mercredi 5 février 2025

Diplomatie Mauritanienne : Forces et faiblesses dans un monde en mutation. Par Pr ELY Mustapha


 « L’anarchie internationale est ce que les États en font » (Wendt )
 
 
La Mauritanie, pays sahélien situé à la croisée des enjeux géopétropolitiques du Maghreb et du Sahel, a déployé une diplomatie marquée par une stratégie d’équilibre, des alliances économiques ciblées et une gestion prudente des tensions régionales durant ces dix dernières annés. Comme le souligne Hans Morgenthau dans Politics Among Nations (1948), « les États agissent rationnellement pour maximiser leur pouvoir et leur sécurité dans un système international anarchique ». Cette logique réaliste a guidé notre pays dans son approche d’équilibre entre le Maroc et l’Algérie, lui permettant de maintenir une stabilité relative dans un contexte volatile. Cependant, cette diplomatie rencontre également des défis structurels, illustrant les limites des théories classiques face à des enjeux hybrides.

Forces de la diplomatie mauritanienne

1. Médiation régionale et neutralité stratégique
La Mauritanie a consolidé son rôle de médiateur neutre dans les conflits régionaux, en particulier autour du Sahara Occidental. En maintenant des relations équilibrées avec l’Algérie et le Maroc, elle applique une stratégie d’équilibre des puissances (balance of power), théorisée par Kenneth Waltz (Theory of International Politics, 1979). Comme l’écrit Waltz, « dans un système multipolaire, les petits États peuvent tirer profit des rivalités entre grandes puissances pour préserver leur autonomie ». Cette posture a permis à la Mauritanie d’éviter de s’aliéner l’un ou l’autre camp, tout en servant de pont discret entre les parties prenantes. Cependant, John Mearsheimer (The Tragedy of Great Power Politics, 2001) rappelle que « l’équilibre des puissances est toujours précaire dans les régions polarisées » – une réalité illustrée par les pressions croissantes du Maroc et de l’Algérie sur Nouakchott.

2. Diversification des partenariats économiques
La diplomatie économique mauritanienne incarne les principes de l’interdépendance complexe de Robert Keohane et Joseph Nye (Power and Interdependence, 1977), selon lesquels « les interactions économiques multilatérales réduisent les risques de conflit et augmentent la résilience ». En attirant des investissements chinois (37 % des exportations), marocains et européens, la Mauritanie a limité sa dépendance. Cependant, Samir Amin (L’accumulation à l’échelle mondiale, 1970) met en garde : « Les économies périphériques restent captives des puissances centrales si elles n’industrialisent pas leurs ressources ». Ce piège se reflète dans le déficit commercial chronique (7 % du PIB en 2023), lié aux importations chinoises à bas coût.

3. Intégration aux initiatives internationales
L’alignement sur les Objectifs de développement durable (ODD) et la ZLECAF relève du constructivisme d’Alexander Wendt (Social Theory of International Politics, 1999), pour qui « les normes internationales façonnent les identités et les intérêts des États ». En adhérant à ces cadres, la Mauritanie a renforcé sa crédibilité auprès du FMI, obtenant 86,9 millions de dollars pour des réformes. Toutefois, Stephen Krasner (International Regimes, 1983) souligne que « l’efficacité des régimes internationaux dépend de la capacité des États à internaliser les normes » – un défi face aux retards dans la transition numérique mauritanienne.

4. Gestion sécuritaire proactive
La réussite sécuritaire du pays s’appuie sur la théorie de la sécurité humaine développée par Mahbub ul Haq (Reflections on Human Development, 1995), selon laquelle « la sécurité ne se limite pas à l’absence de guerre, mais inclut la lutte contre la pauvreté et l’exclusion ». En combinant modernisation militaire et programmes communautaires, la Mauritanie a évité les attaques terroristes depuis 2011. Cependant, Amartya Sen (Development as Freedom, 1999) rappelle que « la liberté politique et sociale est un pilier de la sécurité durable » – un enjeu face à la marginalisation persistante des Harratines.

Faiblesses et limites structurelles

1. Dépendance économique et vulnérabilité externe
La Mauritanie illustre les thèses de la théorie de la dépendance d’André Gunder Frank (The Development of Underdevelopment, 1966) : « Les pays exportateurs de matières premières sont structurellement vulnérables aux chocs externes ». Les retards dans le projet gazier GTA et la domination chinoise dans les exportations minérales en sont des manifestations. Pour Samir Amin, une « déconnexion contrôlée » via l’industrialisation serait nécessaire pour briser ce cycle.

2. Pressions géopolitiques contradictoires
La neutralité mauritanienne est érodée par les rivalités de pouvoir décrites par Mearsheimer : « Les grandes puissances cherchent toujours à dominer leur région, menaçant l’autonomie des petits États ». Le corridor atlantique marocain et les pressions algériennes via le Polisario placent Nouakchott dans un dilemme stratégique typique des zones d’influence concurrentes.

3. Défis de gouvernance interne
Comme le souligne Douglass North (Institutions, Institutional Change and Economic Performance, 1990), « les institutions inefficaces entravent le développement, même en présence de ressources abondantes ». La corruption et la faible collecte fiscale en Mauritanie limitent l’impact des réformes, malgré les financements internationaux.

4. Limites de la diversification diplomatique
Les projets d’énergies renouvelables stagnants rappellent les critiques de Walt Rostow (The Stages of Economic Growth, 1960) : « La modernisation ne peut être importée ; elle requiert des institutions locales solides ». Sans capacités techniques endogènes, la diversification reste superficielle.

 

Perspectives

Pour sortir des écueils théoriques et pratiques, la Mauritanie doit hybrider les approches :

  • Équilibre des puissances et sécurité humaine : Comme le suggère Ul Haq, « investir dans le développement local pour consolider la stabilité ».
  • Interdépendance et déconnexion contrôlée : Appliquer les clauses de contenu local préconisées par Amin pour transformer les ressources en industries.
  • Constructivisme et néo-institutionnalisme : Renforcer les institutions, car « les normes sans capacités internes sont illusoires » (Krasner).

En conclusion, la diplomatie mauritanienne a, sur 10 ans (2015-2025) illustré à la fois les forces et les limites  des théories des relations internationales. Si le réalisme explique sa neutralité tactique et l’interdépendance ses alliances économiques, les théories critiques (dépendance, sécurité humaine) révèlent ses vulnérabilités structurelles. Comme l’écrit Wendt, « l’anarchie internationale est ce que les États en font » – pour la Mauritanie, l’enjeu est de transformer sa position géostratégique en un projet de développement inclusif, ancré dans des réformes institutionnelles audacieuses.

 

                                                                                                                            Pr ELY Mustapha 


Références


Morgenthau, H. J. (1948). Politics Among Nations: The Struggle for Power and Peace.
Waltz, K. (1979). Theory of International Politics.
Mearsheimer, J. J. (2001). The Tragedy of Great Power Politics (réalisme offensif).
Keohane, R. O., & Nye, J. S. (1977). Power and Interdependence: World Politics in Transition.
Wendt, A. (1999). Social Theory of International Politics.
Finnemore, M., & Sikkink, K. (1998). International Norm Dynamics and Political Change.
Ul Haq, M. (1995). Reflections on Human Development.
Sen, A. (1999). Development as Freedom.
Rapport du PNUD (1994). Rapport sur le développement humain.
Amin, S. (1970). L’accumulation à l’échelle mondiale.
Frank, A. G. (1966). The Development of Underdevelopment.
Krasner, S. D. (1983). International Regimes.
North, D. C. (1990). Institutions, Institutional Change and Economic Performance.
Rostow, W. W. (1960). The Stages of Economic Growth: A Non-Communist Manifesto.
Perroux, F. (1961). L’économie des jeunes nations (développement endogène)
  • Projet Grand Tortue-Ahmeyim (GTA) : Données de la Banque mondiale et rapports de BP-Senegal/Mauritanie.
  • Initiative ZLECAF : Documents de l’Union africaine (2018-2025).
  • Stratégie SCAPP 2016-2030 : Gouvernement mauritanien, Ministère de l’Économie.
  • Données économiques (AGOA, investissements chinois) : FMI (2023), OCDE, et rapports de la CNUCED.
  • Politique sécuritaire (G5 Sahel) : Rapports de Crisis Group et ONU (MINUSMA).
  • Conflit du Sahara Occidental : Résolutions de l’ONU, positions de l’Union africaine, et analyses du International Crisis Group.
  • Corruption et inégalités sociales : Rapports de Transparency International et Amnesty International.
  • Enjeux climatiques au Sahel : Études du GIEC et programmes de l’Union européenne (Green Deal).

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