritanien. Elle joue un rôle essentiel en permettant d'organiser de manière systématique et cohérente l'ensemble des dépenses et des recettes selon différents critères, ce qui facilite grandement l'analyse, le contrôle et le pilotage du budget public.


Le budget 2025 de la Mauritanie adopte une approche multidimensionnelle sophistiquée dans sa structure, combinant trois types de classifications complémentaires. La classification administrative, première dimension de cette structure, organise les crédits budgétaires en fonction des ministères et institutions qui en ont la responsabilité. Cette approche permet d'établir clairement les lignes de responsabilité dans la gestion des fonds publics et d'assurer un suivi précis de l'exécution budgétaire par chaque entité administrative.


La deuxième dimension, la classification économique, établit une distinction fondamentale entre les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'investissement. Les dépenses de fonctionnement englobent les salaires, l'acquisition de biens et services, ainsi que les transferts courants, tandis que les dépenses d'investissement couvrent l'acquisition d'actifs, les travaux d'infrastructure et les transferts en capital. Cette distinction permet une analyse approfondie de la nature des dépenses et de leur impact sur l'économie nationale.


La classification fonctionnelle apporte une troisième dimension en regroupant les dépenses selon les grandes fonctions de l'État, telles que l'éducation, la santé, la défense et la sécurité. Cette approche sectorielle s'avère particulièrement précieuse pour évaluer les priorités gouvernementales et analyser la répartition des ressources entre les différents domaines d'intervention publique.


La conformité aux standards internationaux est un enjeu majeur pour renforcer la crédibilité et la comparabilité du budget mauritanien. Les normes COFOG (Classification des Fonctions des Administrations Publiques) et GFS (Government Finance Statistics) sont les références internationales en matière de classification budgétaire. Le budget 2025 de la Mauritanie s'efforce de se conformer à ces standards, mais des efforts supplémentaires sont nécessaires pour harmoniser pleinement les classifications et améliorer la qualité des données.



 Présentation des chiffres

1.1.1    Erreurs et Incohérences
L'analyse de la loi de finances pour 2025 révèle plusieurs types d'erreurs :
•    Erreurs de Report et d'Addition : Dans certains tableaux, les sous-totaux ne correspondent pas à la somme des éléments individuels. Par exemple, dans la section des "Dépenses par titre budgétaire", des erreurs d'additions sont présentes dans le calcul du « Total du titre » pour les ministères suivants : IGE - inspection générale d'état, Cour des comptes. En effet, pour le l'IGE, le total indiqué est de 81 635 992 alors que la somme des sous totaux est de 78 593 842 + 3 042 150= 81 635 992.

•    Erreurs de Calcul de Pourcentage : Des erreurs sont présentes dans le calcul des variations en pourcentage. En prenant comme exemple les articles 5 et 6 relatifs au récapitulatif des ressources et des charges. Dans l'Article 5 : récapitulatif des ressources, sur la ligne "Recettes non fiscales", la variation en valeur absolue est correcte (128 749 979 MRU), mais la variation en pourcentage est incorrecte, même si au final le chiffre donné est correct. Une autre erreur, dans l'Article 6 sur la ligne "Total des charges du Budget de l'Etat" : La variation en pourcentage est incorrecte. Le calcul correct est : (116 872 310 000 - 107 715 543 255) / 107 715 543 255 = 0,085008778, arrondie à 8,50%. (Arrondissable à 8.50%) Le chiffre donné est 7,83%.
En effet pour avoir une véritable appréciation de pourcentage calculé sur l’écart entre deux valeurs. Il convient d’abord de déterminer la différence absolue entre ces deux valeurs (Calcul de la différence absolue) et ensuite de déterminer le coefficient de proportionnalité.
Calcul de la différence absolue

La variation brute s'obtient par soustraction directe :
116 872 310 000 − 107 715 543 255 = 9 156 766 745 MRU

Ce résultat intermédiaire quantifie certes l'accroissement économique absolu, mais ne permet pas encore de juger de l'importance relative de cette progression par rapport à la situation initiale. D’où la détermination du coefficient de proportionnalité permettant d’obtenir une proportion directement interprétable.

     Détermination du coefficient de proportionnalité

La normalisation relative s'effectue par division de la différence absolue par la valeur de référence :
107 715 543 255 / 9 156 766 745 = 0,085008778

Ce ratio de 0,085 indique que la variation représente environ 8,5 centièmes de la valeur initiale, soit une proportion directement interprétable à l’échelle des deux valeurs, celle initiale et celle de référence.

•    Impact des écarts non justifiés sur la lecture du budget : Des écarts sont observés entre les chiffres présentés dans les tableaux récapitulatifs et les données détaillées. Par exemple, dans l'article 7 sur l'équilibre budgétaire, des écarts mineurs sont visibles sur presque toutes les lignes comme "Recettes de la pêche" : L'écart est de -6 108 059 MRU.
"Recettes minières" : L'écart est de -290 161 636 MRU.

En effet, un écart minimal par ligne génère des effets cumulatifs critiques :


Effet ciseau : 1% d'écart moyen sur 100 lignes budgétaires = 100% d'erreur potentielle sur une ligne.

Fausse symétrie comptable : les écarts négatifs (-6M MRU en pêche) pourraient masquer des surplus compensatoires non documentés

Risque de manipulation latente : Les écarts "mineurs" utilisés pour des réallocations opaques
Ces incohérences, bien qu'apparemment marginales, compromettent la triple fonction budgétaire notamment : un signal économique faussé pour les investisseurs miniers et halieutiques, un outil de pilotage défectueux pour le ministère des Finances et finalement un Instrument démocratique affaibli pour le Parlement et la société civile

Les écarts supérieurs à 0,5% du total sectoriel nécessitant une justification formelle, comme mentionné dans les pratiques internationales, trouvent un écho dans les mécanismes de gouvernance budgétaire préconisés par la Banque Mondiale pour les secteurs miniers.
Dans le cas du budget 2025, l'écart de -290 millions MRU sur les recettes minières représenterait 2,3% du total sectoriel (en supposant un budget minier autour de 12,6 milliards MRU), dépassant largement ce seuil.

1.1.2    Impact sur la Lecture et l'Interprétation du Budget

Ces erreurs et incohérences, bien que parfois d'un montant relativement faible, peuvent avoir des conséquences non négligeables :
-    Distorsion de la Réalité Financière : Les erreurs de pourcentage peuvent induire en erreur quant à l'ampleur réelle des variations de recettes et de dépenses. Une croissance des recettes peut apparaître plus forte qu'elle ne l'est, ou une réduction des dépenses minimisée. Les incohérences dans les totaux peuvent rendre difficile la compréhension précise de l'allocation des ressources entre les différents secteurs et programmes, affectant l'évaluation de l'efficacité des dépenses publiques.

-    Difficulté d'Analyse Comparative : Les erreurs de report peuvent compliquer la comparaison des chiffres du budget 2025 avec ceux des années précédentes, rendant plus difficile l'identification de tendances à long terme ou de changements significatifs dans la politique budgétaire.
-    Remise en Question de la Crédibilité du Budget : La présence d'erreurs, même mineures, peut nuire à la crédibilité du budget et susciter des doutes quant à la rigueur de la gestion financière de l'État. Cela peut impacter la confiance des citoyens, des investisseurs et des partenaires internationaux.
-    Difficulté de Prise de Décision Éclairée : Des erreurs et des incohérences peuvent rendre difficile pour les décideurs politiques et les citoyens de prendre des décisions éclairées concernant les politiques publiques et l'allocation des ressources.


1.1.3    Impact sur la ventilation et de la répartition des montants budgétaires
En effet, comme nous l'avons constaté, les erreurs identifiées dans le budget 2025 n'affectent pas directement les montants financiers globaux du budget (le total des recettes et le total des dépenses). Elles se situent plutôt au niveau de la ventilation et de la répartition de ces montants :

1.1.3.1    Écarts dans le détail des recettes et des dépenses
-    Article 7 : L'équilibre budgétaire présente des écarts dans des postes spécifiques. Toutefois, le total des recettes et le total des dépenses restent cohérents. Cela signifie que l'erreur se situe dans la façon dont les montants sont ventilés et non dans le total lui-même.

-    Ressources budgétaires détaillées : Des écarts sont observés dans le détail des différentes catégories de recettes fiscales et non fiscales. Cependant, le total des recettes fiscales et le total des recettes non fiscales (qui contribuent au total des recettes du budget) restent globalement corrects. Cela suggère que les erreurs se trouvent dans la façon dont les recettes sont classées et réparties, et non dans le montant global des recettes.

1.1.3.2    Erreurs d'addition dans les dépenses par titre budgétaire
Dans certains cas, la somme des dépenses par chapitre ne correspond pas au total du titre budgétaire (ministère, institution, etc.). Cela signifie que l'erreur affecte la répartition des ressources entre les différents chapitres au sein d'un même titre budgétaire, mais pas le montant total alloué à ce titre budgétaire.

1.1.3.3    Impact limité sur les grands agrégats
Les grands agrégats budgétaires (total des recettes, total des dépenses, déficit budgétaire) ne sont pas directement affectés par les erreurs identifiées. Cela signifie que la vision macroéconomique du budget reste globalement correcte. Cependant, la répartition des ressources entre les différents secteurs et programmes peut être faussée, ce qui peut affecter l'efficacité de l'allocation des ressources et la réalisation des objectifs de développement.

Les erreurs identifiées dans le budget 2025 de la Mauritanie affectent principalement la micro-gestion du budget (la façon dont les ressources sont réparties entre les différents postes de dépenses et catégories de recettes) plutôt que la macro-gestion (les grands équilibres budgétaires). Elles peuvent avoir des conséquences sur la transparence, la crédibilité et l'efficacité du budget, mais n'affectent pas directement les montants financiers globaux du budget.

1.1.4    Impact sur le contribuable
Même si les erreurs identifiées dans le budget 2025 de la Mauritanie n'affectent pas directement les montants globaux des recettes et des dépenses, il est crucial de souligner que les montants concernés restent importants pour le contribuable et peuvent avoir un impact significatif sur sa vie quotidienne. Voici comment :

1.1.4.1    Impact direct sur les impôts et taxes payés par le contribuable
-    Taxe Spéciale sur les Services Télécom (TSST) : Une erreur de -155 000 000 MRU sur cette taxe signifie que les recettes attendues de cette taxe sont surestimées. Si les recettes réelles sont inférieures aux prévisions, cela pourrait entraîner une pression accrue sur d'autres sources de revenus (comme l'impôt sur le revenu ou la TVA) pour compenser le manque à gagner, ce qui affecterait directement le pouvoir d'achat du contribuable.

-    Autres Recettes Fiscales : L'écart de -1 550 325 573 MRU dans cette catégorie, principalement dû à une erreur sur le poste "Pénalités", suggère une surestimation des revenus attendus des amendes et pénalités. Cela pourrait inciter le gouvernement à augmenter les taux de pénalités ou à renforcer leur application pour atteindre les objectifs de recettes, ce qui impacterait directement les contribuables en cas d'infraction.

-    Taxe sur les produits pétroliers et Contribution Climat : L'erreur positive de +1 918 940 535 MRU indique des revenus plus importants que prévu. Cependant, si cette taxe est déjà élevée, une augmentation de sa contribution pourrait impacter le prix des carburants et indirectement augmenter les coûts de transport et les prix des biens de consommation pour le contribuable.


1.1.4.2    Impact indirect sur les services publics et les infrastructures
-    Recettes de la pêche et Recettes minières : Les erreurs de -6 108 059 MRU et de -290 161 636 MRU respectivement dans ces secteurs signifient que les revenus attendus de ces ressources naturelles sont surestimés. Cela pourrait entraîner une réduction des fonds disponibles pour financer les services publics essentiels (santé, éducation, infrastructures) qui bénéficient directement aux citoyens.
-    Dépenses courantes, Salaires et traitements, Biens et services, Transferts courants : Ces erreurs peuvent mener à un manque de moyens pour les dépenses essentielles de l'Etat.

1.1.4.3    3. Impact sur la transparence et la confiance envers les institutions
Même si les montants financiers des erreurs sont relativement faibles par rapport au budget total, leur présence soulève des questions sur la rigueur de la gestion financière et de la préparation du budget. Cela peut éroder la confiance du contribuable envers les institutions et les inciter à être moins disposés à payer leurs impôts.
Il est essentiel de ne pas minimiser leur impact potentiel sur le contribuable. Les montants concernés, qu'il s'agisse des impôts et taxes qu'il paie directement ou des ressources qui financent les services publics dont il bénéficie, sont importants et méritent une attention particulière. Une plus grande rigueur dans la préparation du budget et une communication transparente sur les erreurs et leurs corrections sont essentielles pour maintenir la confiance des citoyens et garantir une gestion efficace des finances publiques.

 Recommandations pour améliorer la transparence et la fiabilité du budget


Pour remédier à ces problèmes et renforcer la crédibilité du processus budgétaire, il est essentiel de mettre en œuvre les mesures suivantes :
-    Contrôles de qualité rigoureux : Mettre en place des procédures de contrôle de qualité systématiques pour détecter et corriger les erreurs de calcul et de report. Cela inclut la vérification des chiffres par plusieurs personnes et l'utilisation de logiciels spécialisés pour automatiser les calculs.
-    Formation du Personnel : Assurer une formation adéquate du personnel impliqué dans la préparation du budget, en mettant l'accent sur les compétences en matière de calcul, de consolidation des données et d'analyse financière.
-    Transparence accrue : Améliorer la transparence du budget en fournissant des informations claires et détaillées sur les sources de données, les méthodes de calcul et les hypothèses utilisées. Rendre le budget accessible à tous les citoyens en utilisant un langage clair et en le diffusant largement.
-    Audit Externe : Soumettre le budget à un audit externe indépendant pour identifier les erreurs et les incohérences, et formuler des recommandations pour améliorer la qualité et la fiabilité des données budgétaires.
-    
Bien que le budget 2025 de la Mauritanie présente des objectifs louables, et que les erreurs et incohérences identifiées dans le budget 2025 ne remettent pas en cause les grands équilibres budgétaires, elles nécessitent une attention particulière. En mettant en œuvre les recommandations ci-dessus, la transparence, la fiabilité et la crédibilité du budget, pourraient être améliorées et conséquemment le renforcement de la confiance des citoyens et des partenaires internationaux dans la gestion des finances publiques.

 Erreurs d'orthographe et de transcription

La loi de finances 2025, en sa partie comptable – le Budget - présente plusieurs erreurs d'orthographe et de transcription qui soulèvent des questions sur la rigueur administrative, particulièrement préoccupantes pour un pays en développement :
1.1.5    Erreurs de terminologie institutionnelle

•    Ministère de la Défense et des Affaires des Retraits et Desenfants de Martyrs [Titre 10] :
o    "Retraits" au lieu de "Retraités" (absence d'accent grave)
o    "Desenfants" en un seul mot au lieu de "des enfants"
Ces erreurs altèrent la compréhension des missions de cette institution clé.
1.1.6    Incohérences numériques

•    Écriture des montants : "53,6 millions MRU" vs "116,87milliards MRU"
Absence d'espace après la virgule dans le second cas, contrairement aux normes internationales (ISO 80000-1).
1.1.7    Fautes de syntaxe dans les en-têtes

•    "DEPENSES PAR TITRE BUDGETAIRES………………………………………" :
Points de suspension excessifs et non standardisés dans la table des matières, signe d'un manque de contrôle qualité.

1.1.8    Terminologie économique erronée

•    "développement durble" au lieu de "développement durable" [Partie III],
Une faute qui discrédite le sérieux des engagements environnementaux.

1.1.9    Incohérences typographiques dans les codes

•    "Position 25.23.10.00.00" vs "Positions 25.23.21.00.00, 25.23.29.00.00,25.23.29.00.00" [Art. 3.2.1] :
Espace manquant après les virgules dans la liste des codes douaniers.

     Implications pour un pays en développement


Ces erreurs reflètent une faiblesse des systèmes de vérification administrative, problématique dans un contexte où :
•    La crédibilité des institutions publiques est cruciale pour attirer les investissements étrangers
•    La transparence budgétaire conditionne l'accès aux financements internationaux
•    Les pays corrigeant systématiquement ces erreurs gagnent efficacité administrative.

Recommandations :

1.    Créer un comité interministériel de relecture incluant des linguistes, des juristes et des économistes
2.    Adopter un logiciel de vérification orthographique adapté aux spécificités administratives arabophones et francophones
3.    Standardiser les modèles de documents budgétaires avec :
o    Une charte typographique obligatoire
o    Des grilles de contrôle qualité par niveau hiérarchique
4.    Former les rédacteurs aux normes REDD+ pour les documents liés au climat, financé par des partenaires comme le PNUD



En définitive nous pouvons dire que le budget 2025 de notre pays, présente des objectifs ambitieux et une structure multidimensionnelle sophistiquée, conforme aux standards internationaux. Toutefois, malgré ces efforts louables, des erreurs et incohérences significatives persistent dans la présentation détaillée des chiffres budgétaires. Ces erreurs, bien que n'affectant pas directement les grands équilibres macroéconomiques (total des recettes et dépenses), compromettent sérieusement la transparence, la crédibilité et l'efficacité du processus budgétaire.
 Elles perturbent la micro-gestion budgétaire en faussant la répartition précise des ressources entre secteurs et programmes, ce qui peut induire en erreur les décideurs politiques, les citoyens et les investisseurs.

Ces dysfonctionnements révèlent une faiblesse structurelle du contrôle qualité au sein de l'administration publique mauritanienne, affectant non seulement les calculs financiers mais aussi la rigueur terminologique et typographique. Cela nuit à la confiance des citoyens envers leurs institutions publiques et peut avoir un impact direct ou indirect sur leur quotidien (pression fiscale accrue, réduction potentielle des services publics essentiels).

Pour remédier durablement à ces lacunes, il est impératif d'instaurer un contrôle qualité rigoureux, d'assurer une formation adéquate du personnel administratif, d'améliorer la transparence budgétaire par une communication claire et accessible, ainsi que de soumettre systématiquement le budget à un audit externe indépendant. L'adoption de ces recommandations permettrait à la Mauritanie de renforcer sa crédibilité auprès des citoyens et partenaires internationaux, d'améliorer l'efficacité de sa gestion publique et d'assurer une meilleure allocation des ressources au bénéfice du développement humain, économique et social du pays.

L’industriel de génie et l’inventeur de la Ford T disait : « la qualité, c'est faire ce qu'il faut quand personne ne regarde. ».

Cette pensée, expliquerait-elle l’absence de qualité dans notre pays où… tout le monde se regarde ?

Ou au contraire devrait-elle la renforcer quand dans un pays tout le monde vous regarde et vous devenez ainsi, à moins de n’en avoir la qualité, comptable de vos actes.


Lien permanent de téléchargement libre du livre blanc :


https://drive.google.com/file/d/1VLE2WaLosjG7DcF1CqKgKcHrSMRJV35l/view?usp=sharing


Pr ELY Mustapha

vendredi 14 mars 2025

Mauritanie - Emirats Arabes Unis : Quelles relations peuvent résulter d'une situation où un pays octroie à l'autre un prêt d'un montant égal à 40 % de son PIB ? Par Pr ELY Mustapha

 « Celui qui dépend financièrement n’existe pas » (vieil adage) auquel j’ajouterai cependant :  «… à moins de réinventer les conditions de son existence..et de sa liberté ».

Le succès des dirigeants mauritaniens dans l'obtention d'un prêt émirati équivalent à 40% du PIB national témoigne d'une remarquable habileté diplomatique combinant plusieurs atouts déterminants. 

 

 L'amitié personnelle de longue date entre le président Ghazouani et le prince héritier Mohammed Ben Zayed, établie depuis 2008, a créé un socle de confiance inestimable pour ces négociations d'envergure.
 Les responsables mauritaniens ont judicieusement positionné leur pays comme un partenaire fiable dans le Golfe, notamment en rompant leurs relations avec le Qatar en 2017 en alignement avec la position émiratie, tout en maintenant globalement une politique étrangère équilibrée dans une région complexe. Leur sens aigu du timing leur a permis de solliciter ce financement crucial à un moment où les caisses de l'État étaient pratiquement vides suite à la transition présidentielle de 2019. 


La participation mauritanienne à la coalition militaire au Yémen menée par l'Arabie saoudite et les Émirats a renforcé son image d'allié stratégique fiable, tandis que les visites régulières aux Émirats et la signature continue d'accords témoignent d'une constance diplomatique remarquable. Cette combinaison de relations personnelles privilégiées, d'alignement géopolitique stratégique, d'opportunisme bien calibré et de compétences de négociation leur a permis d'obtenir non seulement un financement massif mais aussi des conditions favorables incluant un "prêt à taux réduit", démontrant leur capacité exceptionnelle à naviguer dans la complexité des relations internationales au bénéfice des intérêts nationaux.


En février 2020, la République Islamique de Mauritanie a donc bénéficié d'une allocation financière majeure de 2 milliards de dollars de la part des Émirats arabes unis, représentant un tournant significatif dans les relations bilatérales entre ces deux nations. Ce financement, d'une ampleur exceptionnelle équivalant à environ 40% du PIB mauritanien, mérite une analyse approfondie quant à sa nature, ses modalités et ses implications pour les finances publiques mauritaniennes.


Le financement émirati de 2 milliards de dollars se présente comme un package financier hybride comportant plusieurs composantes distinctes. D'après les informations disponibles, les Émirats ont annoncé "l'allocation de deux milliards de dollars pour financer des projets d'investissement et de développement, ainsi qu'un prêt à taux réduit pour la Mauritanie". Cette formulation suggère une structure composite incluant des investissements directs dans des projets spécifiques et un volet de prêt concessionnel.
Bien que les conditions précises du "prêt à taux réduit" mentionné dans les communications officielles ne soient pas détaillées dans des sources disponibles, on pourrait cependant déduire de façon pragmatique plusieurs éléments.. La mention explicite d'un "taux réduit" indique clairement la nature concessionnelle du prêt, impliquant des conditions plus favorables que celles du marché. 

Ce type de prêt se caractérise généralement par:


•    Un taux d'intérêt inférieur aux taux du marché
•    Une période de grâce potentielle avant le début des remboursements
•    Des échéances de remboursement échelonnées sur une durée relativement longue


La dimension concessionnelle de ce prêt représente un avantage considérable pour la Mauritanie par rapport à d'autres sources de financement auxquelles le pays pourrait avoir accès. À titre de comparaison, un financement similaire obtenu sur les marchés internationaux aurait vraisemblablement comporté des taux d'intérêt substantiellement plus élevés, reflétant la perception du risque associé à l'économie mauritanienne.
Les  émirats ont explicitement mentionné,  lors de l'octroi,  que le financement est destiné à "des projets d'investissement et de développement", suggérant qu'une partie significative des 2 milliards de dollars serait allouée directement à des projets spécifiques plutôt qu'au budget général de l'État mauritanien. Cette distinction est cruciale pour l'analyse de l'impact sur les finances publiques.


L'arrivée de ce financement émirati s'est produite dans un contexte de fragilité particulière des finances publiques mauritaniennes. Lorsque Mohamed Ould Ghazouani a succédé à Mohamed Ould Abdelaziz le 1er août 2019, "les caisses de l'État étaient vides et le versement des salaires des fonctionnaires a dû être étalé". Le Premier ministre mauritanien avait lui-même qualifié la situation de la trésorerie publique héritée par le nouveau pouvoir de "catastrophique".


Ce contexte explique en grande partie pourquoi ce financement externe représentait une bouée de sauvetage pour le nouveau gouvernement mauritanien. Dans cette perspective, le rapprochement stratégique avec les Émirats et l'obtention de ce package financier ont constitué l'un des premiers succès diplomatiques et économiques de la présidence Ghazouani.


L'impact de ce financement émirati sur la soutenabilité de la dette mauritanienne doit être cepandant évalué avec nuance, en distinguant les différentes composantes du package financier.


La partie du financement constituée d'investissements directs dans des projets spécifiques n'augmente pas directement la dette publique mauritanienne, contrairement à la composante "prêt" du package. Cette distinction est fondamentale pour évaluer l'impact réel sur les finances publiques. Malheureusement, la répartition exacte entre ces deux composantes n'est pas précisée..


Pour mettre en perspective l'impact du prêt émirati, il est utile de le comparer avec d'autres financements externes obtenus par la Mauritanie. Par exemple, en décembre 2024, le FMI a accordé un prêt de 47,4 millions de dollars à la Mauritanie, qui s'inscrit dans le cadre d'accords plus larges comprenant une Facilité Élargie de Crédit (FEC) et un Mécanisme Élargi du Crédit (MEDC). Ce montant, bien que significatif, est nettement inférieur au financement émirati, soulignant l'importance exceptionnelle de ce dernier.
L'ampleur du financement émirati par rapport à l'économie mauritanienne soulève légitimement la question d'une potentielle dépendance financière.

 Avec un montant représentant environ 40% du PIB mauritanien, ce financement crée une relation asymétrique pouvant influencer les orientations économiques et politiques du pays. Cette dimension géopolitique du financement ne peut être ignorée dans l'analyse de son impact sur les finances publiques.
Toutefois, l'impact réel du financement émirati dépend fondamentalement de l'utilisation effective des fonds et de la mise en œuvre des projets financés par la Mauritanie.Nous aborderons cet aspect crucial plus loin en proposant des approches pour face à la relation asymétrique qui pourrait découler de ce prêt.


Plusieurs projets spécifiques financés par les Émirats ont été identifiés depuis l'accord initial de 2020:


•    En 2023, le Fonds d'Abu Dhabi s'est engagé à participer au financement du projet d'alimentation en eau potable de la ville de Kiffa, à partir du fleuve Sénégal, pour un montant estimé à 30 millions de dollars.
•    La société émiratie Al Dhafra a obtenu la cession de 2000 hectares de terres arables en Mauritanie pour un projet agricole représentant un investissement d'environ 13,5 millions de dollars.
Ces projets illustrent l'approche ciblée des investissements émiratis, orientés vers des secteurs stratégiques comme l'eau et l'agriculture.


En février 2025, les ministres de l'économie mauritanien et émirati ont examiné "l'état d'avancement du portefeuille de projets financés par le gouvernement des Émirats arabes unis en Mauritanie" et ont discuté "des mécanismes permettant d'améliorer et d'accélérer la mise en œuvre de ces projets". Cette formulation suggère , à notre avis, l'existence de défis dans la mise en œuvre effective des projets financés, potentiellement dus à des contraintes administratives, techniques ou de gouvernance.


En tout état de cause, le recours à un financement externe d'une telle ampleur soulève des questions fondamentales concernant la gouvernance des finances publiques mauritaniennes.


L'opacité relative concernant les conditions précises du prêt et la répartition exacte du financement entre prêts et investissements directs, limite la capacité d'analyse approfondie de son impact réel sur les finances publiques. Cette situation illustre les défis plus larges de transparence dans la gestion des finances publiques mauritaniennes.


Selon la législation mauritanienne, "les comptes de prêts retracent les prêts d'une durée supérieure à deux ans consentis par l'État dans la limite des crédits ouverts à cet effet, soit à titre d'opérations nouvelles, soit à titre de consolidation". Cette disposition suggère l'existence d'un cadre formel pour la gestion des prêts publics, mais ne précise pas les modalités spécifiques appliquées au financement émirati.
L'impact à moyen et long terme du financement émirati dépendra donc  fondamentalement de plusieurs facteurs clés.


Si les projets financés par les fonds émiratis génèrent des rendements économiques significatifs (création d'emplois, augmentation de la production agricole, amélioration des infrastructures), ils pourraient contribuer positivement à la croissance économique mauritanienne et, par conséquent, améliorer la capacité du pays à honorer ses engagements financiers.


La relation entre la Mauritanie et les Émirats s'est considérablement renforcée depuis 2020, avec des rencontres régulières entre les dirigeants des deux pays. Cette évolution suggère que le financement de 2020 n'était pas un événement isolé mais plutôt le début d'un partenariat stratégique à long terme, ce qui pourrait influencer durablement l'orientation des finances publiques mauritaniennes.


La Mauritanie a continué à diversifier ses sources de financement externe, comme en témoignent les accords avec le FMI, la Banque européenne d'investissement et la Banque islamique de développement. Cette diversification constitue une stratégie prudente pour éviter une dépendance excessive envers un seul partenaire financier.


Le financement émirati de 2 milliards de dollars représente un tournant majeur pour les finances publiques mauritaniennes, tant par son ampleur exceptionnelle que par le contexte de fragilité fiscale dans lequel il est intervenu. Combinant prêts concessionnels et investissements directs, ce package financier a indéniablement fourni une bouffée d'oxygène cruciale pour le nouveau gouvernement Ghazouani en 2020.


Cependant, son impact à long terme sur la soutenabilité des finances publiques mauritaniennes demeure ambivalent. D'un côté, les conditions concessionnelles du prêt et le potentiel de développement économique des investissements représentent des avantages considérables. De l'autre, l'ampleur du financement crée une relation de dépendance potentielle et soulève des questions concernant l'influence émiratie sur les orientations économiques et politiques mauritaniennes.


L'enjeu fondamental pour la Mauritanie réside dans sa capacité à utiliser efficacement ce financement pour générer une croissance économique durable et inclusive, renforcer ses institutions financières et progressivement réduire sa dépendance aux financements externes.

 L'évolution des relations économiques et diplomatiques mauritano-émiraties dans les années à venir sera un indicateur clé de l'impact réel de ce financement sur la trajectoire économique et financière du pays.


Les Relations bilatérales prévisibles  d'un prêt massif

L'octroi d'un prêt d'un montant équivalent à 40% du PIB De la Mauritanie constitue un engagement financier d'une ampleur exceptionnelle qui transforme fondamentalement les relations avec les Emirats Arabes unis. Cette transaction financière dépasse largement le cadre d'un simple accord économique pour devenir un vecteur de reconfiguration des rapports diplomatiques, économiques et géopolitiques.

Dépendance financière et asymétrie de pouvoir

Un prêt d'une telle magnitude crée inévitablement une relation asymétrique entre le créancier et le débiteur. Cette asymétrie se manifeste à plusieurs niveaux et façonne profondément la dynamique bilatérale qui en résulte.

Lorsqu'un pays contracte une dette équivalente à 40% de son PIB auprès d'un seul créancier, il se place dans une position de vulnérabilité financière significative. Cette situation peut affecter sa souveraineté économique et sa capacité à conduire des politiques macroéconomiques indépendantes. Cette dépendance peut s'accentuer si le pays débiteur connaît des difficultés de remboursement, créant ainsi un cycle de refinancement et d'endettement croissant.

L'ampleur de ce prêt expose également le pays récipiendaire à des risques considérables en matière de soutenabilité de sa dette. Si ce financement ne génère pas un retour sur investissement suffisant pour couvrir son service, le pays pourrait se retrouver dans une spirale d'endettement difficile à inverser. Particulièrement en Mauritanie qui devrait beaucoup investir dans la performance de son administration publique, inefficace et contre-performante et dans l’intégrité de gestion des projets publics bénéficiant de ces investissements. Les coûts du service de la dette peuvent rapidement devenir une charge importante pour le budget national, réduisant ainsi les ressources disponibles pour les dépenses sociales et d'investissement.

Conditionnalités et influence politique

Les prêts de grande envergure s'accompagnent généralement de conditionnalités qui peuvent s'étendre bien au-delà des simples modalités financières. Le créancier peut influencer significativement les politiques économiques du pays bénéficiaire, exigeant des réformes structurelles, des ajustements fiscaux ou des changements dans la gouvernance économique.


La notion de "piège de la dette" illustre parfaitement cette dynamique : "les prêts consentis par des pays riches et par des institutions internationales à des pays en développement auraient enfermé ces derniers dans une dépendance vis-à-vis de leurs créanciers et de leurs décisions". Dans le contexte d'un prêt bilatéral massif, cette dépendance peut être encore plus prononcée, car elle se concentre sur un seul créancier plutôt que sur un ensemble d'institutions internationales.

Mécanismes financiers et implications économiques    

La structure et les conditions du prêt déterminent en grande partie la nature de la relation qui s'établit entre les deux pays.

Toutefois, nous convenons que le caractère concessionnel ou non du prêt joue un rôle décisif dans l'évaluation de son impact sur le pays bénéficiaire. Un prêt concessionnel, caractérisé par "un élément don d'au moins 35%"3, offre des conditions plus favorables qu'un prêt aux conditions du marché. Si le financement inclut une composante significative de don ou des taux d'intérêt substantiellement inférieurs à ceux du marché, l'impact sur la soutenabilité de la dette sera moins sévère.
La définition technique de la concessionnalité varie selon les institutions, mais elle implique généralement "un taux d'intérêt inférieur aux taux du marché, une période de grâce potentielle avant le début des remboursements, et des échéances de remboursement échelonnées sur une durée relativement longue". Ces éléments peuvent considérablement alléger le fardeau de la dette pour le pays récipiendaire.

Asymétrie d'information et risques associés


L'asymétrie d'information entre le prêteur et l'emprunteur constitue un défi majeur dans cette relation financière. Cette asymétrie peut conduire à une "surévaluation des risques"par le créancier, entraînant des conditions de prêt plus strictes ou des garanties excessives. Parallèlement, elle peut aussi mener à une utilisation sous-optimale des fonds par le débiteur si les mécanismes de supervision sont inadéquats.
Les études sur le marché du crédit montrent que "la forte asymétrie d'information entre banquiers et entrepreneurs est un obstacle important au financement". À l'échelle internationale, cette dynamique peut se transposer dans les relations entre États, créant des défis supplémentaires dans la gestion du prêt et son utilisation productive.

Implications géopolitiques et stratégiques

Au-delà des aspects purement économiques, un prêt d'une telle ampleur s'inscrit généralement dans une stratégie géopolitique plus large du pays créancier.
L'octroi d'un financement massif signale souvent une volonté du créancier d'établir ou de renforcer une alliance stratégique. Il peut viser à consolider son influence dans une région particulière ou à s'assurer le soutien du pays débiteur dans les forums internationaux. Cette dimension est particulièrement pertinente dans un contexte de rivalités géopolitiques entre grandes puissances.

Les tensions géopolitiques peuvent également affecter la relation de crédit elle-même. Les recherches montrent que l'augmentation du risque consécutif à des événements géopolitiques à l'étranger  ont un impact systématique et négatif sur les conditions de prêt. Cette interconnexion entre risque géopolitique et conditions financières souligne la nature complexe de telles relations bilatérales.

Accès privilégié aux ressources et opportunités économiques

Le prêteur peut chercher à obtenir un accès préférentiel aux ressources naturelles ou aux marchés du pays bénéficiaire. Des accords parallèles concernant les investissements, le commerce ou l'exploitation des ressources accompagnent fréquemment ces prêts massifs. Ces arrangements peuvent conférer des avantages économiques substantiels au créancier, constituant parfois une forme de "retour sur investissement" complémentaire aux intérêts financiers du prêt.
La cession de terres ou de droits d'exploitation peut faire partie de ces arrangements, comme l'illustre le cas mentionné d'une "société émiratie [qui] a obtenu la cession de 2000 hectares de terres arables [...] pour un projet agricole". De tels accords peuvent susciter des inquiétudes quant à la souveraineté du pays bénéficiaire et l'équité des termes d'échange.


Stratégies de gestion et d'atténuation des risques


Face aux défis inhérents à un prêt d'une telle magnitude, diverses approches peuvent être adoptées pour équilibrer la relation et maximiser les bénéfices pour les deux parties.

Pour la Mauritanie,  la diversification des sources de financement constitue une stratégie cruciale pour atténuer sa dépendance envers un seul créancier. L'établissement de relations avec plusieurs partenaires financiers internationaux permet de réduire les risques associés à une concentration excessive de la dette et de limiter l'influence politique d'un créancier unique.
Cette diversification peut inclure des financements provenant d'institutions multilatérales comme "la Banque mondiale, le FMI, les banques de développement régionales", qui offrent souvent des conditions plus standardisées et moins susceptibles d'être influencées par des considérations géopolitiques bilatérales


Transparence et bonne gouvernance
La transparence dans la gestion des fonds empruntés et dans les conditions du prêt représente un facteur déterminant pour la réussite de l'arrangement financier. Des mécanismes de contrôle efficaces et une communication claire sur l'utilisation des ressources peuvent renforcer la confiance entre les parties et réduire les risques de mauvaise allocation des fonds.
La mise en place d'un "cadre formel pour la gestion des prêts publics" s'avère essentielle pour assurer que le financement contribue effectivement au développement économique du pays bénéficiaire et ne se transforme pas en fardeau insoutenable.


Recommandations face à une dépendance financière majeure

Face à une situation où un prêt unique représente une proportion aussi significative que 40% du PIB national, le gouvernement mauritanien doit mettre en œuvre une stratégie globale et cohérente pour préserver sa souveraineté financière tout en maximisant les bénéfices de ce financement. Notre analyse des documents relatifs à la gestion de la dette mauritanienne permet d'identifier plusieurs axes d'intervention prioritaires pour répondre efficacement à ce défi économique et financier majeur.

La concentration excessive de l'endettement auprès d'un seul créancier constitue un risque majeur pour la souveraineté économique et financière de la Mauritanie. Face à cette vulnérabilité, la diversification des sources de financement apparaît comme une nécessité stratégique.

Le gouvernement mauritanien devrait intensifier ses efforts pour obtenir des financements auprès d'institutions multilatérales qui offrent généralement des conditions plus favorables. Comme le souligne l'analyse de la situation de la dette mauritanienne, le pays devrait "adopter une politique d'endettement prudente, en privilégiant les dons et les financements à des conditions concessionnelles et à moindre coût". Cette approche permettrait non seulement de diluer la dépendance envers un créancier unique, mais également d'améliorer le profil global de la dette en termes de coût et de maturité.


La Stratégie de Gestion de la Dette à Moyen Terme (SDMT) 2025-2027 de la Mauritanie suggère d'ailleurs explicitement de "pourvoir aux besoins de financement de l'État et de ses obligations de paiements futurs aux moindres coûts possibles à long terme tout en minimisant les risques liés à l'endettement". Cette orientation stratégique souligne l'importance d'une approche équilibrée qui ne privilégie pas uniquement le volume de financement, mais également ses caractéristiques qualitatives.

Une autre piste nous parait prometteuse consiste à développer davantage le marché domestique des titres publics. Le document de stratégie mauritanien indique clairement l'objectif de "favoriser le développement du marché des titres publics", ce qui permettrait de réduire la dépendance aux financements extérieurs et d'atténuer l'exposition aux risques de change.


La Stratégie 2 mentionnée dans le document SDMT 2025-2027 propose notamment de "maintenir le choix de continuer à privilégier le financement concessionnel tout en recourant de façon plus importante au financement semi-concessionnel et introduire une maturité de 5 ans au niveau de la dette intérieure". Cette approche permettrait d'allonger progressivement la maturité moyenne de la dette domestique, réduisant ainsi le risque de refinancement.

Optimisation de l'allocation des ressources empruntées

L'on ne peut qu'admettre qu'un prêt représentant 40% du PIB constitue une opportunité exceptionnelle de financement pour notre pays qui, si elle est correctement exploitée, peut générer un impact transformationnel sur l'économie nationale. L'allocation stratégique de ces ressources est donc cruciale.

Les autorités mauritaniennes devraient veiller à ce que ces fonds soient prioritairement orientés vers des projets d'infrastructure et des secteurs productifs capables de générer des retours économiques tangibles.

 Selon l'analyse de la Commission économique et sociale pour l'Asie occidentale (CESAO), dans son rapport - Dette publique et stratégies d'optimisationde la dette pour la Mauritanie -  "l'élaboration d'une stratégie d'optimisation de la dette avec une trajectoire de stabilisation du ratio dette/PIB à moyen terme, plutôt qu'une trajectoire de réduction de ce ratio, peut aider à réaliser la croissance potentielle de la production de la Mauritanie".


Cette approche implique la sélection rigoureuse de projets d'investissement à haute rentabilité sociale et économique, particulièrement dans les secteurs prioritaires identifiés dans les documents stratégiques nationaux, comme l'agriculture, les infrastructures de transport, l'énergie et les technologies de l'information et de la communication.

Développement du capital humain

Une partie significative des ressources empruntées devrait être consacrée au renforcement du capital humain, facteur essentiel pour la transformation structurelle de l'économie mauritanienne. Comme le souligne la Banque africaine de développement, rapport pays 2024 sur la Mauritanie ,mentionné plus haut, il est nécessaire de "développer le capital humain, en rehaussant la qualité de l'enseignement et en développent davantage la formation technique, notamment pour les femmes".


Cet investissement dans le capital humain permettrait d'améliorer la productivité économique nationale et de maximiser les retombées des autres investissements financés par l'emprunt, créant ainsi un cercle vertueux de développement.

Renforcement des mécanismes de gouvernance de la dette

L'efficacité de la gestion d'un prêt d'une telle ampleur requiert un cadre institutionnel robuste et transparent, garantissant que ces ressources seront utilisées conformément aux intérêts nationaux et de manière efficiente.

Le gouvernement mauritanien devrait renforcer les mécanismes de transparence et de redevabilité dans la gestion de la dette publique. Le projet d'appui à la gestion des finances publiques (PAGEFIP) souligne l'importance d'agir sur la mobilisation des ressources publiques, l'accroissement de l'efficacité de la gestion publique et l'amélioration de la transparence budgétaire et de la redevabilité".
Cette transparence accrue permettrait non seulement d'améliorer la confiance des partenaires techniques et financiers, mais également de renforcer le contrôle citoyen sur l'utilisation des ressources publiques, y compris celles issues de l'emprunt.

Le développement des compétences techniques des institutions responsables de la gestion de la dette est crucial. Comme le souligne la CNUCED, un projet récemment achevé "a aidé la Mauritanie à améliorer sa gestion de la dette publique" (CNUCED- Améliorer la gestion de la dette en Mauritanie – Juillet 2023), mais ces efforts doivent être poursuivis et intensifiés, particulièrement face à l'enjeu que représente la gestion d'un prêt d'une telle ampleur.
Le renforcement des capacités devrait notamment porter sur l'analyse de la viabilité de la dette, l'élaboration de stratégies d'endettement optimales, et l'évaluation rigoureuse des projets d'investissement public.

Mise en place d'une stratégie de réduction progressive de la dépendance

Si la diversification des sources de financement constitue une réponse immédiate à la dépendance excessive envers un créancier unique, une stratégie à plus long terme visant à réduire progressivement cette dépendance est également nécessaire.

L'amélioration de la mobilisation des ressources fiscales domestiques constitue un levier essentiel pour réduire la dépendance aux financements extérieurs. Le document de stratégie de la Banque africaine de développement recommande explicitement d'"accroitre la mobilisation des ressources intérieures, pour financer la transformation structurelle".
Les réformes fiscales entreprises dans le cadre des projets de loi de finances successives depuis 2024 témoignent certainement de cet engagement de la Mauritanie à "optimiser la collecte des revenus et à rationaliser les dépenses, contribuant ainsi à la stabilité macroéconomique du pays". Ces efforts doivent être poursuivis et amplifiés pour élargir l'assiette fiscale et améliorer l'efficacité de la collecte des impôts.

La transformation structurelle de l'économie mauritanienne est essentielle pour réduire sa vulnérabilité aux chocs exogènes et sa dépendance aux financements extérieurs. Selon la Banque africaine de développement, "le déficit de financement annuel pour accélérer la transformation structurelle de l'économie mauritanienne est évalué à 8,4 milliards d'USD pour la réalisation des ODD en 2030".
Cette transformation nécessite notamment "l'amélioration de la productivité du secteur agricole", "l'amélioration de la qualité des infrastructures dans les secteurs des transports, de l'énergie, des TIC", et "le développement du secteur industriel et du secteur privé". Ces orientations stratégiques devraient guider l'allocation des ressources empruntées, afin que celles-ci contribuent effectivement à la transformation structurelle de l'économie.



En définitive, l’on pourra affirmer qu’un prêt équivalent à 40% du PIB du pays récipiendaire transforme fondamentalement la relation entre les deux nations concernées, créant une interdépendance asymétrique aux multiples ramifications. Cette transaction financière exceptionnelle génère une dynamique complexe mêlant opportunités de développement et risques de dépendance excessive.

La nature de la relation qui en résulte dépend largement des intentions des deux parties, des conditions spécifiques du prêt et du contexte géopolitique plus large dans lequel il s'inscrit. Si le créancier privilégie une approche de partenariat à long terme axée sur le développement mutuel, le prêt peut catalyser une croissance économique bénéfique pour les deux nations. En revanche, si les motivations sont principalement extractives ou dominatrices, le financement risque de perpétuer ou d'accentuer les inégalités et les déséquilibres de pouvoir.

Dans tous les cas, un tel engagement financier crée une interdépendance durable entre les deux pays, transformant leur relation bilatérale en un partenariat stratégique aux dimensions multiples qui dépasse largement la simple transaction financière pour s'inscrire dans une reconfiguration plus profonde des équilibres géopolitiques et économiques.


Face donc à cette situation où un prêt unique représente 40% du PIB national de notre pays, le gouvernement mauritanien doit adopter une approche multidimensionnelle combinant diversification des sources de financement, optimisation de l'allocation des ressources empruntées, renforcement des mécanismes de gouvernance, et mise en place d'une stratégie de réduction progressive de la dépendance.


Nous pensons , enfin, que cette approche devrait s'inscrire dans le cadre plus large de la stratégie nationale de développement, avec pour objectif ultime de transformer ce défi en opportunité pour accélérer la transformation structurelle de l'économie mauritanienne. Comme le souligne la CESAO dans son rapport mentionné plus haut, "avec un service de la dette projeté à plus de 3,1 milliards de dollars entre 2024 et 2030, soit une moyenne de 450 millions de dollars par an, l'optimisation des stratégies de gestion de la dette avec des solutions innovantes est cruciale".


En adoptant ces recommandations, la Mauritanie pourrait non seulement gérer efficacement sa dette actuelle, mais également construire les fondations d'une économie plus résiliente et moins dépendante des financements extérieurs à l'avenir. Enfin, nous l'espérons. Camus, n'avait-il pas écrit "qu'il ya en l'homme plus de choses à admirer qu'à mépriser". Surtout qu'il s'agit du devenir d'une nation. La nôtre.

Pr ELY Mustapha


jeudi 13 mars 2025

Livre blanc sur les finances publiques mauritaniennes. Par Pr ELY Mustapha

 

"La transparence n'est pas une option, mais une condition sine qua non de la confiance entre l'État et ses citoyens."


À l'aube d'une nouvelle ère budgétaire marquée par des ambitions nationales importantes et des défis structurels persistants, ce Livre Blanc sur les Finances publiques de notre pays se présente comme un document que j’ai voulu de référence indispensable pour tous ceux qui s'intéressent à l'architecture financière et au développement économique de la Mauritanie. Cette approche a pris pour pivot le budget 2025.  Ce budget 2025, avec ses 116,872 milliards MRU représentant une progression de 8,50% par rapport à la loi de finances rectificative de 2024, qui constitue un tournant décisif et dont l'analyse mérite une attention particulière de la part des décideurs publics comme des acteurs privés.


Destinataires institutionnels et gouvernementaux
Ce Livre Blanc s'adresse en premier lieu aux plus hautes instances de l'État mauritanien. L’exécutif, à travers le Président de la République et le gouvernement, y trouvera une analyse critique et constructive des choix budgétaires actuels, particulièrement en ce qui concerne l'équilibre entre les dépenses militaires en hausse de 27% et les allocations aux secteurs sociaux limités à 15% du budget total. Les parlementaires et législateurs disposent ici d'un outil d'analyse précieux pour exercer leur mission de contrôle budgétaire, notamment sur les 30% de dépenses classées comme "non spécifiées" qui échappent actuellement à un examen parlementaire détaillé.


Le Ministère des Finances et la Direction Générale des Impôts sont particulièrement concernés par nos recommandations sur la diversification des sources de revenus et l'élargissement de l'assiette fiscale, alors que les recettes fiscales stagnent à 16,44% du PIB, en-deçà de la moyenne ouest-africaine. La Cour des Comptes, dotée de 116,9 millions MRU, trouvera dans ce document des pistes concrètes pour renforcer son rôle central dans l'audit des flux financiers et la transparence budgétaire.


Les ministères sectoriels – Éducation, Santé, Agriculture, Énergie, Défense – sont également invités à s'approprier cette analyse qui questionne l'efficacité des dépenses dans leurs domaines respectifs et propose des réallocations stratégiques pour maximiser l'impact socio-économique des investissements publics.


Acteurs économiques et société civile

 
Le secteur privé mauritanien, en particulier les entreprises des secteurs extractifs, énergétiques et agricoles, est directement concerné par notre analyse des entreprises publiques (167 en 2022), loin de stimuler la croissance, engendrent des pertes systémiques atteignant 1,8% du PIB.

 Les investisseurs potentiels y trouveront des éclairages précieux sur les réformes nécessaires pour améliorer l'environnement des affaires et renforcer l'attractivité économique du pays.


Les organisations de la société civile et les institutions académiques disposent ici d'un outil de plaidoyer fondé sur des données probantes pour défendre une allocation plus équitable des ressources publiques. La plateforme citoyenne "Budget 2025 Transparent" mentionnée dans nos recommandations offre un cadre prometteur pour leur implication dans le suivi participatif de l'exécution budgétaire. Plateforme qui vaudra pour tous les budgets à venir.


Les médias et communicateurs trouveront dans ce livre blanc une source d'information fiable pour alimenter le débat public sur les finances publiques, contribuant ainsi à la transparence budgétaire et à l'éducation citoyenne sur ces enjeux complexes mais essentiels.


Partenaires internationaux et institutions financières

 
Les institutions financières internationales – FMI, Banque mondiale, Banque africaine de développement – gagneraient à considérer ce document comme un complément indépendant aux analyses officielles, particulièrement pertinent dans le contexte du programme FRD du FMI (86 millions USD) conditionné à une réduction de 40% des dépenses non tracées d'ici 2027.


Les partenaires techniques et financiers engagés dans des secteurs spécifiques – notamment le FNUAP pour la santé reproductive, l'Alliance Sahel, ou encore les bailleurs soutenant le Programme national de développement du système éducatif (PNDSE III) – y trouveront une évaluation critique de l'efficacité de leurs interventions et des recommandations pour en maximiser l'impact.
Les investisseurs internationaux et les acteurs du secteur des énergies renouvelables seront particulièrement intéressés par notre analyse du projet "Aman", qui vise le développement de 30 GW de capacité énergétique renouvelable et positionne la Mauritanie comme un acteur significatif dans la transition énergétique régionale.


Une invitation à l'action collective
Ce livre blanc n'est pas seulement un document d'analyse, mais une invitation à l'action collective pour transformer les finances publiques mauritaniennes en un véritable levier de développement inclusif et durable. La réussite de cette transformation nécessitera un engagement concerté de l'ensemble des parties prenantes mentionnées ci-dessus.
En tant qu'auteur de ce document, j'espère sincèrement qu'il contribuera à éclairer les choix budgétaires futurs et à renforcer la culture de transparence, d'efficacité et de redevabilité dans la gestion des finances publiques mauritaniennes. Car c'est par ce processus de réforme systémique, combinant rigueur technique, volonté politique et engagement citoyen, que la Mauritanie pourra convertir ses ressources naturelles et son potentiel humain en prospérité partagée.

La transparence et la lisibilité

La transparence et la lisibilité du budget sont essentielles pour permettre à tous les citoyens de comprendre les enjeux budgétaires et de participer au débat public. Un budget clair, concis et accessible favorise la redevabilité du gouvernement et renforce la confiance des citoyens dans les institutions publiques
 Le budget mauritanien pour 2025 présente des améliorations en matière de transparence, notamment grâce à la publication en ligne des documents budgétaires. Cependant, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour simplifier la présentation des informations, vulgariser le langage technique et fournir des analyses plus détaillées sur l'impact des politiques publiques.
L'analyse du budget constitue ainsi un exercice fondamental pour comprendre et orienter ses perspectives de développement. Dans le cas de la Mauritanie, pays aux potentialités considérables mais confronté à des défis structurels importants, cet exercice revêt une importance particulière alors que le pays s'engage dans une phase cruciale de son développement, avec une croissance projetée à 4,2% en 2025.
En définitive ce livre blanc propose une analyse du budget 2025 de notre pays, avec un double objectif : d'une part, évaluer l’allocation des ressources publiques et identifier les marges d'optimisation potentielles ; d'autre part, formuler des recommandations concrètes pour renforcer l'efficacité et la transparence de la gestion budgétaire ,tout en formulant des orientations pour les institutions qui ont la charge de contrôle des finances publiques : le Parlement, la Cour des comptes, l’IGE et, bien entendu, la Société civile ( le contrôle citoyen).

 Ce livre blanc est librement  téléchargeable sur le lien suivant :

https://drive.google.com/file/d/1VLE2WaLosjG7DcF1CqKgKcHrSMRJV35l/view?usp=sharing


 

Pr ELY Mustapha


mercredi 12 mars 2025

Un député parmi les « dépités » : Que reproche-t-on à Khally Diallo ? Par Pr ELY Mustapha

 « L'honnêteté est meilleure que n'importe quelle politique. » Emmanuel Kant

 

Khally Diallo, député mauritanien élu en mai 2023 sous la bannière du Front Républicain pour l'Unité et la Démocratie (FRUD), s'est imposé comme une figure incontournable du paysage politique mauritanien. Dans un pays où le contexte politique, économique et social est profondément marqué par une corruption généralisée, une pauvreté persistante et une répression systématique des voix dissidentes, son engagement politique sans concessions dérange nécessairement les tenants du pouvoir.


La Mauritanie demeure confrontée à des défis structurels majeurs. La corruption y est omniprésente dans tous les secteurs économiques, des marchés publics aux ressources naturelles, en passant par les douanes et le système judiciaire. Les entreprises doivent souvent recourir aux pots-de-vin pour obtenir licences et permis, tandis que les marchés publics sont dominés par des réseaux clientélistes liés au pouvoir politique. Cette situation génère une économie fortement inégalitaire, où le favoritisme et l'impunité règnent en maîtres. Les citoyens ordinaires subissent quotidiennement les conséquences de cette mauvaise gouvernance : chômage massif chez les jeunes, précarité économique généralisée et absence d'accès équitable aux services essentiels.

C'est précisément dans ce contexte difficile que Khally Diallo a émergé comme un acteur politique incontournable. Contrairement à une opposition traditionnelle jugée souvent complaisante ou accusée de pactiser avec le pouvoir en échange d'avantages matériels – ce que l'on appelle communément "l'opposition du ventre" –, Diallo se distingue par sa fermeté morale et son refus catégorique de toute compromission. Sa voix porte haut et fort les revendications populaires longtemps étouffées par la peur ou l'indifférence des élites dirigeantes.

Par ses interventions régulières à l'Assemblée nationale, Khally Diallo a mis en lumière des réalités dérangeantes telles que les discriminations institutionnalisées dans l'administration publique, la marginalisation systématique de certaines communautés ethniques et la persistance de pratiques esclavagistes pourtant officiellement abolies. Il a notamment dénoncé avec force la sous-représentation flagrante des Mauritaniens noirs dans les hautes fonctions administratives, preuve tangible d'une inertie institutionnelle persistante pour changer les choses. En exposant ces réalités douloureuses avec courage et précision, il a ouvert un débat public essentiel sur l'injustice sociale qui mine le pays.

Son influence s'étend également au-delà des frontières nationales. Sa tournée européenne en février 2025 (Belgique, France, Allemagne et Hollande) lui a permis de porter devant les instances internationales la voix des Mauritaniens victimes d'injustices. En dénonçant publiquement au Parlement européen les violations des droits humains perpétrées par son gouvernement (arrestations arbitraires, violences policières impunies), il a attiré une attention internationale essentielle sur la situation préoccupante en Mauritanie.


Dans un pays où les voix dissidentes sont intimidées, dissuadées ou emprisonnées -comme l'ont documenté Amnesty International et plusieurs observateurs internationaux -, Khally Diallo fait preuve d'un courage exemplaire. Il ose dénoncer publiquement l'impunité entourant la mort suspecte d'activistes dans des commissariats de police ainsi que les atteintes répétées aux libertés fondamentales d'expression et de rassemblement pacifique.


En réalité, ce que certains reprochent à Khally Diallo n'est rien d'autre que son intégrité morale irréprochable et son refus intransigeant de cautionner un système politique corrompu qui maintient une grande partie de la population dans une pauvreté chronique. Son action politique dérange précisément parce qu'elle met en lumière des vérités inconfortables : celles d'une société profondément inégalitaire où l'État échoue à protéger ses citoyens contre l'arbitraire administratif et judiciaire.


Cependant, l’on pourrait, sans remettre en cause son indéniable apport à l’expression politique, reprocher à Khally Diallo un manque de tact dans ses interventions publiques. Sa manière directe et parfois provocatrice d'aborder les sujets sensibles est souvent perçue comme trop conflictuelle et peu propice au dialogue constructif. Dans une société comme la Mauritanie, où les relations interethniques sont complexes et où les tensions sociales sont vives, une approche plus nuancée pourrait être nécessaire pour éviter d'exacerber les divisions existantes.

En effet, la psychologie de la société mauritanienne est marquée par une forte sensibilité aux questions ethniques et sociales.

Les Mauritaniens ont vécu des périodes de violence et de discrimination, notamment lors des événements tragiques des années 1980 et 1990, qui ont laissé des cicatrices profondes. Dans ce contexte, les discours politiques doivent être particulièrement prudents pour ne pas raviver les tensions communautaires. Khally Diallo, en dénonçant avec vigueur les injustices, risque parfois de heurter certaines sensibilités, ce qui pourrait limiter son audience potentielle et réduire l'impact de ses messages.

Pour mieux faire valoir ses idées dans la société mauritanienne, Khally Diallo pourrait adopter une stratégie politique plus inclusive et plus attentive aux nuances culturelles. Cela impliquerait de renforcer le dialogue avec les différentes communautés ethniques et sociales, en cherchant à construire des alliances larges et en évitant les discours qui pourraient être perçus comme fractionnaires et ou réfractaires à toute compréhension de son message. En outre, il pourrait s'appuyer davantage sur des initiatives concrètes de terrain, telles que des projets de développement local ou des programmes de sensibilisation, pour montrer que ses idées ne sont pas uniquement théoriques mais bien ancrées dans la réalité quotidienne des citoyens.

Il reste certain que ce que l'on reproche à Khally Diallo est paradoxalement sa plus grande force : être une voix authentique qui refuse tout compromis face aux injustices sociales et économiques qui minent son pays depuis trop longtemps. En choisissant cette voie difficile mais nécessaire, il contribue activement à éveiller les consciences citoyennes et à poser les bases d'une véritable transformation démocratique en Mauritanie. Pour maximiser son impact, il devra peut-être intégrer davantage de tact et de diplomatie dans ses interventions, tout en maintenant son engagement sans faille envers la justice et l'égalité.

En définitive, le militantisme de ce député est un cri d’alarme sur l’urgence d’un changement systémique en Mauritanie. Il appelle à une refonte complète du contrat social national, basée sur la justice, l’équité et la transparence. Le gouvernement doit saisir cette occasion pour démontrer qu’il est prêt à écouter ses citoyens et à agir en conséquence.

Ce militantisme sans concessions de Khally Diallo offre au gouvernement mauritanien une opportunité précieuse d’apprendre et d’évoluer. En répondant aux critiques soulevées par ce député courageux – qu’il s’agisse de discrimination institutionnelle, de brutalité policière ou d’injustice économique –, le gouvernement pourrait non seulement améliorer sa gouvernance, mais aussi renforcer la cohésion sociale et restaurer la confiance du peuple mauritanien envers ses institutions.

Pr ELY Mustapha

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Poésie de la douleur.