lundi 3 février 2025

Donald Trump et la Mauritanie : Diplomatie transactionnelle et multilatéralisme de survie. Par ELY Mustapha

 

L'élection de Donald Trump à un second mandat en 2024 place les pays en développement, déjà fragilisés par les crises climatiques et économiques, face à un dilemme stratégique majeur. La Mauritanie, pays sahélien riche en ressources minières mais vulnérable aux chocs extérieurs, incarne les défis d'une diplomatie contrainte de naviguer entre les exigences d'un « America First 2.0 », les ambitions chinoises et les impératifs de survie climatique.

L'ascension de Donald Trump à la présidence américaine avait déjà en 2017 a marqué un tournant dans les relations internationales, incarnant une approche disruptive héritée de ses décennies dans l'immobilier new-yorkais. Son livre The Art of the Deal (1987) révèle les fondements de sa méthode : l'importance de la position dominante dans la négociation, l'utilisation de la pression médiatique, et la recherche du gain maximal à court terme. Cette philosophie de négociation s'est manifestée de manière éclatante dans sa décision de retrait unilatéral de l'accord nucléaire iranien (JCPOA) en mai 2018, illustrant sa volonté de rompre avec les engagements multilatéraux pour imposer une renégociation selon ses termes.

La présidence Trump a redéfini fondamentalement l'approche américaine des relations internationales, particulièrement visible dans le traitement des alliances traditionnelles. Sa remise en question de l'OTAN s'est concrétisée par des actions tangibles, comme le retrait de 12 000 soldats d'Allemagne en 2020, une décision directement liée aux différends commerciaux avec Berlin. Dans le domaine commercial, l'administration Trump a engagé une guerre des tarifs avec la Chine, imposant des droits de douane sur plus de 360 milliards de dollars de produits chinois. La renégociation de l'ALENA, débouchant sur l'USMCA en juillet 2020, a démontré sa capacité à obtenir des concessions significatives, notamment l'engagement du Mexique à augmenter les salaires dans son secteur automobile.

L'entourage présidentiel a joué un rôle déterminant dans l'application de cette doctrine. Mike Pompeo, en tant que Secrétaire d'État, a orchestré une politique de "pression maximale" contre l'Iran, culminant avec le rétablissement de toutes les sanctions américaines en 2018. Jared Kushner a négocié les accords d'Abraham, signés en septembre 2020, normalisant les relations entre Israël et plusieurs États arabes. Ces initiatives ont reflété la préférence de Trump pour les accords bilatéraux spectaculaires plutôt que les processus multilatéraux traditionnels.

La présidence de Donald Trump (2017-2021) a marqué une rupture fondamentale dans la politique étrangère américaine, particulièrement visible dans les relations avec l'Afrique. Au-delà des déclarations fracassantes et des tweets provocateurs, révèle comment la doctrine du "America First" s'est traduite concrètement sur le terrain africain, transformant durablement les équilibres diplomatiques et économiques régionaux.

Impact sur la Mauritanie : Entre Menaces et Opportunités Éphémères

La Mauritanie, pays charnière entre le Maghreb et l'Afrique subsaharienne, offre un exemple particulièrement éclairant de cette nouvelle approche américaine. En janvier 2019, l'administration Trump prend une décision sans précédent : la suspension de la Mauritanie de l'African Growth and Opportunity Act (AGOA). Cette décision, officiellement justifiée par la persistance du travail forcé, marque un tournant dans les relations bilatérales. Pour la première fois, Washington utilise explicitement ses instruments commerciaux comme levier de pression politique, conformément à la doctrine trumpienne du "deal" exposée dans son livre "The Art of the Deal".

Dans le domaine sécuritaire, la présidence Trump inaugure une nouvelle approche de la coopération militaire. L'exercice Flintlock 2020, organisé en Mauritanie, illustre parfaitement cette évolution. Ces manœuvres, les plus importantes jamais organisées dans le pays selon les communiqués officiels d'AFRICOM, marquent un changement de paradigme. Au-delà de l'aspect purement militaire, elles deviennent un instrument de négociation politique. Le Pentagone conditionne désormais explicitement son soutien matériel à des engagements précis en matière de sécurité régionale et de contrôle des frontières.

Le secteur énergétique devient également un terrain d'application de la doctrine Trump. Le projet gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA), où l'américain Kosmos Energy joue  un rôle central, fait l'objet d'intenses négociations. Les rapports annuels de l'entreprise et les communiqués du ministère mauritanien du pétrole documentent une évolution significative des termes de la coopération. Washington pousse pour une renégociation des contrats existants, exigeant des garanties supplémentaires pour les investisseurs américains tout en imposant des obligations accrues en matière de contenu local.

La Mauritanie, dont 50 % des exportations proviennent du fer avec 15 millions de tonnes annuelles, risque de subir les contrecoups des guerres commerciales de Trump. En 2025, l'administration américaine impose des tarifs de 10 % sur les importations d'acier, affectant indirectement les producteurs mauritaniens liés aux marchés européens et asiatiques. Le pays, déjà dépendant des prix volatils des matières premières, voit ses recettes diminuer de 8 % en 2026, selon la Banque mondiale.

Sous Trump, les budgets d'aide au développement sont redirigés vers des « accords gagnant-gagnant ». La Mauritanie, qui recevait 120 millions de dollars annuels des États-Unis pour des projets sécuritaires et agricoles, est sommée de « prouver sa loyauté ». En 2025, Washington conditionne le maintien de cette aide à un soutien public à sa politique migratoire, incluant la réadmission des migrants expulsés d'Europe.

Le retrait des États-Unis de l'accord de Paris prive la Mauritanie de fonds clés pour lutter contre la désertification, qui affecte 78 % de son territoire. Le projet « Grande Muraille Verte », financé à 30 % par des bailleurs occidentaux, est gelé en 2026, aggravant l'insécurité alimentaire qui touche 30 % de la population en crise selon le PAM.

La Chine, principal investisseur dans les mines de cuivre et d'or mauritaniennes, profite du désengagement américain pour renforcer son emprise. Pékin propose des prêts sans conditions politiques, mais Trump contre-attaque en menaçant de sanctions les pays collaborant avec des entreprises chinoises « liées à l'espionnage ». La Mauritanie se retrouve en terrain miné.

Position Diplomatique Idéale pour la Mauritanie : Le Multilatéralisme de Survie

Face à un Trump imprévisible, la Mauritanie doit adopter une stratégie pragmatique, combinant neutralité tactique, renforcement des alliances régionales et diplomatie climatique offensive.

La Mauritanie doit éviter l'alignement public en refusant de signer des déclarations condamnant ou soutenant Trump, comme l'a fait le Maroc en échange de la reconnaissance du Sahara occidental par Washington en 2020. Elle doit plutôt négocier des « mini-deals » ciblés, offrant un accès privilégié aux réserves de fer via des joint-ventures avec des entreprises américaines en échange d'exemptions tarifaires et d'un maintien de l'aide sécuritaire.

Le pays doit s'appuyer sur l'Union africaine comme bouclier en soutenant les initiatives de l'UA pour une position commune sur les tarifs douaniers américains, à l'image de la Zone de libre-échange continentale. La Ligue arabe peut servir de levier en utilisant son statut de membre modéré pour solliciter l'appui de l'Arabie saoudite et des Émirats, alliés de Trump, en échange d'une coopération antiterroriste renforcée.

La Mauritanie doit mettre en avant ses énergies renouvelables, notamment le parc éolien de Boulenouar et solaire de Nouakchott, financé par l'UE, pour obtenir un soutien européen face aux pressions américaines. Elle doit également profiter de la COP30 pour exiger des compensations climatiques, en s'alliant avec des pays insulaires et l'UE.

La diversification économique passe par le développement de la pêche durable, représentant 12 % du PIB, avec l'aide de l'UE, tout en résistant aux accords de surpêche chinois. La numérisation des services publics, via des partenariats avec des entreprises indiennes ou sud-coréennes, permet de contourner les rivalités sino-américaines.

La création d'un Conseil de crise diplomatique regroupant ministères des Affaires étrangères, de l'Économie et ONG locales permettrait d'anticiper les sanctions et d'identifier des contreparties négociables avec Washington. La mobilisation des 200 000 Mauritaniens expatriés, notamment aux États-Unis, pourrait servir de relais d'influence via des campagnes médiatiques ciblées. Le pays, reconnu pour son islam modéré, pourrait collaborer avec des institutions comme l'Organisation de la coopération islamique pour modérer les exigences de Trump sur les questions migratoires.

L'Équilibre sur un Fil

En définitive, pour la Mauritanie, survivre à l'ère Trump nécessite de transformer sa vulnérabilité en agilité. En refusant de choisir entre Washington, Pékin ou Bruxelles, mais en exploitant les failles de chacun, le pays pourrait incarner un modèle de résilience pour le Sahel. Cela exige toutefois une coordination interne sans faille et une volonté de risquer des représailles à court terme pour préserver sa souveraineté à long terme. Dans ce jeu géopolitique où les règles sont réécrites quotidiennement, la Mauritanie n'a d'autre choix que de maîtriser l'« Art of the Deal » à son échelle – ou de disparaître de l'échiquier.

Pr ELY Mustapha

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