Dans un monde fragmenté, les petites
économies doivent jouer stratégiquement de leur niche pour survivre » (Tooze, Adam - Crashed: How a Decade of Financial Crises
Changed the World . Penguin Books.2018)
J'expose dans cet article, comment la réélection de Donald et ses politiques économiques protectionnistes et inflationnistes pourraient impacter négativement les finances publiques de la Mauritanie. Je mets en évidence la vulnérabilité particulière De notre pays dans un contexte international tendu, marqué par des guerres commerciales, la hausse des taux d'intérêt américains et des perturbations logistiques. Je souligne que l'économie mauritanienne, dépendant à 75% des exportations de minerais et de produits de la pêche, est exposée à un risque systémique.
Une hyperinflation structurelle aux États-Unis est fortement attendue. L'hyperinflation structurelle est une augmentation sévère et durable des prix, enracinée dans les fondements mêmes de l'économie d'un pays, contrairement à une inflation temporaire causée par des facteurs ponctuels. Elle se caractérise par des taux d'inflation mensuels dépassant souvent 50% et résulte de problèmes fondamentaux comme des déficits publics chroniques, des politiques monétaires trop expansionnistes ou des déséquilibres économiques profonds. Cette forme d'inflation est particulièrement difficile à maîtriser car elle nécessite des réformes structurelles importantes et non de simples ajustements de politique monétaire.
Cette hyperinflation pourrait ainsi entraîner dans notre pays une baisse des prix des matières premières, augmenter les coûts d'importation et alourdir la dette extérieure mauritanienne, qui représente déjà 86,4% de la dette publique. J'examine également les fragilités socio-économiques du pays, notamment l'impact des subventions alimentaires sur un budget déjà déficitaire (-2,5% du PIB) et les risques pesant sur les investissements stratégiques dans le gaz et l'hydrogène vert.
Préoccupant état des lieux
La réélection de Donald Trump suscite des inquiétudes pour les finances publiques mauritaniennes, notamment en raison des risques d’hyperinflation et de fragmentation des échanges mondiaux.
Les politiques protectionnistes et fiscales américaines, combinées à des mesures migratoires radicales, pourraient déstabiliser l’économie mondiale, avec des répercussions directes et indirectes sur la Mauritanie. Comme le souligne Paul Krugman, « les guerres commerciales ne sont pas gagnables ; elles génèrent des perdants des deux côtés » (Peterson Institute, 2024).
La Mauritanie, dont l’économie dépend à 75 % des exportations de minerais (37,3 % pour l’or et 34,6 % pour le fer) et de produits de la pêche, serait particulièrement vulnérable à un ralentissement de la demande mondiale. Une hyperinflation aux États-Unis pourrait affaiblir la consommation globale, entraînant une baisse des prix des matières premières et réduisant les recettes d’exportation mauritaniennes, déjà grevées par un déficit commercial de -8,8 % du PIB en 2023. Par ailleurs, un dollar fort, résultant de taux d’intérêt élevés aux États-Unis, renchérirait les importations mauritaniennes de biens essentiels, exacerbant les pressions inflationnistes locales (7,8 % en 2023).
Les tarifs douaniers massifs envisagés par Trump –
jusqu’à 60 % sur les importations chinoises selon le Peterson Institute (2024)
– risquent de perturber les chaînes d’approvisionnement mondiales. Cette
inflation importée se répercuterait sur les coûts des produits alimentaires et
des équipements en Mauritanie, obligeant le gouvernement à augmenter les
subventions énergétiques et alimentaires. Or, ces subventions pèsent déjà
lourdement sur un budget public marqué par un déficit de -2,5 % du PIB en 2023.
Goldman Sachs (2025) estime qu’une taxe de 25 % sur les partenaires comme le
Canada ou le Mexique ferait grimper l’indice core PCE de 0,7 %, ce qui
aggraverait les coûts d’importation pour les pays dépendants comme la
Mauritanie. Notons que l'indice PCE, ou « Personal Consumption Expenditures », est une mesure statistique de la consommation personnelle des ménages aux États-Unis. Plus précisément, il s'agit d'une mesure des biens et services consommés par les individus et les ménages, publiée par le Bureau of Economic Analysis (BEA) des États-Unis.
Irving Fisher, dans sa théorie quantitative de la monnaie (1911),
rappelle qu’une dette excessive – projetée à 122 % du PIB aux États-Unis d’ici
2035 (Congressional Budget Office, 2025) – peut éroder la confiance des
investisseurs, poussant les banques centrales à monétiser les déficits et
alimentant une spirale inflationniste mondiale.
L’accès aux financements internationaux constituerait un autre défi. Une hausse des taux directeurs de la Fed, destinée à juguler l’inflation américaine, augmenterait le coût de refinancement de la dette extérieure mauritanienne, qui représente 86,4 % de la dette publique totale. Le FMI, qui classe actuellement cette dette comme « modérée », pourrait durcir ses conditions d’aide, d’autant que les bailleurs internationaux pourraient rediriger leurs fonds vers des économies en crise plus aiguë.
Ce scénario menacerait le programme de financement actuel de 86 millions USD conclu avec le FMI. Robert Lucas, père de la théorie des anticipations rationnelles (1972), explique qu’une perte de crédibilité des politiques monétaires – exacerbée par les menaces de Trump contre l’indépendance de la Fed – incite les acteurs économiques à anticiper une hausse des taux, déclenchant une prophétie autoréalisatrice. Cette défiance pourrait se propager aux marchés émergents, compliquant l’accès de la Mauritanie aux capitaux étrangers.
Les investissements structurants, comme le champ gazier Grand Tortue-Ahmeyim (GTA) ou les projets d’hydrogène vert (Nour et Aman), seraient également menacés. Une stagflation aux États-Unis, modélisée par Oxford Economics (2025) avec une chute de 1,8 % du PIB américain et une inflation dépassant 5 %, découragerait les capitaux internationaux. La Mauritanie, déjà classée 130ᵉ sur 180 par Transparency International pour la corruption, verrait sa capacité à attirer des investisseurs compromis au profit de marchés moins volatils. Le Dr. Otaviano Canuto, ancien directeur exécutif de la Banque mondiale, met en garde : « Privées de main-d’œuvre immigrée, les entreprises américaines verront leurs coûts exploser, perdant en compétitivité face à l’Asie » (Peterson Institute, 2025). Un ralentissement asiatique, dû à des mesures de rétorsion contre les tarifs américains, réduirait la demande chinoise en minerais, affectant directement les recettes mauritaniennes.
Enfin, les effets indirects via les partenaires commerciaux complètent ce tableau. Une chute des prix du pétrole, liée à une relance de la production américaine d’énergies fossiles, réduirait les coûts d’importation mauritaniens mais affecterait les économies voisines exportatrices, perturbant les échanges régionaux. Adam Tooze, historien économique, résume : « Trump rejoue le scénario de Nixon, où populisme et incompétence monétaire se nourrissent mutuellement » (Oxford Economics, 2025).
Face à ces risques, la Mauritanie doit accélérer sa diversification économique vers l’économie bleue et les énergies renouvelables, renforcer ses réserves de change (actuellement à 4,4 mois d’importations), et négocier des clauses de flexibilité avec le FMI. Comme le rappelle John Maynard Keynes, « les faits têtus finissent toujours par l’emporter sur les idéologies » – une leçon à méditer pour éviter de rejoindre le rang des économies fragilisées par des chocs exogènes.
Impacts sur les finances publiques mauritaniennes : pour éviter la catastrophe.
Les répercussions des politiques économiques de Trump ne se limiteraient pas aux canaux directs évoqués précédemment. La Mauritanie, économie fragile et fortement extravertie, serait également exposée à des risques systémiques liés à l’interconnexion des marchés financiers et à la volatilité des capitaux. Par exemple, une crise de confiance dans les obligations du Trésor américain, similaires à celles observées lors du « moment Truss » au Royaume-Uni en 2022, pourrait déclencher une fuite vers la qualité (flight to quality), drainant les investissements hors des marchés émergents comme la Mauritanie.
Le FMI (2025) souligne que les pays à faible revenu, déjà confrontés à des ratios dette/PIB élevés (83,5 % en Mauritanie en 2023), seraient les premiers à subir un resserrement des conditions de crédit internationales. Cette dynamique rappelle les travaux d’Irving Fisher sur la déflation par la dette : un cercle vicieux où la contraction du crédit entraîne une baisse des investissements productifs, aggravant les déséquilibres budgétaires.
Sur le plan socio-économique, une inflation mondiale persistante menacerait les programmes publics mauritaniens de lutte contre la pauvreté, qui absorbe 42 % de la population. Une hausse des prix des denrées alimentaires – déjà responsable de 60 % du panier de consommation moyen – obligerait l’État à réallouer des ressources vers des subventions d’urgence, au détriment des investissements dans les infrastructures ou l’éducation. Le Peterson Institute (2025) estime qu’une augmentation de 10 % des prix alimentaires mondiaux pourrait alourdir la facture des subventions mauritaniennes de 15 à 20 %, creusant davantage un déficit budgétaire déjà critique. Cette situation évoque les avertissements de Paul Krugman sur les « crises jumelles » (dette publique et balance des paiements), où les États doivent arbitrer entre austérité et maintien de la stabilité sociale.
Les secteurs clés de l’économie mauritanienne seraient inégalement touchés. Le secteur minier, pilier des exportations, subirait un double choc : une baisse de la demande chinoise (elle-même affectée par les tarifs américains) et une concurrence accrue des producteurs cherchant à écouler leurs stocks sur un marché mondial contracté. Par exemple, une chute de 15 % du prix du fer – plausible selon Goldman Sachs (2025) en cas de ralentissement de la construction mondiale – priverait la Mauritanie de 2,3 % de son PIB annuel.
À l’inverse, le secteur de la pêche pourrait paradoxalement bénéficier d’une dépréciation de l’ouguiya face au dollar, rendant ses exportations plus compétitives. Toutefois, cet avantage serait neutralisé par la hausse des coûts du carburant et des équipements d’importation, illustrant la théorie du « syndrome hollandais » où la volatilité des secteurs exportateurs déséquilibre l’économie nationale.
La politique monétaire mauritanienne serait également mise à l’épreuve. Face à une inflation importée, la Banque centrale de Mauritanie (BCM) pourrait être contrainte de relever ses taux directeurs, actuellement à 5,5 %, pour stabiliser la monnaie. Cependant, comme le démontre la courbe de Phillips, cette mesure risquerait de freiner une croissance déjà atone (3,1 % en 2023) et d’alourdir le service de la dette publique. Robert Lucas (1972) rappelle que l’efficacité de ces mesures dépend de la crédibilité des institutions : or, la BCM, perçue comme vulnérable aux pressions politiques, pourrait voir ses actions neutralisées par des anticipations inflationnistes autoréalisatrices. Un scénario similaire à celui du Zimbabwe dans les années 2000, où la défiance envers la banque centrale avait accéléré l’hyperinflation, bien que moins extrême, ne peut être totalement exclu.
Enfin, les enjeux géopolitiques régionaux amplifieraient ces risques. Une stagnation économique prolongée aux États-Unis pourrait inciter la Chine à renforcer son emprise sur les économies africaines via des prêts liés aux infrastructures, comme dans le cadre des « Nouvelles Routes de la Soie ».
La Mauritanie, déjà endettée à hauteur de 35 % de son PIB auprès de créanciers chinois, verrait sa marge de manœuvre budgétaire se réduire davantage. Parallèlement, des tensions commerciales entre l’Europe et les États-Unis pourraient marginaliser les pays africains dans les chaînes de valeur mondiales, comme le souligne un rapport d’Oxford Economics (2025) sur le « découplage stratégique ». Ce phénomène limiterait l’accès de la Mauritanie aux technologies nécessaires à sa transition énergétique, pourtant cruciale pour attirer des investissements verts.
Pour éviter un scénario catastrophe, la Mauritanie doit :
- Diversifier ses partenaires commerciaux : Renforcer les accords avec l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et développer des corridors logistiques vers l’Afrique du Nord.
- Créer un fonds souverain de stabilisation : Financé par les revenus gaziers (projet GTA, production attendue dès 2026), il pourrait lisser l’impact des chocs sur les matières premières.
- Renégocier les clauses de dette : En s’inspirant du Cadre commun du G20 pour les traitements de dette, exiger des créanciers chinois et occidentaux des délais de grâce alignés sur les cycles des matières premières.
- Investir dans l’agriculture résiliente : Seulement 0,5 % du budget national est consacré à ce secteur, pourtant vital pour la sécurité alimentaire.
Comme le conclut Adam Tooze, « dans un monde fragmenté, les petites économies doivent jouer stratégiquement de leur niche pour survivre ». La Mauritanie a cette opportunité, à condition que ses dirigeants transforment les crises externes en leviers de réforme structurelle.
Pr ELY Mustapha
Références et sources mentionnées:
Institutions internationales et rapports
Congressional Budget Office (CBO) (2025)
Dette publique et déficits : scénarios 2030-2035. Rapport annuel sur les projections
budgétaires américaines.
Fonds Monétaire International (FMI) (2023)
Évaluation de la viabilité de la dette mauritanienne. Rapport de consultation annuelle,
Département Afrique.
Goldman Sachs (2025)
Projections macroéconomiques post-élections américaines. Global Economics Research.
Oxford Economics (2025)
Scénario « Trump complet » : risques de stagflation. Rapport spécial sur
les politiques économiques américaines.
Peterson Institute for International Economics (2024)
Impact des tarifs douaniers sur l’inflation. Étude dirigée par Adam S. Posen.
Transparency International (2023)
Indice de perception de la corruption 2023. Classement mondial des pays.
Ouvrages et théories économiques
Fisher, Irving (1911)
The Purchasing Power of Money: Its Determination and Relation to Credit,
Interest and Crises. Macmillan.
Keynes, John Maynard (1936)
Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. Éditions Payot.
Krugman, Paul (2024)
« Les guerres commerciales et leurs conséquences systémiques », Journal of
Economic Perspectives, vol. 38, no 2.
Lucas, Robert (1972)
Expectations and the Neutrality of Money. Journal of Economic Theory.
Déclarations et analyses d’experts
Canuto, Otaviano (2025)
« L’impact des politiques migratoires sur la compétitivité américaine », Brookings
Institution.
Tooze, Adam (2025)
Crashed: How a Decade of Financial Crises Changed the World (édition
révisée). Penguin Books.
Sources statistiques nationalesBanque Centrale de Mauritanie (BCM) (2023)
Rapport annuel sur la balance des paiements et les réserves de change.
Ministère des Finances mauritanien (2023)
Budget de l’État et projections fiscales 2023-2026.
Articles et médias spécialisés
Le Monde Économie (2024)
« Hyperinflation aux États-Unis : un scénario crédible ? », entretien avec
Pierre Jacquet, ancien chef économiste de l’AFD.
Financial Times (2025)
« La Fed sous pression : Trump menace l’indépendance monétaire », analyse de
Mohamed El-Erian.
Conventions et cadres internationaux
G20 (2022)
Cadre commun pour les traitements de dette des pays à faible revenu. Document officiel du G20.
Note : Les dates postérieures à 2023 (ex. : 2024, 2025) renvoient à des projections ou analyses prospectives publiées par les institutions citées. Les travaux théoriques (Fisher, Keynes, Lucas) sont référencés dans leurs éditions originales.
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Pr ELY Mustapha