mercredi 12 février 2025

Lorsque la Mauritanie se battait contre l'USAID : Histoire d'une résistance VRAIE. Pr ELY Mustapha

Elon Musk, en collaboration avec l'administration de Donald Trump, a décidé la fermeture de l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), une décision qui a suscité des controverses majeures aux États-Unis et à l'international.

Bien auparavant, les révélations d'Elon Musk sur X (anciennement Twitter) concernant les activités de l'USAID et les investigations du gouverneur de Floride Ron DeSantis sur les liens entre Google et l'agence américaine de développement ont relancé le débat sur le rôle de cette institution.

Ces controverses, qui mettent en lumière l'utilisation potentielle de l'aide au développement comme outil d'influence géopolitique, donnent un éclairage nouveau sur la résistance manifestée par certains pays face à l'USAID. Le cas de la Mauritanie, qui a développé dès 2003 une stratégie de résistance active face à cette influence, apparaît aujourd'hui comme précurseur et particulièrement instructif.

Depuis son indépendance en 1960, la Mauritanie entretient des relations fluctuantes avec les États-Unis, notamment par le biais de l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). Ce partenariat a traversé des périodes de coopération intense, mais aussi des tensions liées à des divergences politiques et des crises internes.

Dans les années qui ont suivi l'indépendance de la Mauritanie, les États-Unis ont maintenu des relations cordiales avec le pays. L'USAID a joué un rôle clé en fournissant une assistance économique et alimentaire. Selon les données de l'USAID, entre 1981 et les années 1990, environ 130 millions de dollars ont été alloués à la Mauritanie dans ces domaines (USAID, 2023). Cependant, cette période a également été marquée par des tensions diplomatiques, notamment suite à la rupture des relations entre les deux pays pendant la guerre des Six Jours en 1967, avant leur rétablissement en 1969 .

Les jalons d’une résistance remarquable

La relation entre la Mauritanie et l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) est marquée par des tensions récurrentes, souvent liées à la perception d'ingérences dans les affaires internes du pays. Bien que l’USAID ait contribué à financer des projets de développement majeurs, la Mauritanie a régulièrement résisté à certaines initiatives qu’elle considérait comme incompatibles avec ses priorités nationales ou ses spécificités culturelles.

Une des principales résistances de la Mauritanie face aux interventions de l’USAID réside dans son opposition à des approches perçues comme trop standardisées ou imposées de l’extérieur. Par exemple, plusieurs projets de développement ont été critiqués pour leur manque d’adaptation aux réalités locales et pour leur faible implication des autorités nationales et locales. Ce constat est également partagé dans d'autres partenariats internationaux, où l’approche « top-down » a souvent été mal accueillie par les autorités mauritaniennes, qui réclament une plus grande appropriation des projets (Rapport UE-Mauritanie, 2020).

Dans le cadre de certains programmes agricoles financés par l’USAID, comme ceux liés à la lutte contre les criquets pèlerins, la Mauritanie a exprimé son mécontentement face à une gestion centralisée et une dépendance excessive aux experts étrangers. Les autorités ont plaidé pour une décentralisation accrue et un renforcement des capacités locales, notamment en formant des brigades villageoises pour une gestion autonome des crises agricoles (Rapport USAID sur la lutte antiacridienne, 1995).

La Mauritanie a également résisté aux conditionnalités politiques parfois associées à l’aide américaine. L’un des exemples les plus notables remonte aux années 1990, lorsque l’USAID a suspendu ses opérations dans le pays en raison de préoccupations liées aux droits humains et à la persistance de l’esclavage. Les autorités mauritaniennes ont perçu cette suspension comme une tentative d’imposer un agenda étranger incompatible avec leurs priorités nationales (Human Rights Watch, 1994).

Cette résistance s’est traduite par une diversification stratégique des partenariats internationaux. La Mauritanie s’est tournée vers d’autres acteurs tels que l’Union européenne et les agences onusiennes pour réduire sa dépendance vis-à-vis de l’aide américaine. Cette stratégie a permis au pays de maintenir certains projets clés tout en affirmant son autonomie politique (Rapport CADRI sur la résilience en Mauritanie, 2013).

Un autre point de tension concerne les priorités fixées par l’USAID, qui ne correspondent pas toujours aux besoins identifiés par le gouvernement mauritanien. Par exemple, le programme Nafooré, destiné à lutter contre l’extrémisme violent, a été critiqué pour son approche axée principalement sur la sécurité plutôt que sur le développement socio-économique local. Les autorités mauritaniennes ont exprimé leur volonté de recentrer ces initiatives sur des problématiques telles que l’emploi des jeunes et le renforcement du tissu économique local (Ambassade américaine en Mauritanie, 2021). De plus, lors du lancement du projet Tamkeenen 2021 – visant à autonomiser les jeunes – le gouvernement mauritanien a insisté pour que ce programme respecte les spécificités culturelles locales et soit aligné sur sa stratégie nationale de développement (USAID Roadmap Mauritania, 2025).

 L'arsenal législatif de la riposte

La Mauritanie a également montré une réticence face aux tentatives perçues d’ingérence dans sa gouvernance locale. Par exemple, certains projets financés par l’USAID ont été critiqués pour leur manque de coordination avec les administrations locales et pour leur tendance à contourner les institutions nationales au profit d’organisations non gouvernementales internationales ou locales. Cette approche a parfois été perçue comme un affaiblissement des structures étatiques (Rapport Evaluation UE-Mauritanie, 2020).


 La Mauritanie a tiré les leçons de cette dérive et a donc renforcé son cadre juridique pour mieux encadrer les activités des organisations non gouvernementales (ONG) et leur financement, dans le but de prévenir les ingérences étrangères tout en préservant la liberté d'association. Au cœur de cette réforme se trouve la Loi n°2021-004 du 10 février 2021 relative aux Associations, aux Fondations et aux Réseaux, qui marque un tournant significatif dans la régulation du secteur associatif. Cette nouvelle loi introduit plusieurs dispositions clés :

-          Obligation de transparence financière : Les associations doivent désormais disposer d'un compte bancaire et soumettre un état financier annuel au département en charge des relations avec la Société Civile.

-          Déclaration des subventions : Toute subvention reçue d'un partenaire, qu'il soit public ou privé, national ou étranger, doit être déclarée dans un délai de 90 jours.

-          Activités rémunérées : Les associations ont la possibilité d'exercer des prestations rémunérées, à condition que celles-ci ne représentent pas la majorité de leurs activités.

En complément de cette loi principale, d'autres textes juridiques viennent renforcer le dispositif de contrôle et de financement des ONG :

-          Le Décret n° 042-2002/PM a créé le Fonds National pour l'Action Humanitaire, qui peut servir de source de financement pour certaines ONG impliquées dans l'action humanitaire.

-          La Loi n° 2000-043 du 26 juillet 2000 établit un régime juridique particulier pour les associations de développement, encadrant leur financement.

-          Un décret spécifique définit les modalités de contractualisation entre l'État et les organisations socioprofessionnelles pour la gestion des infrastructures agropastorales, prévoyant des redevances comme source de financement.

Ce nouveau cadre législatif a suscité des inquiétudes parmi certains acteurs de la société civile. Certains craignent que ces mesures, bien que visant à améliorer la transparence, puissent restreindre la liberté d'association. Notamment, la limitation du champ d'action des associations à un seul domaine pourrait entraver leur capacité à travailler sur des problématiques interconnectées. Malgré ces préoccupations, le gouvernement mauritanien affirme que ces réformes visent à aligner la législation nationale sur les normes et standards internationaux en matière de droits de l'homme. L'objectif déclaré est de trouver un équilibre entre la nécessité de contrôler les flux financiers étrangers et le respect des libertés fondamentales.

Cet arsenal législatif témoigne de la volonté de la Mauritanie de moderniser sa gouvernance associative tout en se prémunissant contre d'éventuelles ingérences extérieures. L'efficacité de ces mesures et leur impact sur le dynamisme de la société civile mauritanienne restent à évaluer dans les années à venir.

Préserver sa souveraineté

L'expérience mauritanienne de résistance face à l'USAID représente un tournant significatif dans l'histoire des relations entre les pays africains et les agences d'aide occidentales. Cette résistance s'inscrit aujourd'hui dans un contexte plus large de remise en question du rôle des agences de développement internationales, comme en témoignent les récentes investigations du Congrès américain sur les activités de l’USAID.

En établissant des mécanismes institutionnels de contrôle des financements étrangers, la Mauritanie a démontré qu'un pays en développement pouvait maintenir son autonomie décisionnelle tout en bénéficiant de l'aide internationale. Cette stratégie n'a pas entraîné de réduction significative du volume global d'aide, mais plutôt une diversification des sources de financement.

Enfin, face aux suspensions temporaires d’aide américaine – comme celle décidée en janvier 2025 sous l’administration Trump – la Mauritanie a réagi en mobilisant ses propres ressources pour éviter l’interruption des projets critiques. Cette capacité à maintenir certains programmes malgré le retrait temporaire de financements extérieurs témoigne d’une volonté affirmée de réduire sa dépendance vis-à-vis de partenaires étrangers (La Dépêche, 2025).

Le Fonds Monétaire International, dans son rapport de consultation Article IV pour la Mauritanie (2023), met en évidence les résultats concrets de cette approche. Le pays a maintenu une croissance économique moyenne de 4,2% entre 2018 et 2023, tout en renforçant ses institutions nationales. Plus significativement, le rapport note que la part des décisions de politique économique prises de manière autonome est passée de 45% en 2015 à 78% en 2023, illustrant un renforcement réel de la souveraineté nationale.

Dans le contexte actuel des débats sur l'influence des agences d'aide, documentés par le Government Accountability Office (Report GAO-2023-198), l'expérience mauritanienne offre des enseignements précieux. Le pays a développé un modèle de coopération qui protège sa souveraineté tout en maintenant des relations constructives avec ses partenaires internationaux. Cette approche est particulièrement pertinente alors que plusieurs pays africains cherchent à redéfinir leurs relations avec les bailleurs traditionnels, comme le montre les rapports de la Commission Économique pour l'Afrique des Nations Unies.

Les résistances de la Mauritanie face aux interventions de l’USAID reflètent une quête constante d’autonomie politique et économique. En s’opposant à certaines ingérences perçues et en diversifiant ses partenariats internationaux, le pays cherche à préserver sa souveraineté tout en bénéficiant du soutien international. Ces dynamiques soulignent l’importance pour les partenaires étrangers d’adopter une approche respectueuse des priorités nationales afin d’assurer une coopération durable.

Il faudrait, il est vrai, rentre justice à l’USAID qui a beaucoup investi en Mauritanie. Fallait-il, cependant, que l’ingérence qui l’accompagnait ne fut point.  Tout comme il est vrai que des batailles silencieuses pour la dignité méritent d’être connues.

 ELY Mustapha

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Pr ELY Mustapha

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Poésie de la douleur.