- La Mauritanie n’est pas financée pour ses progrès, mais pour ses périls. -
Le rapport PEFA 2025 sur la Mauritanie fait tomber le vernis de la "bonne gouvernance" qui craque une fois de plus. Pour qui sait lire entre les lignes de ce jargon technocratique, ce document ne décrit pas une administration en voie de modernisation, mais un système qui a appris à simuler la réforme pour maintenir le robinet des devises ouvert. Alors que la pauvreté s’enracine et que les rapports de la Cour des comptes finissent dans des tiroirs verrouillés, le paradoxe demeure : pourquoi le monde continue-t-il de financer une machine aussi grippée ?
La faillite des chiffres : Derrière les notes, le vide
Le PEFA (pour Public Expenditure and Financial Accountability, ou « Dépenses publiques et responsabilité financière ») est un outil de diagnostic international utilisé pour évaluer la « santé » de la gestion de l'argent public d'un pays
Le PEFA 2025 pour la Mauritanie est un catalogue de défaillances que l'on tente de masquer sous des moyennes pondérées. Mais la réalité est brutale : sur les piliers essentiels de la transparence, la Mauritanie récolte des notes qui, dans n'importe quel autre système, seraient synonymes de faillite.
L’opacité est érigée en méthode de gestion. Le rapport souligne l’incapacité chronique du système à produire des données fiables sur les arriérés de paiement. En clair, l'État ne sait pas ce qu'il doit réellement à ses fournisseurs, ou feint de l'ignorer pour équilibrer artificiellement ses comptes. Plus grave encore, le contrôle de la paie est un gouffre noir. Les délais de mise à jour des fichiers du personnel s'étirent sur des années, laissant la porte grande ouverte aux salaires fictifs et au détournement de la masse salariale, pendant que les diplômés chômeurs s'entassent dans les rues de Nouakchott.
Le « Gré à Gré » ou la légalisation du favoritisme
L'un des points les plus sombres du rapport concerne la commande publique. Sous prétexte d'urgence ou de spécificités techniques, le recours aux marchés non concurrentiels , le fameux gré à gré , a explosé. C’est ici que se joue la capture des ressources nationales par une oligarchie d'affaires connectée au sommet de l'État.
L'audit interne, censé être le rempart contre ces dérives, n'est qu'une parodie. Les inspecteurs se contentent de vérifier si la signature est présente sur le document, sans jamais interroger la pertinence de la dépense ou la réalité de la prestation. On valide la forme pour mieux ignorer le fond. Quant à la Cour des comptes, ses recommandations sont purement et simplement ignorées. Le rapport PEFA confirme cette absence totale de suivi : l'impunité n'est pas un accident, c'est une composante structurelle du modèle mauritanien.
Le grand cynisme : pourquoi les bailleurs continuent de payer
C’est la question qui brûle les lèvres de chaque citoyen : pourquoi le FMI, la Banque mondiale et l’Union européenne continuent-ils de prêter des centaines de millions à un pays qui affiche une telle résistance à la transparence ? La réponse ne se trouve pas dans les tableurs Excel, mais dans les chancelleries.
- Le Chantage à la Stabilité : Dans un Sahel transformé en brasier, la Mauritanie est devenue "l'exception". Les bailleurs de fonds ont peur. Ils préfèrent financer une corruption "stable" plutôt que de risquer une déstabilisation sociale qui pourrait conduire à un énième coup d'État ou à une poussée djihadiste. L'aide internationale n'est plus un outil de développement, c'est une prime à la tranquillité.
- La Sous-traitance Migratoire : L'Europe a transformé la Mauritanie en son garde-frontière sud. En échange de financements massifs, le pays accepte de retenir sur son sol les candidats à l'exil. Dans ce troc, la question de savoir si l'argent de l'école ou de l'hôpital est détourné devient secondaire pour Bruxelles.
- Le Mirage des Ressources Futures : Le gaz de la Grande Tortue Ahmeyim et les projets d'hydrogène vert servent de garantie morale. Les institutions prêtent aujourd'hui en espérant que la rente gazière de demain couvrira les détournements d'hier. C’est un pari risqué sur le dos des générations futures qui hériteront d’une dette colossale sans avoir vu la couleur des infrastructures promises.
La Réforme comme somnifère
Le rapport PEFA 2025 est le témoignage d'un pays qui a transformé la "réforme" en un produit d'exportation. On vote des lois organiques, on crée des comités de suivi, on invite des consultants internationaux à prix d'or pour rédiger des schémas directeurs. Mais sur le terrain, la pauvreté multidimensionnelle progresse car les ressources sont captées avant d'atteindre les services publics de base.
Continuer de prêter dans ces conditions, sans exiger de sanctions réelles pour les fautes de gestion documentées, revient à administrer un sédatif à un patient qui a besoin d'une chirurgie lourde. Le PEFA 2025 n'est pas le constat d'un progrès, c'est le procès-verbal d'une complicité internationale qui privilégie la géopolitique sur la dignité du peuple mauritanien. Il est temps de cesser de financer l'opacité au nom de la stabilité.
Le Pacte de Faust au bord du désert
En somme, le rapport PEFA 2025 n'est rien d'autre que le procès-verbal d'un immense théâtre d'ombres. Pour le gouvernement mauritanien, il s'agit d'une pièce d’orfèvrerie bureaucratique destinée à racheter une virginité financière à moindres frais. Pour les bailleurs de fonds, c’est l’alibi technocratique nécessaire pour continuer à injecter des capitaux dans un système qu'ils savent pourtant vicié.
La vérité est aussi glaciale que "mortelle" : la Mauritanie n’est pas financée pour ses progrès, mais pour ses périls. On n'investit pas dans ses écoles ou ses hôpitaux , dont les budgets s'évaporent dans les méandres du gré à gré , mais dans son silence migratoire, sa stabilité militaire et ses futures cargaisons de gaz.
Ce n’est plus de l’aide au développement, c’est une prime à l’inertie. En validant des réformes de façade tout en fermant les yeux sur l'impunité institutionnalisée, la communauté internationale ne sauve pas la Mauritanie ; elle subventionne sa propre tranquillité. Pendant ce temps, le peuple mauritanien, grand absent de ce rapport, se retrouve condamné à une double peine : subir la déliquescence de ses services publics aujourd'hui, et rembourser demain une dette souveraine qui n’aura servi qu’à bétonner les privilèges d’une élite et les consciences des diplomates.
Le PEFA 2025 ne marque pas le début d'une ère de transparence, mais la consécration d'un cynisme global : celui d'un monde qui préfère une corruption prévisible à une démocratie exigeante. Le mirage est parfait, mais le réveil sera une faillite.
Pr ELY Mustapha
.png)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Bienvenue,
postez des messages respectueux des droits et de la dignité des autres. Ne donnez d'information que certaine, dans le cas contraire, s'abstenir est un devoir.
Pr ELY Mustapha