mardi 16 septembre 2025

La médecine tue-t-elle en Mauritanie ? Par Pr ELY Mustapha

Je sais.... je sais... vous vous êtes précipité sur cet article pour des raison inavouables: 

 

-          soit vous avez été un ancien malade mal soigné  ou en cours de l'être (ce qui n'est pas exceptionnel au pays) ,

-          soit un rescapé d'une compresse médicale oubliée dans votre abdomen par un chirurgien qui soit ne l'est pas ou soit qui l'est (ou le fut) mais déontologiquement distrait,  

-          soit victime d'une faute médicale dont vous ignorez l'existence, 

-          soit foudroyé par un médicament falsifié prescrit par un praticien qui ne le savait pas (ou ne veut pas le savoir)  ou par un infirmier-médecin;  

-          soit vous êtes un praticien médical qui a quelque chose à se reprocher du côté des honoraires; 

-          soit un témoin de mauvaise pratique médicale et hospitalière en Mauritanie qui se tait par piété (Dieu est grand) soit par cousinage interposé; 

-          soit un "médecin" qui par son parcours et ses "diplômes" ne devait pas l'être;

-          soit un "professeur en médecine" qui a trop vite gravi les échelons et qui n'en revient pas ;

-          soit un spécialiste qui ne sait comment il en est venu à cette spécialité médicale; 

-          soit un médecin qui s'arrache les cheveux dans une structure hospitalière public qui le prive de tous ses moyens et en fait la risée des patients;

-          soit un praticien qui surfe sur  l'ignorance médicale de ses patients et des indigents; 

-          soit un membre d'un lobby médical qui se serre les coudes pour entretenir l'impunité dans la pratique médicale,  

-          soit un praticien médical qui fut diplômé au temps des pharaons et qui depuis n'a jamais mis à jour ses connaissances, ni suivi des mises à jour de sa discipline et qui vous soigne  comme le ferait un guérisseur baoulé, ;  

-          soit un étudiant en médecine qui se pose, au vu de la pratique médicale actuelle, du chômage médical programmé,  des questions sur l'avenir de la médecine en Mauritanie, 

-          soit un ancien évacué de la CNAM (par droits ou par pistons) et qui sait,  sans l'avouer  pourquoi il n'a pas été ou n'a pas voulu se soigner en Mauritanie, 

-          soit un membre d'un ancien ou d'un actuel gouvernement qui a préféré se soigner à l'étranger parce qu'il "a beaucoup d'estime et de confiance pour la compétence" des médecins et  des soignants de son pays et de la salubrité notoire de ses  structures hospitalières..

 

…. Mais dans tous les cas ...rassurez-vous la réponse est courte : Non, la médecine ne “tue” pas par essence en Mauritanie....enfin, si vous ne mourrez pas tout seul, sans consulter.  


La réponse est donc aussi brève que possible (à l'image de certaines consultations médicales)  : la médecine ne “tue” pas,  par essence,  en Mauritanie, mais des défaillances systémiques bien documentées ,  pénuries, files interminables, absences de soignants, bâtiments qui grincent comme des genoux arthrosiques ,  exposent les patients à des risques évitables et à des pertes inacceptables, ce que confirment les dernières enquêtes nationales de perception et les documents stratégiques du secteur.

Commençons par l’aveu qui fâche et qui soigne en même temps: neuf familles sur dix déclarent avoir manqué de médicaments ou de soins au moins une fois l’an dernier, pendant que l’attente ressemble souvent à un marathon sans médaille, la pharmacie à un désert sans oasis et le couloir à une piste d’athlétisme où le dossier médical arrive toujours dernier, autant de symptômes d’un système qui a plus besoin de physiothérapie managériale que d’antalgiques verbaux.


Mouche sur le stéthoscope: près d’un usager sur trois dit avoir dû “huiler” la machine avant de passer en consultation, façon subtile de dire que la gouvernance de la qualité a visiblement besoin d’un détartrage complet, du hall d’accueil au bureau des admissions.

Sur l’ordonnance nationale, la Politique de Santé 2030 décrit un tableau clinique sérieux ,  maladies infectieuses persistantes, maladies non transmissibles en hausse, mortalité maternelle historiquement élevée,  et prescrit sans détour des traitements de fond: normes, protocoles, supervision, coordination, à prendre matin et soir sans interruption et avec un grand verre de volonté politique.


Le même texte, impeccable dans sa lucidité, note que l’hôpital public et le privé se chamaillent parfois le patient comme deux taxis à l’aéroport, pendant que l’hygiène hospitalière, la maintenance biomédicale et la référence/contre‑référence toussent encore en salle d’attente, preuve qu’il ne suffit pas d’avoir une ordonnance; il faut la suivre.

Côté droit et pilule, le législateur a pourtant mis des gants: la loi n°2004‑036 encadrant médicaments et dispositifs médicaux, impose qualité, innocuité, efficacité, enregistrement et retrait si danger, autrement dit le rappel produit version santé publique, avec logo “zéro compromis” sur la sécurité pharmaceutique.


L’ordonnance n°2005‑006 déploie l’assurance maladie avec contrôle médical: médecins‑conseils autorisés à ouvrir le capot des dossiers, injecter des audits, vérifier prescriptions et prestations, et prescrire des cures anti‑abus, ce qui est moins spectaculaire qu’une greffe de cornée mais terriblement efficace pour la santé du portefeuille et du patient.

Même la télémédecine a son code vestimentaire: décret n°2023‑118, badge obligatoire, actes réservés aux praticiens autorisés, domaines balisés et traçabilité recommandée par tous les nutritionnistes de la sécurité sanitaire, bref pas de consultation à la sauvette en pyjama numérique…ou boubou amidonné.


Et côté régulation des blouses, l’Ordre des médecins chirurgiens‑dentistes (décret n°2019‑076) sait sortir le carton jaune, voire le rouge, avec conciliation des plaintes, échelle de sanctions allant jusqu’à l’interdiction définitive d’exercer, rappelant que l’empathie n’exclut pas la discipline quand l’éthique a des caries.

Alors, où ça coince docteur? Dans la mise en œuvre, comme souvent: normes incomplètes, supervision intermittente, privé pas toujours régulé, coordination essoufflée et textes appliqués à dose homéopathique, ce qui transforme une ordonnance robuste en posologie symbolique.
Et le patient‑citoyen, lui, voit des files, des ruptures, des absences et des murs, d’où une confiance qui descend plus vite qu’une tension artérielle après un bon bêta‑bloquant.

La guérison, elle, a un protocole clair et sans placebo: appliquer strictement la loi n°2004‑036 pour sécuriser la chaîne du médicament, activer le contrôle médical de l’assurance maladie pour auditer prescriptions et parcours, et bannir la “médecine approximative” des factures comme des ordonnances.


S’assurer que la télémédecine n’est pas un western spaghetti: authentifier les praticiens, tracer les actes, respecter les domaines, et considérer chaque téléconsultation comme un acte médical à part entière, pas comme un live improvisé sur une messagerie

Côté blouses blanches, ressortir le thermomètre ordinal: instruire les plaintes dans les délais, publier les décisions, appliquer toute l’échelle des sanctions prévue par le décret n°2019‑076, et rappeler que le col blanc sied mieux quand il est propre et conforme.


Et parce qu’un système de santé ne se réforme pas avec des slogans, dérouler la PNS 2030 comme un protocole opératoire: standardiser, superviser, réguler, évaluer, corriger, puis recommencer, jusqu’à ce que le patient perçoive la différence sans qu’on lui fasse un dessin.

Mon verdict: la médecine ne tue pas, mais l’inaction oui,  et elle le fait sans ordonnance, sans consentement éclairé et sans suivi post‑opératoire, ce que confirment à la fois les perceptions nationales et les diagnostics officiels du secteur.


Le remède tient en quatre mots prosaïques mais vitaux: appliquer ce qui existe ,  médicaments, assurance maladie, télémédecine, discipline,  et le faire voir, tracer et mesurer, afin que la promesse de qualité et de sécurité cesse d’être un slogan d’affiche et devienne la routine quotidienne du soin, du dispensaire à l’hôpital.

  

Pr ELY Mustapha

Bouclage jihadiste: la Mauritanie dans l'œil du cyclone. Par Pr ELY Mustapha

Les groupes djihadistes au Mali, principalement le JNIM, cherchent à étouffer le régime malien  par un blocus progressif des frontières ouest et des corridors Dakar‑Bamako et Nouakchott‑Bamako, afin d’asphyxier l’économie et d’isoler Bamako des échanges vitaux avec le Sénégal et la Mauritanie. Cette stratégie combine attaques coordonnées à Kayes, Nioro, Diboli et Gogui, enlèvements de routiers et menaces directes contre les citernes de carburant pour provoquer pénuries, inflation et érosion de la légitimité du pouvoir.

Comme mentionné dans notre article précédent ("Mauritanie: le piège malien"),  durant l’été 2025, le JNIM a lancé des offensives synchronisées contre des positions militaires et des nœuds administratifs à l’ouest et au centre, ciblant notamment Kayes, Nioro du Sahel, Gogui et Diboli dans une logique d’extension du front vers la frontière sénégalaise. Ce déplacement de l’effort vers l’ouest s’inscrit dans une évolution de la stratégie, confirmée par des attaques récurrentes et des accrochages dans la région de Kayes jusqu’en début du mois de septembre courant .

Le JNIM a annoncé puis commencé à faire respecter un siège sur Kayes et Nioro, en ciblant spécifiquement les transporteurs et en menaçant les convois de carburant, afin de couper les flux logistiques et d’imposer un coût économique direct au régime. Cette méthode nous rappelle curieusement  un précédent éprouvé avec le blocus de Tombouctou en 2023, où les djihadistes avaient bloqué les routes depuis l’Algérie et la Mauritanie et frappé le trafic fluvial, entraînant pénuries et envolée des prix. Stratégie qui avait eu des conséquences remarquées sur le trafic commercial sur place.

Tout observateur averti des évènements ne pourra que relever que les points de pression prioritaires sont le corridor nord Bamako‑Dakar et ses postes frontaliers, notamment Diboli (axe de Kidira) et Gogui, ainsi que la route que l'on pourra qualifier de fortement stratégique et pénétrante de Nouakchott‑Bamako via Nioro et, plus au nord, l’axe de Nara vers la Mauritanie.

Ce que l'on remarque c'est que les opérations ont explicitement visé des postes douaniers et des carrefours routiers pour perturber le transit international et forcer la mise à l’arrêt des flux commerciaux, comme l’illustrent l’enlèvement de routiers sénégalais et les interceptions de véhicules près de Nioro.

Notons qu'environ 70% des importations‑exportations maliennes transitent par le port de Dakar, et 60% à 80% du commerce passe par le corridor nord Bamako‑Dakar, ce qui rend tout bouclage à l’ouest immédiatement déstabilisant pour l’approvisionnement du pays. Le carburant est particulièrement vulnérable, le Mali important quasi tout son pétrole de Côte d’Ivoire (environ 60%) et du Sénégal (environ 35%), si bien que les menaces et attaques contre les citernes entraînent un risque rapide de pénuries et d’inflation.

D'un autre côté , et non pas des moindres, la région de Kayes concentre près de 78% à 80% de la production aurifère industrielle, et les attaques contre les sites miniers, carrières et infrastructures économiques visent directement les recettes fiscales et les devises de l’État. Des frappes, des  sabotages ainsi que des enlèvements d’expatriés, s’inscrivent dans une guerre économique destinée à tarir les revenus extractifs et à décourager l’investissement.

Au plan militaire, l’effet recherché est la dislocation des lignes logistiques de l’armée et l’isolement progressif de la capitale sans bataille décisive, par une pression continue sur les hubs urbains et les axes d’approvisionnement.

Sur le plan politique, l’asphyxie des flux de biens essentiels doit saper le moral des populations , miner le soutien populaire au régime malien et accroître la contestation , que les autorités maliennes toutes orientées vers une lutte multidimensionnelle (anti-jihadiste , anti-indépendantiste, anti-communautariste….) craindraient  par-dessus tout. Ce  serait,  dans la stratégie des juhadistes, le talon d'Achille du régime malien

Sur le plan doctrinal, le bouclage territorial s’apparente à une opération d’interdiction qui vise à retarder, désorganiser et détourner le potentiel adverse en frappant ses lignes de communication et ses flux logistiques avant emploi.

En ciblant goulots logistiques, corridors frontaliers et points de passage, l’interdiction prolonge la vulnérabilité des convois, concentre des cibles et transforme la liberté de mouvement en risque permanent, dégradant l’efficacité opérationnelle sans bataille décisive. Au niveau stratégique, cette logique transpose à terre les principes du blocus corbettien (un classique de la stratégie maritime): isoler, interrompre le commerce et exercer une pression économique pour infléchir la volonté politique de l’adversaire. Elle s’inscrit aussi dans la logique  de la coercition par le déni, niant l’accès aux ressources et à la mobilité plutôt que recherchant l’anéantissement, conformément aux cadres interarmées sur la maîtrise de l’adversaire. En contexte insurrectionnel, ou approchant, la véritable cible est la population: perturber services essentiels et économie locale pour délégitimer l’État et ouvrir des espaces de gouvernance de substitution.

Ainsi pour atteindre ces objectifs, les djihadistes combinent attaques complexes et simultanées avec l’emploi de drones explosifs, raids éclairs sur postes de sécurité et checkpoints, et harcèlement de convois pour saturer la réponse sécuritaire. Ils ajoutent une coercition ciblée contre les acteurs économiques, bus, camions‑citernes, entreprises minières, tout en diffusant des messages de menace pour amplifier l’effet psychologique et dissuader le trafic.

Le « bouclage » de l'espace occidental a des retombées directes pour le Sénégal et la Mauritanie, qui partagent ce bassin économique et énergétique, rendant critiques les mécanismes de coopération et de patrouilles conjointes dans la zone Kayes-Kidira-Gogui-Nioro. L'intensification de la pression autour de la frontière accroît le risque d’essaimage vers l’est du Sénégal, où des vulnérabilités frontalières et des réseaux de contrebande peuvent être exploités

La priorité, pour  la Mauritanie et le Sénégal  consiste en urgence à durcir les nœuds de transit (Diboli, Gogui, Nioro) par des forces conjointes, capacités anti‑drones, escortes de convois sensibles et équipes d’intervention rapide, afin de rouvrir et maintenir un débit minimal sécurisé sur les axes.

En parallèle, des mesures de résilience économique, stocks stratégiques de carburant, facilitation assurantielle des transporteurs, et diversification temporaire des routes, sont nécessaires, tout en sachant que les alternatives routières restent limitées et exposées.

Spécifiquement pour notre pays, le bouclage djihadiste de l’ouest malien transforme un risque périphérique en choc sécuritaire, économique, énergétique et humanitaire intérieur, en exposant simultanément le corridor Nouakchott-Bamako, les zones frontalières du Hodh et les interconnexions régionales de l’OMVS.

 L’extension du JNIM vers Kayes-Nioro accroît la pression d’essaimage vers Kobenni-Gogui et Nara, avec risques d’infiltrations, de contrebande et d’actions opportunistes en Hodh El Gharbi et Hodh Ech Chargui, ce qui impose des patrouilles coordonnées, une dissuasion crédible et une gouvernance affûtée des frontières déjà activée au niveau régional mauritanien.

Un ralentissement des flux sur l’axe Nouakchott-Bamako transmettrait immédiatement des chocs de prix et d’emploi aux écosystèmes de transit, du camionnage et de la logistique mauritaniens, en raison de la dépendance croisée des corridors maliens et sénégalo‑maliens que le JNIM cherche précisément à perturber par une « guerre économique » ciblant convois et hydrocarbures.

 À moyen terme, toute perturbation durable autour de Kayes menace le fonctionnement optimal des barrages de Manantali, Félou et Gouina de l’OMVS, avec effets en chaîne sur l’approvisionnement électrique partagé entre Mali, Mauritanie, Sénégal et Guinée, donc sur la stabilité macroéconomique et sociale mauritanienne.

 La pression militaire et économique au Mali alimente en outre des flux de déplacés et de réfugiés vers le sud‑est mauritanien, ajoutant une contrainte budgétaire et opérationnelle aux dispositifs d’accueil et de sécurité déjà sollicités. D’où un impératif pour Nouakchott de combiner neutralité active et fermeté opérationnelle: sécurisation des axes et hubs logistiques, mécanismes tripartites de renseignement et de patrouilles, et posture de médiation prudente pour prévenir l’extension du conflit tout en préservant l’accès au corridor stratégique Nouakchott-Bamako.

 Pr ELY Mustapha

 

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Poésie de la douleur.